Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

10 jours en terre ceinte: Récit de voyage israélo-palestinien
10 jours en terre ceinte: Récit de voyage israélo-palestinien
10 jours en terre ceinte: Récit de voyage israélo-palestinien
Ebook161 pages2 hours

10 jours en terre ceinte: Récit de voyage israélo-palestinien

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Sous la forme d'un journal de bord, l'auteur nous livre avec simplicité son vécu sur le conflit israélo-palestinien.

Durant 10 jours, pendant un voyage qui met à mal sa sensibilité, Bernard Bloch visite la Palestine, puis Israël. Toute l'absurdité de ce conflit, toute la complexité de ces relations de cohabitation violente, haineuse et pour l’instant insoluble, surgit sous sa plume humaniste.

Ce récit nous plonge au cœur de la géopolitique quotidienne du Proche-Orient, où même Kafka aurait du mal à reconnaître les siens.

EXTRAIT

L’avion est bondé. Autour de moi, les voyageurs du groupe sont reconnaissables au badge Témoignage chrétien que nous portons sur nos tee-shirts. Seul Juif au milieu de trente-sept catholiques, Juif athée de surcroît, avec toute l’opacité de cet apparent oxymore, comment pourrais-je partager mes sentiments avec mes compagnons ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Comédien, metteur en scène, habitué du Festival d’Avignon et jongleur de mots, Bernard Bloch nous fait partager les émotions profondes et contradictoires que suscite ce mur qui sépare une population condamnée à vivre ensemble. Là où chacun a ses torts et ses raisons, là aussi où enfant il avait fait sa Bar Mitzvah.
Hélène Cixous signe l’avant-propos de ce texte exemplaire.

LanguageFrançais
Release dateJan 31, 2018
ISBN9782350744759
10 jours en terre ceinte: Récit de voyage israélo-palestinien

Related to 10 jours en terre ceinte

Related ebooks

Cultural, Ethnic & Regional Biographies For You

View More

Related articles

Reviews for 10 jours en terre ceinte

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    10 jours en terre ceinte - Bernard Bloch

    .1.

    Palestine

    Paris – Tel-Aviv,

    mercredi 12 juin 2013

    Le Boeing d’ElAl reste stationné plus de deux heures sur le tarmac, à Roissy. Une grève des contrôleurs aériens nous retarde. L’avion est bondé. Autour de moi, les trente-sept voyageurs du groupe sont reconnaissables au badge Témoignage chrétien que nous portons tous sur nos tee-shirts. Seul Juif au milieu de trente-sept catholiques de gauche, Juif athée de surcroît, avec toute l’opacité de cet apparent oxymore, comment partager mes sentiments avec mes compagnons ?

    La plupart des autres passagers sont juifs : Israéliens de retour chez eux, familles en partance pour les plages israéliennes… Des uns je suis séparé par mon roman familial, des autres par mon aversion pour ce qu’Israël est en train de devenir.

    À Paris, il fait gris et froid. Je n’ai encore eu aucun contact avec mes compagnons de voyage sinon avec mon amie Claudine, assise plus loin dans l’avion. Tendue – mais ne le sommes-nous pas tous ? –, elle ne m’a pas quitté d’une semelle pendant les trois heures d’attente à Roissy.

    Je crains de me sentir contraint de parler, d’avoir à commenter trop et trop vite ce qui m’arrivera sans avoir le temps d’accueillir, seul, les émotions qui ne vont pas manquer de m’assaillir. Mais sans elle, aurais-je entrepris ce voyage sans cesse repoussé depuis mon premier séjour cinquante ans plus tôt ?

    « Bienvenue dans votre pays…» nous dit sur l’écran l’énergique quadragénaire du service de presse d’El Al. Mon pays ? Quelles sont ces larmes qui menacent ? Un sentiment d’appartenance ? Mais à quoi, à qui ?

    Je suis dans l’œil de mon propre cyclone, au lieu géométrique de moi-même.

    Netanya – Tulkarem – Naplouse,

    jeudi 13 juin

    Le retard au décollage à Roissy, une valise perdue parce que trop longtemps fouillée par la sécurité israélienne (elle appartient à l’un des deux membres du groupe dont le nom sonne arabe), nous retiennent deux heures dans l’autocar qui nous attend à l’aéroport Ben-Gourion et nous n’arrivons à l’hôtel que treize heures après notre départ.

    Ma première nuit en terre ceinte est courte. Dans une chaleur étouffante après la froidure parisienne, je lis l’introduction du guide de voyage palestinien qui nous a été remis au départ. Lecture troublante. Il s’agit d’évidence d’un livre militant qui raconte en un raccourci partial, forcément partial, l’histoire de la Palestine, du sionisme et de la création de l’État d’Israël. Ce livre mériterait pour le moins une lecture critique. Mes réserves envers la politique d’Israël et sa politique sont légion et certaines, radicales. Mais ce qui reste inacceptable pour moi, c’est la remise en question de son existence. Au matin, tout en avalant, excité et tendu, un grand bol de café noir, je vois entre les mains d’une bonne partie des membres du groupe, le guide palestinien que j’ai lu cette nuit. Que pensent-ils de la remise en question de l’existence d’Israël que ce livre sous-entend ?

    EN ROUTE VERS LE MUR

    En quittant l’hôtel-kibboutz où nous avons passé la nuit, je me souviens du repas qui célébrait ma Bar Mitzvah¹ en décembre 1962 dans un autre kibboutz, l’un des tout premiers de l’histoire d’Israël : Degania, au bord du lac de Tibériade. Je revois la consternation de mes parents devant le triste repas qui nous était servi : des tranches de vache immangeables arrosées d’une improbable crème de banane. Mais la famille de mon père, ses amis de jeunesse, tous ces Juifs allemands du temps d’avant Hitler, étaient si heureux de se retrouver là, vivants, qu’ils se souciaient comme d’une guigne de la qualité de la viande.

    Vers 8 h du matin, alors que notre autocar longe la ville de Netanya, là où Israël – celui d’avant la guerre des Six-Jours – est le plus étroit, quinze kilomètres à peine, Toni, qui sera notre guide tout au long du voyage, se présente : c’est un Palestinien chrétien, originaire de Bethléem qui vit actuellement à Jérusalem-Est. Avec une objectivité qui me surprend, il nous rappelle les origines du sionisme et l’histoire de la création de l’État d’Israël, puis prononce pour la première fois ce mot inouï et qui n’a pas fini de me poursuivre : « Isratine. »

    TONI

    « Israël est un pays de 9 millions d’habitants, dont 80 % de Juifs. Sur les 20 % de Palestiniens de nationalité israélienne, 17 % sont des musulmans sunnites. Le reste, 3 à 4 %, sont chrétiens, comme moi, ou Druzes. Ils jouissent d’une égalité formelle avec les Juifs, mais un plafond de verre presque infranchissable contraint leurs ambitions : la défiance de leurs compatriotes israéliens comme de leurs frères palestiniens les enferme dans une sorte de piège mental.

    En 2013, 2,7 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie² et 1,75 million, à Gaza. Si l’on inclut les Palestiniens de nationalité israélienne, ce sont donc 6,3 millions de Palestiniens et 7,2 millions de Juifs qui habitent la Palestine historique…

    Pour mieux vous faire comprendre l’absurdité de la situation, voici une carte imaginaire (il nous la distribue) qu’un facétieux géographe a dessiné au début des années 2000. Par antiphrase, il l’a joliment appelée « l’archipel de Palestine ». Israël, c’est la mer. Les territoires sous autorité palestinienne, les zones A et B, sont représentés sous forme d’îlots situés au large d’Israël. Ils sont séparés entre eux par des étendues d’eau : la zone C, qui est, de facto, sinon de jure, sous contrôle israélien.

    La zone A représente, avec Gaza, plus au sud, à peine 20 % de la superficie de la Palestine historique. Le non-État de Palestine, étriqué et coupé en deux, est à peine viable. Quant au mur de séparation et aux colonies juives qui se multiplient, ils le rendent carrément invivable.

    Les Juifs craignent l’accroissement rapide de la population arabe en raison de son fort taux de natalité, ce qui risquerait de remettre en cause leur suprématie et le caractère juif de l’État.

    Mais s’il est un sentiment que partagent toutes les communautés qui vivent ici, c’est bien leur désir de foutre le camp et de se tirer de ce guêpier ! La seule solution, c’est Isratine ! », conclut-il, me laissant bouche bée.

    PREMIÈRE RENCONTRE AVEC LE MUR³

    Après avoir longé l’une des plus grandes prisons d’Israël, probablement celle de Ramlé, où croupissent et se radicalisent des milliers de Palestiniens, nous filons vers Tulkarem. Entrée en zone A, découverte du mur. Un grand panneau en lettres rouges, placé à côté du check-point, interdit à tout Israélien l’entrée des territoires et le déconseille vivement au Juifs. Toni, à qui les soldats de Tsahal demanderont à chaque passage : « Y a-t-il des Juifs parmi vous ? », se voit contraint de mentir. Malaise : s’il y a un contrôle, où me cacher ? Me voilà obligé de cacher ma judéité à ceux dont je suis censé partager l’appartenance.

    Pour ceux qui aiment les chiffres, la construction du mur revient à près de 40 000 € du kilomètre et elle est principalement l’œuvre d’ouvriers palestiniens… Quant aux « mur-tunnels », ces murs incurvés qui enserrent les routes réservées aux colons et ne laissent entrevoir qu’une mince bande de ciel bleu, ils coûtent près de 120 000 € du kilomètre.

    « Israël avait vocation à devenir le phare du Moyen-Orient, il en est devenu la forteresse assiégée » disait, en 1988 déjà, Karl Kahane, un proche de l’ex-chancelier fédéral d’Autriche, Bruno Kreisky⁴.

    TULKAREM – FARAOUN

    Au check-point, sous un soleil de plomb, nous attendent trois Palestiniens : le responsable d’une association de paysans qui sera notre guide, son fils de 9 ans et un interprète.

    Tulkarem est une ville paradoxale : sorte de gros bourg paysan, elle abrite l’université agricole de Palestine. Les fenêtres des maisons sont oblongues comme les tombes des cimetières musulmans. Le tronc des ficus qui bordent les routes est peint en blanc pour les protéger des parasites. Toutes les femmes sont voilées et celles qui ne le sont pas sont chrétiennes, forcément.

    Le contraste est saisissant entre le nombre considérable de maisons en construction et la misère flagrante d’un pays sous-développé. Ces villes, ces villages me rappellent les campagnes d’Allemagne de l’Est avant la chute du mur : pas de publicité, peu de commerces, des étals réduits au minimum et des slogans partout. C’est la RDA des années 1950 sous le soleil et les minarets.

    Aux alentours de son village de Faraoun, notre hôte palestinien nous montre les maisons détruites sur le tracé du mur de séparation et laissées là, volontairement en ruine, pour témoigner. « Ce mur n’est qu’un prétexte pour confisquer nos terres », nous dit-il.

    Constatant le grand nombre de maisons en construction, je demande qui finance ces chantiers. « Les pays arabes amis », me répond-il. « L’État d’Israël participe-t-il au financement ? » Pas de réponse.

    Nous voilà à quelques mètres d’une maison détruite. À une vingtaine de mètres en contrebas, trois paysans, sous une tente, tirent de l’eau d’un puits souterrain et arrosent quelques maigres plants de colza. Trois cent mètres plus bas, une piste longe les barbelés de séparation, une Jeep de l’armée israélienne passe en trombe. L’un des membres du groupe, un septuagénaire du centre de la France, s’exclame : « C’est comme nous en Algérie ! C’est comme nous en Algérie ! Dis-leur, toi, dis-leur ! – Calme-toi, Guy, c’est pas le moment », lui répond son épouse, une grande femme encore jeune. Nous n’en saurons pas plus ce jour-là…

    Le discours du guide paysan repart de plus belle : « Le mur n’est construit que pour voler les terres et l’eau des Palestiniens ; et ce sont des intérêts privés qui président à sa construction. C’est d’ailleurs le propre fils d’Ariel Sharon qui détient l’essentiel du marché. »

    On nous parle de « purification ethnique par destruction d’habitations », on nous dit qu’Israël est un État fasciste à qui tout est permis au nom de sa sécurité et grâce au silence des médias internationaux qui sont, « comme chacun sait », aux mains du « puissant lobby sioniste ». Lobby sioniste ? Et pourquoi pas lobby juif ?

    Au loin, il nous désigne des entrepôts. C’est là que les camions palestiniens échangent leur cargaison avec les camions israéliens. « Les scanners qui contrôlent les chargements détruisent les fruits et légumes et ils sont si lents que la cargaison pourrit. » Il ajoute que que 81 % de l’eau de Cisjordanie est volée par les Israéliens et revendue le double de son prix aux Palestiniens. « Et tout cela, les médias aux mains du lobby sioniste le cachent au monde. Votre présence ici est vitale pour nous. À vous de diffuser la vérité. A vous de prendre part à la résistance pacifique à l’oppresseur. »

    Me voilà, bon gré mal gré, enrôlé! Qu’avais-je besoin de me retrouver là? Je me sens doublement complice : complice, si je me tais, de l’oppresseur israélien et si je parle, complice de tous ceux qui ne cherchent qu’un prétexte pour nourrir leur haine des Juifs, quoi qu’ils fassent

    Je sais bien à quel point les victimes de l’antisémitisme se défont difficilement de leur statut de victime : il peut procurer un semblant de confort moral. Mais les Palestiniens ne risquent-ils pas, eux aussi, de s’enfermer dans cette triste passion ?

    L’USINE

    L’autocar s’arrête en bordure d’une route passante. De l’autre côté, une immense usine en béton entourée de hauts murs (encore un). C’est une usine chimique, laide et malodorante. Un chemin la longe sur sa gauche. Entre l’usine et le mur situé à une centaine de mètres à l’ouest, des serres, nombreuses. Sous le plastique agricole poussent des concombres, des aubergines, des tomates, des poivrons… Notre guide nous en fait goûter. Ils sont savoureux.

    L’usine, construite en 1985 du côté palestinien du mur, est un complexe chimique israélien. Elle emploie plusieurs dizaines d’ouvriers palestiniens. Les cadres, évidemment, sont Israéliens. L’usine dégage des vapeurs malodorantes et polluantes de part et d’autre du mur. Des deux côtés, les habitants israéliens

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1