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Requiem pour Nagasaki: Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais »
Requiem pour Nagasaki: Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais »
Requiem pour Nagasaki: Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais »
Ebook356 pages5 hours

Requiem pour Nagasaki: Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais »

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About this ebook

Paul Glynn évoque le parcours de vie exemplaire d'un homme saint au pays du Soleil Levant.

11 heures du matin, le 9 août 1945 : de son bombardier B29, le major Chuck Sweeney largue une bombe A de 4 tonnes et demie – l’équivalent de 22 000 tonnes d’explosifs conventionnels – au-dessus de Nagasaki et c’est le récit de la destruction de 72 000 habitants d’une ville magnifique. Nagai perd sa femme et, bien qu’en phase terminale de la maladie des rayons X il construit une hutte au milieu des cendres du désert nucléaire et se met à écrire. Ses livres deviennent des best-sellers dans un Japon démoralisé. Des gens de toutes classes, conditions et croyances religieuses, de l’Empereur jusqu’au gamins des rues, viennent rendre visite à cet homme qui ne condamne personne.

C’est la vie de ce médecin militaire japonais, shintoïste converti au catholicisme, que raconte Paul GIynn, religieux mariste australien, ami de la famille Nagai et de nombreux survivants de la bombe A. Un succès en langue anglaise, un chant de réconciliation et de paix, plus de 50 ans après Hiroshima et Nagasaki. Et aussi une découverte très pédagogique du Japon, de sa culture et de son âme profonde.

Ce récit nous ouvre une fenêtre sur un pan de l'histoire et de la vie culturelle japonaise.

EXTRAIT

Takashi Nagai vit le jour dans l’ancienne préfecture Shimane dont le paysage est toujours aussi pur. Cette préfecture est située au nord-est d’Hiroshima ; sa longue côte est baignée par la Mer du Japon. Les vents mugissants qui arrivent de Sibérie au nord-ouest emplissent les vallées au creux des montagnes de congères en hiver. Consultez une carte et vous constaterez combien il était naturel pour les anciens pionniers chinois et coréens de débarquer là ; ils répondaient ainsi à l’aventure et à l’idéalisme de l’appel : « Pars à l’est, jeune homme, pars à l’est ! » Les nouveaux venus furent frappés par la nature montagneuse de ce pays peu peuplé et surtout par sa beauté verdoyante qui jaillit comme une fontaine du riche sol volcanique.
Les géologues pensent que le Japon, il y a soixante millions d’années, se trouvait, embryon inattendu, au fond de la mer, au large du continent asiatique. Lorsque les plateaux situés sous l’Océan Pacifique se déplacèrent massivement à la rencontre du continent de l’Asie de l’Est, le fond de la mer céda et les îles du Japon émergèrent, ruisselantes, de ses entrailles obscures.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Glynn (né en 1928 à Lismore, Nouvelle-Galles du Sud, Australie) est un prêtre missionnaire mariste et écrivain australien. Il est l'auteur de plusieurs livres dont The Song of Nagasaki (1988) et The Smile of the Ragpicker (1992), qui ont connu un grand succès et ont été traduits en plusieurs langues. Il a consacré sa vie à la réconciliation et à l'amitié entre l'Australie et le Japon, les deux anciens ennemis de la Seconde Guerre mondiale.
LanguageFrançais
Release dateFeb 15, 2018
ISBN9782375821527
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    Book preview

    Requiem pour Nagasaki - Paul Glynn

    Sommaire

    Avant-propos

    Chapitre 1

    Tranquillité, le Fils aîné

    Chapitre 2

    Lucioles, neige et une lionne

    Chapitre 3

    Kublai Khân, Tsune et Pascal

    Chapitre 4

    La souris qui ne voyait pas les étoiles

    Chapitre 5

    Un vent mauvais

    Chapitre 6

    Les chrétiens cachés

    Chapitre 7

    Les cloches de Nagasaki

    Chapitre 8

    Rosée d’une splendeur matinale

    Chapitre 9

    Une nuit silencieuse et une vie précieuse

    Chapitre 10

    La vierge et la prostituée

    Chapitre 11

    « Le grand Pan est mort »

    Chapitre 12

    Aux pieds d’un concierge-sensei

    Chapitre 13

    La blanche Australie et le péril jaune

    Chapitre 14

    Gracieux bambou et typhons

    Chapitre 15

    Nenbutsu chrétien et nuit noire

    Chapitre 16

    « Ils tombent, les arrogants heike »

    Chapitre 17

    La machine qui se retourna contre son maître

    Chapitre 18

    « Mais Midori sera à mes côtés… »

    Chapitre 19

    Quand le soleil est devenu noir

    Chapitre 20

    Et la pluie devint poison

    Chapitre 21

    Le dernier trou noir de l’univers ?

    Chapitre 22

    Des os qui parlent et une nouvelle force spirituelle

    Chapitre 23

    Midi, un pays pleure

    Chapitre 24

    « Notre réconfort ne vient pas du hasard »

    Chapitre 25

    La parabole de la cabane nue

    Chapitre 26

    La petite fille qui ne savait pas pleurer

    Chapitre 27

    Le chant du lépreux de Tokyo

    Chapitre 28

    Le rossignol bleu rend visite à l’ours

    Chapitre 29

    « Le nombril du monde »

    Chapitre 30

    Les fleurs de cerisier tombent au troisième jour

    Chapitre 31

    « Pour tout ce qui a été, merci ; pour tout ce qui viendra, oui »

    Épilogue

    Glossaire

    Dans la même collection

    Avant-propos

    Voici un livre que le lecteur trouvera sans doute difficile de poser. C’est l’histoire d’un athée japonais devenu chrétien. Ce n’est pas entièrement nouveau, car saint François Xavier baptisait des Japonais dès le xvie siècle. Cependant le personnage principal de ce livre, Takashi Nagai, est un homme incroyable qui symbolise bien l’histoire chrétienne du Japon, un engagement total et même le martyre.

    Il est né d’une famille de médecins où l’ancienne foi shinto fondait toute la vie. Étudiant à l’Université Médicale de Nagasaki, il en sortit parmi les premiers en 1932, ayant toutefois, au contact du rationalisme scientifique, perdu sa foi shinto. Cependant ce n’est là que le début d’une quête du sens de l’existence, que le lecteur suit progressivement, sur le fond fascinant de l’histoire, de la culture et de la religion au Japon. L’un des nombreux exemples en est le célèbre Kamikaze ou épopée du Vent Surnaturel, qui trouve son origine dans le typhon qui dispersa les Mongols de Kublai Khân venus écraser le Japon en 1281. Plein du romantisme de la jeunesse, Nagai part pour Hakata et marche sur le champ de bataille Kamikaze.

    Pendant les années 1930, il passe quatre ans et demi à opérer sur les champs de bataille de Mandchourie, puis non loin de Pékin et revient au Japon avec plusieurs décorations et une conviction profonde : le sang des soldats et des civils est le même, qu’ils soient japonais ou chinois. Ses expériences de guerre sont devenues partie intégrante de sa recherche de Dieu. Démobilisé, il retourne à l’enseignement et la recherche à l’Université de Nagasaki, où il devient doyen de radiologie.

    Inquiet et incertain quant au but de sa vie, bien qu’éduqué dans une famille de religion stricte, il pénètre un jour dans la cathédrale de Nagasaki, à la recherche d’un prêtre. Il fait alors la connaissance du père Moriyama, neveu d’un des célèbres martyrs de la dernière persécution au Japon, dans les années 1870.

    Nagai et Moriyama se rendent compte qu’ils ont beaucoup en commun. Le jeune médecin demande à devenir chrétien et, peu après, il est baptisé. Il épouse ensuite une descendante des extraordinaires « chrétiens cachés » et une vie de famille heureuse commence.

    Puis la bombe A tombe sur Nagasaki ! Ce chapitre est le plus émouvant que j’aie jamais lu. L’événement est si affreux que nous le chassons instinctivement de notre esprit. J’ai vu beaucoup de morts, mais je dois confesser que j’ai eu du mal à lire ce récit de la destruction de 72 000 habitants aimants, heureux et travailleurs d’une ville magnifique qu’on appelait le Naples de l’Orient. Nagai y perd sa femme et, bien qu’en phase terminale de la maladie des rayons X, il se construit une cabane au milieu des cendres du « désert nucléaire » et se met à écrire. Ses livres deviennent des best-sellers dans un Japon démoralisé. Des gens de toutes classes, conditions et croyances religieuses, de l’Empereur jusqu’aux gamins des rues, viennent rendre visite à cet homme qui ne condamne personne. Le final de cette vie courte est magistral et captivant.

    L’auteur australien, Paul Glynn, était bien placé pour écrire cette biographie, ayant travaillé 21 ans au Japon. Il a lu les livres de Nagai dans leur version originale et est devenu ami de la famille Nagai et de nombreux survivants de la bombe A.

    La plupart des livres sur la bombe A nous laissent avec un sentiment négatif. Ce n’est pas le cas de celui-ci ! Je l’ai terminé avec beaucoup d’espoir pour notre race. Une fois que le grondement effroyable de la fission nucléaire a disparu, les notes d’un chant persistent. Cela aurait pu être le chant funèbre d’un homme en colère, assoiffé de vengeance et amer. Au lieu de cela, c’est un chant de réconciliation, de foi, d’acceptation et de paix, ingrédients d’un bonheur que nous cherchons tous.

    Stan Arneil

    Ex-prisonnier de guerre de la ligne de chemin de fer de Birmanie à la Thaïlande, auteur de One Man’s War, Black Jack, One Man’s Family, etc.

    Chapitre 1

    Tranquillité, le Fils aîné

    Takashi Nagai vit le jour dans l’ancienne préfecture Shimane dont le paysage est toujours aussi pur. Cette préfecture est située au nord-est d’Hiroshima ; sa longue côte est baignée par la Mer du Japon. Les vents mugissants qui arrivent de Sibérie au nord-ouest emplissent les vallées au creux des montagnes de congères en hiver. Consultez une carte et vous constaterez combien il était naturel pour les anciens pionniers chinois et coréens de débarquer là ; ils répondaient ainsi à l’aventure et à l’idéalisme de l’appel : « Pars à l’est, jeune homme, pars à l’est ! » Les nouveaux venus furent frappés par la nature montagneuse de ce pays peu peuplé et surtout par sa beauté verdoyante qui jaillit comme une fontaine du riche sol volcanique.

    Les géologues pensent que le Japon, il y a soixante millions d’années, se trouvait, embryon inattendu, au fond de la mer, au large du continent asiatique. Lorsque les plateaux situés sous l’Océan Pacifique se déplacèrent massivement à la rencontre du continent de l’Asie de l’Est, le fond de la mer céda et les îles du Japon émergèrent, ruisselantes, de ses entrailles obscures.

    Les vieux livres de géographie racontent que le Japon faisait partie de « l’anneau de feu », cet arc de volcans et de tremblements de terre qui longe la côte ouest de l’Amérique du Sud, le Mexique et la Californie, traverse le Pacifique, passe par Hawaï et le Japon, s’étend au sud à travers l’Indonésie jusqu’à la Nouvelle-Zélande­. Une fois le Japon émergé de la mer, des volcans sont entrés en éruption un peu partout et ont déversé des masses de lave qui, en refroidissant, donnèrent le basalte. L’époque glaciaire apporta des glaciers qui, descendant lentement des montagnes, écrasèrent le basalte et creusèrent de nouvelles vallées. Le vent, les tempêtes et surtout les cyclones se déchaînèrent sous les Tropiques et continuèrent à élaborer lentement la terre fertile des riches vallées du Japon.

    Les historiens relèvent des traces d’habitat humain au Japon dès l’époque néolithique. À peu près à l’époque où César envahissait la Grande-Bretagne, où naissaient les grands-parents du Christ, il y eut une grande avancée culturelle au Japon qui culmina quelques siècles plus tard par l’établissement de l’autorité effective d’un seul clan et la fondation d’une capitale, au sud de ce qui est maintenant la préfecture de Nara.

    Longtemps avant que ne vienne l’écriture, les habitants avaient créé une mythologie shinto très riche. Le sanctuaire Izumo Taisha de Shimane et ses environs furent le théâtre des actions quasi divines des héros et héroïnes auxquels un culte était rendu dans le shinto. Ces histoires sont toujours très appréciées par les petits Japonais. Il y a, par exemple, l’horrible monstre à huit têtes qui terrorisait toute la contrée jusqu’à ce qu’un dieu vaillant allât un jour le combattre et le tuer au cours d’une furieuse bataille. Nagai vénérait Shimane en tant que lieu saint, à l’époque où il allait à l’école primaire : c’est là qu’était né l’esprit Nihon-teki (purement japonais).

    Le lieu de naissance de Nagai se trouve au sud de la ville d’Izumo dans la préfecture de Shimane, à environ dix minutes de voiture de Mitoya. Complètement caché entre de basses montagnes se trouve un hameau d’une douzaine de chaumières. Il y a trente ans, on pouvait voir ces chaumières partout dans la campagne japonaise ; elles sont un des meilleurs exemples de l’art populaire. Le chaume épais rend les maisons fraîches en été et chaudes en hiver et se marie très bien avec les rizières. Pourtant le temps n’est plus des artisans qui travaillaient de façon mesurée et la dépense que représente le renouvellement du chaume a été la fin de la plupart des chaumières. Saburo Yasuda, cousin de Nagai, a conservé la maison exactement comme elle était à l’époque de l’adolescence de Nagai.

    Les parents et grands-parents de Nagai sont enterrés à proximité de la maison. Leurs pierres tombales shinto sont de pierre naturelle non taillée, contrairement au granit finement taillé qu’on peut voir dans les cimetières surtout bouddhistes du Japon. La nature est sacrée dans le shinto, de sorte que l’on garde tout aussi naturel que possible. Le grand-père et le père reposent maintenant en paix côte à côte, mais que d’épisodes explosifs ne trouve-t-on pas dans les annales de la famille ! Grand-père Fumitaka Nagai, d’origine samouraï, était passé maître dans une profession traditionnelle au Japon et en Chine, le Kampo yaku, l’art chinois des plantes médicinales. On lui avait accordé le titre de docteur et il exerçait dans un village appelé Tai, dont le nom signifie Le Puits dans les Rizières. Les fermiers perspicaces finirent par considérer les plantes du docteur et les méthodes naturelles comme des sources de guérison et le docteur Nagai prospéra.

    Le fils aîné de Grand-père Fumitaka était Noboru, nom qui signifie Tranquillité. Il n’avait rien de tranquille, pourtant ! Son père l’envoya successivement dans six écoles, dont il fut expulsé pour indiscipline. En désespoir de cause et pour une somme considérable, le docteur Nagai loua les services d’un précepteur. Son fils avait réussi à démoraliser les professeurs des six écoles, où ils étaient aidés de directeurs, de leurs adjoints et de systèmes rigides. Il se trouvait maintenant opposé à un seul professeur et, dans l’enthousiasme, s’attela à la tâche avec ses talents, qui n’étaient pas peu nombreux. Le précepteur perdit vite courage et tourna les talons. Fumitaka, dont le nom signifie Noblesse Élégante, était un homme d’une patience orientale toute classique. Sans perdre son calme, il accepta tranquillement cette étrange situation, prit des dispositions pour que son fils allât travailler dans une ferme et pria pour que le sort fût meilleur.

    Est-ce la simple routine quotidienne, le travail dans les rizières en terrasse, entre les rangées de cèdres et de cyprès à flanc de coteau, qui dompta l’esprit rebelle et son hyperactivité ? Tandis que Noboru peinait seul dans le silence inhabituel, il se prit à remarquer les ciels de l’aurore et du crépuscule du soir, la terre fertile, les montagnes immuables. Il trouva sa joie dans les tempêtes soudaines qui le trempaient, ainsi qu’en mille autres surprises de la vie au grand air. Son cynisme le quittait progressivement comme congères au vent de printemps. Une résolution prenait corps en lui et, un beau jour, au cours de sa vingtième année, il fit un baluchon du peu qu’il possédait et disparut. Comme le fils prodigue de la Bible, de même que comme tout jeune Japonais, il savait bien qu’il blessait son père en partant ainsi. En tant que fils aîné, il avait des obligations envers le nom de son père, sa maison et sa profession. Il était donc plein de honte, mais déterminé à remettre un jour les choses au point.

    Ses voyages le conduisirent au loin jusqu’à ce qu’il trouvât un médecin qui pratiquait la nouvelle médecine occidentale et le prit comme employé à tout faire. Nuit et jour, il était à l’entière disposition du docteur et se tenait à ses côtés tandis qu’il soignait ou opérait ses malades. Il préparait les médicaments, accueillait les nouveaux malades, portait les messages. Le soir, il se plongeait dans les livres médicaux que le docteur, avec bienveillance, lui prêtait. Il ne manquait certes pas d’intelligence, les durs travaux de la ferme, la vie au grand air, par tous les temps, ainsi qu’une nourriture saine lui avaient donné un corps robuste. Il en avait besoin maintenant, alors qu’il entreprenait de rattraper, à toute allure, le temps perdu. Cela lui rappelait tout ce qu’il avait entendu de la bouche de son père à propos des samouraï. Un véritable samouraï était plein de ressources, calme, et aussi résolu que le cèdre des montagnes.

    Cohérent avec lui-même, le jeune Noboru travaillait jusqu’au petit matin. Il attachait même une corde à une poutre avec un nœud coulant qui passait sous son menton. S’il s’assoupissait, il se réveillait en sursaut ! Le docteur donnait à son aide venu de la ferme toutes les occasions d’étudier les livres et de l’aider à soigner les malades. Les mains calleuses de Noboru s’adoucirent petit à petit et devinrent expertes à copier les schémas médicaux et à palper les estomacs à la recherche d’anomalies. Le garçon qui avait horreur des études devint un homme qui n’avait plus assez de temps pour lire. Il en vint à savourer la perspective de lutter corps et âme contre les antiques ennemis, la maladie et la mort.

    Finalement, à l’âge de vingt-cinq ans, il se trouva prêt à subir les examens organisés par le Ministère de la Santé sous le gouvernement Meiji et les passa haut la main. C’était en 1904. Le parchemin de son diplôme médical lui servit de passeport pour rentrer à la maison de son père. Ce dernier portait bien son nom, Noblesse Élégante, et accueillit son fils. Il n’avait jamais désespéré de Noboru et chaque matin, au lever du soleil, s’était rendu dans son jardin pour s’incliner vers l’orient. Après avoir remercié le soleil et tous les dieux des bénédictions dont il était l’objet, il les implorait d’aider Noboru à devenir un homme responsable. Chaque soir il leur demandait de le ramener à la maison un jour.

    La piété filiale a toujours été la pierre angulaire de la vie en Extrême Orient depuis l’époque de Confucius, cinq cents ans avant Jésus Christ. Dans la préfecture de Shimane, où l’on était très à cheval sur les traditions, c’était la vertu la plus importante. Le père de Noboru était un homme comblé. Pendant trois ans, il vit son fils refaire sa réputation en travaillant dur et efficacement à l’hôpital du lieu. Il fallait maintenant lui trouver une femme.

    Certains entretiennent des idées bizarres sur la façon dont les mariages sont échafaudés au Japon. Un intermédiaire, auquel on demande de trouver un ou une partenaire pour quelqu’un, emploie son bon sens pour découvrir une personne qui fera un parti approprié du point de vue des antécédents familiaux, de l’éducation, des goûts, de l’âge et de la personnalité. Une rencontre, le miaï, est organisée entre les deux personnes. Si tous deux expriment le désir de se rencontrer à nouveau, ils se revoient et ce sont eux qui, en fin de compte, décident de se marier ou non. Les statistiques modernes au Japon montrent qu’il y a moins de divorces à la suite de tels mariages que dans les mariages renaï, ces mariages « d’amour » où les personnes arrangent tout elles-mêmes.

    L’intermédiaire qui présenta le Docteur Noboru à la candidate Tsune, qui signifie Constance, connaissait son affaire. Tsune provenait d’une vieille famille samouraï et son caractère plein d’allant complétait bien celui de cet autodidacte dynamique. Un jour un voleur avait pénétré dans sa maison et s’était faufilé dans la chambre où Tsune, encore adolescente, dormait seule. Il la bâillonna, agita un couteau devant ses yeux et lui dit ce qui allait arriver si elle criait. Elle acquiesça et son attitude calme rassura le voleur. Il lui commanda de lui indiquer où se trouvait l’argent. Elle se mit sur ses pieds, s’inclina et lui dit : « Oui, mais je dois d’abord me rendre aux toilettes. » Elle s’inclina de nouveau et disparut. Momentanément désorienté, il se précipita à sa suite, le couteau à la main, et la menaça. Elle se glissa rapidement dans les toilettes et manœuvra le verrou de bois de la porte. Ce n’était pas le scénario qu’il avait prévu ! Elle sortit, s’inclina, revint sans bruit à sa chambre et le mena à une boîte où se trouvait l’argent. Elle le lui compta, lui affirma que c’était là tout ce qu’elle possédait et le lui tendit avec une inclination. Le lendemain, la police le retrouva. La description qu’elle en avait donnée avait restreint le nombre de suspects et il leur avait suffi de trouver les billets de banque qu’elle avait tachés de rouge à lèvres. Dans les toilettes elle avait en effet frotté ses doigts sur ses lèvres, puis, de retour dans sa chambre, avait ainsi marqué les billets avec ce cosmétique ultramoderne et un peu farfelu.

    Le vieux spécialiste des plantes médicinales était un croyant fervent et exerçait une responsabilité dans le Taisha shinto ; il éprouva une vive joie lorsque son médecin de fils et Tsune échangèrent les tasses de saké, « trois fois trois fois », selon le rite solennel shinto, devant un kannushi, prêtre shinto, et les Yaoyorozu, ces huit cents millions de divinités shinto. En réalité, les dieux shinto sont comme les saints chrétiens au ciel. L’année suivante le jeune docteur était en visite chez un malade, lorsque Tsune ressentit les premières douleurs de l’accouchement. Les contractions atteignirent leur point culminant et, soudain, la situation devint critique. La tête du bébé ne voulait pas sortir, tandis que le visage de la jeune maman était brillant de transpiration. Finalement le médecin qui l’assistait déclara : « Je vais devoir écraser la tête du bébé. » La souffrance et l’anxiété donnaient à Tsune une petite voix sèche, mais sa détermination était claire : « Non, ne tuez pas mon bébé ! »

    Quelques heures plus tard, le mari de Tsune revint et découvrit le visage tout rouge de son fils braillard. La première chose que le médecin remarqua fut cette grosse tête. Cette grosse tête, qui avait failli être écrasée, fut souvent plus tard l’occasion de plaisanteries chez les chapeliers. Le vieux grand-père, spécialiste des plantes médicinales, fut profondément touché lorsque les jeunes parents prirent l’un des idéogrammes de son nom pour appeler le garçon Takashi, qui signifie Noblesse. Sa joie fut comble lorsqu’il se joignit au jeune couple pour la cérémonie de remerciement au sanctuaire shinto.

    Profondément pénétré de piété filiale confucianiste, il ne se considérait pas tant comme un individu que comme le bénéficiaire de la confiance et des espoirs d’innombrables ancêtres, dont le courage et le sacrifice lui avaient procuré la vie et un nom. Il avait beaucoup souffert lorsque son propre fils aîné, Noboru, avait semblé insensible à cette confiance. Maintenant, tout était de nouveau en ordre. Il mourut peu après la cérémonie de remerciement pour le bébé, âgé seulement de soixante et un ans, mais dans la joie. C’était en 1910.

    Noboru fut très éprouvé par le chagrin, à la mort soudaine d’un père qui avait tant souffert à cause de lui. Le jeune docteur organisa les obsèques traditionnelles comme il savait que son père les aurait souhaitées. Les kannushi shinto portaient le kimono de lin blanc et leur coiffe d’un noir de jais était identique à celle qui était portée à la cour de l’empereur au vie siècle ap. J.-C. Les notes plaintives des antiques instruments à vent allaient droit au cœur de Noboru ! Leurs mélodies, pensait-il, évoquaient certainement le chant de la grue des neiges et de l’oie sauvage sur les landes inexplorées et les marais d’une époque reculée où le Japon s’appelait encore Yamato.

    Chapitre 2

    Lucioles, neige et une lionne

    Aux environs de 1550, les Européens arrivèrent au Japon et un commerce florissant débuta. Au début du xvii e  siècle, les shoguns Tokugawa appliquèrent le célèbre Décret d’Expulsion qui interdisait le Japon aux Européens. Dorénavant, tout Européen découvert au Japon devait être exécuté, de même que tout Japonais qui se rendait en Occident puis revenait chez lui. Le Japon était fermé à l’Occident, à moins que les Européens, avec leurs armes supérieures, ne transformassent le Japon en colonie comme ils le firent de l’Inde, des Philippines ou du Mexique.

    Pendant la Guerre de l’Opium, entre 1839 et 1842, les Japonais observèrent attentivement ce qui se passait à travers leurs lourdes persiennes et furent stupéfaits de voir avec quelle facilité la grande Chine avait été vaincue par la puissance de feu européenne. Les Occidentaux affluèrent en Chine, Empire Interdit autrefois, et s’octroyèrent des concessions commerciales très avantageuses. En 1853, le Commodore Perry de la marine américaine pénétra dans les eaux japonaises à la tête d’une escadre imposante et exigea de semblables concessions. Tremblant, le shogun accepta un traité défavorable, qui fut signé dans un petit village appelé Yokohama. Après une résistance initiale à la modernisation occidentale, le Japon se lança à étudier et à maîtriser tous les domaines de la supériorité occidentale, déterminé qu’il était à ne pas subir le sort de la Chine. Des cités industrielles surgirent, des trains et des bateaux à vapeur stimulèrent les voyages et le commerce, l’école universelle devint obligatoire et des universités furent fondées pour propulser le Japon dans l’ère scientifique. La classe des samouraï perdit le droit de porter l’épée, mais, la conscription instaurée, de nombreux samouraï devinrent les généraux de la nouvelle armée et les amiraux de la nouvelle marine, tandis que d’autres devenaient des hommes politiques en vue et des hommes d’affaires influents.

    En 1894, tout juste quarante et un ans après avoir capitulé devant le Commodore Perry, le Japon était prêt à se joindre au jeu occidental de la colonisation. Le Japon partit en guerre contre la Chine, qui fut vaincue et perdit l’infortunée Corée. Dix ans plus tard, le Japon était un pays « parvenu » en tant que puissance moderne, après avoir signé à égalité un traité d’alliance avec la Grande-Bretagne ; il engagea la Russie et stupéfia les puissances occidentales en détruisant presque entièrement la marine du Tsar, au point de lui dicter ses conditions. Le peuple japonais vivait dans l’euphorie et se consacra résolument à la tâche que le gouvernement Meiji lui avait fixée : amener le Japon au niveau scientifique et culturel de l’Occident.

    Le docteur Noboru Nagai et sa femme Tsune répondirent à l’appel national sans arrière-pensée de rémunération personnelle ; ils travaillèrent de toutes leurs forces à faire pénétrer la médecine occidentale dans les vallées autour de Mitoya. Il y avait moins de dix ans que le Japon avait battu la Russie. Après la naissance de leur aîné Takashi, quatre autres enfants suivirent en quatre ans. La clientèle de ce médecin précurseur ne faisait pas rentrer beaucoup d’argent. Les paysans japonais étaient surtout des métayers qui ne recevaient pas grand-chose de leurs propriétaires et les Nagai n’insistaient pas pour être payés lorsque les patients étaient pauvres.

    La vie du docteur était particulièrement dure au cours des hivers exténuants de la région de Shimane, quand les congères s’entassaient contre la maison. Lorsqu’un appel lui venait par de telles nuits, Tsune aidait son mari à enfiler ses vêtements les plus chauds, le faisait ensuite asseoir sous le porche pour attacher de la corde de paille sur ses bottes de caoutchouc. Elle s’inclinait quand il partait puis vaquait aux travaux de la maison, l’esprit ailleurs, jusqu’à ce qu’elle l’aperçoive sur le chemin du retour. Quand son appel « Hoo-waah » lui parvenait à travers l’air froid de la nuit, elle cheminait aussi vite que possible, une lanterne à la main, à travers la neige, à sa rencontre et prenait son sac. Une fois à l’intérieur de la maison, elle le brossait pour faire tomber la neige, le faisait asseoir sur une marche, détachait la corde de paille et lui retirait ses bottes. Enfin, quand il sortait du o-furo très chaud, le bain japonais, elle le conduisait à la cuisine et lui versait du saké chaud dans lequel elle avait ajouté un œuf.

    Tsune apprenait vite et devint l’adjoint le plus capable de son mari. Dès son plus jeune âge, le fils aîné Takashi fut impressionné de voir sa mère et son père joyeusement penchés ensemble sur des livres de médecine. Il se souvient que son père lui apprenait l’anatomie à partir d’esquisses tirées d’un livre de médecine allemand. La vision de ses parents absorbés dans les livres convainquit le jeune Takashi qu’étudier était aussi naturel et agréable que manger ! Plus tard, alors qu’il écrivait en tant que chercheur à l’Université Médicale de Nagasaki, il rendit hommage à « l’université au toit de chaume » de son enfance.

    Le père et la mère de Takashi enseignèrent à leurs enfants, dès leur plus jeune âge, les axiomes rigoureux des samouraï. Il y avait, par exemple, le célèbre Kei Setsu Ko. Cette phrase ne comprend que trois idéogrammes : une luciole, la neige et le succès. C’est un exemple de ces poèmes d’un vers que les Chinois et les Japonais apprécient particulièrement. L’image évoquée est celle d’un pauvre érudit qui se trouve dans une hutte et n’a pas d’argent pour allumer une lanterne ou acheter une chandelle. Sa passion pour l’étude est si intense que chaque soir il amoncelle de la neige à côté de sa table de travail et emplit sa chambre de lucioles qu’il a prises au filet.

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