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L'économie silencieuse: Un appel à l'unité
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L'économie silencieuse: Un appel à l'unité

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About this ebook

Comment revitaliser nos relations et nos projets ?

Le XXIe siècle vit un changement de rythme. L’invention d’Internet, la mondialisation des marchés et de la finance, celle des réseaux sociaux, ont imposé une mutation profonde dans les relations, jusqu’au sein de l’économie et du capitalisme. Les conceptions innovantes doivent tenir compte des nouvelles attentes en matière de rapports humains.
Qui souhaite évoluer doit respirer, écouter, parler avec tout son corps, à la manière des plantes. Qui veut survivre aujourd’hui est appelé à déployer toutes ses fonctions – y compris la fonction entrepreneuriale – en renonçant à exercer un contrôle sur tout, en activant et en responsabilisant toutes les cellules du corps dans une dynamique de communion et d’unité.
Ce livre parle donc d’économie, de don, de communion, de subsidiarité dans le management, d’esprit du capitalisme..., des expressions peu familières au langage économique d’aujourd’hui. Le message est bien porteur de nouveauté, car on y découvre la puissance du fragile, du vulnérable, et on contemple l’action de cette économie silencieuse et humaine, déjà profondément à l’œuvre au sein de nos sociétés.
Une mine d’inspiration pour théoriciens et acteurs de la vie économique et politique.

Un vibrant plaidoyer pour une économie humaniste.

EXTRAIT

Il est des moments, dans l’histoire, où le temps s’accélère, gagne ou perd en qualité et change de rythme. Les vicissitudes humaines ne s’inscrivent pas sur une partition aux lignes qui se répètent invariablement page après page. Les anciens Grecs le savaient bien puisqu’ils faisaient une distinction entre le temps kronos et le temps kairos, c’est-à-dire entre le temps régulier et rationnel du calendrier (kronos) et le temps et les moments qualitatifs, heureux ou malheureux, qui composent la vie des individus et des peuples (kairos). Cette distinction est très claire dans la Bible également

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une économie silencieuse et humble qui aspire à sauver le monde. - RCF Radio

Un ouvrage pour découvrir le travail silencieux d’humanisation déjà en acte dans nos sociétés, un message porteur de nouveauté, une mine d’inspiration. - Mouvement des Focolari

Dans L’économie silencieuse, Luigino Bruni [...] et Anouk Grevin [...] surprennent le lecteur en leur parlant d’économie dans des termes peu orthodoxes sans se soumettre non plus aux hétérodoxes.

À PROPOS DES AUTEURS

Anouk Grevin est enseignant chercheur en Management à l’Université de Nantes et à l’institut Universitaire SOPHIA (Italie), membre du GRACE (Groupe de Recherche Anthropologie Chrétienne et Entreprise), Anouk Grevin est membre de la Commission Internationale de l’Économie De Communion et collabore à l’école ABBA (Centre d’études interdisciplinaires du Mouvement des Focolari).
Ses thèmes de recherche sont qualité de vie au travail, le rôle du management, le don et la reconnaissance, le management des établissements de santé.

Luigino Bruni est Professeur d’économie à l’Université LUMSA de Rome et à l’Institut Universitaire Sophia. Historien de la pensée économique, il a publié sur le sujet de nombreux livres en italien et en anglais.
LanguageFrançais
Release dateFeb 15, 2018
ISBN9782853139502
L'économie silencieuse: Un appel à l'unité

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    L'économie silencieuse - Anouk Grevin

    Couv_L'Economie_silencieuse.jpg

    Luigino

    Bruni –

    Anouk

    Grevin

    L’économie

    silencieuse

    Vie des hommes

    Nouvelle Cité

    Sommaire

    Remerciements

    Chapitre 1 – Une vision d’ensemble

    Changements d’époque

    Les quatre formes d’économie de notre temps

    S’inspirer de l’intelligence des plantes

    Les messages qu’il nous faut capter

    À propos de ce livre

    Chapitre 2 – L’Économie de communion

    Chiara Lubich et la pauvreté

    Accueillir les plus pauvres à sa table

    Pour que nul ne soit dans le besoin

    Les temps pressent

    L’annonce

    Un réseau mondial

    Répondre à l’appel

    Des entreprises sociales ?

    La vocation d’entrepreneur

    Partage à toutes les étapes

    Comme les plantes

    Une expérience qui devient culture

    L’enjeu de la régénération continue

    Les questions fondatrices

    Les défis pour demain

    Chapitre 3 – L’économie et l’esprit qui l’anime

    Religion et économie

    Les origines du marché

    Une autre histoire de l’Europe

    Le rôle du franciscanisme et l’aube de la modernité

    Réforme et Contre-réforme

    Amour pur et contrat : un débat français autour du don et de la réciprocité

    Chapitre 4 – L’économie civile

    L’économie est civilisation

    Le marché est réciprocité

    Fides, autrement dit foi et confiance

    Le bonheur public

    Vertus et récompenses

    Récompenses et incitations

    Rompre avec le système féodal et les rentes

    L’éclipse de l’économie civile

    Chapitre 5 – L’entreprise, le travail, le don

    Les promesses intenables des entreprises capitalistes

    Le paradoxe d’une nécessité niée

    Le travail, autrement dit le don

    La reconnaissance du travail

    Opérations radicales

    La confiance, la hiérarchie et la vulnérabilité

    Subsidiarité, le modèle végétal

    Le dialogue et l’ouverture au conflit

    La confiance et la contamination

    Un regard résolument optimiste

    Chapitre 6 – Pour un nouveau discours sur l’entreprise et le marché

    Quelles vertus sont utiles aux entreprises ?

    La biodiversité et l’esprit des différences

    La religion de l’incitation

    Soucieux du mérite

    L’humilité, vertu essentielle

    Au-delà de l’empathie

    Conclusion

    Bibliographie

    L’Économie silencieuse

    Le

    xxi

    e siècle vit un changement de rythme. L’invention d’Internet, la mondialisation des marchés et de la finance, celle des réseaux sociaux ont imposé une mutation profonde dans les relations, jusqu’au sein de l’économie et du capitalisme. Les conceptions innovantes doivent tenir compte des nouvelles attentes en matière de rapports humains.

    Qui souhaite évoluer doit respirer, écouter, parler avec tout son corps, à la manière des plantes. Qui veut survivre aujourd’hui est appelé à déployer toutes ses fonctions – y compris la fonction entrepreneuriale – en renonçant à exercer un contrôle sur tout, en activant et en responsabilisant toutes les cellules du corps dans une dynamique de communion et d’unité.

    Ce livre parle donc d’économie, de don, de communion, de la subsidiarité dans le management, d’esprit du capitalisme…, des expressions peu familières au langage économique d’aujourd’hui. Le message est bien porteur de nouveauté, car on y découvre la puissance du fragile, du vulnérable, et on contemple l’action de cette économie humaine et silencieuse, déjà profondément à l’œuvre au sein de nos sociétés.

    Une mine d’inspiration pour théoriciens et acteurs de la vie économique et politique.

    Ce livre a été conçu par les auteurs comme un ouvrage des éditions Nouvelle Cité. Les parties rédigées d’abord en italien ont été traduites par Claire Perfumo.

    Luigino Bruni est professeur d’économie à l’université LUMSA de Rome et à l’institut universitaire Sophia de Florence. Historien de la pensée économique, il a publié de nombreux livres en italien et en anglais. Il est l’auteur de La Blessure de la rencontre (Éd. Nouvelle Cité).

    Anouk Grevin est maître de conférences en management à l’université de Nantes et à l’institut universitaire Sophia. Elle a contribué à l’ouvrage L’Entreprise, une affaire de don (Éd. Nouvelle Cité).

    Nous dédions ce livre aux plus démunis,

    aux salariés, aux entrepreneurs,

    aux étudiants et aux chercheurs de l’Économie de communion

    qui, tout au long de ces 25 ans, ont entretenu

    et fait grandir ce rêve de mai 1991,

    par leur vie et par leur travail.

    Et à tous ceux qui, avec ténacité et « ingénuité »,

    continuent de chercher et d’espérer en des systèmes économiques

    plus justes, plus solidaires et plus fraternels.

    Remerciements

    Tout livre est un travail collectif. Celui-ci a été inspiré par des lectures et par d’autres livres, mais aussi et surtout par un dialogue­ avec de nombreuses personnes lors de multiples voyages. Nos remerciements s’adressent donc d’abord à eux. Nous remercions également les éditions Nouvelle Cité, qui ont cru à cette entreprise, leur directrice Muriel Fleury ainsi que Jean-Paul Teyssier, qui a bien voulu revoir le texte. Merci à Marco Tarquinio, directeur du journal Avvenire, qui expose certaines des idées reprises dans le dernier chapitre de ce livre. Merci aux membres du GRACE, du LEMNA et de HEIRS, ces lieux de dialogue­ et de recherche où nous avons pu abondamment échanger sur les idées présentées ici. Merci, enfin, à nos étudiants de l’Université de Nantes, de Lumsa (Rome) et de Sophia (Loppiano), les premiers coproducteurs des paroles consignées dans ce livre.

    Chapitre 1

    Une vision d’ensemble

    Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère.

    (E. Morin)

    Changements d’époque

    Il est des moments, dans l’histoire, où le temps s’accélère, gagne ou perd en qualité et change de rythme. Les vicissitudes humaines ne s’inscrivent pas sur une partition aux lignes qui se répètent invariablement page après page. Les anciens Grecs le savaient bien puisqu’ils faisaient une distinction entre le temps kronos et le temps kairos, c’est-à-dire entre le temps régulier et rationnel du calendrier (kronos) et le temps et les moments qualitatifs, heureux ou malheureux, qui composent la vie des individus et des peuples (kairos). Cette distinction est très claire dans la Bible également ¹.

    Depuis quelques années, notre époque vit un changement de rythme. L’invention d’Internet, la mondialisation des marchés et de la finance et les réseaux sociaux ont imposé une mutation profonde­ et qualitative dans nos relations et, par là même, jusqu’au sein de l’économie et du capitalisme. Afin de comprendre­ ce phénomène, d’en faire la critique et de l’améliorer, nous devons absolument mettre à jour et changer nos instruments d’analyse, parce que nous ne le comprenons plus ou, du moins, nous le comprenons mal, en continuant à le concevoir comme nous le faisions encore à la fin du

    xx

    e siècle. Or, les dirigeants actuels ont étudié et se sont formés il y a au moins deux décennies ; c’est ainsi que, comme l’affirmait John Maynard Keynes, « tel maniaque de l’autorité, qui entend des voix, ne tire en fait sa frénésie que d’un docte barbouilleur de papier des années précé­dentes ² ». Le principal manque dans une période de transition historique, c’est le manque de paroles qui nous aideraient grandement à comprendre un monde que nous ne savons plus déchiffrer, ni prévoir ni raconter. Par conséquent, le premier don, essentiel, que peuvent faire les personnes désireuses de servir leur époque en émettant des idées, consiste à penser et à proposer des paroles nouvelles pour exprimer les choses nouvelles­. La lassitude des paroles est certes un phénomène général à notre époque, mais il est particulièrement marqué et criant en économie, même si nous ne nous en rendons pas compte.

    En Europe ainsi que dans une bonne partie de l’Occident et du reste du monde, la fin des années 1980 a vu se clore une longue période d’un peu moins de trois siècles, marquée par les révolutions industrielles, mais également par des mouvements de pensée critique vis-à-vis de l’économie moderne, cette forme de production et de vie qui, à partir de Marx, a pris le nom de capitalisme. Avec la mondialisation et la crise des systèmes socialistes, l’économie capitaliste est devenue un état de fait naturel qui n’était plus contesté dans sa structure profonde, ni interrogé par des questions tranchées qui fâchent. Ceci ne revient pas à affirmer qu’aujourd’hui, il ne se trouve pas des économistes, des politologues, des sociologues et des philosophes pour formuler des critiques envers notre capitalisme ; seulement, l’ensemble de ces critiques n’a pas encore abouti à un autre discours sur notre époque. Certains proposent des innovations de taille à la fois dans la pensée et dans la pratique, sans toute­fois chercher à concevoir une économie de marché non capitaliste ou post-capitaliste. Nous sommes pareils au petit enfant dans le sein de sa mère : totalement plongés dans le liquide qui nous nourrit, à tel point que nous ne parvenons pas à concevoir qu’il puisse exister un autre monde à l’extérieur du nôtre. Pour prendre conscience de l’existence d’un autre monde, plus grand et merveil­leux, l’enfant­ doit d’abord « mourir » en quittant le monde qui le nourrit et dans lequel il baigne.

    Ce livre parle d’économie et de communion, deux mots qui, aujourd’hui, se trouvent aux antipodes l’un de l’autre. Les présenter et les montrer ensemble, dans la perspective d’une économie de communion, est la première proposition et la première­ provocation lancée dans ces pages. Un message difficile et dérangeant adressé à notre époque mais aussi, comme lors de toutes les périodes difficiles, porteur de nouveauté, car à toute nuit succède l’aube.

    Les quatre formes d’économie de notre temps

    En ce début de troisième millénaire, nous avons désormais au moins une certitude : la terre qu’habiteront les générations futures offrira une biodiversité moins riche que celle que nous avons trouvée en venant au monde. En effet, on estime qu’entre 1970 et 2005, le nombre d’espèces vivantes a diminué d’environ un quart (Living Planet Index). Notre civilisation de la consommation n’est pas en train de réduire seulement la biodi­ver­sité naturelle : elle réduit aussi, progressivement et à un rythme rapide, la biodi­ver­sité économique, financière, organisationnelle et motivationnelle. Nous faisons peu à peu disparaître les cultures spécifiques de l’entreprise, de la consommation ou de la banque, les formes de production des biens et les modes de gestion des relations au sein des entreprises. On cherche à nous convaincre qu’il existe un seul bon mode de gestion des personnes et des biens, que dans le monde entier les écoles d’économie et de management ainsi que les sociétés de conseil nous présentent comme une technique universelle et mettent en place au sein de toutes les organisations qui commencent à beaucoup, voire trop se ressembler.

    En effet, s’il existait un inventaire des formes d’organisation présentes sur la planète (p. ex. Organisations Living Planet Index), l’Europe qui, jusqu’au

    xx

    e siècle, était la « forêt amazonienne » de la biodiversité économique et sociale à l’échelle mondiale, compterait aujourd’hui de nombreuses espèces en voie d’extinction ; et, si rien n’est fait, dans quelques années la destruction de cette biodiversité aura pris des proportions énormes, d’autant plus que rien ne laisse présager la création de nouvelles formes d’organisation. L’Europe et les pays qui la composent ne se sont pas enrichis seulement de leur extraordinaire biodiversité environnementale et culturelle : notre richesse est également le fruit des nombreuses façons d’envisager l’entreprise et la banque, qui se sont multipliées, entremêlées et influencées au cours des siècles, se révélant extrêmement fécondes. Le point commun à toutes les formes de réduction de la biodiversité est en effet la perte de fécondité, de fertilité, de créativité, de générativité. Toute diminution de la biodiversité entraîne immanquablement une diminution de la créativité et de la générativité.

    Notre capitalisme est incontestablement en train de détruire la biodiversité. Cependant, il est tout aussi incontestable que, dans le sous-bois de notre économie, on observe un foisonnement de nouvelle vie, d’entreprises, de travail et d’innovations. Car c’est bel et bien le cas. La qualité de la nouvelle phase de notre capitalisme dépendra toutefois de la question de savoir quelle économie saura « attirer » toute l’énergie juvénile, intellectuelle et technologique qui se libère aujourd’hui à l’intérieur et à l’extérieur de la Toile. À l’heure actuelle, le capitalisme financier et mondialisé semble être de loin le mieux armé pour amener à lui la composante la plus créative de notre société, de par les puissants moyens financiers dont il dispose, certes, mais également de par la grande fascination exercée par ses symboles sur les jeunes les meilleurs. C’est la capacité du capitalisme à absorber la part la plus créative de chaque génération qui, jusqu’à ce jour, a assuré son immense succès.

    Nous devons avoir davantage présent à l’esprit qu’il existe au moins quatre différentes formes d’économie, même si les acteurs à l’origine des lois sur le fisc, les incitations et les politiques industrielles continuent à penser que le capitalisme est uniforme. La première forme, que nous pouvons encore appeler « capitalisme », regroupe des entreprises, des banques, des compagnies d’assurance et des fonds d’investissement, qui se créent essentiellement pour saisir des opportunités de profit ou, de plus en plus souvent, de rente. Il s’agit presque toujours de grandes organisations dont les propriétaires sont très éparpillés et qui sont gérées par des managers percevant des salaires exorbitants, qui opèrent à l’échelle mondiale et choisissent le lieu où implanter leur siège fiscal et leurs unités de production en fonction d’un seul objectif : payer le moins de taxes possible et maximiser leurs gains ³. Ce capitalisme produit des bilans sociaux reluisants, fonde des organisations philanthropiques efficaces et sponsorise même, à doses homéopathiques par rapport à ses profits, la recherche scientifique et les œuvres sociales ; pourtant, la seule vraie motivation qui anime ces entreprises est de gagner le plus d’argent possible en un minimum de temps. Les seules voix qu’elles écoutent, lorsque celles-ci s’expriment, ce sont les lois et les consommateurs.

    Ces organisations abordent des sujets d’éthique lors des congrès et dans les journaux, afin de mieux tromper les gens simples, et le font presque toujours à des fins lucratives plus ou moins voilées ⁴. Leurs arrangements avec le capitalisme illégal, qui imite aujourd’hui leurs formes d’organisation et leur culture, sont fréquents­ et parfois profonds. Les multinationales qui spéculent­ sur les marchés représentent le type même de ce capitalisme. Toutefois, celui-ci comprend à présent un grand nombre d’entre­prises rachetées par des fonds de « private equity » (capital-investissement) qui, en ces temps de grave pénurie de financements et de liquidités, acquièrent peu à peu, à très bon prix, des milliers d’entreprises familiales en difficulté. Si, parfois, ces fonds « sauvent » les finances de leurs acquisitions, bien souvent ils ne sauvent pas leurs emplois, si bien que l’âme du projet du fondateur se perd, même lorsqu’ils laissent l’ancien nom et le cachet de l’entreprise, pour l’amour du gain. Ce processus, qui se déroule à grande échelle, se mélange à l’économie illégale qui cherche elle aussi à racheter ces entreprises en manque de capitaux. Il s’agit d’un phénomène d’une grande ampleur, qui se produit dans l’indifférence générale. Les capitaux attirés en temps de crise ne sont (presque) jamais bons.

    Parallèlement à ce capitalisme, il existe une deuxième forme d’économie, constituée d’entreprises qui ressemblent, en apparence seulement, aux premières. Nous nous en rendons compte dès que nous mettons les pieds dans leurs locaux et que nous échangeons avec les entrepreneurs, les managers et les salariés. Elles sont animées d’une tout autre culture, leur horizon est plus vaste et moins superficiel. C’est le « capitalisme » des entreprises familiales, des sociétés industrielles, artisanales et commerciales et de nombreuses sociétés agricoles. On perçoit, derrière le projet de l’entreprise, la présence d’une personne concrète et d’une famille, ce qui dénote d’emblée une différence nette avec le premier capitalisme.

    Le capitalisme familial n’est pas en soi une garantie d’intégrité, de bonne gestion et d’éthique (nous le constatons tous les jours), puisque le bien et le mal sont présents dans tous les domaines de l’humain, y compris, donc, en économie et en entreprise, simples reflets de notre vie. Dans la plupart des cas, la présence d’une famille à la tête d’une entreprise prouve que ses propriétaires ont bien l’intention de durer dans le temps et non pas de maximiser leurs profits sur une très courte période. Lorsqu’une entreprise ne trace pas, de façon visible, un axe de temps et un horizon pour l’avenir, le travail ne fait pas bon ménage avec les capitaux et les « patrons ». Cette deuxième forme d’économie représente aujourd’hui encore le mur porteur de notre système économique et civil.

    Il existe une troisième forme d’économie, celle que certains­ désignent comme le « tiers secteur ». C’est l’économie de nombreuses­ entreprises coopératives et sociales, des organisations à but non lucratif, de la finance territoriale et éthique, des entreprises « motivées par des valeurs », de beaucoup d’œuvres éducatives et d’assistance, nées de charismes religieux et de tout ce pullulement d’activités économiques de la société civile organisée. Cette économie est le fruit d’idéaux plus grands que l’économie. En ces temps de crise, cette économie sociale continue de se développer, même si elle fait actuellement face à des diffi­cultés sans précédent, qui trouvent notamment leur origine dans l’épuisement de l’humus éthique et spirituel sur son terrain habituel. Le deuxième et le troisième capitalisme sont en effet ceux qui souffrent le plus de la détérioration des capitaux de vertus civiles des fondateurs, à cause de la disparition des savoirs des artisans, des marins, des paysans, de leur intelligence et de leur excellence. Le premier capitalisme, au contraire, se développe très bien sur les terrains appauvris en humus civil.

    La quatrième forme d’économie ⁵ est celle qui crée aujourd’hui des emplois et innove dans ce que l’on appelle l’économie du partage (la sharing economy), qui cherche des financements pour ses nouvelles entreprises en passant non pas par les circuits traditionnels, mais par Internet et les réseaux sociaux (le crowdfunding ou financement participatif), et qui enregistre une croissance exponentielle. Il s’agit du travail qui se développe dans le monde riche et varié de la consommation critique et de l’agriculture biologique de dernière génération, où le chef de l’exploitation agricole est de plus en plus souvent une femme jeune, diplômée, parlant quatre langues et partageant son temps entre la gestion de son entreprise et ses déplacements à l’étranger. On y trouve beaucoup des nouveaux emplois qui vont de la préservation des biens culturels à l’art et à la musique, en passant par les vieux moulins à eau restaurés afin de produire de l’énergie, une garantie de travail, de démocratie et d’autosuffisance énergétique. Un terreau riche, d’une grande beauté, une beauté qui peut vraiment nous sauver.

    Il s’agit d’une autre économie n’allant pas de soi, faite d’activités très différentes les unes des autres mais qui ont un dénominateur commun : l’idée d’une économie orientée vers la collaboration, où la première source de travail et de richesse n’est pas la concurrence, mais la coopération et la recherche d’avantages mutuels. Une économie où les jeunes sont fortement représentés, où la recherche du profit maximal n’est pas le premier moteur, car leurs priorités résident dans la durabilité environnementale, la dimension esthétique, le goût de la créativité collective et la joie de voir revivre des territoires mal en point ou abandonnés. Une nouvelle économie où la gratuité et (un certain) marché coexistent et se développent conjointement.

    Le capitalisme financier et spéculatif, qui empiète de plus en plus sur la deuxième forme d’économie, celle des entreprises familiales, commence à envahir également le troisième secteur, grâce à des outils puissants et à une rhétorique bien rodée. Pour que ces économies encore différentes puissent survivre et grandir, la seule vraie solution consiste à créer une grande alliance avec la quatrième forme d’économie, jeune et créative. Cette nouvelle économie évolue dans de nouveaux « milieux », parle d’autres « langages », pense, agit et imprime en trois dimensions.

    Les économies différentes du premier capitalisme doivent aujourd’hui réussir à amener la quatrième forme d’économie sur leur terrain. Entre-temps, il leur faut agir aussi sur le terrain qui confine au premier capitalisme, dans les zones mixtes, en veillant toujours à bien distinguer les symbioses des parasitismes. Même le premier capitalisme peut donner de bons fruits, à condition qu’il reste à l’intérieur de certaines limites, variables et mobiles en tout temps. Toutes les époques en ont fait l’expérience. C’est lorsque ce premier capitalisme sort de son lit et inonde les maisons et les champs, comme c’est le cas actuellement, qu’il devient l’ennemi de l’économie, du travail et du bien commun.

    Les rencontres les plus productives sont les rencontres inat­tendues et improbables. C’est la biodiversité sous toutes ses formes, naturelles et civiles, qui nourrit et enrichit chacun de nous.

    Afin de relever ce défi qui semble aujourd’hui hors de notre portée, il est indispensable d’amorcer un tournant symbolique, linguistique et communicatif. L’économie civile (les deuxième et troisième formes d’économie) ne doit plus se contenter de recourir au lexique de l’éthique, des vertus, de l’altruisme ou de la solidarité, mais puiser dans le registre du partage et de la créativité pour atteindre des objectifs qui dépassent les seuls profits. C’est en demandant des choses difficiles et en posant des défis exigeants que l’on parvient à attirer les personnes excellentes, surtout lorsqu’elles sont jeunes. Le monde de l’économie civile n’attire pas suffisamment de jeunes créatifs qui innovent, parce qu’il n’a pas su renouveler son code de symboles comme il l’aurait dû, ni traduire ses principales paroles (gratuité, fraternité, bien commun) en d’autres paroles et en de nouveaux signes capables de susciter l’enthousiasme des meilleures

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