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Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l'homme: La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?
Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l'homme: La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?
Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l'homme: La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?
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Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l'homme: La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?

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Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre les mesures provisoires émanant de la Cour européenne des droits de l’homme.

Cet ouvrage est le fruit de la recherche doctorale de Sandrine Watthée sur les mesures provisoires émanant de la Cour européenne des droits de l’homme.
Ces mesures peuvent notamment être décidées dans le cadre de décisions d’éloignement du territoire (expulsions ou extraditions), à propos de conditions de détention ou encore en cas d’entraves matérielles ou psychologiques dans l’exercice du droit de recours individuel. L’auteur s’attache à une description complète de ce mécanisme d’origine prétorienne, aussi utile que méconnu de beaucoup de juristes. Quel est le régime exact de ces mesures provisoires ? Comment se dessinent les contours de la pratique de ce mécanisme devant la Cour ? Faut-il étendre l’application actuelle de ce concept ? Sans tomber dans les travers de développements théoriques excessifs, l’auteur examine la pratique de la Cour et en tire des conclusions utiles au praticien.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels.

À PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LanguageFrançais
PublisherAnthemis
Release dateAug 23, 2017
ISBN9782807201170
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    Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l'homme - Sandrine Watthée

    pays.

    PRÉFACE

    PAR

    Rusen ERGEC

    Professeur à l’Université du Luxembourg

    Professeur honoraire de l’Universite libre de Bruxelles

    Ni la Commission ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont été dotées par la Convention européenne des droits de l’homme du pouvoir d’ordonner des mesures provisoires aux gouvernements défendeurs. Ce qui n’a pas empêché la défunte Commission d’en indiquer en se fondant sur son règlement intérieur. La Cour allait reprendre cette pratique tout en précisant que ces mesures n’avaient pas de portée contraignante. L’arrêt Mamatkoulov c. Turquie allait bientôt se départir de cette conception « timide » pour consacrer la valeur obligatoire de ces mesures. Depuis lors, la Cour ordonne des mesures provisoires principalement en cas de menace imminente de violation des articles 2 et 3 de la Convention lorsqu’une personne, sous le coup d’une mesure d’éloignement, risque, dans le pays de destination, d’être exposée aux traitements contraires à ces articles. L’enjeu d’une telle jurisprudence dans le système de la Convention est considérable : la protection de l’individu est certes renforcée, mais la charge de travail de la Cour, confrontée à un lourd arrièré, en souffre également. Par ailleurs, l’origine purement prétorienne du mécanisme de mesures provisoires rend la pratique aléatoire. Toutes les mesures provisoires n’étant pas publiées, la transparence en souffre.

    Quel est le régime juridique exact des mesures provisoires ? Comment se dessinent les contours de la pratique ? Faut-il étendre la portée de mesures provisoires au-delà des articles 2 et 3 et, accessoirement, 8 de la Convention ? Voilà quelques questions épineuses auxquelles l’ouvrage de Mme Watthée, qui lui a valu le titre de docteur en droit de l’Université du Luxembourg, s’efforce de répondre. Il faut reconnaître que l’auteure a su relever le défi avec succès, dans un domaine qui est loin d’avoir été défriché de manière exhaustive par la doctrine. Mme Watthée a aussi évité de tomber dans les travers de développements théoriques excessifs. Elle s’est appesantie sur la pratique de la Cour en la comparant à celle des autres juridictions internationales, analyse ô combien délicate quand on connaît les méthodes empiriques de la Cour.

    L’auteure n’en tire pas moins certaines leçons auxquelles les praticiens et les connaisseurs de la Convention ne vont pas manquer de prêter une oreille attentive. Car nul ne peut exclure des développements futurs importants dans une matière aussi sensible qui ne manque pas de susciter les résistances de certaines autorités étatiques, comme l’a montré la recente affaire Trabelsi (Conseil d’État de Belgique, arrêt no 224.770 du 23 septembre 2013). Si certaines propositions de réforme de l’auteure comme celle d’assortir les mesures provisoires d’astreintes, peuvent susciter quelques réticences eu egard à la perception par certains États d’un activisme excessif de la Cour, elles méritent d’être étudiées attentivement dans le cadre des tentatives de réforme de la Cour toujours en gestation.

    INTRODUCTION

    Alors qu’ils restaient auparavant muets sur la question, les derniers rapports officiels de la Cour européenne des droits de l’homme¹ font état d’une augmentation exponentielle des demandes de mesures provisoires introduites par les requérants sur la base de l’article 39 du Règlement de la Cour². Ainsi, depuis quelques années, la Cour a traité « un nombre sans précédent » de près de 1 000 demandes en ce sens en 2007³, plus de 3 000 demandes en 2008⁴ et presque autant en 2009⁵. Les rapports 2010 et 2011 pointent quant à eux le développement considérable de l’usage du mécanisme⁶, qui se devrait donc d’être repensé⁷.

    Au mois de juillet 2011, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Paul Costa à l’époque, publiait une déclaration sur le site de la juridiction, demandant aux requérants et à leurs conseils de ne pas abuser de la possibilité qui leur est accordée d’introduire une demande de mesures provisoires auprès de la Cour européenne, tout en responsabilisant les gouvernements sur leur obligation de coopérer pleinement avec la juridiction. Il y mentionnait une augmentation du nombre de demandes de mesures provisoires égale à 4 000 pour cent entre les années 2006 et 2010.

    L’instruction pratique sur les demandes de mesures provisoires édictée en 2003 par le président de la Cour a été amendée à deux reprises, une première fois au mois d’octobre 2009, la seconde en juillet 2011. Parallèlement, la procédure de traitement des demandes de mesures provisoires interne au greffe de la Cour européenne a été consolidée⁸. Des statistiques ont été mises en ligne qui couvrent les mesures provisoires indiquées par la Cour européenne depuis l’année 2008⁹. En outre, des communiqués de presse sortent dorénavant au stade de l’affaire relatif aux mesures provisoires, afin d’informer le public des demandes introduites en ce sens et des suites qui leur ont été données¹⁰. Finalement, une fiche thématique sur les mesures provisoires a été mise en ligne sur le site internet de la Cour européenne au mois de janvier 2013.

    C’est dire que les mesures provisoires se situent désormais sous le feu des projecteurs. Les nombreuses demandes en ce sens en témoignent, tout comme les démarches de la Cour pour mieux les cadrer. Il était donc tout naturel de s’interroger sur ce mécanisme qui a par ailleurs pris une place accrue dans le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme ces dernières années.

    Les préoccupations à cet égard de la Cour européenne et des États membres à la Convention, face à l’afflux des demandes d’application de l’article 39 du règlement de la Cour, sont évidemment abordées. La thèse ne s’articule néanmoins pas autour de cette problématique. Bien qu’intéressante – voire inquiétante –, il s’agit plus de préoccupations conjoncturelles, liées à l’engorgement de la Cour¹¹, que de l’objet d’une thèse sur les mesures provisoires. De surcroît, une thèse, si elle doit prendre en compte un certain principe de réalité dans l’étude de son sujet, ne devrait pas pour autant, nous semble-t-il, s’y réduire. Il lui revient également de mettre en exergue les objectifs auxquels tendre, en dépit de tout élément de contingence.

    La fiche thématique précitée sur les mesures provisoires les définit comme des « mesures d’urgence qui, selon la pratique constante de la Cour, ne s’appliquent que lorsqu’il y a un risque imminent de dommage irréparable. Il s’agit de mesures prises dans le cadre du déroulement de la procédure devant la Cour et qui ne présagent pas de ses décisions ultérieures sur la recevabilité ou sur le fond des affaires en question ».

    Remarquons tout d’abord, dans une démarche terminologique, que certaines juridictions internationales préfèrent l’expression « mesure conservatoire » à celle de « mesure provisoire », sans qu’il ne faille en inférer une réelle différence procédurale. Il est en effet constant de considérer que, contrairement à ce qui peut se passer au niveau national, aucune conséquence pratique ne découle de cette différence terminologique s’agissant des juridictions internationales et particulièrement des juridictions des droits de l’homme¹². Nous employons quant à nous l’expression « mesure provisoire » dès lors qu’il s’agit de celle usitée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

    Par ailleurs, cette définition, bien que reprenant certains des éléments essentiels au mécanisme, reste silencieuse sur les finalités qui sous-tendent les mesures provisoires. Or c’est précisément sur ce terrain que se place la question autour de laquelle s’articule la présente thèse. Appréhender la notion des mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme par le prisme d’un exemple pourrait contribuer à pallier cette lacune et à comprendre l’objet de l’étude¹³.

    On sait que, lorsqu’une personne introduit un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme contre une décision interne qui viole, selon elle, un ou plusieurs de ses droits fondamentaux, cette décision nationale continue à produire ses effets pendant la durée de la procédure devant les juges de Strasbourg. Un tel recours ne suspend, en effet, pas automatiquement la décision interne mise en cause par le requérant.

    Dans certains cas toutefois, ses effets peuvent être suspendus par la Cour à la suite d’une demande de mesure provisoire à cette fin. Cela se passe le plus classiquement lors de la contestation devant la Cour de Strasbourg d’une décision interne d’extradition ou d’expulsion, lorsque le requérant allègue qu’il sera soumis à la torture ou à un traitement inhumain et dégradant dans le pays de destination.

    Ce fut le cas dans la fameuse affaire Soering c. Royaume-Uni¹⁴, dont nous rappelons brièvement les faits. Le requérant, Monsieur Soering, était un ressortissant allemand se trouvant en Angleterre, dont les États-Unis réclamaient l’extradition, afin de le juger pour assassinat sur leur territoire. Lorsque le Royaume-Uni prit la décision de l’extrader aux États-Unis, Soering saisit la Cour de Strasbourg, arguant que cette décision allait à l’encontre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, en vertu duquel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Selon le requérant, il y avait en effet de sérieuses raisons de croire qu’il serait condamné à mort aux États-Unis, et qu’il serait donc soumis au « syndrome du couloir de la mort ». Or, à ses yeux, celui-ci était constitutif de traitements assez graves pour que son extradition soit contraire à l’article 3, en vertu de l’effet ricochet de ce dernier.

    Tant le président de l’ancienne Commission que la Cour ont décidé, tour à tour, d’indiquer au gouvernement britannique qu’il serait « souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas extrader l’intéressé vers les États-Unis d’Amérique avant l’issue de la procédure »¹⁵. Cela signifie que les organes de contrôle de la Convention ont considéré, in casu, de leur propre chef semble-t-il s’agissant de la Commission, et sur demande du requérant et de la Commission s’agissant de la Cour, qu’il valait mieux ne pas extrader le requérant tant que ne seraient pas tranchées les questions de la recevabilité de la requête, tout d’abord, et de la violation de la Convention ensuite.

    Il convient toutefois de préciser que toutes les mesures provisoires n’ont pas pour objet de suspendre une décision interne, comme dans l’exemple donné. La Cour a en effet également déjà ordonné, pour exemples, qu’un prisonnier malade soit correctement soigné et donc déplacé dans un hôpital¹⁶, qu’un requérant cesse une grève de la faim¹⁷, ou encore qu’un gouvernement permette aux avocats d’avoir des contacts « non entravés » avec les requérants¹⁸.

    Quoi qu’il en soit, dans l’affaire Soering, on comprend d’emblée – intuitivement tout au moins –, que si ces mesures provisoires n’avaient pas été prises, le requérant aurait été extradé aux États-Unis et aurait été soumis au syndrome du couloir de la mort, quand bien même la Cour européenne aurait finalement conclu à la violation de la Convention de ce chef.

    La mesure provisoire indiquée par la Cour européenne des droits de l’homme a donc non seulement eu pour effet que la procédure puisse suivre son cours jusqu’à l’arrêt rendu par la juridiction, lequel a de surcroît été prononcé sur la base des éléments pertinents. En sus, elle a également protégé de manière préventive le droit du requérant de ne pas subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne.

    Une partie essentielle de la présente thèse s’articule précisément autour de ces deux objectifs que peuvent servir les mesures provisoires. Le premier, traditionnellement reconnu au mécanisme, se situe dans une optique que l’on peut qualifier de procédurale : grâce aux mesures provisoires qu’elle indique, la Cour est en position de rendre un arrêt, exécutable, sur la base d’informations complètes, et d’exercer ainsi les compétences qui lui sont dévolues. Le second intérêt des mesures provisoires réside quant à lui dans leur capacité à protéger préventivement les droits des requérants – c’est-à-dire avant qu’ils ne soient violés – moyennant le respect de certains critères.

    Une des deux questions qui se pose de manière transversale dans la thèse est celle de savoir si le mécanisme des mesures provisoires, tel qu’il est pratiqué quotidiennement au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, remplit chacune de ces deux missions ou si, à l’inverse, la Cour européenne ne protège préventivement les droits conventionnels des requérants que dans l’hypothèse où, en l’absence de telles mesures provisoires, elle risquerait de ne pas être capable de rendre un arrêt exécutable par l’État défendeur. Dans l’exemple susmentionné ainsi que dans la plupart des situations analysées dans la présente étude, ces deux objectifs sont atteints concomitamment : les droits conventionnels des requérants sont protégés au même titre que l’office du juge. Il reste alors à déterminer si la Cour utilise également les mesures provisoires exclusivement au regard de la protection préventive des droits des requérants, même lorsque l’exercice de ses propres compétences de règlement du litige n’est pas en jeu. On pense par exemple à la séparation des membres d’une famille : cette séparation n’influera pas sur la capacité de la Cour européenne à rendre un arrêt pertinent, mais le droit au respect de la vie familiale de cette famille pourrait être protégé préventivement pendant toute la durée de la procédure par une mesure provisoire, sans que les requérants n’aient à attendre les conclusions de la Cour sur la question. Il nous semble que ce n’est que dans l’hypothèse où la Cour européenne indiquerait des mesures provisoires de ce genre qu’elle pourrait prétendre vouloir contribuer pleinement à la protection préventive des droits conventionnels des requérants.

    C’est également en vue de se prononcer sur la capacité des mesures provisoires – dans la pratique actuelle – à assurer une réelle protection préventive des droits conventionnels des requérants que la thèse analyse la manière dont les États membres exécutent les mesures provisoires dont ils sont les destinataires. Plus précisément, la thèse vise à déterminer non seulement si la Cour utilise les mesures provisoires pour protéger préventivement les droits des requérants même lorsque l’exercice de ses propres compétences de règlement du litige n’est pas en jeu, mais aussi si les procédures qui se situent en aval de la décision d’indiquer une mesure provisoire sont organisées de manière à encourager leur mise en œuvre et partant à favoriser une protection préventive effective des droits du requérant.

    En résumé, lorsqu’un requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande de mesures provisoires en vue d’éviter qu’une violation potentielle de la Convention se produise, a-t-il bon espoir que son recours atteigne son objectif et que cette situation de potentielle violation ne se produise effectivement pas jusqu’à ce que la Cour européenne se prononce au fond¹⁹ ? Si tel est le cas, les mesures provisoires, nous semble-t-il, participeraient pleinement au respect de la Convention européenne des droits de l’homme en tant qu’instrument de protection préventive des droits fondamentaux.

    Concrètement, le cheminement réflexif pour tenter d’apporter une réponse à ces questions se déploie en trois parties.

    La première partie de la thèse pose les fondements de la démonstration. Elle met tout d’abord en exergue les deux finalités dévolues au mécanisme des mesures provisoires en droit international des droits de l’homme. Elle les évalue ensuite à l’aune des tendances générales suivies par la jurisprudence de la Cour européenne. Il s’agit de voir, au regard d’un contexte plus large que l’unique analyse du mécanisme des mesures provisoires, si la Cour européenne a, a priori, vocation à exploiter cet outil dans ses deux fonctions, même lorsqu’elles ne se cumulent pas, ou s’il est plus vraisemblable qu’elle se cantonne à l’usage dit « traditionnel » des mesures provisoires. Le deuxième pan de cette première partie est consacré à l’ancrage normatif et jurisprudentiel des mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à la question de leur caractère obligatoire. Il s’agit donc ici d’aborder les connaissances préliminaires nécessaires à l’examen de la question analysée.

    La deuxième partie de la thèse se concentre sur l’ensemble du processus qui se situe en amont de la décision de la Cour d’indiquer ou non une mesure provisoire, c’est-à-dire sur le déroulement de la procédure à partir de la saisine de la Cour européenne par les requérants jusqu’à ce que la juridiction rende sa décision. La pratique récente de la Cour en matière de mesures provisoires est examinée dans un premier chapitre, relativement descriptif. L’accent est tout d’abord placé sur la demande introduite par le requérant ou un État membre à la Convention. Les caractéristiques de la demande de mesures provisoires sont étudiées, essentiellement mais pas uniquement, sur la base de l’instruction pratique mise en ligne sur son site internet par la Cour européenne des droits de l’homme. Le deuxième chapitre est quant à lui consacré à la décision de la Cour de faire suite à la demande de mesures provisoires, positivement ou non. À la suite d’une première partie, relative aux caractéristiques formelles de la décision – comme son auteur, le moment où elle est prise ainsi que la procédure –, les conditions d’application de l’article 39 du règlement de la Cour européenne sont abordées. La démarche consiste à évaluer le champ d’application des mesures provisoires à travers une étude casuistique de la jurisprudence de la Cour européenne, afin d’en déduire une première approche des critères que la Cour prend en considération pour décider si elle indique ou non la mesure provisoire sollicitée. Le troisième chapitre se concentre sur les critères et le champ d’application des mesures provisoires dans une perspective différente. Il ne s’agit plus d’une description des critères qui conduisent la Cour européenne à indiquer une mesure provisoire, mais de trouver la ratio legis de la lecture qu’en fait la juridiction, afin de les interpréter selon la grille de lecture mise en place au début de la thèse. On y constate que le champ d’application actuel des mesures provisoires est restreint par la conception traditionnelle qu’a la Cour européenne de ces dernières, laquelle est largement influencée par l’historique du mécanisme ainsi que par la perception qu’en ont les États membres. Une voie de solution est alors proposée au chapitre suivant dans une perspective de lege ferenda, afin que les potentialités du mécanisme puissent pleinement se réaliser.

    La troisième et dernière partie de la thèse se rapporte au traitement en aval de la décision de la Cour européenne, une fois que la juridiction a indiqué les mesures provisoires qu’elle estimait nécessaires. La balle se trouve alors dans le camp des destinataires des mesures provisoires, le plus souvent l’État défendeur. La mise en œuvre des mesures provisoires est abordée, ainsi que les conséquences de leur concrétisation sur la suite de la procédure devant la Cour européenne. Malgré l’existence de divers mécanismes de suivi ou dont l’objectif est d’inciter les États à respecter les indications de la Cour, il advient également qu’une mesure provisoire ne soit pas mise en œuvre par l’État défendeur. Après description de ces situations, il s’agit alors de déterminer les raisons potentielles de ces manquements. À nouveau, diverses pistes de solution sont envisagées afin que cela se renouvelle le moins souvent possible.

    Ces développements sont évidemment abordés sous un angle critique, afin de déterminer si les pratiques de la Cour ou, dans certains cas, au sein du Conseil de l’Europe, exploitent pleinement les potentialités que recèle le mécanisme des mesures provisoires. Par ailleurs, le mécanisme des mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme est confronté à diverses reprises aux pratiques d’autres juridictions ou quasi-juridictions internationales des droits de l’homme sur la question, tout en tenant compte des particularités propres à chacun des systèmes.

    Finalement, au point de vue méthodologique, s’agissant de l’étude de la jurisprudence de la Cour européenne, force a été de partir des décisions de recevabilité ou des arrêts de la Cour. Les décisions propres aux mesures provisoires ne sont en effet pas rendues publiques, même sur consultation des dossiers au greffe de la Cour²⁰. Le principe de confidentialité préside en la matière. C’est pourquoi nous ne pouvons, entre autres, prétendre à l’exhaustivité de la jurisprudence analysée et avons dû travailler sur la base d’un échantillon représentatif des mesures provisoires indiquées par la Cour européenne ces dix dernières années. Les décisions de recevabilité et arrêts rendus par la Cour européenne sont par ailleurs assez laconiques sur la procédure de mesure provisoire. La plupart du temps, la Cour se contente d’y préciser, dans le préambule de la décision, si une mesure provisoire a été indiquée. Les décisions plus explicites n’apportent pas nécessairement pour autant leur lot de détails. Il a donc régulièrement fallu interpréter les raisons pour lesquelles une demande de mesure provisoire avait été acceptée ou refusée sur la base du contexte général de l’affaire et des griefs au fond. Cela explique également que certaines conclusions auxquelles nous sommes parvenue sont fondées sur des interprétations personnelles, elles-mêmes conçues à partir du trop peu d’éléments en notre possession, tout comme doivent vraisemblablement le faire également les conseils des requérants.

    Il nous semble pourtant que les conclusions générales tirées dans la thèse sont fondées. Chaque décision ou arrêt mentionnant une demande de mesure provisoire ou une application de l’article 39 du règlement de la Cour européenne a été lu attentivement afin d’en retirer les éléments pertinents quant à la présente démonstration. Par ailleurs, dans les situations où les États n’ont pas respecté les mesures provisoires, les requérants ont pu ajouter aux griefs présents dans leur requête principale un nouveau grief y relatif. Cela a engendré une jurisprudence détaillée sur la question, dans laquelle la Cour européenne s’est positionnée sur diverses questions que suscite ce mécanisme. Nous y avons évidemment confronté chacune de nos conclusions, lorsqu’elles n’en étaient pas directement inspirées.

    Notons finalement à cet égard que l’absence de transparence qui caractérise le mécanisme des mesures provisoires au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme est une problématique également abordée dans la thèse.


    1 Ci-après « la Convention ». La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

    2 Article 39 du règlement de la Cour relatif aux mesures provisoires :

    « 1. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure.

    2. Le cas échant, le Comité des ministres est immédiatement informé des mesures adoptées dans une affaire.

    3. La chambre ou, le cas échéant, le président de la section ou un juge de permanence désigné conformément au paragraphe 4 du présent article peuvent inviter les parties à leur fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires indiquées.

    4. Le président de la Cour peut désigner des vice-présidents de section comme juges de permanence pour statuer sur les demandes de mesures provisoires. »

    3 Cour européenne des droits de l’homme, Rapport annuel 2007, p. 14.

    4 Cour européenne des droits de l’homme, Rapport annuel 2008, pp. 12 et 136.

    5 Cour européenne des droits de l’homme, Rapport annuel 2009, p. 12.

    6 Bien qu’en légère baisse en 2011, voyez Cour européenne des droits de l’homme, Rapport annuel 2010, p. 15 et Rapport annuel 2011, p. 15.

    7 Cour européenne des droits de l’homme, Rapport annuel 2011, pp. 41 et 42.

    8 Voyez infra, partie II.

    9 http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/91C30C84-EFAF-4979-BBD6-C730D6380196/0/Stats_Rule_39_20082011_RETOUCHE.pdf.

    10 Voyez, à titre d’exemple, le communiqué du greffier no 131, du 19 février 2009 intitulé « La Cour européenne des droits de l’homme accueille la demande de mesures provisoires présentée par Omar Othman (Abu Qatada) », doc. 847510. Plus récemment, un communiqué de presse a été publié sur le site de la Cour européenne, no 233 (2012), intitulé « Ioulia Timochenko : la Cour lève sa mesure provisoires, mais reste saisie de la question », 1er juin 2012.

    11 Lequel pourrait à lui seul faire l’objet d’une thèse.

    12 G. LE FLOCH, L’urgence devant les juridictions internationales, éd. Pedone, Paris, 2008, note 86 ; C. MITIDIERI, Les mesures conservatoires dans le système de protection des droits de l’homme, Atelier national de reproduction des thèses, octobre 2009, p. 15 ; E. RIETER, Preventing Irreparable harm. Provisional Measures in International Human Rights Adjudication, Intersentia, Anvers, 2010, p. xxix.

    13 Pour le reste, le concept de mesures provisoires est examiné plus longuement dans les développements.

    14 Soering c. Royaume-Uni, no 14038/88, 7 juillet 1989.

    15 Soering c. Royaume-Uni, no 14038/88, décision de la Commission du 10 novembre 1988 sur la recevabilité de la requête. Voyez aussi l’arrêt de la Cour du 7 juillet 1989, § 4.

    16 Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, 22 décembre 2008.

    17 Ilascu et autres c. Moldova et Russie, no 48787/99, 8 juillet 2004, § 11.

    18 Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, 12 avril 2005, § 24.

    19 Sans pour autant remettre en cause la jurisprudence de la Cour relative aux conditions de recevabilité des requêtes introduites devant elle, et particulièrement à la notion de victime. Le postulat de base est en effet que le requérant puisse prétendre au statut de victime tel que défini dans la jurisprudence de la Cour européenne.

    20 Voyez également E. RIETER, « Motiveringsvereisten voor de Straatsburgse voorlopige maatregelen – Het voorbeeld van de Somalische zaken », Nederlands Juristen Comité voor de Mensenrechten Bulletin, 2005, pp. 40 et 41.

    PARTIE I

    Assises juridiques des mesures

    provisoires devant la Cour

    européenne des droits de l’homme

    L’objectif poursuivi par la première partie est de poser les assises de la démonstration qui suit tout au long de la thèse.

    Le premier chapitre met en perspective l’interrogation majeure de la thèse. Il définit les potentialités des mesures provisoires indiquées par la Cour européenne des droits de l’homme en tant qu’instrument au service d’une protection effective des droits fondamentaux. Ce chapitre met ainsi en exergue un idéal auquel doivent être confrontés tous les pans analysés du mécanisme des mesures provisoires tel qu’il existe actuellement au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme.

    Le second chapitre précise quant à lui les fondements normatifs et jurisprudentiels du mécanisme actuel des mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme, de manière à aborder l’analyse ultérieure sur de solides bases.

    CHAPITRE I

    FINALITÉS DES MESURES PROVISOIRES

    DEVANT LA COUR EUROPÉENNE

    DES DROITS DE L’HOMME

    Occasionnellement, il arrive que certains mécanismes juridiques se déclinent en diverses matières, en ce compris au niveau des droits de l’homme. Des spécificités apparaissent, propres à l’une ou l’autre de ces branches du droit ; le mécanisme est alors subrepticement transformé ; et on lui découvre une vie redessinée, qui lui est propre, dans son nouvel environnement. Tel est le cas des mesures provisoires.

    Elles présentent en effet une spécificité lorsqu’elles trouvent à s’appliquer en matière de droits de l’homme. L’accent est alors placé sur leur capacité à protéger préventivement et donc effectivement les droits fondamentaux des requérants. Elles ne permettent en effet pas uniquement de sauvegarder l’objet du litige, mais, grâce à elles, dans certaines situations, les droits fondamentaux des requérants sont effectivement respectés, parce qu’elles permettent également de prévenir leur violation. Les mesures provisoires poursuivent alors une seconde finalité, qui peut prendre le pas sur la finalité traditionnelle. Elles participent à la protection préventive des droits fondamentaux des requérants.

    Avant de vérifier, in concreto, par l’étude détaillée des pratiques et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question, si les mesures provisoires y sont pleinement valorisées, il convient tout d’abord de considérer si une telle optimisation du mécanisme s’inscrit dans le champ d’action de la Cour européenne, d’une part, en tant que juridiction internationale des droits de l’homme et, d’autre part, eu égard à ses spécificités propres.

    Après avoir appréhendé la notion théorique des mesures provisoires et ses potentialités de principe, l’on se pose la question de savoir si les aptitudes des mesures provisoires peuvent se déployer dans l’environnement juridictionnel international des droits de l’homme. En d’autres termes, entre-t-il dans les compétences générales des juridictions internationales des droits de l’homme de prévenir la violation de droits fondamentaux ou, à l’inverse, se contentent-elles, le cas échéant, de constater une violation déjà consommée.

    Ensuite, au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, les mesures provisoires s’inscrivent-elles dans un contexte propice ou contraire au développement de leur seconde finalité ? Peut-on s’attendre à ce que la Cour européenne exploite déjà le plein potentiel des mesures provisoires ou, dans la négative, à ce que ce potentiel soit renforcé dans un avenir plus ou moins proche ? Autrement dit, il s’agit de déterminer le niveau d’exigence de la Cour européenne des droits de l’homme en terme de protection des droits fondamentaux, de manière à évaluer la possibilité d’un développement, actuel ou futur, des mesures provisoires en tant qu’instrument au service de la protection effective des droits fondamentaux.

    SECTION 1. — La protection préventive des droits

    fondamentaux comme finalité spécifique

    des mesures provisoires en droit international

    des droits de l’homme

    On a vu que les juridictions internationales des droits de l’homme emploient indifféremment les termes « mesures provisoires » et « mesures conservatoires ». De manière générale cependant, ces expressions ne se superposent pas toujours. La doctrine est d’ailleurs unanime sur la difficulté de définir et de mettre en rapport ces deux notions²¹. Il existe en effet de nombreuses déclinaisons de ces mécanismes, qui renvoient à une multitude d’institutions différentes se déployant dans pratiquement tous les pans et à tous les niveaux du droit²².

    Il faut dire que l’urgence caractérise toujours plus fortement notre monde, alors que la justice, quel que soit le domaine du droit concerné, s’est depuis toujours vu reprocher sa lenteur et la durée de ses procédures²³, qui ne se concilient pas nécessairement avec les exigences temporelles propres à certaines situations. C’est pour remédier à cette incompatibilité prima facie qu’ont été développés, depuis plusieurs siècles maintenant, les mécanismes susmentionnés. Au-delà de leurs divergences intrinsèques, ils se rejoignent dès lors nécessairement dans ce dénominateur commun. Ainsi, sauf rares exceptions, tant les mesures provisoires que les mesures conservatoires trouvent leur raison d’être dans le temps qui s’écoule inévitablement entre le moment où le juge est saisi et celui où il rend sa décision. C’est l’acceptation de ce rapport sociétal dual au temps qui a permis d’initier ces mécanismes. D’une part, le temps du droit, caractérisé par sa nécessaire lenteur et d’autre part le temps contingent, inscrit dans le concret contextualisé, qui ne permet pas toujours l’attente. La durée du procès peut en effet desservir l’une des parties à la cause. On a pu dire en ce sens que : « la nécessité d’entamer un procès pour avoir raison ne doit pas se retourner contre celui qui a raison»²⁴ ou encore que « tout système juridique qui se veut moderne doit faire en sorte que la partie qui a raison ne subisse aucun préjudice du fait qu’elle est obligée par le même système à avoir recours à une procédure afin d’obtenir un titre exécutoire »²⁵. C’est ainsi qu’une saisie conservatoire empêche un débiteur de dépenser l’argent de sa dette, de manière à ce que le créancier puisse récupérer son dû au terme du procès. De même, en droit belge, le projet de loi instituant le Code judiciaire situe la justification initialement donnée au référé dans la « nécessité de pouvoir ordonner par provision ce que le juge estimera juste à peine de causer des pertes irréparables»²⁶. Il rappelle également les propos de Locré, repris par le tribun Favard : « Partout, […] il s’élève des contestations qui sont d’une telle nature, qu’on peut dire qu’on est sans justice, si la décision n’est pas rendue à l’instant où elles naissent. »²⁷

    Si le rapport au temps réunit les concepts de mesures provisoires et conservatoires, où réside leur différence ? Il s’agit en fait tout simplement de notions distinctes.

    La notion de provisoire au plan juridique renvoie à « l’idée d’un processus de décision juridique au cours duquel des mesures temporaires d’attentes sont adoptées avant que la décision à prendre soit arrêtée définitivement »²⁸. « Provisoire » n’est pas à confondre avec « momentané », qui ne comprend pas la dimension d’attente d’une intervention humaine à venir. C’est en effet cette idée d’une réalité que l’on sait passagère dès l’origine qui confère tout son sens au concept²⁹. Une mesure provisoire peut dès lors être décrite comme « une mesure prise pour la durée d’un procès afin de régler momentanément une situation urgente en attendant une décision définitive»³⁰. C’est ainsi que le référé administratif luxembourgeois a pour objet « d’aménager une situation provisoire en attendant la décision au fond du Tribunal »³¹.

    Quant aux mesures conservatoires, toute tentative d’approche conceptuelle place l’accent sur leur mission de sauvegarde³². Il peut s’agir de sauvegarder des éléments de preuve indispensables au bon déroulement du litige, de sauvegarder l’effet utile de la décision à venir³³ en empêchant un débiteur de se placer en situation de déconfiture par exemple, ou encore de sauvegarder les intérêts pendente lite des parties tout au long de l’instance en cours³⁴. C’est ici que la notion de préjudice irréparable – souvent associée aux procédures d’urgence – intervient généralement, la mesure conservatoire ayant pour fin d’empêcher qu’il se réalise³⁵.

    Certaines mesures sont uniquement provisoires³⁶, d’autres revêtent les seules caractéristiques du conservatoire, sans pouvoir être qualifiées de provisoires³⁷, tandis que d’autres encore sont à la fois provisoires et conservatoires au sens des définitions données. C’est d’ailleurs à ces dernières que l’on doit l’amalgame régulier entre ces deux réalités juridiques.

    S’agissant des mesures d’urgence en droit international des droits de l’homme, elles appartiennent à la dernière catégorie. Comme la plupart des référés relatifs à la protection de droits fondamentaux : « elles sont forcément conservatoires, puisqu’elles sont destinées à protéger les droits des parties d’un préjudice irréparable et donc à maintenir la situation litigieuse en l’état. Mais, elles visent également à régler la situation urgente en attendant la décision à venir sur le fond »³⁸. Une telle dualité justifie que l’on puisse interchanger leur qualification sans affecter la réalité juridique.

    Ces mesures sont similaires aux mesures d’urgence présentes dans les autres litiges internationaux devant les juridictions interétatiques. Quant à ces dernières, elles s’inspirent des théories du droit interne et notamment de la doctrine processualiste italienne de la première moitié du XXe siècle³⁹. Or les membres de ce courant avaient tendance à mettre l’accent sur la procédure, au détriment des droits subjectifs des parties⁴⁰.

    De nombreux auteurs qui s’intéressent aux mesures provisoires en droit international des droits de l’homme placent d’ailleurs l’accent sur la fonction traditionnellement procédurale des mesures provisoires, afin de mettre en exergue le changement de perspective qui caractérise les mesures provisoires en droit international des droits de l’homme par rapport aux mesures provisoires en général, tant au niveau interne qu’en droit international public⁴¹.

    Ainsi, la fonction des mesures provisoires est traditionnellement de préserver les droits des parties à un litige, afin d’éviter l’échec de la décision prise par la juridiction⁴². Il s’agit en effet de veiller à ce que la décision à venir conserve son objet tout au long de la procédure, afin de garantir l’efficacité de la justice. On a même pu dire que « l’action conservatoire est devenue une action ayant pour objet la garantie, non plus directement du droit subjectif per se, mais plutôt de l’activité juridictionnelle même »⁴³. Il est également désormais largement soutenu, en ce même sens, que le pouvoir d’ordonner des mesures provisoires est inhérent à la fonction de juger⁴⁴. En effet, un juge n’est à même de trancher un différend que s’il peut préalablement empêcher l’atteinte aux droits respectifs des parties. À défaut, la procédure pourrait être privée d’objet et, par conséquent, le juge ne pourrait exercer sa fonction. Par ailleurs, une décision insusceptible d’exécution ne présenterait aucune utilité⁴⁵ et attenterait pareillement au bon déroulement de la procédure.

    Le lien entre la finalité procédurale des mesures provisoires et les deux conditions susmentionnées que sont l’urgence et l’existence d’un préjudice irréparable est par ailleurs parfaitement résumé par G. Le Floch : « À vrai dire, l’exigence de ces deux critères correspond parfaitement à la logique de la procédure des mesures provisoires. Ces dernières doivent en effet garantir la pleine efficacité de la décision à venir sur le fond. Or, s’il n’y a pas urgence à préserver les droits des parties d’un préjudice irréparable, il n’y aurait aucune raison de statuer par voie de mesures provisoires. »⁴⁶

    À cette finalité procédurale s’en ajoute une autre qui, bien que déjà perceptible dans les litiges traditionnels, prend toute son ampleur en matière de droits de l’homme : la préservation des droits du requérant, non plus uniquement pour sauvegarder l’objet du litige, mais, surtout, per se, pour prévenir ou mettre fin à la violation de ses droits fondamentaux⁴⁷.

    En d’autres termes, en matière de droits de l’homme plus encore, le mécanisme des mesures provisoires dans sa mission de sauvegarde des droits des parties au litige revêt une importance considérable. Cela s’explique par la nature des droits protégés. D’une part, on ne se situe plus dans le cadre d’un contentieux international interétatique et les droits à protéger ne sont donc plus ceux des États, mais bien ceux d’individus. D’autre part, si les droits d’une des parties en litige étaient susceptibles d’être bafoués pendant l’instance, il ne s’agirait de rien de moins que d’une violation de droits fondamentaux. Or, ce serait d’autant plus inacceptable que les juridictions des droits de l’homme ont précisément pour tâche de protéger les droits fondamentaux des individus. Le mécanisme des mesures provisoires leur permet donc d’accomplir pleinement leur mission de sauvegarde des droits fondamentaux⁴⁸.

    On pense, par exemple, à une demande de mesures provisoires par une requérante qui risquerait fortement, si on l’expulse, de se voir soumise à la mort par lapidation pour cause d’adultère⁴⁹. Si la Cour ordonne de surseoir à l’expulsion, que l’État en cause respecte cette mesure provisoire et que la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention⁵⁰ dans le cas où la requérante est expulsée en Iran, la Convention n’aura pas été violée. À l’inverse, si la Cour n’ordonne pas de mesures provisoires, ou si elle le fait mais que l’État ne les respecte pas, la requérante aura bel et bien été torturée et soumise à des traitements inhumains et dégradants, quand bien même la Cour conclurait in fine⁵¹ à la violation de l’article 3. Le seul constat de la violation éventuellement assorti d’une satisfaction équitable ne pourrait effacer l’horreur vécue par la requérante et aurait une portée purement platonique.

    Dans cet exemple, les mesures provisoires protègent à la fois l’objet du litige – en ce qu’elles permettent à la Cour européenne de rendre un arrêt exécutable par la partie étatique – et les droits conventionnels de la requérante. Il existe cependant des situations où est seule en jeu la protection préventive du droit en jeu, l’existence ou non de la mesure provisoire n’ayant aucune influence par ailleurs sur la bonne marche de la procédure.

    L’on constate donc que, par rapport au rôle principalement procédural qu’elles jouent dans d’autres champs juridiques, les mesures provisoires en droits de l’homme ont également pour fins de garantir un maximum d’effectivité à la protection des droits fondamentaux des requérants, dès lors qu’elles tendent à prévenir une violation potentielle ou, à tout le moins, à la faire cesser. L’on comprend par conséquent que les mesures provisoires en matière de droits fondamentaux aient pu être qualifiées de « garantie juridictionnelle de caractère préventif » représentant « l’un des aspects les plus gratifiants de l’action de sauvegarde internationale des droits fondamentaux de la personne humaine »⁵².

    Néanmoins, constater le potentiel des mesures provisoires pour la sauvegarde des droits fondamentaux n’est pas tout. Encore faut-il vérifier que les compétences des juridictions internationales des droits de l’homme, en ce compris la Cour européenne des droits de l’homme, comprennent celle de prévenir la violation de droits fondamentaux. Leur rôle ne se cantonne-t-il pas aux constats de violation, postérieurs aux comportements dénoncés, ainsi qu’à veiller à ce que le requérant obtienne réparation ? C’est en tout cas ce que prétendent certains opposants à l’extension du champ d’application des mesures provisoires au niveau de la Cour européenne des droits fondamentaux⁵³.

    SECTION 2. — La protection préventive

    des droits fondamentaux parmi les compétences

    des juridictions internationales des droits

    de l’homme

    A priori, la question traitée dans ce paragraphe est inutile dès lors que l’ensemble des (quasi)-juridictions⁵⁴ internationales qui traitent des droits fondamentaux, en ce compris la Cour européenne des droits de l’homme, ont reconnu le caractère obligatoire des mesures provisoires⁵⁵. Elles paraissent donc avoir accepté le principe d’une protection préventive des droits des requérants. Néanmoins, eu égard aux considérations susdéveloppées, le doute persiste sur les raisons pour lesquelles pareille consécration des mesures provisoires a pu voir le jour. Ce mécanisme pourrait en effet ne pas être considéré par les juridictions qui l’appliquent comme ayant pour finalité de protéger préventivement les droits de certains requérants, mais plutôt comme un passage obligé dans certaines affaires, pour que la procédure introduite devant elles puisse mener à une décision.

    Constater que les juridictions internationales mènent d’autres actions préventives de protection des droits fondamentaux, sans qu’elles aient nécessairement de lien avec le mécanisme des mesures provisoires, permettrait de positionner ce dernier au sein d’un contexte qui le dépasse. Cela démontrerait que les juridictions jouent bien un rôle de prévention et, partant, cela légitimerait également l’action des mesures provisoires en droit international des droits de l’homme, en amont d’une violation déjà consommée.

    Tout d’abord, notons que les juridictions étudiées sont, pour la plupart⁵⁶, instituées par le traité qui consacre les droits pour les individus qui les saisissent. Ces textes conventionnels leur confèrent explicitement la mission de protéger les droits fondamentaux qui y sont catalogués⁵⁷. Leur tâche principale ne les cantonne dès lors pas à l’examen de situations passées afin de constater ou non s’il y a eu une violation de droits fondamentaux. Font ainsi également partie de leurs compétences certaines activités d’anticipation.

    On pense notamment aux rapports que doivent rendre la Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme de l’ONU. S’agissant de ce dernier, les États signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques doivent lui remettre un rapport sur les actions qu’ils entreprennent un an après l’entrée en vigueur du Pacte ainsi que lorsqu’il leur demande. Le Comité étudie ces rapports et adresse alors lui-même aux États ses propres rapports et observations⁵⁸. Quant à la Commission interaméricaine, afin de mener à bien sa tâche de « promouvoir l’observation et la défense des droits de l’homme », elle peut adresser des recommandations aux États membres ainsi que rédiger des rapports lorsqu’elle l’estime nécessaire⁵⁹.

    La Cour européenne des droits de l’homme et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples détiennent quant à elles une compétence d’avis consultatifs, respectivement « sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses Protocoles »⁶⁰ ou « sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme »⁶¹.

    Certes, il ne s’agit pas là de fonction juridictionnelle au sens exact. Toutefois, il existe également des mécanismes permettant de prévenir une violation potentielle de droits fondamentaux s’agissant des recours proprement dits. En effet, bien que l’opinion générale semble considérer que les conditions de recevabilité d’une requête exigent une violation déjà perpétrée pour que le requérant soit considéré comme une « victime », force est de constater que les juridictions des droits de l’homme ne refusent pas toujours de traiter des requêtes relatives à de violations non encore consommées⁶².

    Ainsi, la consécration du principe de non-refoulement dans la jurisprudence des juridictions internationales des droits de l’homme les a amenées à se positionner sur des violations dites « potentielles » des droits fondamentaux. Il s’agit de la problématique bien connue des expulsions ou extraditions suite auxquelles les requérants risquent de subir des traitements inhumains et dégradants, voire la torture ou même la mort, dans le pays de destination. Les juridictions internationales étudiées ont considéré qu’un État signataire ne pouvait placer le requérant dans une situation contraire à son droit à la vie ou à son droit à ne pas être torturé ou traité de manière inhumaine et dégradante, même si les actes incriminés ne se déroulaient pas à proprement parler sous sa juridiction⁶³. En décidant de l’éloignement, c’est bien l’État en cause qui est à l’origine de la situation du requérant, en contradiction, donc, avec ses engagements internationaux de protection des droits fondamentaux des individus qui se trouvent sous sa juridiction.

    Les juridictions étudiées ont pour la plupart accepté de prendre en compte les requêtes introduites préalablement à l’éloignement⁶⁴ en raison de la nature et de la portée de l’interdiction de la torture⁶⁵ ou du droit à la vie.

    Certes, il s’agit d’affaires dans lesquelles des mesures provisoires sont généralement indiquées par la juridiction ou quasi-juridiction compétente. Elles y sont d’ailleurs le plus souvent nécessaires pour que le constat éventuel de violation n’intervienne pas trop tard. La protection préventive mise en place par les arrêts ne vise cependant pas, quant à elle, à protéger les droits du requérant le temps que soit statué sur l’affaire. On ne se situe plus dans le cadre de l’examen de l’affaire par la juridiction, mais bien dans la phase d’exécution de la décision qu’elle a rendue. La protection emporte ainsi des effets bien plus durables, qui ont indéniablement trait à la protection effective d’un droit considéré comme absolu. Il s’agit donc là d’un mécanisme préventif de protection des droits fondamentaux sans aucun rapport avec le rôle procédural que pourraient exercer les mesures provisoires au sein d’un litige en cours.

    Par ailleurs, une telle manière de procéder, par anticipation, se retrouve également dans certains arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs aux conditions de détention de prisonniers malades⁶⁶. La Cour a ainsi jugé que ces dernières n’étaient pas en accord avec les exigences conventionnelles relatives à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, eu égard à l’état de santé des prisonniers. Elle a alors non seulement conclu à la violation des articles 3 ou 5 de la Convention pour l’enfermement passé des requérants, mais elle a également ajouté qu’une détention future irait de même à l’encontre de ces articles⁶⁷. On se retrouve donc indéniablement dans une approche préventive de protection des droits fondamentaux. La Cour européenne ne s’est pas contentée de statuer sur le passé, mais elle a profité de son arrêt pour empêcher qu’une nouvelle violation, similaire, se reproduise.

    Notons également que, contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme, certaines juridictions internationales sont conventionnellement habilitées à indiquer des mesures provisoires aux parties au litige. Est-ce à dire que le texte fondateur leur confère explicitement la compétence de protéger préventivement les droits fondamentaux conventionnels des requérants par le biais des mesures provisoires ? Cela se peut, mais l’hypothèse doit se vérifier. En effet, comme nous l’avons déjà soulevé, les mesures provisoires pourraient poursuivre le seul objectif procédural tenant à la sauvegarde de l’objet du litige.

    S’agissant de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, l’examen est rapide. Le texte conventionnel, couplé à la jurisprudence de la juridiction au niveau des mesures provisoires, démontre incontestablement que ces dernières visent essentiellement à protéger préventivement les droits des personnes.

    La Convention américaine des droits de l’homme ancre ainsi le mécanisme des mesures provisoires devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme en son article 63, § 2 :

    « Dans les cas d’extrême gravité requérant la plus grande célérité dans l’action, et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, la Cour pourra, à l’occasion d’une espèce dont elle est saisie, ordonner les mesures provisoires qu’elle juge pertinentes. S’il s’agit d’une affaire dont elle n’a pas encore été saisie, elle pourra prendre de telles mesures sur requête de la Commission. »

    Outre son ancrage conventionnel, la compétence de la Cour interaméricaine pour ordonner des mesures provisoires ne fait ici aucun doute, notamment en raison du vocabulaire usité, qui permet de conclure à leur caractère obligatoire. De surcroît, elle a déjà indiqué des mesures provisoires dans des situations où, même en leur absence, elle aurait été en mesure de statuer sur les droits des parties et exercer son rôle de juridiction. En revanche, elle n’aurait pu que constater la violation des droits des requérants. Tel est le cas dans l’affaire La Nation (Costa Rica)⁶⁸, par exemple, où la juridiction interaméricaine a protégé provisoirement le droit à l’honneur du requérant, un journaliste accusé de quatre crimes et dont l’identité aurait dû à ce titre être reprise dans le registre des délinquants, afin qu’il ne soit pas discrédité dans sa profession⁶⁹. Rien dans le fait de suspendre l’inscription au registre ne pouvait avoir d’effet sur la capacité de la Cour interaméricaine à trancher le litige. En revanche, le droit du requérant a été préventivement sauvegardé. La Cour interaméricaine a ainsi pu dire dans sa décision précitée : « […] under international human rights law, provisional measures are not only precautionary, in the sense of preserving a juridical situation ; they are also safeguards inasmuch as they protect human rights. When the requisite basic conditions of extreme gravity and urgency are present and when necessary to prevent irreparable harm to persons, provisional measures become a true jurisdictional guarantee that is preventive in nature. »⁷⁰

    La Cour interaméricaine s’estime donc bien habilitée par la Convention américaine à prendre des mesures préventives, ce que confirme explicitement sa jurisprudence.

    En conclusion, malgré que les pratiques préventives ne soient pas systématiquement reprises par l’ensemble des juridictions internationales des droits de l’homme, il n’y a pas d’opposition de principe à ce que ces dernières protègent préventivement les droits fondamentaux des individus lorsqu’elles en ont la possibilité, tant au niveau factuel que juridique. La Cour européenne des droits de l’homme devrait dès lors pouvoir développer le mécanisme des mesures provisoires en tant qu’instrument au service de la protection préventive des droits conventionnels des individus qui la saisissent⁷¹, en parallèle avec les autres mécanismes préventifs qu’elle met déjà en œuvre⁷².

    Maintenant que l’on connaît la dimension de protection préventive des droits fondamentaux que peuvent revêtir les mesures provisoires, d’une part, et que l’on constate, d’autre part, que les juridictions des droits de l’homme, dont la Cour européenne, se sont déjà vu confier – ou se sont déjà arrogé – la compétence de prévenir les violations futures de la Convention dans certains contextes, il reste à déterminer si l’on peut s’attendre à ce que la Cour européenne des droits de l’homme⁷³ se serve des mesures provisoires à bon escient eu égard aux spécificités du système conventionnel de protection des droits fondamentaux au niveau du Conseil de l’Europe et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

    SECTION 3. — La Cour européenne, gardienne

    de droits concrets et effectifs

    D’emblée, on tend à penser que la Cour européenne, sur la base de la Convention, poursuit sans relâche le second objectif assigné aux mesures provisoires en droits de l’homme : la protection effective des droits fondamentaux. Sa mission, son fonctionnement et sa jurisprudence vont en effet en ce sens.

    L’attachement au droit de recours individuel⁷⁴ qui caractérise la protection des droits fondamentaux au sein du Conseil de l’Europe en est un premier indice. En tant qu’instrument à actionner directement par l’individu se plaignant d’une violation de ses droits conventionnels, il participe indéniablement à l’effectivité de leur protection, au niveau structurel.

    L’importance qu’attache la Cour à l’effectivité de la protection des droits fondamentaux ressort également de sa jurisprudence.

    Ces deux éléments sont brièvement analysés dans la présente section. Ils démontrent ainsi l’inscription des mesures provisoires – dans l’hypothèse d’une pleine exploitation de leur potentiel – dans une voie similaire à celle poursuivie dès l’origine au niveau du Conseil de l’Europe. Un accent particulier est placé sur le droit de recours individuel, ce qui permet également au lecteur de contextualiser les diverses critiques et solutions que nous dégageons tout au long de la thèse.

    § 1. — LE DROIT DE RECOURS INDIVIDUEL,

    PIÈCE MAÎTRESSE DU MÉCANISME DE SAUVEGARDE

    DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE

    Les différentes phases de l’évolution historique du droit de recours individuel mettent en exergue la volonté qui a de tout temps animé les acteurs du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne de rendre, par ce biais, la protection des droits de l’homme toujours plus effective. On y constate également la volonté de préserver ce mécanisme dans toute son ampleur, malgré les difficultés qu’il peut engendrer, encore actuellement, en terme de charge de travail pour la Cour européenne.

    A. — La mise en place de la Convention européenne

    des droits de l’homme

    Bien que mis en œuvre dès la fin du XVIIIe siècle, le mouvement de protection des droits de l’homme prit véritablement son envol à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment que furent adoptées, au niveau universel, la Charte des Nations unies (1945) et la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Malgré l’existence de ces instruments de protection des droits de l’homme, et au vu de leur manque d’effectivité concrète, un processus fut alors mis en place afin de créer une protection véritable des droits de l’homme au niveau européen.

    L’idée défendue lors du Congrès de l’Europe, en 1948, était celle d’une « Charte des droits de l’homme garantissant les libertés de pensée, de réunion et d’expression, ainsi que le libre exercice d’une opposition politique »⁷⁵ dont l’effectivité serait assurée par le biais d’une « Cour de justice capable d’appliquer les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte »⁷⁶. Il était par ailleurs précisé, toujours dans un souci d’une réelle effectivité de la Charte, qu’il serait « possible à chaque citoyen des pays associés d’introduire devant la Cour, à tout moment et dans les délais les plus rapides, un recours en violation de ses droits, tels qu’ils seront fixés par la Charte »⁷⁷.

    C’est donc dès l’abord que le mécanisme de recours individuel devant la Cour européenne fut envisagé. Néanmoins, cette volonté n’a été suivie que d’effets partiels dans les divers projets de Convention⁷⁸. La question de la création même d’une Cour de justice fit en effet débat⁷⁹, de nombreux États l’estimant inutile par rapport aux besoins des États membres⁸⁰. Par contre, la mise en place d’une Commission des droits de l’homme – par laquelle les particuliers devraient préalablement passer avant de saisir la Cour – n’a pas été contestée.

    Les discussions relatives à la Cour aboutirent finalement à un compromis illustré par les anciens articles 46 et 48 de la Convention européenne⁸¹. Il fut ainsi décidé de créer une Cour européenne des droits de l’homme, mais de laisser sa juridiction facultative s’agissant des particuliers. Il en fut de même pour la Commission⁸². Ainsi, si, sur le principe, le recours individuel auprès de la juridiction européenne fut consacré, concrètement, les possibilités pour les individus de revendiquer la protection de leurs droits au niveau européen étaient encore fort restreintes à

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