Sciences et pseudo-sciences: Regards des sciences humaines
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Dire ce que sont les sciences semble aller de soi pour nombre d’entre nous : on détermine assez spontanément ce qui en est proche et ce qui en est éloigné, ce qui est potentiellement redevable d’une approche scientifique ou ce qui ne peut prétendre s’apparenter à une telle approche. Pourtant, des problèmes et des questions surgissent dès lors qu’il s’agit de formaliser définitions et démarcations entre sciences et pseudo-sciences : qui a le pouvoir de reconnaître, désigner, définir et légitimer un propos ou une pratique comme faisant partie de l’espace légitime des sciences et, par conséquent, d’inclure ou d’exclure les impétrants (tels que les mythes, religions, parasciences, pseudo-sciences, etc.) ? Certes, si les critères de démarcation sont discutables, la nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie demeure intangible. L’analyse empirique des vaticinations et arguties des irrationalistes permet de raffiner sans cesse ces critères. Ce livre en donne maints exemples. Les sciences humaines sont souvent l’objet d’intrusions spiritualistes, l’instrument d’une « déraison savante », le cheval de Troie des théories les plus insensées qu’une pléthore de mouvements et courants irrationalistes engendre à flots continus, en voulant faire main basse sur le « phénomène humain ». Elles doivent donc affirmer la prévalence de leurs méthodes tout aussi scientifiques que celles des sciences de la nature et leur indéfectible rationalité, afin de se défendre contre ce qui émane de ces cloaques de la pensée. Telle est l’ambition des neuf auteurs de diverses disciplines (anthropologie, épistémologie, mathématiques, philosophie, psychologie, sociologie) qui donnent ici une éclairante variété d’analyses et de points de vue. Dans un monde où les obscurantismes jouent avec l’idée même de pensée rationnelle, la bafouant ou la retournant comme un gant, un tel livre se veut un humble jalon sur ce chemin rempli de leurres et de nasses…
Neuf auteurs partageant une ambition identique : défendre les sciences humaines en affirmant la prévalence de leurs méthodes tout aussi scientifiques que celles des sciences de la nature.
EXTRAIT
Nous montrerons que ces différents champs de savoirs sont peu, voire pas du tout, compatibles entre eux et qu’entre le domaine des sciences et celui multiforme des pseudo-sciences/parasciences la question de la distinction franche n’est pas insurmontable. Les pseudo-sciences ne posent pas seulement des questions liées aux croyances, au capital divers et varié de connaissances, aux bonnes pratiques ou aux visions du monde du praticien. Elles questionnent également des problèmes liés aux normes, aux règles, aux valeurs scientifiques, à la raison critique mais aussi, chose moins courante, à l’éthique de la croyance.
À PROPOS DES AUTEURS
Sous la direction de Valéry Rasplus, sociologue et épistémologue, différents auteurs ont collaboré à Sciences et pseudo-sciences : Raymond Boudon, Gérald Bronner, Pascal Engel, Nicolas Gauvrit, Dominique Lecourt, Régis Meyran, Alexandre Moatti et Romy Sauvayre.
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Book preview
Sciences et pseudo-sciences - Valéry Rasplus
Sous la direction de
Valéry Rasplus
Sciences et pseudo-sciences
Regards des sciences humaines
2014 Logo de l'éditeur EDMAT
Copyright
© Editions Matériologiques, Paris, 2016
ISBN numérique : 9782919694716
ISBN papier : 9782919694709
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales.
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Présentation
Les sciences humaines sont souvent l’objet d’intrusions spiritualistes, l’instrument d’une « déraison savante », le cheval de Troie des théories les plus insensées qu’une pléthore de mouvements et courants irrationalistes engendre à flots continus, en voulant faire main basse sur le « phénomène humain ». Elles doivent donc affirmer la prévalence de leurs méthodes tout aussi scientifiques que celles des sciences de la nature et leur indéfectible rationalité, afin de se défendre contre ce qui émane de ces cloaques de la pensée. Telle est l’ambition des neuf auteurs de diverses disciplines (anthropologie, épistémologie, mathématiques, philosophie, psychologie, sociologie) qui donnent ici une éclairante variété d’analyses et de points de vue. Dans un monde où les obscurantismes jouent avec l’idée même de pensée rationnelle, la bafouant ou la retournant comme un gant, un tel livre se veut un humble jalon sur ce chemin rempli de leurres et de nasses…
Table des matières
Introduction. Pour la méthode. Esquisse d’une approche rationaliste de la connaissance (Valéry Rasplus)
Chapitre 1. Ce que la science veut dire, ce que la pseudo-science veut faire (Valéry Rasplus)
1 - Vous avez dit « science » ?
2 - La science est une méthode
3 - Parascience(s) et pseudo-science(s)
4 - Conclusion
Chapitre 2. Fausses sciences, esprits faux (Pascal Engel)
1 - L’éthique de la croyance
2 - Qu’est-ce qu’un esprit faux ?
3 - Pseudo-scientifiques et esprits faux
4 - Puritanisme épistémologique contre pragmatisme
Chapitre 3. Science, pseudo-sciences et démagogisme cognitif (Gérald Bronner)
1 - Ce qu’est le démagogisme cognitif
2 - La rationalité limitée par le désir
3 - La rationalité limitée dimensionnellement
4 - Les limites culturelles de la rationalité
5 - Les limites cognitives de la rationalité
6 - La science est un processus historique et collectif qui aboutit à exfiltrer la rationalité de ses contraintes
7 - Comment le démagogisme cognitif prétend faire l’administration de la preuve
8 - Conclusion
Chapitre 4. Comment la science alimente les croyances. La surprenante dialectique entre convocation et disqualification du discours scientifique (Romy Sauvayre)
Chapitre 5. L’alterscience : analyse de ses invariants et mise en relation épistémologique (Alexandre Moatti)
1 - La science première
2 - Une boîte à outils épistémologiques
3 - Relire Bachelard
4 - La résurgence des thèmes
5 - Alterscience vs. pseudo-sciences
Chapitre 6. L’ethnologie est-elle une pseudo-science ? Rationalisme contre ésotérisme, une ligne de front dans l’ethnologie française (Régis Meyran)
1 - La voie rationaliste : Durkheim, Mauss, Lévi-Strauss
2 - La voie antirationaliste : ésotérisme et sciences sociales
3 - Correspondances magiques chez les Dogons de Griaule
4 - Cycles et rythmes naturels : l’ésotérisme de Varagnac
5 - Conclusion
Chapitre 7. Sociology as science (Raymond Boudon)
1 - Methodological singularism
2 - Classical sociologists endorsed methodological singularism
3 - Methodological individualism
4 - Comprehension as an open conception of rationality
5 - Networks and the Generalized others
6 - Illustrations
7 - Representational beliefs
8 - Beliefs in the efficiency of magical ritual as a product of ordinary rationality
9 - Normative beliefs
10 - Feelings of fairness
11 - Income tax
12 - Long term evolution as a product of ordinary rationality
13 - Solving RCT deadlocks
14 - At the root of Analytical sociology
Chapitre 8. L’intimidation mathématique : quand le discours formel sert à impressionner (Nicolas Gauvrit)
1 - Le nouveau paradigme
2 - Effet gourou
3 - Anxiété mathématique
4 - L’intimidation mathématique
5 - Meessen et le modèle de Verhulst
6 - Daryl Bem et la précognition
7 - Formules de sexuation
8 - Faut-il rejeter les mathématiques ?
Chapitre 9. Pourquoi les pseudo-sciences ? (Dominique Lecourt)
Introduction. Pour la méthode. Esquisse d’une approche rationaliste de la connaissance
Valéry Rasplus
En 2010, je rendais compte, avec une certaine position critique, du dernier livre de Raymond Boudon, La Sociologie comme science [1] . Dans ce court essai, le sociologue expliquait avoir rencontré au cours de son expérience professionnelle, dans divers travaux et lectures, une sociologie à caractère scientifique. Ainsi, la science serait tout à fait à sa place en sociologie. À la suite de mon article, dont j’eus la surprise et le plaisir de recevoir en retour un gentil mot de la part de Raymond Boudon [2] , j’entrepris de publier le mois suivant un échange portant sur son long et riche travail de sociologue. Il m’était, à cette occasion, impossible de faire l’impasse sur cette question des relations entre la science et la sociologie. À mon interrogation sur ce point sa réponse fut sans détour : « J’ai toujours cru que la sociologie avait vocation à être une discipline scientifique obéissant aux mêmes principes que les autres : vouée à décrire les faits sociaux en éliminant autant que possible la subjectivité de l’observateur, et à expliquer des phénomènes dont les causes ne sont pas immédiatement accessibles. Je n’ai jamais admis qu’on puisse réduire le comportement humain à être l’effet d’habitus agissant dans le dos de l’acteur social. Ni l’idée que celui-ci soit un simple jouet des structures
. Ni l’idée qu’il soit aveugle sur lui-même et sur le monde. Ni l’idée que la sociologie ait surtout vocation à lui ouvrir les yeux. [3] » Quand, quelque temps plus tard, je lui proposais de me rejoindre comme contributeur à un projet de livre collectif que j’allais diriger, sur le thème « Sciences et pseudo-sciences : regard de sciences humaines et sociales », c’est sans aucune hésitation qu’il me répondit positivement en m’offrant un texte original, en anglais, intitulé « Sociology as science » dont le contenu questionnait justement le statut scientifique d’une science humaine qu’il avait tant fréquenté et pratiqué, la sociologie. Malheureusement, sa curiosité et son intérêt pour le résultat final de cette entreprise savante furent stoppés par son décès brutal intervenu le 10 avril 2013, à l’âge de 79 ans [4] . Le présent ouvrage l’aurait sûrement satisfait. Puisse-t-il être un modeste hommage à ce grand sociologue qui a laissé sa marque bien au-delà de sa discipline et de son entourage naturel [5] .
Selon Émile Durkheim, « la première démarche du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l’on sache et qu’il sache bien de quoi il est question. C’est la première et la plus indispensable condition de toute preuve et de toute vérification ; une théorie, en effet, ne peut être contrôlée que si l’on sait reconnaître les faits dont elle doit rendre compte. De plus, puisque c’est par cette définition initiale qu’est constitué l’objet même de la science, celui-ci sera une chose ou non, suivant la manière dont cette définition sera faite » [6] .
Ainsi ma première démarche, dans « Ce que la science veut dire, ce que la pseudo-science veut faire » [7] , a-t-elle été de bien définir les objets de notre analyse, à savoir la science et la pseudo-science/parascience, puis de montrer en quoi ces objets pouvaient être différents, à la fois du fait des diverses conceptions du monde qui animent les protagonistes en leur servant de support compréhensif et explicatif, des différents types de raisonnements utilisés, des variétés de méthodes pratiquées, mais aussi des multiples modes d’organisation et de diffusion. Nous montrerons que ces différents champs de savoirs sont peu, voire pas du tout, compatibles entre eux et qu’entre le domaine des sciences et celui multiforme des pseudo-sciences/parasciences la question de la distinction franche n’est pas insurmontable. Les pseudo-sciences ne posent pas seulement des questions liées aux croyances, au capital divers et varié de connaissances, aux bonnes pratiques ou aux visions du monde du praticien. Elles questionnent également des problèmes liés aux normes, aux règles, aux valeurs scientifiques, à la raison critique mais aussi, chose moins courante, à l’éthique de la croyance.
Pour Pascal Engel [8] , dans son chapitre « Qu’est-ce qu’un esprit faux ? », aucun esprit scientifique, aussi grand soit-il, n’est à l’abri d’être aussi un esprit faux. Désirer faire pleinement science impose alors de respecter un certain nombre de contraintes et non de les mépriser ou de les refuser sous peine de s’exposer à une sorte de simulation scientifique. Dans cette démarche d’adhésion positive aux contraintes scientifiques, vouloir dire rationnellement ou faire méthodiquement science exige au préalable un effort intellectuel qui peut bousculer le sens commun, celui qui semble si bien aller de soi, au point que la science peut s’avérer contre-intuitive. En considérant que l’esprit rationaliste est universel, qu’il se retrouve en tout temps et en tout lieu, la science cherche à mettre au jour nombre d’invariants, ce que de leurs côtés les relativistes ou les constructivistes contestent. C’est ainsi que surfant sur cette vague dite anarchiste de la connaissance, où tout se vaut, selon l’idée de Paul Feyerabend [9] , les pseudo-sciences tendent à jouer sur les limites cognitives de la rationalité pour donner à leur proposition le goût et la couleur de la scientificité.
Ces pseudo-sciences usent, selon la formule de Gérald Bronner [10] , dans « Science, pseudo-sciences et démagogisme cognitif », d’un démagogisme cognitif qui n’hésite pas à se revendiquer de l’esprit rationaliste. Car il ne suffit pas d’avancer des arguments ou des positions estampillées « scientifiques » pour que le commun des mortels – scientifique compris – évacue toutes croyances invraisemblables teintées d’irrationalité et de superstition. Il faut se rendre à une évidence empirique, les sciences ne sont pas immunisées contre les faux savoirs et les idées fausses. Ce qui est présenté comme de la science est capable de produire de la fausse science et donc des croyances.
Dans une étude mêlant théories et expériences empiriques – « Comment les sciences et pseudo-sciences alimentent-elles les croyances invraisemblables » –, Romy Sauvayre [11] examine le cas de ces relations tendues et souvent fusionnelles entre des propositions objectivement vraies (connaissances scientifiques) et des propositions subjectivement vraies (croyances religieuses, idéologiques) telles qu’on peut les rencontrer par exemple dans la doctrine et le mouvement New Age. La science peut se voir instrumentalisée à des fins idéologiques ou religieuses par divers courants d’idées portés par des scientifiques de métier ou de formation.
Ainsi sont nées un certain nombre de théories alternatives qui visent à s’opposer d’une manière radicale aux sciences « normales » par ce qu’Alexandre Moatti [12] nomme l’« alterscience », dans son chapitre « L’alterscience : analyse de ses invariants et mise en relation épistémologique ». La physique (relativité, physique quantique), la biologie (théorie néodarwinienne, paléontologie) et biens d’autres disciplines sont prises pour cible par ces « autres sciences », ceci en dehors de toute volonté réelle d’esprit et de méthode scientifique. S’il arrive fréquemment que le bons sens soit préféré à l’esprit abstrait, ces idéologies négatives disparates peuvent aussi mobiliser une variété de théories du complot comme élément argumentatif militant de secours. Faut-il pour autant s’alarmer ? Loin de se cantonner à quelques microstructures isolées, ces fausses sciences ouvertes, mais vraies idéologies fermées, tendent à se diffuser et à imprégner de larges pans de la société mais aussi des disciplines scientifiques a priori protégées. L’ethnologie par exemple a souvent pris comme objet d’étude les croyances, les religions et autres pensées magiques.
Régis Meyran [13] décortique dans « L’ethnologie est-elle une pseudoscience ? Rationalisme contre ésotérisme, une ligne de front dans l’ethnologie française » cet affrontement, au sein de l’ethnologie française, entre d’un côté une tradition rationaliste, positive, scientifique, proposant d’expliquer les faits sociaux par d’autres faits sociaux, comme les sciences de la nature expliquent le réel par le réel, représentée par les figures d’Émile Durkheim, de Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss, et de l’autre par une tradition que l’on pourrait qualifier d’antirationaliste, spiritualiste, métaphysique, représentée par Louis Dumont, Marcel Griaule, André Varagnac. Son hypothèse, que certains pourraient qualifier de subversive, est que cette pensée antirationaliste, imprégnée d’ésotérisme et d’occultisme, survit encore dans les sciences ethnologiques contemporaines. Si les sciences sociales sont touchées, les sciences dites dures n’y échappent pas non plus. Afin d’appuyer leur discours, les parasciences et les pseudo-sciences n’hésitent pas à faire appel aux mathématiques. L’aura dont cette discipline bénéficie dans le grand public lui confère une forte réputation de rigueur et d’exactitude. L’appel à l’argument d’autorité des mathématiques fait ainsi œuvre de sérieux incontestable. Pourtant, par manque de savoir, de compréhension, de prudence, mais aussi par abus délibéré, les mathématiques se retrouvent souvent embrigadées bien malgré elles dans une utilisation partisane à la fois des données, du raisonnement et des conclusions, négligeant les fautes, les erreurs, les biais, les contradictions, etc., mais validant, finalement, ce qui n’est en rien démontré.
Partant d’exemples tirés de l’ufologie, de la parapsychologie, de la psychanalyse, mais aussi de la psychologie expérimentale et des probabilités, Nicolas Gauvrit [14] , dans « L’intimidation mathématique », décrit, à la suite des travaux d’Erin Maloney et de Sian Beilock, le processus d’intimidation mathématique qui, chez certains individus, favorise l’infiltration de fausses ou mauvaises mathématiques sous couvert de compétences savantes pour le moins discutables. Le dualisme entre science et pseudo-science, entre lumière et obscurantisme, ne semble pas expliquer le fait que d’une part des scientifiques apportent leur soutien à des démarches pseudo-scientifiques et que d’autre part des adeptes des pseudo-sciences se présentent comme scientifiques.
Dans un texte qui bouscule quelque peu l’orientation générale de cet ouvrage – « Pourquoi les pseudo-sciences ? » –, Dominique Lecourt [15] pense qu’un élément de réponse pourrait se trouver dans la condition même de l’Homme, être à la fois rationnel et passionnel, qui recherche sans fin à donner une explication mais aussi un sens à cette nature qui se développe autour et en lui en dehors de toute tentation scientiste. Cette vision du monde posséderait une part de vérité qui, même si elle se situe dans un autre domaine que celui des sciences, n’en serait pas moins respectable, car profondément humaine. C’est sur cet état limite de tension, fragile, que s’infiltrent le plus aisément les pseudosciences et les parasciences.
Je terminerai cette brève introduction comme je l’ai commencé, avec Raymond Boudon. Dans une préface datée du 31 janvier 2013 [16] , il expliquait que « toute sociologie, toute science sociale, toute science de la nature met inévitablement en jeu des principes ». Mais un principe ne peut « par nature être démontré, il faut se contenter de le tester. Or cette opération peut prendre du temps. Un temps pendant lequel d’autres principes et parfois des principes stériles ont tout loisir de s’installer. D’où l’idée que la vie scientifique, dans tous les domaines, est vouée à produire du vrai et du faux. Un faux beaucoup moins aisément identifiable que celui que produisent les fausses sciences marginales, comme l’astrologie, car le faux normalement produit par toute science bénéficie pendant un temps de l’autorité de la science ».
Puisse cet ouvrage contribuer à mieux comprendre la production du vrai et du faux et leur distinction.
Notes du chapitre
[1] ↑ Valéry Rasplus, « L’autoréférence sociologique de Raymond Boudon », BibliObs , 5 décembre 2010.
[2] ↑ « Votre article me semble excellent et je vous suis très reconnaissant de votre lecture attentive », Raymond Boudon à Valéry Rasplus, correspondance personnelle, 5 décembre 2010.
[3] ↑ Valéry Rasplus, « 10 questions à Raymond Boudon », BibliObs , 16 janvier 2011.
[4] ↑ Note des Éditions Matériologiques : c’est pour cette triste raison que le texte de Raymond Boudon demeure malheureusement en anglais, une traduction non révisée par lui nous ayant semblé indue.
[5] ↑ Raymond Boudon (1934-2013) était sociologue, membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques). Dernier ouvrage paru : Le Rouet de Montaigne : une théorie du croire , Hermann, 2013.
[6] ↑ Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique [1895], Flammarion, 1988, p. 127-128.
[7] ↑ Valéry Rasplus est sociologue, épistémologue. Dernier ouvrage paru (avec Régis Meyran) : Les Pièges de l’identité culturelle , Berg international, 2014.
[8] ↑ Pascal Engel est philosophe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (CRAL, CNRS, EHESS). Dernier ouvrage paru : Épistémologie pour une marquise , Les Éditions d’Ithaque, 2011.
[9] ↑ Paul Feyerabend, Contre la méthode, Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance , Seuil, 1979.
[10] ↑ Gérald Bronner est sociologue, professeur à l’université Paris-Diderot. Dernier ouvrage paru : La Planète des hommes. Réenchanter le risque , PUF, 2014.
[11] ↑ Romy Sauvayre est maître de conférences en sociologie à l’université Blaise Pascal/ Clermont Université (Lapsco, UMR 6024 CNRS). Dernier ouvrage paru : Les Méthodes de l’entretien en sciences sociales , Dunod, 2013.
[12] ↑ Alexandre Moatti est ingénieur en chef des mines, chercheur associé à l’université Paris-Diderot (Sphere, UMR 7219). Dernier ouvrage paru : Le Mystère Coriolis , CNRS Éditions, 2014.
[13] ↑ Régis Meyran est docteur de l’EHESS en anthropologie sociale et ethnologie, HDR, chercheur associé au Lirces (université de Nice-Sophia Antipolis). Dernier ouvrage paru (avec Valéry Rasplus) : Les Pièges de l’identité culturelle , Berg international, 2014.
[14] ↑ Nicolas Gauvrit est mathématicien, maître de conférences à l’université d’Artois et psychologue du développement. Dernier ouvrage paru : Les Surdoués ordinaires , PUF, 2014.
[15] ↑ Dominique Lecourt est philosophe, professeur à l’université Paris-Diderot. Dernier ouvrage paru : Diderot. Passions, sexe, raison , PUF, 2013.
[16] ↑ Raymond Boudon, Le Rouet de Montaigne : une théorie du croire , Hermann, 2013.
Chapitre 1. Ce que la science veut dire, ce que la pseudo-science veut faire
Valéry Rasplus
Dans une atmosphère rendue confuse par l’irrationalisme, les multiples visages de la connaissance ont quelque peine à se faire reconnaître. Ainsi est souvent tenue pour science toute forme de connaissance du réel, quels qu’en soient la méthode et le but. Or la démarche scientifique possède une spécificité dont la reconnaissance est nécessaire à toute réflexion sur les rapports entre la science et les autres formes de connaissance touchant à l’histoire, à la politique, ou encore à l’art ou à la philosophie [1] .
L’esprit critique s’acquiert, petit à petit, par l’expérience, l’habitude de faire appel tranversalement aux savoirs et de les questionner [2] .
1 - Vous avez dit « science » ?
Parler de science ou l’évoquer semble aller de soi pour un grand nombre d’entre nous. De même, et d’une façon peut-être spontanée, on imagine sans peine ce qui en est proche et ce qui en est éloigné. Si la science est à la fois un savoir et une pratique qui se distingue des autres systèmes sociaux de savoirs et connaissances comme des diverses activités humaines, elle doit donc être suffisamment délimitée sauf à ce qu’elle ne soit plus reconnaissable [3] . Pourtant, si l’on entreprend de creuser un peu plus le sujet, tout un ensemble de problèmes et de questions commence à surgir : quels individus et types de structure ont le pouvoir de reconnaître, désigner, définir et légitimer une chose (un discours, une pratique) comme faisant partie de l’espace scientifique et par là même d’inclure ou d’exclure les prétendants ?