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Les mondes darwiniens: L'évolution de l'évolution, Vol. 2
Les mondes darwiniens: L'évolution de l'évolution, Vol. 2
Les mondes darwiniens: L'évolution de l'évolution, Vol. 2
Ebook1,175 pages14 hours

Les mondes darwiniens: L'évolution de l'évolution, Vol. 2

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About this ebook

Une étude approfondie des théories darwiniennes et de leurs différentes implications

La théorie darwinienne de l’évolution reste le paradigme dominant de la biologie et de la paléontologie. Elle prouve sa fécondité et sa puissance explicative dans de très nombreux domaines. Pourtant, dans cet ouvrage, pas question d’un fétichisme de Darwin, mais d’un examen attentif du domaine de validité épistémologique et expérimental des idées du savant naturaliste. Ainsi, ce livre expose leurs multiples ramifications en sciences de la vie, en sciences humaines et en philosophie. A cette fin, cinquante auteurs explorent les grandes notions qui irriguent les sciences de l’évolution, ainsi que de très nombreux chantiers des savoirs biologiques contemporains, puis considèrent les tentatives d’exportation du mode de pensée darwinien à propos de problématiques autrefois hors de son champ d’action (éthique, psychologie, économie, etc.). Les questions du créationnisme et de l’enseignement viennent clore cet ouvrage.

Dans ce second volume des Monde darwiniens, replongez-vous dans la pensée de l'illustre savant et dans l'examen approfondi de celle-ci.

EXTRAIT

La vraie difficulté réside dans la quasi-impossibilité d’aborder la question des origines et de l’évolution de la lignée humaine sans que ne s’invite, sous une forme ou une autre, des quêtes de sens spiritualistes, finalistes ou eschatologiques, sous le terme rarement défini, et donc polysémique, d’hominisation. C’est un immense paradoxe pour la paléoanthropologie puisque l’intérêt, pour ne pas dire la passion, pour cette grande question qui, justement, émane de ce besoin séculaire de comprendre notre place dans l’univers, ce qui a suscité une fascinante diversité de récits oraux et écrits sur l’émergence du cosmos – et de l’Homme –, qu’on appelle les cosmogonies. C’est incontestablement une caractéristique de l’Homme.

À PROPOS DES AUTEURS

Les mondes darwiniens est le résultat de la collaboration de cinquante auteurs, sous la direction de Thomas Heams, Philippe Huneman, Guillaume Lecointre et Marc Silberstein.
LanguageFrançais
Release dateMar 29, 2018
ISBN9782373610451
Les mondes darwiniens: L'évolution de l'évolution, Vol. 2

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    Book preview

    Les mondes darwiniens - Thomas Heams

    Couverture de l'epub

    Sous la direction de

    Thomas Heams, Philippe Huneman, Guillaume Lecointre et Marc Silberstein

    Les mondes darwiniens. Volume 2

    L’évolution de l’évolution

    2011 Logo de l'éditeur EDMAT

    Copyright

    © Editions Matériologiques, Paris, 2016

    ISBN numérique : 9782373610451

    ISBN papier : 9782919694402

    Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales.

    Logo CNL Logo Editions Matériologiques

    Présentation

    1809 : Naissance de Charles R. Darwin. 1859 : Parution de L’Origine des espèces. 2009 : Cent cinquante ans plus tard, la théorie darwinienne de l’évolution reste le paradigme dominant de la biologie et de la paléontologie. Elle prouve sa fécondité et sa puissance explicative dans de très nombreux domaines. Pourtant, dans cet ouvrage, pas question d’un fétichisme de Darwin, mais d’un examen attentif du domaine de validité épistémologique et expérimental des idées du savant naturaliste. Ainsi, ce livre expose leurs multiples ramifications en sciences de la vie, en sciences humaines et en philosophie. A cette fin, cinquante auteurs explorent les grandes notions qui irriguent les sciences de l’évolution, ainsi que de très nombreux chantiers des savoirs biologiques contemporains, puis considèrent les tentatives d’exportation du mode de pensée darwinien à propos de problématiques autrefois hors de son champ d’action (éthique, psychologie, économie, etc.). Les questions du créationnisme et de l’enseignement viennent clore ce volume.

    Table des matières

    Partie 2. Le darwinisme en chantier (suite)

    2.2. Des molécules aux écosystèmes

    Chapitre 24. Coûts biologiques d’une petite taille pour les Homo sapiens femelles : nouvelles perspectives sur le dimorphisme de la stature (Priscille Touraille)

    1 - Quelques repères théoriques sur les dimorphismes de taille corporelle

    2 - L’état de la question pour l’espèce humaine

    3 - L’hypothèse manquante : diminution de la taille des femmes sous l’effet d’inégalités nutritionnelles

    4 - L’hypothèse récente : une sélection par choix de partenaire dans les sociétés occidentales

    5 - Conclusion

    Chapitre 25. Écologie et évolution : vers une articulation multi-hiérarchisée (Julien Delord)

    1 - Résumé des rapports historiques entre écologie et évolution

    2 - Analyse des distinctions méthodologiques et épistémologiques entre écologie et évolution

    3 - L’écologie évolutive : de la vertu des modèles intégratifs

    4 - La théorie neutre de la biodiversité ou l’écologie faite évolution

    5 - Conclusion

    Chapitre 26. La niche écologique : histoire et controverses récentes (Arnaud Pocheville)

    1 - Histoire du concept de niche

    2 - Le concept de niche et les théories de la coexistence

    3 - La théorie neutraliste et son bouquet de controverses

    4 - Conclusions

    Chapitre 27. Darwin et la médecine : intérêt et limites des explications évolutionnaires en médecine (Pierre-Olivier Méthot)

    1 - Médecine et évolution : un survol historique

    2 - Médecine darwinienne ou médecine évolutive ?

    3 - Conclusion

    Partie 3. Le darwinisme exporté

    Chapitre 28. L’exportation de la pensée phylogénétique en biochimie (Guillaume Lecointre et Chomin Cunchillos)

    1 - Les problèmes posés par l’exportation

    2 - Pertinence de l’application d’outils phylogénétiques aux voies du métabolisme

    3 - Quelles sont les premières fonctions enzymatiques du vivant ? Quels furent les premiers métabolismes disponibles ? Pourquoi le catabolisme des acides aminés est-il important ? Comment se place le cycle de Krebs ?

    4 - Hypothèses d’homologie

    5 - Résultats et mise en ordre des événements

    6 - Conclusion

    Chapitre 29. Les algorithmes évolutionnaires (Marc Schoenauer)

    1 - L’algorithme

    2 - Opérateurs de variation

    3 - Diversité génétique et paramétrisation

    3.1 - Exploration vs exploitation

    4 - Les algorithmes historiques

    5 - Domaines d’application

    6 - Conclusions

    Chapitre 30. Évolution de robots autonomes et autres créatures artificielles (Nicolas Bredèche)

    1 - Construire des machines « morpho-fonctionnelles »

    2 - Évolution artificielle : optimisation et découverte

    3 - Quels problèmes ? Conception hors ligne et adaptation en ligne

    4 - Mécanismes et opérateurs

    5 - Limites et enjeux

    6 - Et demain ?

    Chapitre 31. La psychologie évolutionniste : enjeux, résultats, débats (Philippe Huneman et Édouard Machery)

    Chapitre 32. Les modules « en chair et en os »   (H. Clark Barrett)

    1 - Problèmes définitionnels

    2 - Penser en biologiste

    3 - Les modules faits de viande

    4 - Prendre la métaphore de l’organe au sérieux

    5 - Le modèle enzymatique

    6 - Chercher des réponses dans le cerveau

    Chapitre 33. Le développement comme cible de l’évolution : une approche computationnelle des systèmes développementaux   (H. Clark Barrett)

    1 - Le développement fiable

    2 - Les cibles développementales appropriées

    3 - Types de résultats et exemples de résultats

    4 - Une approche computationnelle des systèmes développementaux évolutifs

    5 - Les implications pour les débats actuels

    Chapitre 34. La Psychologie Évolutionniste, l’adaptation et l’organisation   (Stephen M. Downes)

    1 - La Psychologie Évolutionniste

    2 - Adaptation

    3 - L’adaptationnisme

    4 - La Psychologie Évolutionniste, l’organisation et l’adaptationnisme explicatif

    5 - Conclusion

    Chapitre 35. Des sciences cognitives évolutionnaires doublement externalistes (Pierre Poirier et Luc Faucher)

    1 - Externalisme en biologie de l’évolution et en sciences cognitives

    2 - Études robotiques de la cognition évoluée « embodied »

    3 - Neurosciences cognitives du développement  

    4 - Conclusion

    Chapitre 36. Une anomalie de l’évolution : le langage (Jean-Louis Dessalles)

    1 - Pourquoi donner des informations à ses concurrents ?

    2 - Éthologie du langage

    3 - Anatomie cognitive du comportement langagier

    4 - Pourquoi le langage ? Les explications peu darwiniennes

    5 - L’avantage du locuteur

    6 - L’information dans la politique homininée

    7 - Conclusion

    Chapitre 37. L’évolution de la religion d’un point de vue darwinien : synthèse des différentes théories (Pierrick Bourrat)

    1 - La théorie du sous-produit de l’évolution

    2 - Des théories adaptatives au niveau de l’individu

    3 - Théories adaptatives au niveau du groupe

    4 - Conclusion

    Chapitre 38. Évolution, société, éthique : darwinime social versus éthique évolutionniste (Christine Clavien)

    1 - Darwinisme social et prosocial

    2 - EE versus darwinisme social et prosocial

    3 - L’EE dans le détail

    4 - L’apport de l’EE aux quatre niveaux de l’éthique

    5 - Explications de la genèse de la moralité

    6 - Le passage délicat du factuel au normatif

    7 - L’inutile quête du fondement ultime de la morale

    8 - Conclusion

    Chapitre 39. Morale darwinienne et darwinisme moral (Jérôme Ravat)

    1 - La Filiation de l’homme : un ouvrage révolutionnaire

    2 - Phylogenèse du sens moral : le continuisme darwinien

    3 - L’émergence du sens moral au sein de l’espèce humaine

    4 - Darwin et le « darwinisme moral »

    5 - Conclusion

    Chapitre 40. Les darwinismes contemporains en sciences humaines (Christophe Heintz et Nicolas Claidière)

    1 - Ce que le darwinisme biologique peut dire sur les comportements humains

    2 - Le darwinisme appliqué à l’évolution culturelle

    3 - D’où provient la stabilité des éléments culturels ?

    4 - Conclusion

    Chapitre 41. L’économie évolutionniste : une forme spécifique d’évolution ? (Eva Debray)

    1 - Pourquoi une économie évolutionniste ? Une alternative à la théorie néoclassique considérée comme non réaliste

    2 - Difficultés épistémologiques : faut-il penser l’évolution économique comme une forme spécifique d’évolution ?

    3 - Conclusion

    Chapitre 42. La linguistique historique, nouveau terrain d’expérimentation de la phylogénie (Mahé Ben Hamed)

    1 - Le cheminement curieusement parallèle de la biologie évolutive et de la linguistique historique

    2 - La nouvelle synthèse phylo-linguistique

    3 - Conclusion

    Chapitre 43. Fonctions biologiques et contenus sémantiques : la téléosémantique (Françoise Longy)

    1 - La téléosémantique contre le dualisme de Brentano

    2 - Fonctions biologique et téléologie naturelle

    3 - De l’abeille à l’homme, une théorie objective de la représentation qui laisse place à l’erreur

    4 - Le problème de l’indétermination des contenus (I) : la nature de la théorie darwinienne

    5 - Le problème de l’indétermination des contenus (II) : le point de vue des consommateurs

    6 - Au delà du problème de l’indétermination fonctionnelle

    7 - Conclusion

    Chapitre 44. La naturalisation de l’intentionnalité : approche et critique de la théorie de Fred Dretske (Marie-Claude Lorne)

    1 - La théorie de Dretske

    2 - Indication, explication, contenu

    3 - La chaîne causale de second ordre

    4 - Conclusion

    Partie 4. Le darwinisme reçu

    Chapitre 45. Évolutionnisme(s) et créationnisme(s) (Olivier Brosseau et Marc Silberstein)

    1 - Polyphonie des créationnismes

    2 - L’Église catholique, la science et la théorie darwinienne de l’évolution

    3 - Monotonie des créationnismes

    Chapitre 46. L’enseignement de la théorie de l’évolution dans le secondaire : quelques enjeux didactiques (Corinne Fortin)

    1 - De la réforme de 1902 à l’enseignement actuel de l’évolution

    2 - Les orientations épistémo-pédagogiques

    3 - Les représentations des élèves sur l’évolution

    4 - Les conceptions épistémologiques des enseignants

    5 - Perspectives pour un enseignement opératoire de l’évolution

    6 - En guise de conclusion

    Chapitre 47. Les dessous de l’hominisation : les origines de l’homme entre science et quête de sens (Pascal Picq)

    1 - Origines et dérives de l’hominisation

    2 - Les philosophes et les anthropologues maudits

    3 - Pour en finir avec l’hominisation en paléoanthropologie

    Hommage à Marie-Claude Lorne (1969-2008) (Philippe Huneman et Anouk Barberousse)

    Partie 2. Le darwinisme en chantier (suite)

    2.2. Des molécules aux écosystèmes

    Chapitre 24. Coûts biologiques d’une petite taille pour les Homo sapiens femelles : nouvelles perspectives sur le dimorphisme de la stature

    Priscille Touraille

    Priscille Touraille. Anthropologue. Chercheur associé à l’Unité éco-anthropologie et ethnobiologie du département « Hommes, natures, sociétés » au Muséum national d’histoire naturelle.

    Les conceptualisations sur l’existence de caractères « coûteux » ou « défavorables » sélectionnés au cours de l’évolution d’une espèce sont récentes  [1] . On peine à repérer l’idée dans l’œuvre de Darwin. Cependant, la grande distinction opérée par Darwin entre sélection naturelle et sélection sexuelle  [2]  représente la base théorique majeure dans cette nouvelle manière de voir. Elle a permis de comprendre un point capital : tous les caractères d’un organisme ne sont pas tous sélectionnés parce qu’ils œuvrent pour la survie et le bien-être des organismes. Darwin avait mis en évidence que les caractères  [3]  exprimés différemment chez les mâles et les femelles – réunis sous le terme « dimorphismes sexuels » – sont souvent sélectionnés par le fait qu’ils augmentent strictement le « succès reproducteur », comme disent les sciences de l’évolution actuelles, tout en ayant un effet négatif sur la survie des individus. Il est ainsi possible de dire que de tels caractères entrent « en conflit  [4]  » avec les caractères sélectionnés par sélection naturelle.

    L’analyse des coûts résultant de ce type d’adaptations représente un important champ d’investigation en biologie évolutive à l’heure actuelle. En écologie comportementale [5] , des études ont confirmé les intuitions de Darwin en prouvant que le plumage voyant ou les longues queues de certains oiseaux mâles représentent pour ces mâles un désavantage de survie, même si elles montrent que les gènes codant pour ces caractéristiques y ont un « avantage ». Pour ce qui est des dimorphismes sexuels de taille corporelle, des études récentes ont mis en évidence, par exemple, que la grande taille des mâles à un coût en termes de succès reproductif des femelles chez la drosophile [6] .

    Un écart significatif de stature entre la moyenne du groupe des hommes et la moyenne du groupe des femmes existe dans l’espèce humaine : le degré de ce « dimorphisme sexuel de la stature » (DSS, pour abréger) varie lui-même légèrement suivant les populations [7] . Aucun biologiste, jusqu’à présent, n’a soutenu que le DSS pouvait avoir un coût dans l’espèce humaine. Je propose ici de montrer à la fois en quoi une petite taille est coûteuse pour les femmes et d’explorer les raisons pour lesquelles ce phénomène n’a pas eu la résonance qu’il aurait dû avoir dans le champ d’étude du DSS. Dans la première partie de ce chapitre, j’aborde les principaux modèles d’explication des dimorphismes sexuels de taille corporelle. Dans la deuxième partie, je propose un rapide état de la question en ce qui concerne l’espèce humaine. En troisième partie, je synthétise ce que j’appelle ici « l’hypothèse manquante », que j’ai exposée récemment [8] . Dans la quatrième partie, je reprends une hypothèse récente d’explication du dimorphisme formulée par la psychologie évolutionniste pour montrer comment la question des coûts a, encore une fois, été éludée.

    1 - Quelques repères théoriques sur les dimorphismes de taille corporelle

    La fréquence d’une différenciation de taille entre mâles et femelles dans le monde vivant montre que la potentialité d’une différenciation sur ce critère est répandue, même si les mécanismes génétiques impliqués sont encore mal compris [9] . La variabilité est aussi très grande suivant les espèces ; quoi qu’il en soit, les mâles ne sont pas automatiquement grands parce que ce sont des mâles et les femelles petites parce que ce sont des femelles ! Pour la majorité des espèces qui vivent aujourd’hui sur Terre, les femelles sont en majorité plus grandes que les mâles [10] . Chez les mammifères, c’est en général l’inverse. Mais n’oublions pas que si on arrive à distinguer un mâle d’une femelle à partir de la taille corporelle chez les babouins, on n’arrive pas à distinguer un cheval d’une jument, un chien d’une chienne, ou plus près de nous, dans l’ordre des primates, un gibbon cendré mâle d’un gibbon cendré femelle (Hylobates moloch). Chez un certain nombre de mammifères, par exemple les baleines bleues (Balenoptera musculus)ou les lapins (Oryctolagus cuniculus), les femelles sont plus grandes que les mâles [11] .

    1.1 - Pourquoi une approche adaptative ?

    L’approche adaptative essaye d’identifier les facteurs à l’origine de pressions de sélection créatrices de dimorphismes sexuels. Comme pour toute analyse adaptative, les biologistes cherchent à mesurer si les individus porteurs du caractère étudié laissent plus de descendants que les autres, du fait de ce caractère. Le cadre méthodologique dans lequel doit se dérouler cette analyse a été clairement théorisé : « Le degré de dimorphisme sexuel de taille corporelle dans une espèce de mammifères est le résultat de la différence entre la somme de toutes les pressions de sélection qui affectent la taille des femelles et de toutes celles qui affectent la taille des mâles [12]  ». Cette proposition revient à identifier « la direction de l’évolution [13]  ». Dans le cas d’un dimorphisme sexuel où les mâles sont plus gros que les femelles, les mêmes auteurs font bien remarquer qu’une augmentation de la taille des mâles ou une diminution de la taille des femelles peut produire le même résultat.

    1.2 - Le modèle explicatif classique : des mâles qui augmentent de taille

    Le modèle le plus ancien, formulé par Darwin en 1871, explique l’augmentation de la taille des mâles dans les espèces mammifères dimorphes par la sélection liée au sexe, c’est-à-dire par des sélections s’exerçant exclusivement sur les mâles. L’éléphant de mer (Mirounga angustrinostris) est une espèce chez laquelle, par exemple, il a été bien établi que la taille constitue effectivement un « avantage » dans les comportements de compétition sexuelle des mâles. Les mâles les plus gros obtiennent de copuler avec un plus grand nombre de femelles et ont, de ce fait, une descendance plus importante que les mâles plus petits. Une grande taille est donc considérée comme avantageuse chez les mâles, puisqu’elle est sélectionnée. Mais si ce trait augmente le nombre de descendants des individus qui le portent, il n’avantage pas ces individus eux-mêmes, dans le sens où les grands mâles ne survivent pas mieux – et même souvent moins bien – que les mâles plus petits. Ce type d’adaptations obéit à la logique – mise en évidence par les théoriciens de l’évolution – selon laquelle tout caractère qui induit un individu à se reproduire plus que les autres est automatiquement sélectionné. Le modèle de l’augmentation de la taille des mâles témoigne ainsi parfaitement de la course aveugle à la procréation qui caractérise, de manière globale, le monde vivant. Chez M. angustrinostris, comme chez bien d’autres espèces, les mâles payent ces adaptations du prix d’une vie raccourcie, jalonnée de blessures et de handicaps, adaptations dont les femelles et les petits font aussi fréquemment les frais.

    1.3 - Un modèle récent : des femelles qui diminuent de taille

    Depuis le début des années 1980, un certain nombre de théoriciens ont commencé à montrer de quelle manière des pressions de sélection peuvent s’exercer aussi sur la taille des femelles. Les grands mâles ne sont pas forcément le produit d’une sélection sur la taille des mâles, même si ce modèle a dominé pendant longtemps : « Des sélections sur les femelles peuvent aussi créer des grands mâles. [14]  » Partout où les pressions sélectives sur les femelles sont plus fortes que sur les mâles dans le sens d’une diminution de la taille, les mâles diminueront aussi de taille, mais ils resteront plus grands. La nutrition est aujourd’hui au cœur de ce modèle explicatif.

    Le modèle de la diminution de la taille des femelles constitue un paradoxe théorique, même s’il n’est pas toujours identifié comme tel par les biologistes de l’évolution. En effet, en théorie, il serait toujours avantageux pour les femelles d’être grandes aussi chez les mammifères, en rapport à l’investissement considérable qu’ils fournissent dans la procréation. C’est l’hypothèse dite « de la grande mère » : en effet, « les mères de grande taille arrivent à produire plus de petits survivants, elles produisent des petits qui ont de meilleures chances de survie, elles peuvent mieux les porter, les protéger et assurer leur survie [15]  ».

    Des ressources limitées seraient le facteur sélectif permettant d’expliquer le dimorphisme par réduction de la taille des femelles dans de nombreuses espèces [16] . Les ressources représentent une contrainte sur la taille des mammifères femelles plus importante que sur les mâles qui, ne portant ni n’allaitant les petits, sont censés avoir de moindres besoins énergétiques et surtout protéiques. Les espèces où les femelles sont aussi grandes que les mâles sont aussi celles où les femelles ont la priorité sur la nourriture, comme par exemple chez les primates indris (Indri indri) de Madagascar. Si les femelles n’atteignent pas au moins la taille des mâles de leur espèce, c’est que les variants de grande taille, qui auraient en théorie un avantage de type reproductif, ont été contre-sélectionnés du fait de l’impossibilité de maintenir un grand corps dans des conditions énergétiques sub-optimales.

    2 - L’état de la question pour l’espèce humaine

    Plusieurs hypothèses font consensus à l’heure actuelle dans les manuels de biologie. Pour faibles qu’elles soient, elles se renforcent mutuellement et ont, à mon sens, réussi à freiner – sinon à bloquer – l’investigation sur le DSS depuis une quarantaine d’années. Un constat récent est que le DSS dans notre propre lignée est une véritable énigme [17] , mais cette position honnête n’est pas, loin s’en faut, celle que l’on trouve dans les manuels d’évolution et la littérature de vulgarisation.

    2.1 - L’hypothèse jamais testée du lien entre stature et combat physique entre hommes

    L’explication proposée originellement est que les pressions de sélection s’exercent sur les hommes à travers le même mécanisme de compétition que pour les éléphants de mer. Dans cette hypothèse, l’existence d’un DSS dans l’espèce humaine serait la preuve que la taille corporelle joue dans le monopole reproducteur que certains hommes ont sur d’autres : « Il est important pour un mâle d’être gros, car ce sont généralement les mâles les plus gros qui sortent vainqueurs des combats. L’espèce humaine, avec ses mâles légèrement plus grands que ses femelles, se conforme à cette règle. […] La polygynie modérée de l’espèce humaine imprime sa marque à certaines de nos caractéristiques anatomiques. [18]  » Cette idée, qui remonte à Darwin, a été reprise par la sociobiologie humaine [19] . Elle a été critiquée au motif que la polygynie – le fait que seuls certains hommes contribuent au pool génétique d’une population – ne constitue pas une explication en soi de la sélection pour une grande stature [20] . En effet, aucune étude n’a jamais apporté la preuve que les hommes les plus grands laissent plus d’enfants parce qu’ils excluent du marché matrimonial les hommes petits à la suite de combats singuliers.

    2.2 - L’hypothèse génétiquement improbable d’un « héritage évolutif »

    Comme il est en effet très improbable que la stature joue aujourd’hui dans la variance du succès reproductif des hommes à travers des combats au corps à corps, certains auteurs ont proposé que les différences sexuées de stature sont « un héritage évolutif » d’un temps où les hommes se seraient supposément battus entre eux pour obtenir le plus de femmes possibles, idée qui avait déjà été émise par Darwin. Cette hypothèse implique, pour la biologie évolutive actuelle, que les sélections auraient épuisé la variabilité génétique et que le DSS serait donc aujourd’hui « fixé [21]  ». Il s’agit là d’une affirmation contre-intuitive du point de vue des modèles d’évolution existants. Elle dispense, en fait, de rechercher quelles pourraient être les pressions de sélection actuelles s’exerçant sur la différenciation de la stature. Tous les biologistes qui tentent de donner une signification évolutive aux dimorphismes sexuels essayent d’identifier les pressions de sélection dans le présent [22] . Aucun biologiste de l’évolution ne peut jamais prouver expérimentalement la valeur adaptative d’un caractère dans le passé, parce qu’il n’a simplement pas les moyens de le tester.

    Même les critiques les plus virulentes du « programme adaptationniste [23]  » disent qu’il faut commencer par voir si les caractères que l’on observe possèdent une valeur sélective avant de s’autoriser à dire le contraire. Ce qui est troublant dans ces histoires « d’héritage évolutif », c’est que des chercheurs qui passent leur temps à construire des scénarios adaptatifs (en sociobiologie humaine notamment) ont pu renoncer à une analyse adaptative précisément sur la question des caractères sexués, comme si dans ce cas, on ne voulait surtout pas essayer de chercher quelles pouvaient être les forces qui, toujours aujourd’hui, seraient capable de créer du DSS. Comme s’il ne fallait pas « toucher » aux différences sexuées et rendre visibles les mécanismes capables de les modifier au cours de l’évolution humaine. Cela expliquerait, pour une part, l’absence d’hypothèses alternatives pour l’espèce humaine.

    2.3 - L’hypothèse curarisante d’une « réduction » du dimorphisme sexuel

    La paléoanthropologie a soutenu, de son côté, que la lignée Homo se caractérise – outre l’augmentation de la stature – par une « réduction » du DSS [24] . L’usage de la notion de réduction part d’un postulat : notre espèce descendrait d’une lignée sexuellement très dimorphe. Ce postulat repose lui-même sur l’idée que les gorilles – espèce parmi les plus dimorphes des primates – sont les plus proches d’Homo sapiens d’un point de vue phylogénétique. Cette vision des choses a été d’une certaine manière entretenue et renforcée par des décennies de pratique paléoanthropologique, la tendance étant d’estimer le sexe des fossiles les plus robustes comme étant des mâles et les plus graciles comme étant des femelles. Aujourd’hui, la biologie moléculaire et l’analyse cladistique indiquent que les chimpanzés sont l’espèce la plus proche phylogénétiquement de l’espèce humaine. Or, les chimpanzés ont un degré de dimorphisme comparable au nôtre. Il devient, à ce stade, de plus en plus difficile de soutenir l’idée d’une « réduction » du DSS dans la lignée Homo, surtout si tous les autres hominines [25]  (disparus) avec lesquels Homo sapiens est censé partager un ancêtre commun étaient peu dimorphes, phénomène impossible à déterminer étant donné la rareté des ossements fossiles découverts à ce jour et le manque de fiabilité des méthodes actuelles d’estimation du sexe. Avoir interprété le DSS comme le fruit d’une réduction a en fait empêché d’analyser le phénomène au même titre qu’il l’est dans le champ de la biologie évolutive pour les autres espèces ; le concept même a paralysé toute investigation possible.

    L’explication la plus consensuelle à l’heure actuelle pour « la réduction du dimorphisme » est l’augmentation de la stature globale du genre Homo par des pressions de sélection sur les femelles [26] . Se défaire de la notion de réduction permettrait de déplacer l’interrogation initiale : au lieu de chercher à expliquer pourquoi les Homo sont « aussi peu dimorphes », il s’agirait plutôt de comprendre pourquoi ils ont maintenu un dimorphisme malgré des pressions de sélection qui auraient dû, en théorie, rendre l’espèce monomorphe, ou donner un dimorphisme biaisé sur les femelles, comme je vais tenter de l’expliciter maintenant.

    3 - L’hypothèse manquante : diminution de la taille des femmes sous l’effet d’inégalités nutritionnelles

    L’Organisation mondiale de la santé avance le chiffre de six millions d’accouchements dystociques par an dans le monde – estimation, du propre dire de cette organisation, très en deçà de la réalité [27] . Les dystocies osseuses, qui témoignent des difficultés de passage du fœtus par le canal pelvien, ont pour conséquence la mort, et plus fréquemment encore, de graves handicaps, comme les fistules ou la paralysie des membres inférieurs. On sait par une abondante littérature médicale – et ce fait est étonnamment peu connu – que les individus les plus petits dans une population (quelle que soit la stature moyenne d’une population) sont les premiers concernés par les dystocies osseuses lors de l’accouchement [28]  ; ces dystocies majorent le risque d’hémorragie et d’infections qui sont parmi les premières causes de mortalité maternelle. Une petite taille serait aussi un facteur de risque dans une des complications majeures de l’accouchement : l’éclampsie [29] . Rares sont les chercheurs [30]  qui ont songé à mettre en rapport l’existence de cette « tragédie obstétrique [31]  » avec le DSS.

    3.1 - Pourquoi les femmes ne sont-elles pas plus grandes que les hommes ?

    Le schéma général proposé pour les femelles mammifères est valable pour les femmes dans l’espèce humaine : « D’un point de vue évolutif, les mères humaines, comme les autres mammifères, sont censées maximiser leur succès reproductif en délivrant des enfants avec un poids du corps optimal [32]  ». Là aussi, plus grande est la mère, plus le fœtus a des chances d’avoir un poids de corps optimal. Un grand nombre d’études ont mis en évidence à quel point le succès reproducteur des femmes augmente avec la stature de la mère [33] . Une étude menée en Gambie montre qu’il existe un effet protecteur de la stature de la mère sur la survie des enfants. Cet effet est linéaire et il est considérable, puisqu’il représente une chute de la mortalité infantile de 2 % pour chaque centimètre supplémentaire chez la mère [34] . En réalité, les femmes ont, par rapport aux autres femelles mammifères, une autre très bonne raison d’être grandes du point de vue de la procréation.

    La bipédie permanente, caractéristique des hominines a eu, comme le montre la paléoanthropologie, un impact majeur sur une partie cruciale de notre anatomie osseuse – le bassin – et sur ses implications obstétriques. Du fait de la compression mécanique exercée par le poids du corps et des viscères, celui-ci a subi, en même temps qu’un élargissement transversal, un raccourcissement sagittal responsable d’une étroitesse accrue du canal osseux d’accouchement [35] . Même en prenant en compte le fait que le fœtus humain naît « prématuré », le passage du fœtus chez Homo demeure une entreprise infiniment plus problématique que pour les autres primates, à tel point que la réduction du bassin a été désignée comme une des « failles de l’évolution humaine [36]  ». Il signe une mortalité maternelle quasi inédite chez les mammifères placentaires. En effet, le bassin, originellement adapté à la bipédie (et non à la parturition), ne peut pas « s’élargir plus » du fait qu’il est déjà en compression maximale [37] .

    La solution à ce problème aurait été que la stature de notre espèce augmente, ce qui apparemment a eu lieu très tôt dans l’apparition du genre Homo[38] . Cette évolution aurait été induite par les femelles, pour des raisons entièrement obstétriques. Il est en effet reconnu que « les femmes grandes ont de plus grands bassins que les femmes petites [39]  », ce qui leur permet donc un accouchement moins problématique (le diamètre céphalique du fœtus ne croît pas proportionnellement à la taille de la mère, ce qui fait qu’une femme grande aura toujours un enfant un peu moins gros pour sa taille qu’une femme de petite taille).

    Seulement, si l’on suit cette logique évolutive, les femmes devraient aujourd’hui être aussi grandes – sinon plus grandes – que les hommes, et ce bien sûr du fait que les pressions de sélection s’exerçaient d’abord sur elles et non sur les hommes et du fait que ces pressions ont évidemment dû être constantes jusqu’à l’apparition très récente de techniques chirurgicales (dont ne profitent aujourd’hui que les femmes des pays riches). Si, dans les populations humaines, les femmes sont partout plus petites que les hommes – même en supposant que le DSS a une potentialité d’évolution très lente –, une question évidente s’impose. Quelles ont pu être les pressions sélectives au cours de l’histoire qui ont empêché le DSS de s’inverser ?

    3.2 - « Ressources limitées » ou politiques alimentaires d’inégalité ?

    Dans le cas des sociétés humaines, où l’alimentation peut devenir la « plus puissante arme de coercition qui soit [40]  », les ressources ne sont jamais simplement « limitées ». Une des hypothèses sélectives les plus raisonnables est que les femmes ont eu à subir des limitations nutritionnelles plus sévères que les hommes [41] . Il faut, pour cela, que les déficits nutritionnels aient été chroniques et non seulement saisonniers, puisque c’est seulement quand les déficits deviennent chroniques que les petits individus survivent mieux que les plus grands [42] .

    Quand on lit la littérature ethnologique par exemple, on est frappé d’apprendre que ce sont les femmes, en général avec les individus les plus dominés socialement (enfants, esclaves, etc.) qui, dans pratiquement toutes les cultures, ont un accès limité aux ressources alimentaires. Les femmes travaillent généralement plus dur que les hommes (en plus de la charge de procréation), ce que notait déjà Darwin. Elle récoltent et traitent les végétaux à grands frais (de temps et d’énergie) pour fournir à elles-mêmes, aux enfants et aux hommes toute la part glucidique de l’alimentation. En retour pèse sur elles un interdit au sens fort (sauf chez les Agta des Philippines et quelques autres) : elles n’apprendront jamais à se servir des armes qui leur donneraient les moyens d’acquérir le gros de l’alimentation protéinique [43] . Ce monopole des hommes dans l’acquisition des aliments de haute valeur nutritive a une conséquence : la viande est avant tout une denrée prestigieuse de partage et d’échange entre hommes [44] . Ce statut de la viande doit d’ailleurs être interprété en regard des innombrables tabous sur les protéines dont les femmes, et particulièrement les femmes enceintes et qui allaitent, sont la cible [45] . Or ce sont surtout des protéines dont les femmes ont besoin pour la procréation, comme toutes les autres femelles mammifères. Les comptes rendus trouvés dans les textes ethnographiques évoquent parfois de manière saisissante la non-priorité des femmes dans l’accès aux protéines. Par exemple, les Chukchee de Sibérie ont une formule : « Si vous êtes une femme, vous mangez les miettes. [46]  » Ces inégalités alimentaires sont une modalité d’un système de catégorisation obligatoire dont la signification première est de générer de l’inégalité : les « régimes de genre [47]  ».

    Les inégalités nutritionnelles placeraient les femmes sur une terrible corde raide évolutive : d’un côté, pressions de sélection naturelle pour une grande stature en rapport à l’obstétrique, de l’autre, contre-sélection sociale des variations de grande stature par déficits alimentaires chroniques. Les coûts dus à ce conflit ne sont pas analysés par l’écologie comportementale humaine, empêchant donc de proposer que le DSS ait pu évoluer plus par contrainte négative sur l’augmentation de la taille des femmes que par pressions positives sur la taille des hommes. Dans cette hypothèse, qui est certainement la plus raisonnable que l’on puisse formuler à l’heure actuelle, les hommes sont plus grands que les femmes uniquement parce que les variants de grande taille parmi les femmes auraient été contre-sélectionnés. Le fait que le DSS soit « moins prononcé » dans notre espèce ne serait donc pas l’indice d’une « polygynie modérée », il serait la signature de ce conflit de sélections antagonistes, la stature maternelle ne pouvant pas être réduite en deçà du seuil où elle devient véritablement létale pour une majorité de femmes dans la reproduction.

    4 - L’hypothèse récente : une sélection par choix de partenaire dans les sociétés occidentales

    Dans les pays occidentaux où la césarienne s’est démocratisée, les femmes ne payent plus de leur vie le coût reproductif d’une petite taille. La comparaison du degré de dimorphisme dans plusieurs populations réparties sur la planète révèle que les sociétés occidentales ont un degré de dimorphisme plus accentué que la majorité des populations humaines [48] . Le phénomène pourrait être en partie expliqué – suivant en cela une supposition récente [49]  – comme étant le reflet d’un simple biais statistique : si les femmes de très petite taille survivent à l’accouchement, la moyenne de la stature des femmes dans les populations occidentales est de ce fait abaissée. Cependant, si une grande taille n’est pas non plus contre-sélectionnée chez les femmes par des pénuries alimentaires chroniques, le degré de dimorphisme devrait quand même, en théorie, apparaître réduit dans les statistiques du fait de la présence de femmes de grande taille. Le phénomène de la médicalisation de l’accouchement, comme celui de l’absence de carences nutritionnelles, sont bien évidemment trop récents pour que l’on puisse en déceler les effets. Cependant, si on en croit des recherches récentes, la réduction et/ou la disparition du dimorphisme sexuel par relaxation des pressions de sélection et par augmentation concomitante de la variabilité intrasexuelle ont peu de chances de représenter l’horizon morphologique des sociétés occidentales.

    4.1 - Les hommes grands et les femmes petites ont plus d’enfants : des preuves de sélection

    Dans nos sociétés, une forme de sélection sexuelle du DSS par « choix de partenaire » serait-elle à l’œuvre ? Darwin avait étonnamment négligé la question [50] . Plusieurs études ont établi récemment que, dans nos sociétés, les hommes plus grands que la moyenne ont plus d’enfants [51] . Une étude établit également que les femmes plus petites que la moyenne ont plus d’enfants [52] . Pour cette dernière étude, les « préférences » opposées que les hommes et les femmes font sur la base d’un critère physique comme la stature constituent des pressions de sélection disruptives qui maintiennent le DSS dans nos sociétés. Ces conclusions sont tout à fait convaincantes. Elles le sont d’autant plus qu’elles corroborent un nombre croissant d’études en psychologie sociale [53]  et en socio-démographie [54]  qui, de leur côté, mettent en évidence la force des idéologies qui aboutissent à une discrimination des hommes petits et des femmes grandes sur le marché matrimonial.

    En revanche, le cadre interprétatif de cette explication du DSS – typique de la psychologie évolutionniste, ou « évopsy » [55]  – est déplorable. Il perd totalement de vue l’esprit du modèle de sélection sexuelle proposé par Darwin et aboutit à éluder la question des coûts théoriques de ces sélections avec une malhonnêteté scientifique saisissante. Nous allons voir ici de quelle manière, en détaillant les mécanismes invoqués.

    4.2 - Du côté du « choix des femmes »

    La sélection intersexuelle est pratiquement synonyme de « choix des femelles » dans les modèles de biologie évolutive. Le fait que les femmes disent, de manière récurrente dans les sociétés occidentales, avoir une préférence pour les hommes grands (au-delà de 1,80 m) et ce, indépendamment de leur propre taille, a focalisé les interprétations des psychologues évolutionnistes. On sait aujourd’hui par la sociologie que les hommes de petite taille ont moins accès à des postes de responsabilité et ont donc un pouvoir économique globalement inférieur aux hommes de grande taille [56] . Les explications classiques de l’évopsy sont que les femmes « choisissent » préférentiellement les hommes en fonction de leurs ressources [57] , et ce dans un contexte où les hommes se livrent entre eux à une compétition sur les ressources, les monopolisant pour contrôler les femmes, leur sexualité et leur travail. « Le contrôle des ressources par les hommes contraint le choix des femmes. [58]  » Si une grande taille constitue un « signal » dans une compétition économique entre les hommes [59] , le modèle qui propose que les femmes « choisissent » les hommes de grande taille ne démontre pas qu’il s’agisse, à proprement parler, d’un choix portant sur la taille.

    Il est prouvé que la taille du père joue, pour une part, dans la taille du fœtus et que les risques à l’accouchement augmentent proportionnellement à la taille du géniteur [60] . Il faudrait alors dire – ce que l’évopsy ne fait pas – que le modèle débouche sur un dilemme évolutif, les femmes étant obligées de choisir la solution qui laisse entrevoir le plus de bénéfices apparents. Car, en l’absence du biais sur les ressources, elles devraient (toutes proportions gardées) se battre non pour des hommes grands, mais pour les hommes petits, ce qui serait le moins coûteux pour elles en termes obstétriques ! Si une vraie comparaison avec le modèle classique de choix des femelles était faite, l’interprétation devrait être inversée. Si les femmes préfèrent les hommes grands, elles ne font pas payer un coût à leurs descendants mâles comme dans le cas du modèle darwinien de sélection sexuelle : elles font ici payer, en théorie, un coût à elles-mêmes. Le choix des femmes n’est pas l’équivalent du choix des paonnes. Cette interprétation, singulièrement heuristique pour le modèle de sélection sexuelle, reste pour l’évopsy lettre morte.

    4.3 - Du côté du « choix des hommes »

    L’analyse de la sélection intersexuelle s’est focalisée depuis Darwin sur le choix des femelles chez les oiseaux. « Il est cependant des cas exceptionnels où ce sont les mâles qui choisissent au lieu d’être ceux qui sont choisis », écrivait Darwin, qui visait spécifiquement par cette phrase l’espèce humaine. Darwin reliait explicitement le choix des hommes pour des femmes possédant telle ou telle caractéristique au fait que les hommes maintiennent les femmes « dans un état de servitude bien plus abject que ne le fait le mâle de tout autre animal [61]  ». L’évopsy actuelle repose sur la prémisse théorique suivante : les caractères physiques « préférés » par les hommes chez leurs partenaires féminines sont optimaux pour les femmes elles-mêmes en termes de reproduction. Cette idée est loin de ce que Darwin semblait vouloir conceptualiser. Pour l’évopsy, les caractéristiques que les hommes trouvent attirantes chez les femmes sont celles qui indiquent une valeur reproductive supérieure des femmes. Le « cerveau masculin » aurait été « formaté » – par exemple – pour être attiré par un certain rapport taille/hanche, ce qui aurait indiqué des réserves graisseuses suffisantes pour mener à bien une grossesse, ou encore pour être attiré par les femmes jeunes, la jeunesse signalant une période de fertilité maximale [62] . « L’attirance des hommes » pour des partenaires sexuels sur la base d’« indices de fertilité » implique non seulement ici que les femmes préférées laissent plus d’enfants, mais que les hommes choisissent les femmes qui sont capables d’avoir le plus d’enfants [63] . Les préférences des hommes, dans ce sens, ne feraient rien d’autre que renforcer l’action de la sélection naturelle. Certains théoriciens de l’évolution qui ont pensé la sélection sexuelle à l’aune de la sélection naturelle, comme Zahavi ou Hamilton, n’ont jamais prétendu que la queue voyante des paons pouvaient avoir émergé par l’action de la sélection naturelle [64] . Aucun de ces théoriciens n’a remis en cause que ces caractères représentaient en eux-mêmes un handicap en termes de survie pour leurs porteurs.

    En ce qui concerne l’existence de « préférences » des hommes pour des femmes de petite taille, les auteurs auraient dû rendre visible un important paradoxe. En effet, si les enfants de mères grandes ont de meilleures chances de survie, si les femmes petites courent plus de risques à l’accouchement, et si la taille du père joue dans la taille du fœtus, les hommes auraient, contrairement à ce qu’on observe, un « intérêt reproductif » à choisir des femmes qui sont les plus grandes possibles pour maximiser leur propre succès reproducteur. Or, cette proposition, à laquelle on pouvait s’attendre en raison de la littérature existante, et qui aurait été particulièrement marquante dans le débat sur la sélection sexuelle, est comme boycottée. Mueller & Mazur [65]  soutiennent que les difficultés obstétriques ne sont pas reliées à la taille des femmes, à partir d’une seule référence. Ils passent donc sous silence la masse de publications qui, depuis une trentaine d’années, s’est peu à peu accumulée pour prouver, justement, le contraire. Nettle [66] , de son côté, dit que si les hommes délaissent les femmes grandes c’est parce qu’ils n’ont pas de raison évolutive de les choisir, une grande taille n’étant pas un « indicateur de fertilité » pour les hommes. Nettle ne va pas jusqu’à soutenir que les hommes choisissent les femmes petites parce qu’une petite taille est un indice de fertilité ; il inverse la proposition en disant que si les femmes grandes n’intéressent pas les hommes, c’est qu’une grande taille n’est pas un indice de fertilité. De manière assez insolite – est-ce poussé par les publications critiques émanant de l’écologie comportementale humaine ? –, Nettle a écrit récemment, dans une étude menée par un des ses étudiants, le contraire de ce qu’il formulait six ans plus tôt. L’étude, qui porte sur une population du Guatemala, confirme qu’une grande taille est (en effet), pour les femmes, un caractère indiquant la capacité à se reproduire avec succès [67] . Force est de constater que Nettle ne vient pas, avec cette étude, corriger ce qu’il alléguait dans son article de 2002, à savoir qu’une grande taille pour les femmes est sans signification évolutive. Ses travaux de 2008 désavouent par là même l’interprétation du DSS qu’il proposait en 2002, mais ce point n’est en aucune manière explicité. Comment appréhender cette singulière politique de l’autruche épistémique ?

    Comme je l’ai dit au début de cette section, les femmes occidentales ne payent plus les coûts obstétriques d’une petite taille. Si les psychologues évolutionnistes ne raisonnaient pas de la façon dont ils raisonnent, on s’apprêterait à leur faire un mauvais procès. Mais il ne faut pas oublier à quoi conduit leur hypothèse de travail : le fait qu’une grande taille ne soit pas un « indice de fertilité » ne peut en aucun cas, dans leur perspective, représenter un phénomène récent. L’évopsy sous-entend, de plus, que des traits de comportement sélectionnés au Pléistocène peuvent se révéler maladaptés aux environnements actuels. Paradoxalement, nous aurions donc affaire à un trait de comportement qui aurait été maladaptatif dans le passé et qui se révèle neutre dans les sociétés actuelles… Un tel constat s’oppose purement et simplement à l’hypothèse de travail princeps de l’évopsy.

    Dans la théorie classique de la sélection sexuelle par choix de partenaire, les caractères sélectionnés le sont pour une raison qui n’a rien à voir avec le fait que ces caractères sont la cause de la fécondité des mâles, puisque c’est le fait même que ces caractères soient préférés qui les constituent en « indice de fertilité » ! Or, si les hommes choisissent un trait physique qui est coûteux pour les femmes, on rejoint précisément la problématique classique de la sélection sexuelle. La préférence des hommes est arbitraire (du point de vue reproductif) et elle est coûteuse. La question qui devrait se poser aux biologistes évolutionnistes est donc, à partir de là, de savoir comment elle est maintenue. Il est, pour le coup, très intriguant qu’aucun auteur n’ait fait ressortir la question des coûts du DSS. Que les oiseaux femelles « choisissent » des traits qui réduisent l’espérance de vie des mâles est une idée bien admise et qui a mobilisé l’énergie de tous les théoriciens de la sélection sexuelle. En revanche, l’idée – exactement parallèle – que les hommes ont des préférences qui réduisent théoriquement l’espérance de vie des femmes fait, comme on vient de le voir, l’objet d’une résistance suspecte.

    4.4 - L’épineuse question de l’héritabilité des préférences

    Comment se créent les dimorphismes de couleur du plumage par exemple ? Si un plumage extravagant est coûteux pour les mâles, cette variation n’a aucune chance de se diffuser par sélection naturelle. Pour qu’une telle variation se diffuse dans la population, il faut qu’elle soit sélectionnée par « la préférence » particulière des femelles à copuler avec des mâles à plumages voyants. L’important, dans l’histoire, c’est que « la préférence » soit elle-même sélectionnable : elle doit donc être héritable et transmises aux filles de ces femelles. Une héritabilité des préférences au niveau du cerveau des femelles est donc la condition d’évolution du plumage voyant des mâles [68] .

    En ce qui concerne la « sélectionnabilité » des « préférences » qui produisent le DSS, les sciences de l’évolution proposent deux modèles, qui s’opposent justement sur l’épineuse question du déterminisme génétique. L’un est celui de l’évopsy, l’autre est celui de l’écologie comportementale humaine (ECH). L’un comme l’autre sont problématiques.

    Si, comme le postulent les tenants de l’évopsy, les préférences des femmes pour une grande taille et des hommes pour une petite taille ont été sélectionnées à un moment de l’histoire de l’espèce et qu’elles sont aujourd’hui fixées, il faudrait admettre qu’elles ont été sélectionnées malgré le fait qu’elles représentaient un handicap pour les femmes. Si des auteurs comme Nettle occultent les données existantes pour conjurer cette conclusion, c’est qu’une telle interprétation remettrait en question le paradigme même de l’évopsy. Celui-ci implique, de plus, que les hommes devraient manifester ces mêmes préférences dans toutes les cultures, puisqu’elles ont été sélectionnées dans un passé reculé.

    Des chercheurs en ECH se sont opposés aux interprétations de Nettle en disant qu’il est très improbable que les hommes choisissent des femmes de petite taille dans toutes les cultures. Leurs études sont en effet récemment venues grossir la littérature montrant qu’une grande taille représente un avantage reproductif pour les femmes [69] . L’ECH a aussi testé cette préférence des hommes pour les femmes petites dans une population non occidentale, prouvant qu’elle n’existe pas dans toutes les populations humaines [70] . Mais cette branche de l’écologie comportementale qui travaille sur l’humain n’a pas, contrairement à l’évopsy, le postulat d’une héritabilité génétique des comportements. Ses prémisses théoriques sont les suivantes : le cerveau humain possède une flexibilité comportementale qui lui permet d’adopter, via la culture, les solutions qui maximisent le succès reproductif en toute circonstance. Les conclusions de cette approche sont claires : dans les sociétés où choisir un homme de grande taille pour une femme est coûteux, ces pratiques ne peuvent pas exister. En revanche, celles-ci peuvent exister dans les sociétés occidentales où ces choix ne sont plus coûteux. Le gros problème avec cette approche est qu’elle empêche, là encore, de saisir que la signification adaptative du DSS est d’être théoriquement coûteuse. Elle empêche de mettre en évidence le conflit au cœur même du processus de sélection et échoue à rendre intelligibles des théorisations novatrices qui, suivant les intuitions de Darwin, montrent l’intérêt d’une distinction entre sélection naturelle et sélection sexuelle.

    4.5 - Les hommes « doivent » être plus grands que les femmes : le pouvoir d’une idée

    Quel est vraiment l’agent de sélection du DSS dans une hypothèse de sélection sexuelle ? La logique de diffusion d’une pratique culturelle ne peut pas être de favoriser le succès reproducteur de quelques individus, puisque qu’elle ne se transmet pas d’un individu à ses descendants : elle tire sa puissance de diffusion de la dépendance qu’elle entretient avec un système de pensée. Le système de pensée qui classe les individus en catégories homme/femme pour créer de l’inégalité sociale s’appelle en sciences sociales, comme on l’a vu plus haut, « le genre ». Darwin tenait le bon fil quand il écrivait que l’état de servitude dans laquelle les femmes sont maintenues permet de saisir l’action de la sélection sexuelle dans notre espèce [71] . Les choix de partenaires sont guidés par un régime social qui donne sens aux décisions individuelles et non l’inverse.

    Le principe selon lequel les personnes ont des organes génitaux différents et doivent être reconnaissables sur cette base en toute circonstance par leur apparence globale est le fondement même des régimes de genre propres aux sociétés occidentales. Tout est mis en œuvre pour que les hommes et les femmes soient au premier regard différenciables : coupe de cheveux, habillement, présence/absence de maquillage, etc. Les caractères du phénotype comme la pilosité, la musculature, la structure osseuse, les seins, etc., sont autant d’indices mobilisés dans cette entreprise. La stature, parmi tous ces caractères phénotypiques, et malgré sa grande variabilité, est un caractère clé. La haute taille fait partie de l’attirail phénotypique du masculin : elle est « une condition nécessaire, un trait central de la masculinité [72]  ». Elle est, de plus, le marqueur de la supériorité physique affirmée des hommes sur les femmes. Le malaise (exprimé par les individus des deux sexes) à l’idée ou à la vue d’un couple où la femme est plus grande que l’homme se situe en général, et comme il est prévisible, sur le registre des rapports de domination. Dans l’iconographie des sociétés occidentales, qu’il s’agisse d’art ou de publicité, toutes les représentations d’un homme et d’une femme debout côte à côte représentent toujours l’homme plus grand que la femme. Quand un homme est représenté au bras d’une femme plus grande, c’est dans un contexte qui désigne soit l’exception, soit la caricature. Tout ceci indique que notre idée du DSS est moins descriptive que normative.

    « Chez les humains, il existe d’une manière presque certaine des sélections créatrices de dimorphisme sexuel dues au fait qu’un extrême recouvrement dans l’apparence entre hommes et femmes n’est pas toléré. [73]  » Cette phrase, écrite il y a une trentaine d’année par une paléoanthropologue dans une thèse non publiée, représente la piste explicative qui a été négligée. L’idée que les hommes doivent être grands et les femmes préférentiellement plus petites que leurs partenaires, ce qui entraîne donc l’exclusion des hommes les plus petits et des femmes les plus grandes du marché matrimonial comme partenaires « désirables », est capable, à elle seule, de créer un DSS. « Ce que les hommes pensent comme réel peut se révéler réel dans ses conséquences. [74]  » Cette autre formule capitale est celle d’un ethnologue qui a établi comment les ségrégations matrimoniales en matière de couleur de peau pouvaient être considérées comme seules responsables de la capacité à catégoriser des « races » dans une population insulaire de la Caraïbe. Le cadre interprétatif que je propose ici pour le DSS est du même ordre : des pratiques matrimoniales générées par la catégorisation de genre peuvent effectivement « créer » – selon le terme de Bonniol – une caractéristique biologique du sexe (l’écart relatif de stature homme/femme) sur lequel nous nous appuyons ensuite pour entretenir et justifier nos catégories discriminatives. La résistance de l’évopsy et de l’ECH à envisager le DSS au prisme des modèles existants offre au moins une conclusion pour la sociologie des sciences : ces scientifiques ne sont pas prêts à rendre problématiques les indices phénotypiques qui soutiennent, dans nos cultures, la catégorisation de genre. L’idée que les hommes « doivent être plus grands que les femmes » semble donc bien également endiguer les théorisations évolutives actuelles.

    5 - Conclusion

    Il serait essentiel de commencer à voir en quoi l’histoire de notre espèce, jusque dans sa biologie, est traversée par ce programme politique de différenciation des individus que nous appelons en sciences sociales « l’ordre du genre [75]  ». Les idées – de la même manière que les variants de comportements héritables, tout en obéissant à une autre logique – sont capables de créer une réalité biologique coûteuse. Darwin avait parfaitement cerné le problème des conséquences de la sélection sexuelle dans son analyse des dichromatismes chez les oiseaux. Si les femelles choisissent les mâles les plus colorés, ce choix augmente le succès reproducteur des mâles, mais ces caractères sont aussi coûteux pour les mâles en termes de survie. Dans le cas du DSS, les régimes de genre, par diverses voies, semblent bien créer un dimorphisme qui est (pratiquement dans certaines populations, théoriquement dans d’autres) handicapant pour les femmes, à la fois en termes de survie et en termes de « succès reproducteur ». Malgré l’existence d’impressionnants efforts de théorisation et malgré de remarquables études empiriques sur l’évolution des dimorphismes depuis une trentaine d’années, les sciences du vivant qui se focalisent sur les sociétés humaines ont manqué ce point. Participant de l’idée ordinaire selon laquelle les inégalités sociales traduisent les inégalités biologiques, elles ne se donnent pas comme programme de recherche de comprendre comment les inégalités sociales peuvent, de leur côté, créer des coûts biologiques considérables pour certains individus [76] . Dans ce sens, il ne faut pas s’étonner que l’explication du DSS dans notre espèce en soit encore à ce point « intriguant [77]  » d’inélaboration théorique.


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    Notes du chapitre

    [1] ↑  Ridley (1997), Évolution biologique , De Boeck Université, p. 296.

    [2] ↑  Darwin (1999), La filiation de l’Homme [1871], Syllepse.

    [3] ↑  Au sens de « trait ». Cf. Barriel, ce volume. (Ndd.)

    [4] ↑  Gouyon et al. (1997), Les avatars du gène. La théorie néodarwinienne de l’évolution , Belin.

    [5] ↑  Danchin et al. (2005), Écologie comportementale , Dunod.

    [6] ↑  Pitnick & Garcia-Gonzalez (2002), "Harm to females increases with male body size in Drosophila melanogaster ", Proceedings of the Royal Society of London, Series B , 269, http://pitnicklab.syr.edu/Pitnick/Publications_files/procb.2002.pdf .

    [7] ↑  Eveleth (1975), Differences between ethnic groups in sex dimorphism of adult height, Annals of Human Biology , 2 (1), http://informahealthcare.com/doi/abs/10.1080/03014467500000541 .

    [8] ↑  Touraille (2008), Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force sélective de l’adaptation biologique , Éditions de la maison des sciences de l’Homme.

    [9] ↑  Badyaev (2002), Growing apart : an ontogenetic perspective on the evolution of sexual size dimorphism, Trends in Ecology & Evolution , 17 (8), http://www.cell.com/trends/ecology-evolution/abstract/S0169-5347(02)02569-7 .

    [10] ↑  Gould (1988), chapitre « Sexe et taille », Le sourire du flamant rose , Seuil.

    [11] ↑  Ralls (1976), Mammals in which females are larger than males, The Quarterly Review of Biology , 51, http://www.jstor.org/pss/2823630 .

    [12] ↑  Ralls (1976), op. cit. , http://www.jstor.org/pss/2823630 , p. 259.

    [13] ↑  Martin et al . (1994), The evolution of sexual size dimorphism in primates, in Short & Balaban (eds), The differences between the sexes , Cambridge UP, http://www.cambridge.org/gb/knowledge/isbn/item1144313/?site_locale=en_GB .

    [14] ↑  Karubian &

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