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Le Vers Galant: Tome 1
Le Vers Galant: Tome 1
Le Vers Galant: Tome 1
Ebook290 pages4 hours

Le Vers Galant: Tome 1

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About this ebook

Geneviève et David Proust emménagent à Pickwik, un charmant petit village très loin du brouhaha de la ville et des gens pressés...

Mais entre un inventeur loufoque comme voisin, une Maire qui change de personnalité au moindre stress, un chat psychopathe et des habitants tous plus délurés les uns que les autres peut-être leur sera-t-il difficile de s’adapter à cette nouvelle vie. Surtout avec cette légende à propos d’une coccinelle, emblème de Pickwik et ardemment recherchée par le Club des Pipes : si David semble apprécier ce petit coin perdu, Geneviève, elle, se demande si le village n’est pas l’annexe d’un asile de fous...

Découvrez le premier tome de cette saga fantastique drôle et déjantée !

EXTRAIT

C’était la fin d’après-midi. Un jeudi de novembre agréablement frais où quelques feuilles tournoyaient sans pudeur dans le jardin. La maison paraissait grande et à l’abandon. Seul le marronnier, planté en plein milieu du jardin, semblait vivant malgré ses vieilles branches décrépites et fatiguées. Geneviève était émerveillée par cette promesse de tranquillité à venir. Elle qui en trente-et-un ans n’avait rien souhaité d’autre que fuir les vagues de bruits et de passants du centre-ville, pouvait enfin respirer sans craindre d’avaler au passage une bouffée tout droit sortie du pot d’échappement le plus proche.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éva Giraud possède une plume caméléon créant un roman à la fois poétique et très moderne qui ravira les jeunes lecteurs comme les plus âgés : de 14 à 77 ans... - Spleenlajeune

À PROPOS DE L'AUTEUR

Éva Giraud, née en France en 1988, a grandi à Rouen, où elle est revenue vivre après quelques années à Toulouse. Après avoir été danseuse de feu, pigiste et bien d’autres choses, à 26 ans, elle décide de créer avec une amie une association de promotion artistique et culturelle dans laquelle elle anime des ateliers d’écriture, dont la marraine n’est autre qu’Amélie Nothomb. C’est à la Belgique qu’elle a décidé de confier son cinquième roman : Nos folies ordinaires paru en 2016.
LanguageFrançais
Release dateFeb 9, 2018
ISBN9782930848372
Le Vers Galant: Tome 1

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    Le Vers Galant - Éva Giraud

    Chapitre 1

    C’était la fin d’après-midi. Un jeudi de novembre agréablement frais où quelques feuilles tournoyaient sans pudeur dans le jardin. La maison paraissait grande et à l’abandon. Seul le marronnier, planté en plein milieu du jardin, semblait vivant malgré ses vieilles branches décrépites et fatiguées. Geneviève était émerveillée par cette promesse de tranquillité à venir. Elle qui en trente et un ans n’avait rien souhaité d’autre que fuir les vagues de bruits et de passants du centre-ville, pouvait enfin respirer sans craindre d’avaler au passage une bouffée tout droit sortie du pot d’échappement le plus proche. Dérangée par une feuille morte qui venait de lui fouetter le visage, elle sortit de sa contemplation pour aider David, son mari, à monter les derniers cartons restés dans le van.

    Couple sans histoire, ensemble depuis leur première année d’université, tous deux s’étaient vite mariés et plongés dans un univers bien à eux, loin du tumulte d’une vie sociale écrasante. Les Proust portaient bien leur nom, comme si celui-ci avait été prédestiné à un avenir littéraire : elle, correctrice pour les plus grandes maisons d’édition du pays, lui, pigiste pour un petit journal à la mode. Et ils étaient fiers de se contenter d’une vie rythmée par leurs envies et leurs inspirations, vie dont le seul prestige était un homonyme prétentieux et réputé. L’arythmie quotidienne leur suffisait amplement.

    Geneviève, voyant l’état délabré et poussiéreux de leur nouvelle bicoque, laissa échapper une sorte de petit grognement qui fit sourire David. Elle était comme ça, sa femme. Parfois râleuse, souvent pessimiste et défaitiste, toujours très sarcastique. Mais elle n’embaumait pas moins le bonheur pour autant. Un bonheur constant, simple et stable. De taille moyenne, elle portait les cheveux longs et drus, d’un châtain foncé ravivé par de nombreux fils et perles de couleur. La jeune femme pouvait se targuer de grands yeux en amande de la même couleur que sa tignasse souvent informe, qui contrastaient merveilleusement avec ceux de son époux. Lui était d’un blond foncé tirant vers le roux, arborant de petits yeux verts olive, moqueurs et curieux.

    — Tu pourrais sortir Peggy de sa caisse, s’il te plaît ? demanda la jeune femme. Il doit en avoir marre, laissons-le découvrir sa nouvelle maison.

    — Oui, bien sûr. Mais maintenant que nous savons que c’est un mâle, est-ce qu’on ne pourrait pas le rebaptiser ?

    — Tu t’obstines, mon David. Nous en avons parlé des millions de fois ! Ce pauvre chat s’est appelé Peggy pendant six ans, c’est bien trop tard pour lui changer son nom.

    — Si tu le dis… Mais je persiste et contre — signe : ton frère aurait dû voir dès le début qu’il ne s’agissait pas d’une fille. David libéra un énorme félin gris de sa boîte puis le posa dans la cuisine. La bestiole ouvrit de grands yeux ronds et blasés qui ne semblaient pas le moins du monde curieux de découvrir cette terre encore inconquise. Geneviève le regarda s’installer confortablement dans l’évier, l’air dépité, et elle lui adressa ces mots : « Ah mon pauvre, mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ? En plus, tu n’es pas aidé, tu as un nom aussi ridicule que le mien ! »

    La nuit était vite tombée et le jeune couple, épuisé par le déménagement, se coucha de bonne heure. La petite chambre qu’ils avaient à l’étage donnait sur le jardin. Les murs avaient probablement été blancs auparavant, mais ils renvoyaient à présent un jaune grisâtre peu encourageant, jurant avec le vieux parquet encore en état qui craquait sous leurs pas.

    Malgré la fatigue, David ne parvenait pas à fermer l’œil. Tout se bousculait dans sa tête. Mais ses seules pensées étaient positives. Cela se réalisait enfin. Ses désirs les plus chers étaient enfin réels, concrets, palpables. Une maison avec sa femme dans un village reculé, les seuls voisins à quelques dizaines de mètres. Un métier tranquille et créatif, qui lui permettait un emploi du temps flexible aux contraintes peu nombreuses. Il avait bien sûr rêvé, étant enfant, d’un avenir merveilleux. Un gamin qui voit grand et qui se promet de ne pas devenir un adulte refusant de se bercer des illusions les plus belles. Mais l’homme qu’il était devenu se satisfaisait pleinement de ce qu’il avait obtenu sans trop de mal, se disant que beaucoup de personnes n’étaient pas moitié aussi heureuses que lui. Et lorsque le petit garçon revenait comme un fantôme lui murmurer ses anciens espoirs à l’oreille, il se rassurait vite. Il n’était certes pas devenu écrivain comme prévu ; mais il vivait de sa plume, et être auteur était suffisant la plupart du temps.

    Le gros Peggy vint interrompre ses contemplations en lui ronronnant à l’oreille, aussi doucement qu’un tremblement de Terre. Il lui montait sur la poitrine en jouant avec ses cheveux — et ses oreilles au passage. Griffé à plusieurs endroits, il jeta Peggy aux pieds du lit. Le chat l’agressa en retour d’un regard méprisant, puis s’installa aux pieds de Geneviève en lui tournant respectueusement le dos.

    À présent incapable de se rendormir, David descendit à la cuisine pour se servir un verre de lait. Il se prit au passage les pieds dans les meubles, jurant deux ou trois fois. Et en reposant dans l’évier le verre qu’il venait de vider d’une seule traite, il vit par la fenêtre qui se trouvait juste au-dessus, quelque chose qui bougeait. Curieux et intrigué, David souleva discrètement le voile qui la recouvrait : au loin, à une quinzaine de mètres, leur voisin sortait une immense poubelle. Un sac de la taille d’un meuble, que l’homme traînait derrière lui avec difficulté. Le voisin lâcha le sac à l’entrée du jardin, puis fit demi-tour pour rentrer dans sa demeure. Demeure qui curieusement rejetait des volutes de fumée rouge et violette, embrumant tout le voisinage. Piqué à vif, David, d’un naturel très créatif, s’imagina une bonne dizaine de raisons que pouvait bien avoir cet homme pour sortir un sac-poubelle aussi grand à deux heures du matin en pleine semaine. Vint alors pour lui le moment tant attendu : l’inspiration le submergeait, là, presque palpable autour de lui. Il se précipita alors sur un carton dans le salon, duquel il sortit sa vieille machine à écrire.

    Le lendemain lorsqu’il se réveilla, sa femme s’affairait déjà dans la cuisine, préparant le petit déjeuner.

    — Salut Jenny, grommela-t-il.

    — Bonjour. Tu as dormi tard, ce matin !

    — Oui, j’ai écrit toute la nuit. Devine ce que j’ai vu hier soir ? lança David entre deux craquements de biscottes. Le voisin, celui de droite, qui sortait un grand sac-poubelle en plein milieu de la nuit !

    — Et ? questionna la jeune femme avec l’air d’attendre en réponse quelque chose de stupide.

    — Eh bien, c’est bizarre non ? Un sac aussi grand, en plein milieu de la nuit… Et en plus, de la fumée partout, rouge, et violette !

    — Je sais que tu as beaucoup d’imagination, mon chéri, mais tu devrais peut-être ralentir sur les romans fantastiques.

    — De toute façon, toi, rien ne te surprend. Même si un poney pouvait faire du patin à glace, tu resterais de marbre.

    — Ce n’est pas que rien ne me surprend, c’est juste que je m’en fiche.

    David haussa les épaules, sachant pertinemment qu’il était inutile d’insister. Geneviève était beaucoup trop terre à terre.

    — Quoiqu’il en soit, il faudra que nous allions nous présenter à lui, et aussi aux autres, ajouta-t-il après un court silence.

    — Ah, toi et ta sympathie altruiste, soupira-t-elle avant d’esquisser un sourire. Je vois ça d’ici : soit nous allons les déranger, soit ils considéreront ça comme la permission d’un début de vie sociale, auquel cas nous ne pourrons plus nous en débarrasser.

    — Mais si… et puis nous ne sommes que trois maisons dans le coin, il faudrait faire preuve d’un minimum de courtoisie !

    — Bon, si tu veux… conclut la jeune femme. J’imagine que nous pouvons nous contenter d’aller faire les présentations.

    David crut voir sa femme lever les yeux au ciel en réponse à son « Merci, Jenny », ce qui le fit sourire. Elle aimait ce surnom, car, comme elle lui avait si souvent dit non sans ironie, son prénom de Geneviève était « un drame personnel et profond ».

    Le reste de la matinée fut employé aux derniers rangements et au ménage du rez-de-chaussée. Peggy, que sa maîtresse soupçonnait de le faire exprès, avait attendu que Geneviève passe la serpillière dans le salon pour descendre — lentement mais sûrement — les rejoindre. Elle venait juste de nettoyer le dernier coin de la pièce quand cet abominable et énorme chat — qui avait, semble-t-il, marché dans le pot de peinture de l’étage — vint faire le tour de la pièce fraîchement lavée, cherchant apparemment le meilleur angle du meilleur canapé pour y élire domicile. C’était un acte délibéré, Geneviève en était sûre. Elle poussa une sorte de gémissement qui ressemblait vaguement à un « Oh, non », moitié excédée moitié amusée, puis le chassa à coups de balai. L’animal ne semblait pas vexé outre mesure, se dandinant fièrement jusqu’à la chatière de l’entrée, et affichant un air satisfait qui devait vouloir dire « bien fait ».

    Un rire retentit non loin de là. Son rouquin de mari venait d’apparaître dans l’embrasure de la porte.

    — Tu crois qu’on lui a fait quelque chose qui ne lui a pas plu ?

    — Mais quelle plaie, ce chat ! Je n’aurais jamais dû dire oui à mon frère.

    — Bah, il était allergique, répondit David. Et puis, il est mignon quand il veut.

    — Hum… commença Geneviève qui n’avait pas l’air convaincue. Oui, le problème c’est qu’il n’en a pas souvent envie.

    Peggy les lorgnait à présent du coin de l’œil par la fenêtre du salon, perché sur l’une des branches du marronnier. La jeune femme lui lança un regard vengeur avant de lui faire un geste obscène du bout du doigt…

    Le ménage refait, le rez-de-chaussée rangé et le couple douché et habillé, tous deux se dirigèrent vers la maison de leur premier voisin ; celui qui rendait David très curieux.

    D’où ils se tenaient, le jardin paraissait immense. Une petite barrière de bois le délimitait, plus symbolique que réellement utile. Curieusement, les Proust n’avaient pas encore remarqué l’aspect décalé de ce jardin. L’attraction principale était une sorte de fauteuil qu’ils n’avaient encore jamais vu, en forme de fleur, semblait-il. Posée sur une souche imposante dans l’un des coins les moins en vue du jardin, la fleur semblait construite à partir de vieux sièges de voiture arrangés et recouverts d’un tissu vert-émeraude brillant par endroits, apparemment confortables. Par Terre, on avait éparpillé sept ou huit nains de jardin — encore plus étranges que ne le sont habituellement les nains de jardin — dont les yeux donnaient la singulière et gênante impression de surveiller les éventuels visiteurs. L’un d’eux était debout sur une petite touffe d’herbe rouge et violette, aussi naturellement que si l’herbe avait poussé d’elle-même. Puis, un peu plus haut vers la droite, juste à côté de la barrière de bois, un marronnier aussi vieux que le Proust écrivain, supportait le poids d’une dizaine d’énormes éoliennes dont quelques-unes clignotaient comme des guirlandes de Noël. Un nain s’était même subrepticement niché dans le creux que formait l’arbre en son tronc. Ce qui perturba Geneviève, qui lui trouva un regard pervers.

    La stupéfaite contemplation du jeune couple fut perturbée par un bruit de porte grinçante :

    — Bonjour, charmants visiteurs ! beugla la voix du petit bonhomme tout échevelé qui apparut dans l’embrasure de la porte.

    Voyant qu’il les avait fait sursauter, l’homme reprit :

    — Voulez-vous goûter mes châtaignes ? proposa-t-il à la volée en leur tendant les fruits qu’il venait de sortir du nain de jardin le plus proche.

    — Non, merci, répondit enfin Geneviève.

    — Bonjour, je suis David et voici ma femme Geneviève, dit-il en lui tendant la main. Nous sommes vos nouveaux voisins.

    — Enchanté, voisin. Je suis Samuel de Grimwald. C’est très gentil à vous de venir vous présenter. Si jamais je peux vous être utile, je suis à votre disposition, ajouta-t-il aimablement, soulignant ses propos d’une révérence.

    — Eh bien… merci, oui. Puisque nous sommes là pourriez-vous nous dire où se trouve l’épicerie la plus proche ? interrogea David, intimidé par cet étrange petit personnage.

    — Ah, pour cela vous ne trouverez rien ici au Vers Galant, chers amis. Il vous faut aller jusqu’au prochain village. Pickwik. Il n’est qu’à quatre kilomètres vers le Sud, précisa Samuel en leur indiquant du doigt la direction.

    — Merci beaucoup. Nous vous laissons tranquille, nous allons nous présenter aux autres voisins.

    — Bien, les Thirion sont un peu spéciaux, mais très gentils. Vous verrez. Revenez me voir !

    Puis sur un sourire chaleureux, Monsieur de Grimwald referma la porte, laissant les Proust on ne peut plus perplexes.

    — Il m’a l’air très sympathique, ce monsieur ! dit David, enjoué.

    — Il avait un collier en forme de louche, répondit sa femme, atterrée.

    La maison des Thirion était beaucoup plus classique. Un potager régnait en maître sur un bon tiers du jardin, entrecoupé de petits chemins de pierre qui serpentaient entre les pommes de terre et des plantes peu ordinaires. Sur la droite de l’entrée, juste derrière deux boîtes aux lettres - l’une était classique, l’autre en forme de maison - un imposant saule pleureur dominait le même vieux marronnier que le leur, serti d’une balancelle qui semblait avoir vécu bien avant la maison. Ils montèrent les huit petites marches qui menaient à la porte de la vieille, mais jolie demeure, et sonnèrent. Après quelques secondes, ils virent une jeune fille d’environ quinze ans leur sourire en les dévisageant.

    — Bonjour, lança Jenny. Est-ce que tes parents sont là, s’il te plaît ?

    — Ah, bonjour ! dit une voix enjouée derrière l’adolescente.

    La porte s’ouvrit en grand et une jeune femme apparut derrière elle.

    — Je m’appelle Zoé, et voici ma sœur Ariane. Vous, vous êtes les Proust, je me trompe ? demanda-t-elle d’une voix anormalement basse et suave pour une jeune femme.

    — Tout à fait, confirma Jenny. Moi, c’est Geneviève, et lui, c’est mon mari David.

    David s’apprêtait à parler lorsqu’une cascade de cheveux blonds et ondulés vint l’interrompre :

    — Lili, une autre de mes sœurs, précisa Zoé.

    La jeune fille sourit poliment, affichant des yeux bleus perçants, mais pas froids pour autant.

    — Dommage que mes parents ne soient pas là, enchaîna Zoé. Ils auraient été ravis de vous rencontrer enfin. Mes sœurs aussi, d’ailleurs… Oui, nous sommes six filles, expliqua-t-elle en voyant le regard interrogateur du jeune couple.

    — Ah, très bien. Eh bien, nous repasserons plus tard, reprit Geneviève.

    — D’accord, je pense qu’ils seront là ce soir vers vingt heures. Bienvenue à Pickwik !

    En revenant chez eux, les deux jeunes gens découvrirent une surprise : un vieux tandem les attendait, sagement posé contre le marronnier, avec une lettre suspendue au guidon à l’aide d’une ficelle. Intrigué, David l’ouvrit :

    Je me suis laissé dire que deux amoureux préféreraient visiter le Vers Galant et les environs de Pickwik au guidon d’un tandem plutôt que dans un engin motorisé. C’est une belle journée d’automne, profitez-en !

    Amitiés.

    S.d.G

    — Je t’avais prévenu, nous sommes tombés sur un fêlé, commenta la jeune femme.

    — Arrête, c’est gentil de sa part, rétorqua David, amusé.

    — Oui, ce n’est pas faux. Loufoque, mais sympathique. Cela dit à part les paniers, nous n’avons pas de quoi transporter tous nos achats…

    — Il n’y aura qu’à prendre un sac à dos en plus, miss rabat-joie.

    David embrassa sa femme sur le front avant de se diriger vers l’intérieur pour en ressortir deux minutes plus tard avec ledit sac. « Et en plus, nous trouverons bien quelque chose pour manger là-bas ! ».

    Ils avaient, bien que difficilement pour n’en avoir jamais fait, réussi à monter sur le tandem. Mais ce n’est qu’au bout de presque un kilomètre qu’ils furent tout à fait à l’aise. D’autant plus qu’ils avaient tous deux cette étrange impression que David pédalait beaucoup plus vite que Jenny pour garder une même vitesse. Malgré tout, leur voisin avait eu raison : il était très agréable pour eux de profiter du temps automnal en pédalant en tandem.

    Geneviève regardait tout autour le paysage défiler, se délectant de l’ambiance qui régnait. Tout était en éveil et la nature avait pris une douce et jolie teinte, ambre et or. Elle se perdait dans ses pensées quand sortirent du guidon de David une centaine de paillettes rouge et or, en un jet vertical qui faisait penser à un geyser. Interloquée, ouvrant de grands yeux ronds, elle entendit David s’écrier « Génial ! » alors que le jet de paillettes disparaissait peu à peu.

    — C’était quoi, ça ? beugla Jenny.

    — Ça, ma chérie, je crois que c’est Monsieur de Grimwald qui s’est amusé à trafiquer ce tandem ! J’ai voulu klaxonner parce que nous sommes arrivés, et à la place il y a eu ça.

    — Ce vieux loufoque est encore plus dérangé que je ne le pensais, critiqua la jeune femme. C’est dangereux !

    — Oh arrête un peu, je t’en prie… Avoue que c’est surprenant. Et très joli, en plus.

    — Oui, bon…

    Ils ralentirent l’engin pour s’arrêter en douceur, mais n’ayant pas l’habitude, ils tanguèrent quelque peu. Geneviève leva les yeux droit devant elle : un tout petit panneau couleur prune portait en lettres argentées l’inscription « Bienvenue à Pickwik ». Juste au-dessous du texte, en bas à droite, était gravé un minuscule dessin qu’elle ne pouvait pas voir. Elle s’approcha un peu. Cela ressemblait fort à une coccinelle ; mais celle-ci avait quelque chose d’étrange dont elle était incapable de dire ce que c’était.

    Lorsqu’ils passèrent devant le panneau, tous deux se sentirent quelque peu mal à l’aise. Un petit garçon d’une dizaine d’années les épiait, le regard un chouïa agressif. Il semblait n’attendre personne en particulier, comme surveillant simplement l’entrée du village de Pickwik.

    Rien dans ce village n’était fade. L’ensemble des couleurs était tranché, vif et entier, sans demi-mesure. Ils passèrent devant un petit bar à l’enseigne penchée où l’on pouvait lire : « La Chenille ». Le bâtiment était d’un vert pomme un peu passé, et le tour de ses fenêtres tout comme son toit se targuait d’un vert plus vif encore, émeraude et luisant. La tenancière avait quelque chose de triste : le visage dépressif et les yeux inexpressifs, elle était habillée comme au début du XXe siècle, à ceci près que le tissu de sa robe à cerceaux était moderne. Derrière son bar, elle observait, passive, les cinq clients regroupés autour d’une même table fumant d’énormes pipes incrustées de rubis en forme de coccinelle. Juste un peu plus loin, derrière « la Chenille », une épicerie à la devanture prune et orange leur rappela pourquoi ils étaient venus. Ils entrèrent donc pour faire les commissions. Les rayons étaient organisés dans un alignement parfait, et à la grande surprise du couple Proust, triés par couleurs. Pas très pratique, mais très pittoresque. Une petite voix surgit de la caisse près de l’entrée, pour leur dire bonjour. La jeune fille à qui elle appartenait n’avait guère plus de vingt ans et portait une tenue excentrique, sertie d’une épaisse chevelure rouge. Ils firent les courses et se dirigèrent vers elle.

    — C’est vous les nouveaux ? questionna-t-elle sans attendre la réponse. Moi, c’est Myrtille, la fille du maire. Alors, ça vous plaît Pickwik ?

    — Oui, c’est très joli, confirma David.

    — Mais un peu spécial, enchaîna Geneviève.

    — Oui, c’est vrai… mais on s’y fait vite, vous verrez ! Vous avez dû croiser Thomas, non ? reprit-elle entre deux pots de crème fraîche pris sur le petit tapis roulant.

    — Qui ?

    — Thomas, le gamin à l’entrée du village. Oui, il fait un peu peur. Mais il finira bien par vous adresser la parole. Et peut-être même qu’il sera aimable, avec un peu de chance !

    — Mais qu’est-ce qu’il fait, là-bas ? Il attend quelqu’un ?

    — Oh non, dit-elle derrière un sourire moqueur. Il est simplement très perturbé par les étrangers. Il se sent profondément concerné par le côté traditionnel du village, et il ne supporte pas les touristes ! Thom est un peu trop… conservateur.

    — Ah…

    Myrtille leur avait tenu la jambe, un bon moment après avoir fini de passer en revue tous leurs articles. Elle leur avait expliqué beaucoup de choses sur Pickwik, Thomas et ses autres habitants. La coccinelle sur le panneau était simplement l’emblème du village et de ses environs, vestige d’une ancienne croyance, légende à présent oubliée. Excepté par le Club des Pipes. « Pour plus d’explications, allez voir ces messieurs qui enfument la Chenille, avait-elle précisé. Ils seront ravis d’étaler leur lubie ». Puis avant de les laisser partir, elle leur avait fait cadeau d’une bonne partie de leurs commissions, en signe de bienvenue. David était aux anges, Geneviève ne cessait de rouler des yeux exaspérés.

    Ils déjeunèrent à la Chenille, lorgnant avec amusement la tenancière, Miss Albertine, dont Myrtille leur avait décrit les aspects les plus évidents : vieille fille, grognon et dépressive, elle vivait recluse dans sa demeure au-dessus de son bar, qu’elle ne quittait jamais en dehors de ses heures d’ouverture. La « vieille bique », comme l’appelaient certains, faisait preuve d’une paranoïa suraiguë envers tout et n’importe quoi. Cela dit, en dehors de ces quelques caractéristiques flagrantes, Miss Albertine

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