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La procédure garante de la liberté de l'information: Droit des médias
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La procédure garante de la liberté de l'information: Droit des médias

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Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre le droit à l'information.

Lorsqu’on examine le régime de la presse en droit belge, tel que les bases en sont fixées depuis 1831 dans la Constitution, on est frappé de constater que les principales garanties et dispositions qui définissent et protègent la liberté de la presse sont en réalité des dispositions procédurales.
Il ressort de l'analyse systématique de ces règles procédurales que la liberté d'expression constitue un droit fondamental d'un statut particulier. Sa protection est en effet assurée par un régime de garanties procédurales exorbitantes du droit commun, dont le champ d'application s'étend à l'ensemble des médias, indépendamment de la qualité de l'auteur de la diffusion de l'opinion ou de l'information exprimée. Il ne s'agit nullement d'un droit subjectif prééminent accordé à la presse ou aux journalistes mais bien d'un dispositif d'ordre public quasi-constitutionnel établi dans l'intérêt général et qui ne vise pas à protéger une profession en particulier mais bien une liberté en faveur de tous : un véritable droit à l'information.
Après avoir dissipé la confusion traditionnellement entretenue entre le rôle de la presse et celui de la justice, l'auteur démontre pour quels motifs il convient d'écarter radicalement la tendance qui cherche à faire de la presse la débitrice des exigences du procès équitable. Ces exigences ne sont en effet invoquées à son égard que pour tenter de contourner le dispositif procédural protecteur et imposer un contrôle préalable du contenu de l'information.
L'ensemble de l’ouvrage permet enfin de montrer que la prééminence de la protection de l'information et le régime procédural d'exception dont cette liberté bénéficie s'expliquent en raison du caractère spécifique du droit protégé qui, contrairement à une opinion généralement défendue, ne se place pas dans un lien d'égalité avec d'autres libertés ou droits fondamentaux, mais les précède pour constituer le socle fondateur et l'horizon de la démocratie.
Outre les éclairages apportés par la jurisprudence et la doctrine belges, l'ensemble des développements s'appuie sur une étude systématique, circonstanciée et critique des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs à la liberté d'expression.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels.

À PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LanguageFrançais
PublisherAnthemis
Release dateAug 23, 2017
ISBN9782807201101
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    La procédure garante de la liberté de l'information - Jacques Englebert

    31 décembre 2013

    Préface

    par

    Françoise Tulkens et Benoît Frydman

    La liberté d’expression et de presse est l’un des droits fondamentaux de nos régimes démocratiques. C’est aussi l’un des plus discutés et même controversés, tant au niveau politique que juridique. La question de ses limites fait l’objet, en particulier en Europe, d’un débat passionné, tendu, permanent. Faut-il s’en étonner ? Il n’y a pas de démocratie apaisée ; il n’y a que des démocraties endormies, ce qui n’est généralement pas un signe de bonne santé. Comme le dit P. Ricœur, est démocratique une société qui se reconnaît divisée. La démocratie substitue à l’affrontement, voire à la violence, le débat contradictoire entre les personnes et les groupes qui luttent, plus ou moins farouchement, pour des valeurs et leurs intérêts concurrents. Le régime de la liberté d’expression et de presse fixe les règles du jeu de cet affrontement et le débat sur ces règles, sur les limites de ce qui peut se dire, sur la ligne rouge à ne pas franchir, fait partie de l’affrontement lui-même. D’où l’importance du contentieux judiciaire en cette matière et des dispositifs procéduraux qui encadrent ce contentieux nourri et particulièrement sensible.

    Dans son brillant essai, Jacques Englebert propose, de manière inédite, un examen complet et à jour de l’ensemble des règles de procédure propres au contentieux, tant civil que pénal, relatif à la liberté d’expression et de presse. Sur le plan interne, il démontre de manière convaincante que ces règles, parfois oubliées, forment un ensemble cohérent qui définit un régime, exorbitant du droit commun, lequel garantit à la presse en particulier et à l’expression en général une protection spécifique et accrue contre les ingérences des autorités publiques et les risques d’une répression excessive. Dans la ligne de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme RTBF c. Belgique du 29 mars 2011, Jacques Englebert rappelle qu’il n’existe pas de possibilité en Belgique d’interdire préventivement l’exercice de la liberté d’expression et de presse, même et y compris par le moyen d’une décision judiciaire, et ce quel que soit le média concerné. La fameuse formule de l’article 25 de notre Constitution demeure donc plus que jamais d’actualité et pleinement d’application en Belgique et dans notre droit : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ».

    La liberté cependant ne vaut pas licence et celui qui en abuse en commettant une faute ou un délit doit répondre de ses actes devant les tribunaux. Aucune hésitation ni ambiguïté sur ce point. Mais, comme le montre bien Jacques Englebert, des garanties particulières encadrent également ce volet civil et pénal dans le but de ne pas entraver la liberté du débat public : des prescriptions particulièrement courtes ; des modes de réparation particuliers, comme le droit de réponse qui ajoute au débat plutôt que de le censurer ainsi qu’une juste appréciation des réparations allouées ; et bien sûr, en matière pénale, la compétence du jury, sauf pour ce qui concerne les délits de presse inspirés par le racisme et la xénophobie. Au-delà du débat battu et rebattu sur l’institution du jury, Jacques Englebert pense à juste titre que la quasi-absence de procès d’assises en matière de délit de presse traduit le fait que la répression dans ce domaine ne semble plus répondre à un besoin social impérieux. Avec d’autres, il plaide donc pour la dépénalisation du contentieux de la presse et de l’expression, ouvrant la voie à une intervention par la voie civile dont la jurisprudence est à construire.

    Le rôle essentiel de la procédure dans la protection de la liberté d’expression se retrouve, mutatis mutandis, dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Le mouvement de « procéduralisation » de la protection des droits de l’homme qui est mis en œuvre par la Cour et qui affecte aujourd’hui tous les droits de la Convention européenne des droits de l’homme est très bien perçu et analysé par Jacques Englebert. S’agissant de la liberté d’expression, il montre comment, par la reconnaissance d’un volet procédural, la Cour met l’accent sur les impératifs du procès équitable garanti à l’article 6 de la Convention pour en faire, en quelque sorte, une partie intégrante de l’article 10. En définitive, l’effectivité de la liberté d’expression a tout à gagner à ce que le contrôle portant sur son respect intègre les exigences du due process, sans toutefois faire du contrôle procédural un alibi d’un contrôle sur le fond.

    La presse bénéficie ainsi, de par la loi, la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, de garanties judiciaires particulières. Mais qu’en est-il des garanties qui seraient à fournir par la presse aux personnes qu’elle met en cause dans l’exercice de sa mission d’information ? Certains auteurs, et parfois même des magistrats, avancent l’idée que, dès lors que la presse fait le « procès » d’une personne ou d’une affaire devant le « tribunal de l’opinion publique »⁴ et que la « condamnation » par celle-ci est susceptible de causer un préjudice important, les médias devraient eux aussi être tenus, de la même manière, au respect des règles du procès équitable, notamment l’égalité des armes et l’impartialité. À première vue, l’analogie est séduisante, mais, en définitive, elle est trompeuse. Dans la deuxième partie de son essai, Jacques Englebert clarifie très bien les rôles différents de la presse et de la justice en distinguant la sphère judiciaire et l’espace citoyen au sens où Habermas le définit. En induisant la confusion des genres, cette « face cachée de la procéduralisation » prétend vainement réguler le débat public comme un débat judiciaire et réintroduire par là même le contrôle des juges sur le déroulement de ce débat, ce qui est incompatible avec la liberté d’expression.

    Si la presse n’est pas soumise aux règles de la procédure judiciaire, en revanche elle est évidemment soumise à celles de la déontologie journalistique. Elle doit ainsi certainement prendre en compte la présomption d’innocence des personnes mises en cause dans des procédures pénales. Jacques Englebert nous livre ici, à travers l’examen de la jurisprudence nationale et européenne, une analyse très fine et détaillée des obligations qui incombent à cet égard à la presse. Si les organes de presse ne sont pas « débiteurs » de la présomption d’innocence, dans certains cas, l’article 6 § 2 de la Convention pourrait imposer à l’État une obligation positive, celle d’adopter les mesures nécessaires pour que la présomption d’innocence ne soit pas violée par la presse. La présomption d’innocence ne saurait toutefois empêcher la presse de rendre compte des enquêtes et des affaires judiciaires en cours, de mener ses propres investigations et de faire état de leurs résultats, ni même d’exprimer ou de relater des opinions sur celles-ci. Le respect de la présomption d’innocence est, pour la presse, une règle d’éthique professionnelle qui lui impose des exigences particulières et qui l’oblige à naviguer entre des limites bien balisées. D’une part, elle ne peut désigner une personne ni la traiter comme coupable d’une infraction avant que celle-ci n’ait été légalement établie par un tribunal compétent. D’autre part, les interventions de la presse (par des campagnes notamment) ne peuvent être de nature à influencer la justice ou à peser sur le cours de la procédure.

    La troisième partie de l’essai traite du champ d’application de la liberté de presse. Jacques Englebert y démontre que le développement des nouvelles technologies de la communication et la convergence des médias rend obsolète la distinction des régimes de liberté entre presse écrite et médias audiovisuels. Les développements des moyens d’information contemporains conduisent en réalité, tant en droit qu’en pratique, à une extension considérable du champ de la liberté d’expression, qui est désormais mise à la portée de tout un chacun. D’autant que l’auteur nous montre que les libertés garanties à la presse ne sauraient être interprétées comme des privilèges réservés aux journalistes professionnels, mais qu’elles peuvent également bénéficier à tout citoyen qui participe activement au débat public par la voie des médias.

    Reste alors à s’accorder sur le statut de cette liberté d’expression qui bénéficie effectivement d’un régime juridique de protection particulier que Jacques Englebert qualifie de « dérogatoire du droit commun ». Faut-il voir dans ces garanties spécifiques le signe que la liberté d’expression serait un « droit prééminent » ? Nous ne le pensons pas s’il s’agit ici de s’engager dans une tentative d’établir une hiérarchie au sein des droits fondamentaux. Il ne s’agit pas d’affirmer que le droit d’une personne de s’exprimer librement serait, de jure, plus important ou plus fondamental que celui d’une autre de jouir, par exemple, de son droit à la vie privée ou à la liberté de conscience. Il nous semble plutôt que le régime de protection très cohérent de la liberté d’expression et de presse, tel qu’il est mis en évidence dans cet essai, constitue un dispositif d’ordre public qui a pour objet et pour effet de sanctuariser les espaces publics de discussion, en faisant autant que possible obstacle aux tentatives d’ingérence par les autorités publiques, y compris le pouvoir judiciaire, qu’elles agissent de leur propre chef ou à la demande des personnes privées qui les saisissent. Un tel régime n’a donc pas pour objectif de privilégier les droits subjectifs de l’un aux dépens de l’autre, mais bien de veiller à la sauvegarde d’une condition essentielle sans laquelle ne sauraient subsister une démocratie ni une société libre.

    Cet essai original, présenté et défendu par Jacques Englebert dans le cadre d’une thèse de doctorat à la Faculté de Droit de l’U.L.B., a été accueilli avec éloges par le jury. Dans la tradition de l’École de Bruxelles, il manifeste, sur une question de société importante et très controversée, l’engagement déterminé de son auteur au service d’une cause qui lui est chère, celle de la liberté d’expression, par le moyen d’une argumentation vivante, ancrée dans le droit positif et fondée sur l’analyse rigoureuse et toujours très claire des sources les plus récentes. Son actualité est permanente et sa lecture intéressera aussi bien les juristes que les journalistes ainsi que, plus généralement, tous ceux qui se passionnent pour le débat public et les règles qui l’encadrent en démocratie. Les positions fortes de Jacques Englebert, qui visent à garantir la liberté d’expression la plus large, se fondent sur une conviction qui est aussi un pari, celui de la vertu du débat public. C’est un parti audacieux et risqué, mais nécessaire pour celui qui veut sauvegarder l’édifice toujours essentiellement fragile de nos libertés.


    4 Expression fameuse, popularisée en particulier par Jeremy Bentham qui la considère cependant comme une fiction, mais une fiction utile puisqu’elle favorise le contrôle démocratique des actes des gouvernants.

    Introduction

    1. Lorsqu’on examine le régime de la presse en droit belge, tel que les bases en sont fixées depuis 1831 dans la Constitution, on est frappé de constater que les principales garanties et dispositions qui définissent et protègent la liberté de la presse sont en réalité des dispositions procédurales.

    2. Le présent essai montrera que cette situation n’est en rien accidentelle. Elle n’est d’ailleurs pas propre au droit belge et trouve ses origines dans les théories libérales de protection des droits fondamentaux, consacrées par les textes constitutionnels adoptés à la suite des révolutions libérales. Ces théories affirment en substance que les deux garanties majeures qui protègent les libertés publiques contre les empiètements de l’État sont la liberté de la presse et le jury. La presse dénonce les atteintes contre les droits des individus en les rendant publiques et permet à chaque citoyen d’exprimer ses opinions en toute matière et le jury protège cette liberté par la publicité également et en évitant un contrôle des juges professionnels sur la presse.

    Le choix de déterminer le régime juridique de la presse et des médias en général par référence à des dispositions de procédure, plutôt que par référence à des règles de fond est le fruit de deux bonnes raisons complémentaires. D’une part, il est difficile et dangereux de tomber en la matière dans les questions de contenu sans s’aventurer déjà sur le terrain glissant et exécré de la censure ou du délit d’opinion. D’autre part, il s’agit d’arbitrer les relations entre les pouvoirs, même si la presse n’est qu’un pouvoir de fait et non un pouvoir constitué. Or de telles relations, en l’espèce entre le pouvoir judiciaire et les médias sont mieux réglées par des dispositions de procédure que de fond.

    Ce choix trouve par ailleurs un écho moderne dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère, depuis quelques années, que la violation des règles du procès équitable constitue en elle-même, une violation de la liberté d’expression.

    3. La thèse que je soutiens est la suivante : la liberté d’expression constitue un droit fondamental d’un statut particulier en raison de sa protection qui est assurée par un régime de garanties procédurales exorbitantes du droit commun, dont le champ d’application s’étend à l’ensemble des médias, indépendamment de la qualité de l’auteur de l’opinion ou de l’information exprimée.

    Le présent essai se compose de trois parties.

    Dans une première partie, je démontrerai l’existence d’un véritable dispositif procédural protecteur de la presse et des médias, plaçant la liberté de la presse sous un statut juridique tout à fait particulier, aucune autre liberté fondamentale ne bénéficiant d’un tel régime. Ce dispositif se déduit de dispositions constitutionnelles et législatives toujours d’actualité. En passant en revue l’ensemble des textes pertinents, tant en matière pénale que civile, il sera démontré que la presse bénéficie d’un régime procédural non pas dérogatoire du droit commun mais se situant en dehors du droit commun et constituant un socle procédural protecteur de cette liberté.

    Ce dispositif protecteur conduit à une véritable prééminence du droit à la liberté de l’information. Il ne s’agit toutefois nullement d’un droit subjectif prééminent en faveur de la presse ou des journalistes mais bien d’un dispositif d’ordre public quasi-constitutionnel établi en faveur de l’intérêt général qui ne vise nullement à protéger une profession en particulier mais bien une liberté en faveur de tous.

    Dans la deuxième partie, après avoir écarté la confusion traditionnellement entretenue entre le rôle de la presse et celui de la justice, j’exposerai pour quels motifs il convient d’écarter radicalement l’évolution qui cherche à faire de la presse la débitrice des exigences du procès équitable, dont particulièrement celle du respect de la présomption d’innocence. Ces exigences n’étant invoquées à son égard que pour tenter de contourner le dispositif procédural protecteur de la presse, en vue d’imposer un contrôle du contenu de l’information.

    Je m’attacherai, dans la troisième partie, à démontrer que ces protections procédurales ne s’appliquent pas seulement à la presse écrite, comme cela a été généralement affirmé, mais bien à la liberté d’informer en général, quel que soit le support utilisé pour la diffusion de la pensée ou de l’information et quelle que soit la qualité de la personne qui informe. Je montrerai combien l’évolution de la technologie de la communication permet, aujourd’hui, de donner une portée moderne aux droits consacrés par le Constituant de 1831.

    L’ensemble de l’essai permettra enfin de montrer que la prééminence de la protection de l’information et le régime procédural d’exception dont cette liberté bénéficie s’expliquent en raison du caractère spécifique du droit protégé qui, contrairement à une opinion généralement défendue, ne se place pas dans un lien d’égalité avec d’autres libertés ou droits fondamentaux, mais les précède pour constituer le socle fondateur et l’horizon de la démocratie.

    *

    PREMIÈRE PARTIE

    Les règles de procédure spécifiques à la presse, au service de la liberté de l’information

    4. Dans un premier temps, j’analyserai l’ensemble des règles procédurales en matière pénale, d’abord dans la phase de l’instruction des procédures (poursuites uniquement sur plainte, interdiction de détention préventive, interdiction d’internement pendant la phase d’instruction, interdiction de toutes mesures d’information ou d’instruction susceptibles de violer le secret des sources) et ensuite dans la phase de jugement (institution du jury, correctionnalisation du délit de presse à caractère raciste, place distincte du prévenu, publicité des audiences, courtes prescriptions, régime de preuve spécifique en matière de calomnie et de diffamation).

    Il sera procédé, dans un second temps, à la même démarche en matière civile (attribution des actions civiles mues en raison d’un délit de presse à une chambre composée de trois juges, communication de la cause au ministère public, règles spécifiques de procédure en matière de droit de réponse, interdiction du référé préventif).

    Pour chacune de ces deux branches procédurales, je soulignerai en quoi les règles étudiées participent à la garantie de la liberté de l’information⁵.

    I. Au pénal

    A. Les dispositions relatives à la phase d’instruction

    1. Poursuites uniquement sur plainte

    a. En matière d’atteintes à l’honneur envers les particuliers

    5. Aux termes de l’article 450, alinéa 1er, du Code pénal, les délits portant atteinte à l’honneur ou à la considération des victimes, « commis envers des particuliers, à l’exception de la dénonciation calomnieuse, ne pourront être poursuivis que sur la plainte de la personne qui se prétendra offensée ».

    6. Le critère de délit commis envers « des particuliers » est surprenant.

    Le Code pénal ne distingue en effet pas selon que l’imputation est faite à charge d’un particulier ou non, mais selon que le fait relève de la vie privée des personnes à qui il est imputé ou qu’il soit « relatif à leurs fonctions »⁶.

    Il faut en réalité distinguer le « particulier », d’une part, des « dépositaires ou agents de l’autorité », des personnes « ayant un caractère public » et des « corps constitués », visés à l’article 447, alinéa 1er, du Code pénal, d’autre part.

    En effet, l’article 10 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse, énonce que « les délits d’injure ou de calomnie commis par la voie de la presse, ne pourront être poursuivis que sur la plainte de la partie calomniée ou injuriée. Toutefois, les délits d’injure ou de calomnie envers le Roi, les membres de sa famille, envers les corps ou individus dépositaires ou agents de l’autorité publique, en leur qualité ou à raison de leurs fonctions, pourront être poursuivis d’office ».

    C’est donc bien lorsque la calomnie ou l’injure ne concerne pas un personnage public, en cette qualité ou en raison de ses fonctions, que les poursuites ne pourront être entamées que sur plainte de la victime⁷.

    7. Cette règle est généralement justifiée par le fait que « dans ce cas, le délit présente un caractère essentiellement privé »⁸ ou encore que « nul, sans son consentement, ne peut être engagé dans des débats où la justice et même le triomphe ne sont pas toujours exempts d’inconvénients, et si le maintien de la paix publique semble demander qu’aucun délit ne reste impuni, cette même paix gagne aussi à ce que l’on laisse guérir d’elles-mêmes les blessures qui s’enveniment dès qu’on les touche… l’honneur est un intérêt trop délicat et trop jaloux pour ne pas le laisser arbitrer lui-même de ce qui lui convient le mieux dans ces sortes d’occasions ; nul n’a le droit de l’exposer à être vengé plus qu’il ne le voudrait, et à subir, sans son consentement, de mortifiantes réparations où il pourrait trouver quelquefois de nouvelles et plus mortifiantes injures »⁹.

    Une autre raison justifie toutefois cette limite imposée au pouvoir du ministère public d’entamer les poursuites en cette matière. Lors des débats précédant le vote de la loi du 16 mai 1829 qui, pour la première fois dans une législation applicable sur le territoire de ce qui allait devenir quelques mois plus tard la Belgique, introduisait une disposition énonçant que « les délits de calomnie et d’injures, commis par écrit, ne pourront être poursuivis que sur la plainte de la partie calomniée ou injuriée », le gouvernement s’était opposé à l’introduction de cet article, prétextant qu’il était contraire au principe d’exiger la plainte de la partie lésée « pour calomnie et injure imprimées », et de ne pas l’exiger pour les mêmes délits commis autrement que par la voie de la presse. Néanmoins, la deuxième chambre des États Généraux insista pour obtenir l’adoption du principe « principalement pour refréner le zèle des officiers du ministère public, et pour ne pas laisser au pouvoir, qui souvent donnait des instructions secrètes afin de poursuivre, la faculté d’invoquer l’échappatoire que la poursuite avait eu lieu sans son aveu »¹⁰.

    Il y a donc bien dans cette restriction au pouvoir du ministère public une volonté manifeste de ne pas octroyer aux représentants de l’État le pouvoir d’initier des procès contre la presse pour tous les cas où l’honneur de personnages publics, du fait de leurs fonctions, n’est pas en cause.

    b. En cas d’infraction à la législation relative au droit de réponse

    8. De façon plus radicale encore qu’en matière d’atteintes à l’honneur, la loi du 23 juin 1961 relative au droit de réponse prévoit que les poursuites en cas d’infraction à cette législation¹¹, ne pourront avoir lieu que sur la plainte ou la citation directe du demandeur en diffusion d’une réponse¹².

    Aucune distinction n’est faite ici selon la qualité du requérant en diffusion d’une réponse. Par ailleurs, il est précisé que le requérant « peut se désister en tout état de cause. Son désistement éteint l’action publique ». Il s’agit là aussi d’une différence avec le régime applicable en matière de calomnie et injures dès lors qu’il est admis que dans cette matière, le retrait de la plainte n’éteint l’action publique que s’il intervient « avant tout acte de poursuites » posé par le parquet.

    c. Remarque

    9. L’exigence d’une plainte préalable de la victime de la presse avant l’introduction de poursuites pénales constitue une garantie particulière en faveur de la presse visant à éviter la multiplication des procédures à l’initiative de l’autorité publique.

    Il est intéressant de relever que les partisans d’une correctionnalisation du délit de presse proposent souvent pour atténuer les conséquences d’une telle correctionnalisation, d’accompagner cette mesure d’une extension du régime de la plainte préalable à toute poursuite¹³.

    2. L’interdiction de la détention préventive en matière de délits de presse

    10. La détention préventive est incontestablement susceptible d’avoir un effet dissuasif dévastateur sur l’expression. C’est pour ce motif que le 4e alinéa de l’article 8 du décret qui rétablit le jury du 19 juillet 1831 énonce que « la détention préventive ne pourra jamais avoir lieu pour simples délits de presse, […] ».

    L’article 9 du décret sur la presse du 20 juillet 1831 énonce que « le prévenu d’un délit, commis par la voie de la presse, et n’entraînant que la peine de l’emprisonnement, ne pourra, s’il est domicilié en Belgique, être emprisonné avant sa condamnation contradictoire ou par contumace. Le juge, dans ce cas, ne décernera contre lui qu’un mandat de comparution, qui pourra être converti en mandat d’amener, s’il fait défaut de comparaître »¹⁴.

    11. Cette mesure trouve son origine dans la situation qui a prévalu en Belgique sous la période hollandaise : « Les poursuites pour délit de presse, intentées sous le gouvernement néerlandais, avaient été accompagnées des rigueurs de la détention préventive, arme à l’aide de laquelle il appartenait au pouvoir de neutraliser l’action de la presse, par l’emprisonnent des rédacteurs de journaux »¹⁵.

    Il faut par ailleurs se rappeler qu’à cette époque¹⁶, « L’emprisonnement préalable était régi par des dispositions beaucoup plus rigoureuses qu’aujourd’hui : un pouvoir presque discrétionnaire était donné au juge d’instruction ; ce magistrat pouvait, en cas de simple délit, après avoir entendu le procureur du Roi, décerner un mandat d’arrêt qui, à moins que la chambre du conseil n’accorde la mise en liberté sous caution, était irrévocable. Il pouvait, en outre, et sans aucune limitation de durée, ordonner la mise au secret »¹⁷.

    On sait qu’en 1990, le maintien et les conditions de la détention préventive ont été strictement encadrés par la loi¹⁸. Le législateur n’a néanmoins pas estimé nécessaire de revenir sur cette garantie accordée aux auteurs d’un délit de presse qui ne peuvent ainsi toujours pas faire l’objet d’une mesure de détention préventive.

    Le maintien de cette interdiction est loin de n’être que symbolique particulièrement depuis qu’il est admis par la Cour de cassation que les écrits diffusés par Internet relèvent de la notion de délits de presse¹⁹.

    12. Le mandat de comparution qui mettait la personne à l’encontre de laquelle il était décerné, en demeure de se présenter devant le magistrat à la date et à l’heure qu’il indiquait, a été supprimé par la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et ne subsiste donc dans notre droit interne qu’en vertu de l’article 9 du décret sur la presse du 20 juillet 1831²⁰.

    Le mandat d’amener peut, en vertu de l’article 3 de la loi précitée du 20 juillet 1990, être décerné par le juge d’instruction « contre toute personne à l’égard de laquelle il existe des indices sérieux de culpabilité relatifs à un crime ou à un délit, et qui ne se trouve pas déjà à sa disposition ». Le but de ce mandat d’amener est de pouvoir interroger la personne contre laquelle il est décerné, cet interrogatoire devant se faire dans les vingt-quatre heures de la signification du mandat²¹.

    Dès lors qu’aucun mandat d’arrêt ne peut être délivré à l’encontre de l’auteur présumé d’un délit de presse, le mandat d’amener devra nécessairement se terminer, après l’interrogation de la personne contre laquelle il a été décerné, par la libération de cette personne. En d’autres termes, le mandat d’amener ne peut avoir d’autre but que de pouvoir interroger l’auteur du délit de presse, qui doit en toute hypothèse être laissé en liberté après cet interrogatoire. Il ne peut être décerné que si le juge d’instruction n’a pas pu interroger la personne suspectée d’avoir commis un tel délit par le biais de moyens moins coercitifs²².À cet égard, une simple convocation à comparaître devrait généralement suffire.

    13. Une ordonnance prononcée par un juge d’instruction du tribunal de première instance de Dinant, le 19 novembre 2005²³, concernant une affaire de diffamation sur Internet, illustre parfaitement l’intérêt de cette garantie. Saisi par un réquisitoire en ce sens du procureur du Roi, le juge d’instruction était chargé d’instruire du chef de diffamation, calomnie et injure, des faits à charge de l’auteur de textes très critiques à l’égard d’acteurs de la vie locale à Ciney, qu’il diffusait sur Internet. Cette procédure avait été initiée à la suite d’une plainte de deux avocats faisant particulièrement l’objet des critiques du prévenu.

    Un mandat d’amener a été délivré par le juge d’instruction à l’encontre de l’auteur des écrits prétendument diffamatoires, qui a partant été privé de sa liberté le 18 novembre 2005 à 16h30 et qui a été interrogé par le juge d’instruction le lendemain à 10h30.

    Bien que le prévenu avait invoqué que les faits qu’on lui reprochait étaient constitutifs d’un délit de presse et qu’en conséquence il ne pouvait pas faire l’objet d’un mandat d’arrêt²⁴, l’ordonnance précitée ne constituait en réalité qu’une mesure de libération conditionnelle, en violation flagrante de l’article 9 du décret du 20 juillet 1831. En effet, après avoir relevé « que les propos calomnieux à l’égard d’auxiliaires de la justice portés sur un site Internet portent gravement atteinte à la sécurité publique par le caractère étendu de leur diffusion », « qu’il existe des indices sérieux de culpabilité lesquels résultent des publications que le prévenu admet avoir diffusées sur ce site et l’absence de preuve qu’il en fournit » et « qu’il existe un risque évident de récidive dès lors que l’inculpé maintient sur son site Internet les propos calomnieux depuis le 30 septembre et qu’il entretient une hargne indéniable à l’égard des plaignants », et après avoir relevé que les faits qui étaient reprochés au prévenu pouvaient entraîner une peine d’un an de prison, le juge d’instruction estime :

    « que les conditions ci-après sont cependant de nature à éviter un tel risque de récidive ; qu’il n’y a donc pas lieu d’incarcérer [l’inculpé]²⁵ aux conditions qu’il : 1o supprime du site internet tout propos calomnieux ou diffamatoire à l’égard [des plaignants] […] et ce, pour le 22 novembre 2005 à 24 heures au plus tard,

    2o s’abstienne à l’avenir sur le site […] de tout propos calomnieux ou diffamatoire à l’égard de quiconque et en particulier [des plaignants],

    3o se présente à toute et chacune des convocations soit des enquêteurs, soit au cabinet du juge d’instruction […] ».

    Outre que les conditions que cette ordonnance renfermait étaient contraires à l’article 25 de la Constitution en ce qu’elles constituaient manifestement une censure préalable pour l’avenir, elles violaient de plein front l’interdiction édictée par les décrets précités de toute détention préventive en matière de délit de presse.

    La Cour de cassation ayant depuis admis que les écrits sur Internet relèvent de la notion du délit de presse, les auteurs de propos litigieux sur la toile devraient à l’avenir être définitivement à l’abri de telles mesures.

    14. On relèvera encore que l’interdiction de détention préventive ne concerne cette fois-ci que les délits de presse au sens strict du mot délit (qualifié dans le décret rétablissant le jury de « simple délit »), le décret sur la presse précisant qu’il ne s’agit que des délits « n’entraînant que la peine de l’emprisonnement ». L’auteur d’un « crime de presse » reste donc passible de détention préventive. L’hypothèse est toutefois en pratique très restreinte. Elle ne semble en effet plus viser que la provocation, par voie de presse, à commettre un crime²⁶,²⁷.

    15. La mesure peut paraître anodine. Elle traduit toutefois parfaitement la méfiance qui avait inspiré le Constituant à l’égard des juges professionnels et les craintes de décisions arbitraires lorsqu’ils sont amenés à juger les auteurs de délit de presse. Comme l’exemple cité de Dinant le prouve, elle reste malheureusement d’une réelle actualité²⁸.

    3. Les juridictions d’instruction ne peuvent ordonner l’internement de l’auteur d’un délit de presse

    16. La loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels, prévoit la possibilité d’ordonner l’internement de l’inculpé dès le stade des juridictions d’instruction.

    Pour éviter que le recours à une telle mesure ne distraie l’auteur d’un délit de presse de la compétence de la cour d’assises, la loi en a exclu les délits de presse²⁹.

    17. Il est remarquable de constater ainsi que les garanties spécifiques à la presse inspiraient encore le Législateur en 1930 à un moment où les poursuites pénales des délits de presse devant les cours d’assises s’étaient déjà sensiblement taries.

    Dans son rapport fait au nom de la commission spéciale de la Chambre, Émile Vandervelde justifiait comme suit cette exception : « Supposons, par exemple, le cas d’un individu ayant commis un crime politique³⁰, dans des conditions qui lui donneraient grande chance d’obtenir un verdict d’acquittement. Il suffirait que des experts constatent son déséquilibre ou sa débilité mentale, pour que la juridiction d’instruction puisse décider de son sort et l’interner, pour quinze ans par exemple, dans un établissement spécial. Votre Commission estime qu’il ne peut être question d’enlever à l’inculpé qui pourra d’ailleurs être maintenu en observation, le droit de comparaître s’il le veut devant une juridiction de jugement ».

    La même idée est reprise dans l’exposé des motifs du projet de loi de défense sociale à l’égard des anormaux du 4 août 1925 : « s’inspirant d’une suggestion du rapport Vandervelde, le projet réserve aux seules juridictions de jugement, le droit d’ordonner l’internement, chaque fois qu’il s’agira d’une infraction politique, crime ou délit, ou d’un délit de presse. On a pensé que, dans les affaires qui mettent en cause l’ordre politique ou la liberté de la presse, et autour desquelles peuvent s’agiter des passions de partis, il importe qu’aucun soupçon ne puisse effleurer la décision qui, pour un temps peut-être long, interne un inculpé »³¹.

    18. La mesure est heureuse. En effet, à une époque où celui qui dérange est vite considéré comme un déséquilibré, il s’impose lorsqu’il use de sa liberté d’expression qu’aucune mesure d’internement ne puisse être décidée à son encontre dans le cadre d’une procédure qui ne présente pas les garanties procédurales suffisantes³².

    4. L’interdiction de toute mesure d’information ou d’instruction susceptible de violer le secret des sources journalistiques

    19. L’article 3 de la loi du 7 avril 2005 sur le secret des sources journalistiques énonce que les bénéficiaires de ce secret, soit principalement, « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public »³³, ont le droit

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