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La bête de Locronan: Une enquête de Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch
La bête de Locronan: Une enquête de Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch
La bête de Locronan: Une enquête de Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch
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La bête de Locronan: Une enquête de Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch

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About this ebook

Des fugitifs violents fuient avec un otage leur de leur procès. Leurs récentes victimes craignent leurs attaques...

En pleine audience de la cour d’Assises, deux dangereux malfrats, jugés pour un braquage qui a mal tourné, s’évadent en prenant en otage le président du tribunal de Quimper. Pris en chasse par le commissaire Gwénaël Guivarch et son fidèle adjoint, le lieutenant Loïc Le Floc’h, les fugitifs sèment la peur dans Locronan et ses environs. Mathurine, la jeune femme déjà victime de leurs violences et Corentin, son beau-père aveugle, parviendront-ils à échapper à leurs attaques ? Il faudra toute la sagacité et la détermination des deux inspecteurs pour mener à bien cette enquête.

Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch vous embarquent à nouveau dans une enquête palpitante !

EXTRAIT

– Dagorn, j’ai devant les yeux le constat d’incident qu’a dressé l’agent pénitentiaire et je constate que vous êtes une nouvelle fois mêlé à une bagarre ! Vous appréciez les séjours au mitard, semble-t-il ?
La Bête, breton natif du Faouët qui doit son surnom à son physique massif et à sa cruauté, toise la directrice d’un air suffisant.
– Vous avez dû apprendre, car il y a eu une quinzaine de témoins sans parler de vos surveillants, que je ne n’ai fait que répondre à des provocations.
Piquée au vif, la directrice se redresse, méprisante et sa voix se fait tranchante :
– Quoi qu’il en soit, vous vous retrouvez toujours associé à chaque conflit qui dégénère dans cet établissement. Vous êtes un homme vil et particulièrement violent, Dagorn ! En outre, il s’avère que vous êtes incapable de maîtriser votre agressivité. Cela laisse d’ailleurs mal augurer de votre procès qui doit débuter la semaine prochaine.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1955 à Suresnes (92), Philippe David est originaire du pays de Redon où il a passé de nombreuses vacances sur les bords de la Vilaine.
Passionné de course à pied et inspiré par la beauté sauvage de la CornouaiIle, il a choisi de situer l’action de ses romans dans le Finistère.
LanguageFrançais
Release dateMay 8, 2020
ISBN9782374690629
La bête de Locronan: Une enquête de Loïc Le Floc'h et Gwénaël Guivarch

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    La bête de Locronan - Philippe David

    hasard.

    1er septembre

    Les murs de sa cellule sont gris comme l’est le ciel aujourd’hui. Debout face à la fenêtre garnie de solides barreaux, Guillaume Dagorn, sans quitter du regard les nuages annonciateurs de pluie qui défilent sans interruption, interpelle d’un ton rogue son codétenu qui regarde la télévision les yeux dans le vague, assis en tailleur sur le lit supérieur.

    – Le Tordu, éteins ce maudit poste, j’ai besoin de silence !

    Ce dernier, qui ne sait s’il doit son surnom à un nez déformé par les poings rageurs d’un prisonnier agressif ou aux escroqueries minables qui l’ont conduit en détention, obtempère immédiatement. Depuis qu’il a rejoint Guillaume Dagorn, dit La Bête, dans la cellule de ce quartier surpeuplé du centre pénitentiaire de Ploemeur-Lorient, celui qui s’appelle en fait Tellier lui obéit servilement, sans chercher à discuter. Il se souvient encore de son arrivée dans ces dix mètres carrés sombres, escorté par un gardien qui semblait lui-même craindre le puissant détenu car il suivait des yeux le moindre de ses gestes pourtant si parcimonieux et restait tout prêt de la lourde porte métallique.

    – Dagorn, nous n’avons plus d’autre place disponible, je suis obligé de t’adjoindre un compagnon de cellule, fais-lui bon accueil, avait-il articulé avant de s’éclipser précipitamment.

    Sitôt le verrou tiré, Dagorn s’était approché de Tellier, l’avait dévisagé de son regard dur, comme un boxeur qui jauge son adversaire et tente de l’impressionner. Quelques secondes avaient suffi et dès que vaincu, Le Tordu avait baissé les yeux, l’autre, méprisant, l’avait repoussé du plat de la main au fond de la petite cellule sans prononcer un seul mot. Depuis, Le Tordu se mouvait comme un fantôme dans les dix mètres carrés en essayant de se faire oublier. Les seules paroles échangées entre eux étaient les ordres que lui donnait La Bête, car lui-même n’osait pas le questionner.

    Une fois la télévision éteinte, Dagorn s’est allongé sur le sol en ciment et a commencé une série de pompes. Arrivé à cinquante, il a récupéré quelques secondes avant d’enchaîner avec une nouvelle série, cette fois en utilisant la force de son seul bras gauche, puis en alternant avec le droit sans que son visage ne soit altéré par l’intensité de l’effort.

    Dès le début de son incarcération, il s’était astreint à une discipline sévère pour se maintenir en condition physique, et surtout pour conserver sa force mentale. S’occuper l’esprit, ne pas se laisser aspirer par le vide incommensurable de ces journées sans relief ni consistance restaient ses préoccupations majeures.

    A la fin de l’exercice, Dagorn est retourné se planter devant la fenêtre et a repris son observation du ciel, comme s’il cherchait à découvrir un message caché dans la course des nuages.

    Concentré sur le moment présent, rien ne semble le perturber, pas même le bruit incessant des portes qui claquent, des verrous qui sont tirés ou les injures que s’échangent les détenus d’une cellule à l’autre.

    Le Tordu a fixé le dos de la haute silhouette trapue sans oser rallumer la télévision, rageant intérieurement de ne pouvoir suivre le nouvel épisode de son feuilleton favori, son unique distraction.

    Vingt minutes plus tard, c’est l’heure de la promenade. Les deux hommes entendent le cliquetis sec des verrous que les surveillants actionnent, résonner dans le quartier disciplinaire en se rapprochant d’eux. Bientôt, c’est au tour de leur cellule d’être ouverte et Dagorn sort en premier, suivi deux pas derrière par Le Tordu.

    La promenade s’effectue dans une cour goudronnée grande comme la moitié d’un terrain de tennis et surmontée d’un filet en acier destiné à décourager toute tentative d’atterrissage d’un hélicoptère. Parmi la quinzaine de détenus, de petits groupes se forment qui s’apostrophent bruyamment tout en fumant cigarette sur cigarette. Dagorn, lui, marche seul en longeant l’enceinte cernée de hauts murs en béton.

    Deux détenus bodybuildés l’apostrophent d’un ton menaçant :

    – Passe-nous une clope, La Bête !

    La tête haute, Dagorn poursuit sa marche sans répondre à la provocation. Un des pigeons perchés sur les câbles du filet vient se poser au sol, attiré par un morceau de biscuit. Avec une rapidité inouïe, Dagorn shoote dans le volatile qui s’est approché trop près et qui, assommé, s’affaisse sans bruit.

    Le tour suivant, lorsqu’il repasse devant les deux hommes, l’un d’eux fait un pas en avant pour lui bloquer le passage.

    – Alors, tu nous la files cette clope, sale violeur, ou on te fait la peau !

    Sans que rien ne trahisse son geste, Dagorn a bondi sur le plus proche des deux costauds et lui assène un violent coup de tête au visage, lui fracassant le nez qui se met à pisser le sang. Dans le même élan, il assène un puissant coup de poing dans l’estomac du second qui se plie en deux avant de se redresser en brandissant un morceau de verre taillé.

    Les autres détenus s’écartent alors que la sirène est déclenchée par un surveillant posté dans l’un des trois miradors qui dominent la cour de promenade.

    Dagorn esquive les premières attaques par d’habiles rotations du buste qui le mettent momentanément hors de portée de son agresseur mais le détenu au nez cassé s’est glissé derrière lui et parvient à lui bloquer les bras en le ceinturant.

    Tandis qu’une équipe d’intervention fait irruption dans la cour de promenade, Dagorn, prenant appui sur l’homme qui le maintient contre lui, parvient à projeter ses deux jambes dans la poitrine du détenu qui tente de le taillader avec son éclat de verre.

    L’instant d’après, lui et ses deux agresseurs sont submergés par l’assaut des membres de l’équipe d’intervention qui les menottent avant de les traîner hors de la cour, sous le regard déçu de Tellier qui aurait tant voulu voir Dagorn subir une sévère correction.

    Au moins, pense-t-il, il n’aura plus à supporter sa présence dans leur cellule au cours des prochains jours car il fera certainement un séjour en isolement.

    Une heure plus tard, Dagorn se retrouve devant la directrice du centre pénitentiaire qui a décidé, pour des raisons de sécurité dans l’établissement, de punir sans tarder les fauteurs de trouble sans attendre la tenue de la commission de discipline.

    Yvette Lalova, la directrice, est une femme autoritaire d’une quarantaine d’années, mince et coquette, nerveuse car ses mains pianotent sans cesse sur le bord de son bureau, aux décisions tranchantes et au sourire rare mais impitoyable.

    Comme toujours avant que sa violence ne se déchaîne, Dagorn semble calme. En tous cas, bien calé sur sa chaise, les deux mains posées sur ses genoux, il est d’une immobilité parfaite et pas un muscle de son visage rocailleux, que l’on croirait grossièrement sculpté par un artiste malhabile, ne tressaille. Ses yeux d’un bleu acier ne cillent pas sous ses sourcils broussailleux.

    – Dagorn, j’ai devant les yeux le constat d’incident qu’a dressé l’agent pénitentiaire et je constate que vous êtes une nouvelle fois mêlé à une bagarre ! Vous appréciez les séjours au mitard, semble-t-il ?

    La Bête, breton natif du Faouët qui doit son surnom à son physique massif et à sa cruauté, toise la directrice d’un air suffisant.

    – Vous avez dû apprendre, car il y a eu une quinzaine de témoins sans parler de vos surveillants, que je ne n’ai fait que répondre à des provocations.

    Piquée au vif, la directrice se redresse, méprisante et sa voix se fait tranchante :

    – Quoi qu’il en soit, vous vous retrouvez toujours associé à chaque conflit qui dégénère dans cet établissement. Vous êtes un homme vil et particulièrement violent, Dagorn ! En outre, il s’avère que vous êtes incapable de maîtriser votre agressivité. Cela laisse d’ailleurs mal augurer de votre procès qui doit débuter la semaine prochaine.

    Impassible, Dagorn rétorque :

    – Je me défends, c’est tout, quant à mon procès, il ne vous regarde pas !

    – Il suffit Dagorn, vous m’indisposez à ne jamais reconnaître vos torts et je vous prédis que vu votre comportement de brute, les jurés auront bien du mal à vous trouver des circonstances atténuantes. D’ailleurs, vous n’en méritez aucune.

    Yvette Lalova se tourne ensuite vers son adjoint.

    – Une semaine en cellule disciplinaire pour ce triste individu, cela lui laissera peut-être le temps de réfléchir, même si je doute qu’il en soit capable.

    Dagorn se lève sans attendre d’en recevoir l’ordre.

    – N’ayez crainte, je vais aussi m’occuper des deux autres agitateurs ! lui lance la directrice alors qu’il quitte la salle, encadré par deux surveillants.

    8 septembre

    Le tintement d’une canne se répercute sur les pavés. A petits pas mesurés, Corentin Sauveur se dirige vers son échoppe située rue des Charrettes à Locronan. Habitant rue Moal une grande maison en granit dont il n’a meublé que les quelques pièces qu’il occupe, il connaît parfaitement le nombre de pas, cent quinze exactement, qu’il doit effectuer avant de tourner légèrement à droite pour rejoindre, treize pas plus loin, son atelier où règne l’odeur âpre du cuir.

    A la porte de sa boutique, il passe la canne dans sa main gauche et avance le bras droit pour repérer l’emplacement de la serrure qu’il trouve sans difficulté, tant il est habitué à faire ces gestes. Ensuite, il ne lui reste plus qu’à introduire la clé, à pousser la porte qui frotte un peu sur le seuil en granit, à avancer tout droit de cinq pas pour atteindre son établi. Là, il peut poser sa canne blanche car il connaît chaque centimètre carré de son petit univers encombré de ceintures et d’étuis en cuir aux multiples coloris, de boucles de ceinture en étain ou en porcelaine de Limoges, de boloties avec pierres véritables.

    Corentin apprécie d’habiter et de travailler à Locronan, petite cité de caractère de seulement 800 habitants mais qui reçoit chaque année plus de 500 000 visiteurs amoureux d’un village authentique et minéral où le granit, la pierre symbole de la Bretagne, règne en maître, élevant les belles demeures et pavant les rues.

    Sa splendeur est née au XVII siècle du commerce des toiles de voile qui attirait de nombreux négociants, puis la bourgade élevée au rang de ville par Anne de Bretagne a connu le déclin dès le siècle suivant mais a réussi à conserver son exceptionnel patrimoine architectural, préservé très précocement.

    Cette beauté immuable fait le bonheur de Corentin qui en a conservé les plus belles images dans un coin de sa mémoire, en sachant qu’elles sont toujours fidèles à leur réalité actuelle. Sa ville restant telle qu’il l’a connue avant sa cécité et quasiment telle qu’elle fut dans les siècles passés, il n’a ainsi pas à faire l’effort d’imaginer son évolution.

    Car Corentin Sauveur est aveugle. Pas de naissance, il avait passé la cinquantaine lorsqu’une maladie dégénérative l’a progressivement privé de la vue, lui laissant au moins la faculté de s’adapter peu à peu à la cécité qui le gagnait. Avec sa capacité à encaisser les coups durs, en fléchissant certes mais sans jamais s’effondrer, trait caractéristique de son caractère, il avait accepté ce handicap qui lui tombait dessus sans jamais se plaindre, en s’habituant à prendre des repères dans l’espace à l’intérieur de ces petits périmètres de vie que constituaient son logement et son atelier ainsi que les rues de Locronan qu’il ne quittait plus. Avant qu’il ne perde complètement la vue, il s’était inlassablement entraîné à répéter les yeux fermés chacun des moindres gestes de son métier d’artisan du cuir, les réglages de ses machines traditionnelles amoureusement conservées et entretenues, la découpe du cuir, la couture, le poinçonnage, l’ajout de la boucle. Patiemment, il avait visualisé dans sa tête tout ce que ses mains avaient mémorisé durant plus de trente ans et, s’il avait jeté bien des pièces mal ouvragées au cours des premiers mois de son entraînement, il avait toujours su qu’il réussirait à redevenir l’artisan, si habile de ses mains, qu’il était jadis avant sa cécité. Par la finesse de son toucher, ses doigts étaient devenus sa vue et l’imagination qu’il déployait dans ses créations originales s’était même décuplée, tant il intériorisait les images des modèles qu’il concevait.

    En général, Corentin n’ouvre sa boutique qu’à 11h00, car faire sa toilette, s’habiller, prendre son petit déjeuner, tous ces gestes de la vie quotidienne lui prennent beaucoup de temps et surtout, il ne veut plus se presser. Savourer son café bien corsé en écoutant la radio, ou s’asseoir sur le banc devant sa maison lorsque le temps le permet, fait partie des plaisirs simples qu’il apprécie. Calme et placide, il est toujours d’humeur égale, mais peut également se montrer taquin avec ses proches et les clients qu’il estime. Parfois, la mélancolie le gagne lorsqu’un évènement lui fait penser trop fort à son fils disparu, mais il lutte alors pour ne pas se laisser submerger par la tristesse.

    Ce matin justement, les souvenirs de son fils dont il était si fier affluent, car il doit assister demain au procès de son assassin. C’est pour lui à la fois un soulagement, car il ne doute pas que l’accusé écopera d’une lourde peine, mais aussi une épreuve terrible sachant que le récit de cette tragédie ranimera immanquablement le chagrin qu’il a profondément enfoui en lui.

    Il craint également que le procès ne détériore encore la santé mentale déjà très perturbée de sa belle-fille, notamment lorsqu’elle devra témoigner de la barbarie dont elle a été victime.

    Pour ne pas se laisser envahir par les réminiscences de ce lourd passé, Corentin s’oblige à respecter méticuleusement sa routine du matin.

    Lorsqu’il ouvre sa boutique, il s’assoit toujours derrière son bureau encombré de morceaux de cuir savamment classés en fonction de leur largeur puis de leur longueur, car il s’oblige à être très ordonné pour pouvoir s’y retrouver sans peine, même lorsqu’il est seul. Ensuite, il met de la musique en fond sonore, ses petites lunettes rondes aux verres fumés, qui ne le quittent jamais, tombant légèrement sur son nez busqué, et il attend l’arrivée d’Elodie, la jeune vendeuse aux longs cheveux blonds qui vient l’assister et tenir la caisse, et qui, surtout, voit ce qu’il ne peut pas voir.

    Durant les périodes favorables au tourisme, les visiteurs sont nombreux à se presser dans son échoppe, parfois simplement pour toucher cette matière noble qu’est le cuir, pour se choisir une ceinture qu’ils garderont longtemps ou pour le regarder travailler. Corentin s’amuse souvent de la surprise de ses clients lorsqu’ils découvrent qu’il est aveugle et s’ébahissent alors de son habileté manuelle en le voyant manier ses outils avec tant de dextérité.

    Aujourd’hui, les clients ont davantage discuté avec Corentin Sauveur qu’ils n’ont acheté mais, ce n’est pas très grave, il n’a pas besoin d’un gros revenu, étant frugal et se contentant de peu comme en témoigne son physique d’ascète.

    Pour son repas du midi, Elodie a été lui cherché une galette et une pomme qu’il a mangé lentement, installé dans le jardinet qui jouxte son échoppe où un pâle soleil de fin d’été l’a réchauffé.

    Alors qu’il finissait de boire son café, Mathurine, sa belle-fille est arrivée. Corentin, qui l’a reconnue à son pas légèrement traînant, en a été surpris. Il avait déjà convenu avec Mathurine qu’elle viendrait le chercher demain matin pour qu’ils aillent ensemble au palais de justice.

    Bien qu’ils s’apprécient mutuellement, sa belle-fille ne vient qu’épisodiquement lui rendre visite dans son atelier-boutique. Pourtant, elle habite également Locronan, dans une vieille ferme isolée qu’elle a achetée deux ans auparavant pour se rapprocher de Corentin. Aussi, s’oblige-t-il à lui téléphoner chaque soir pour lui raconter les menus évènements de sa journée et s’assurer qu’elle va bien, ou plus exactement qu’elle se maintient en vie.

    Depuis les violences qu’elle a subies, ce jour maudit où elle a également perdu son mari, Mathurine n’est plus que l’ombre d’elle-même. La belle jeune femme dynamique et souriante qui répandait la joie autour d’elle est devenue quasiment mutique, parlant souvent par onomatopées, marchant la tête baissée d’un pas mécanique, souvent habillée à l’emporte-pièce d’un jeans et d’un pull informes dissimulant ses kilos superflus.

    En dehors de ses chiens, elle n’échange quasiment qu’avec Corentin, et encore doit-il lui arracher un à un les mots de la bouche.

    Il lui parle avec douceur, masquant son inquiétude.

    – Tu vas bien Mathurine ?

    Après un long silence, elle avance encore d’un pas et pose la main sur son bras.

    – J’ai peur !

    – De témoigner demain ?

    – Oui.

    Il se lève pour la prendre dans ses bras. Elle est aussi grande que lui.

    – C’est normal d’avoir peur. Tu sais bien que je serai avec toi pour t’épauler. Ton témoignage est important pour qu’il écope de la peine maximale.

    A nouveau, un silence que rien ne vient troubler, puis sa voix prend une intonation rauque.

    – J’ai trop peur, je ne pourrai pas…

    Il passe doucement la main dans ses cheveux.

    – Mais si Mathurine, je te soutiendrai. J’aurai de la force pour deux, tu sais.

    – Ils vont me demander de raconter ce qu’il m’a fait. Je ne pourrai pas.

    – Si vraiment c’est trop dur, nous demanderons que tu témoignes à huis clos, mais tu n’as pas à avoir honte de ce que tu as subi. C’est à lui d’avoir honte, pas à toi.

    – Alors, aide-moi, Corentin, j’ai tant besoin de ta force.

    – Nous serons deux. Tu verras, l’épreuve sera difficile à vivre pour nous deux, mais ce procès nous aidera peut-être à tourner la page car nous pourrons nous dire : ils vont payer pour le mal qu’ils ont fait.

    Mathurine se redresse et sa voix vibre de colère.

    – Ils ne paieront jamais assez cher pour ce qu’ils nous ont fait !

    * * *

    Dagorn a donc passé en cellule disciplinaire sa dernière semaine avant la tenue de son procès devant la cour d’Assises. Sans radio ni télé, derrière la porte métallique doublée par une grille, il a longuement arpenté les quelques mètres carrés de béton de sa cellule aux murs sales griffés de graffitis, avant de s’allonger sur un maigre matelas souillé de taches jaunâtres posé sur le bas flanc. Il s’est habitué à ne plus voir le ciel et a tenté d’oublier l’écœurante odeur d’urine qui émane des toilettes à la turque.

    9 septembre

    Cinq heures du matin. Déjà éveillé, Dagorn est étendu sur son matelas miteux qui ne vaut guère mieux qu’une paillasse, et il respire profondément, les yeux grands ouverts dans la semi-pénombre. La lumière électrique provenant du couloir se glisse sous la porte et diffuse une clarté blafarde sur les murs de sa cellule. Ce matin, il va quitter la prison, non pour recouvrer la liberté, mais pour assister à son procès devant la cour d’Assises de Quimper.

    Hier après-midi, son avocat, commis d’office, est venu le voir au parloir. Un jeune dégingandé aux cheveux longs coiffés à la diable dont les grands yeux sombres mangent un visage émacié. Son parler précieux l’a énervé et Dagorn s’est fait un plaisir de répondre à son avalanche de questions par un silence bourru entrecoupé de rares explications. A la fin de cet entretien qui n’en était pas vraiment un, Dagorn avait senti que la force animale qu’il dégageait, ainsi que son absence totale de remords, faisaient peur au jeune avocat qui le regardait déboussolé et inquiet sur le succès de ses futures plaidoiries.

    – Comprenez, monsieur Dagorn que vous me rendez la tâche impossible. Nous allons vers un véritable désastre à ce procès.

    – Et alors, cela va changer quoi ? Je sais que ma cause est déjà entendue ! avait craché La Bête en se levant brusquement pour lui signifier qu’il mettait fin à la discussion.

    Le jeune avocat avait refermé son dossier d’un air fataliste et avait quitté le parloir sans lui dire au revoir.

    Une porte qui grince, un cliquetis de clés, des bruits de pas qui résonnent dans le couloir, ça y est, se dit Dagorn, le moment est venu, ils viennent me chercher.

    Après une palpation minutieuse qui le fait se raidir, il doit se retenir pour ne pas frapper le surveillant, celui-ci lui demande enfin de sortir de sa cellule. Deux autres gardiens l’attendent dans le couloir, et c’est ainsi encadré par le trio qu’il franchit les innombrables grilles qui jalonnent le chemin vers l’extérieur.

    Dans une cour intérieure cernée de hauts murs en béton, l’attend le fourgon cellulaire qui l’amènera au tribunal de Quimper. L’administration pénitentiaire n’ayant pas d’effectif disponible pour assurer le transfert ce jour-là, c’est la gendarmerie qui en a été chargée, une équipe composée d’un chauffeur, que Dagorn ne peut apercevoir car il n’a pas quitté sa cabine, et d’un garde cagoulé, lourdement armé, qui l’attache à la ridelle du fourgon en lui passant les menottes. Il ne lui a pas adressé la parole, mais lui a indiqué de la main l’endroit où il devait s’asseoir. Par les trous de la cagoule, Dagorn a vu que les yeux du gendarme exprimaient la colère et il en a conclu qu’il connaissait ses antécédents criminels, mais lui-même était rempli d’encore plus de haine, une haine féroce qui suintait par tous les pores de sa peau. Un silence lourd s’est établi entre eux, chacun assis l’un en face de l’autre, et Dagorn a entendu distinctement la lourde grille de la prison se refermer derrière le fourgon.

    Durant le trajet, Dagorn s’est dit qu’au moins, il avait provisoirement quitté sa cellule – cela fait maintenant presque trois ans qu’il est en détention provisoire – et que la tenue de son procès allait rompre la monotonie de ces derniers mois où il n’avait connu que les murs gris du centre pénitentiaire, les surveillants moroses et les autres détenus querelleurs ou sournois.

    Ne pouvant regarder la route, il ne parvenait pas à anticiper les virages pris par le véhicule et il devait sans cesse se retenir pour ne pas glisser de son siège. A chacun de ses mouvements pour conserver son équilibre, les menottes grinçaient en frottant contre la paroi métallique de la camionnette de gendarmerie.

    Il sut qu’il approchait de sa destination lorsque le chauffeur actionna sa sirène pour ne pas risquer de voir son véhicule

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