La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel: Récit de vie
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Le 4 mai 2008, Mgr Jean-Michel Di Falco-Léandri, évêque de Gap et d’Embrun, reconnaît le caractère surnaturel des apparitions de Notre-Dame du Laus (1664-1718). L’acte est rare au sein de l’Église catholique (5 reconnaissances officielles d’apparitions depuis 1900 dans le monde) et souligne d’autant plus l’extraordinaire vie de Benoîte Rencurel. La mission de cette femme, laïque, illettrée, pauvre, vivant de rien et qui fut pendant un demi-siècle la messagère des volontés divines est édifiante à plus d’un titre. Sa vie est une des plus merveilleuses, au sens littéral du mot, qu’un être humain puisse vivre : pendant plus de 50 ans, Benoîte Rencurel a vécu avec la Vierge Marie, qui est venue régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange, qui fut son compagnon de route. Les éléments contenus dans les Manuscrits du Laus et le dossier de béatification fournissent des fondements solides pour rendre compte de ces phénomènes extraordinaires et de leur contexte historique. Le Laus est devenu un lieu où viennent volontiers les personnes qui se sont tellement éloignées de Dieu qu’elles ne savent plus comment le retrouver.
Découvrez la vie merveilleuse de Benoîte Rencurel a vécu avec la Vierge Marie, qui est venue régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange, qui fut son compagnon de route.
EXTRAIT
L’Ange ou d’autres Anges disent le chapelet avec elle : ils commencent le « Je vous salue Marie… » et Benoîte répond : « Sainte Marie, Mère de Dieu… ». Ils adorent ensemble le saint sacrement, chantent les litanies de la Passion… L’ Ange est parfois présent durant la messe auprès d’elle. Il arrive qu’il soit à ses côtés dans la vie de tous les jours, accourant pour l’aider ou la protéger. Il lui dit, par exemple, où retrouver des clés qu’elle a « perdues ». Il lui retire des objets dont elle n’a pas besoin ou au contraire lui fait des cadeaux, comme ce magnifique collier que Benoîte transformera en chapelet. Il la console lorsqu’elle est épuisée par ses ascèses. Leur intimité est telle qu’apparaissant un jour dans sa chambre à son réveil alors qu’elle n’est pas encore habillée, elle s’écrie : « Bon Ange, attendez s’il vous plaît que je me sois habillée ! "
A PROPOS DE L'AUTEUR
François de Muizon, ancien maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, étudie les phénomènes religieux depuis de longues années. Son sens du récit est fondé sur une véritable recherche et une réelle sensibilité spirituelle. Il a publié notamment Dans le secret des ermites d’aujourd’hui (Nouvelle Cité).
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La Vie merveilleuse de Benoîte Rencurel - François de Muizon
PROLOGUE
Quelle prodigieuse aventure que celle de cette paysanne illettrée, qui fut pendant cinquante-quatre ans (1664-1718) la messagère des volontés divines et qui, dans le même temps, reçut les plus implacables assauts de forces démoniaques qui la transportaient, disait-elle, en pleine nuit dans les montagnes environnantes. Sa vie est une des vies les plus merveilleuses que l’histoire religieuse nous ait laissées, merveilleuse au sens propre du terme tant Benoîte Rencurel vécut avec la Vierge Marie qui venait régulièrement lui rendre visite, et avec un Ange qui fut son compagnon de route. On est très vite étonné pour ne pas dire stupéfié par les charismes multiples et extraordinaires que le Seigneur a mis en elle : extases, illuminations, songes et visions, connaissance du futur, voyance et prévoyance, pénétration des esprits et des cœurs, relations avec les morts…
Benoîte a été choisie, et Le Laus, ce hameau inconnu des Alpes du sud, perdu dans la montagne à 200 km de Marseille et 150 km de Turin, pour remplir une Mission sans équivalent dans l’histoire des hommes, une Mission dont on mesure sans doute mal, aujourd’hui encore, la dimension prophétique. En effet, les événements que nous allons raconter préfigurent étonnamment les grandes apparitions mariales des XIXe et XXe siècles : Chapelle de la rue du Bac à Paris (1830), La Salette (1846), Lourdes (1858), Pontmain (1871), Pellevoisin (1876), Fatima (1917), Beauraing et Banneux (1932-33)… Il y a un avant et un après Le Laus.
Prenons garde cependant de ne pas faire de Notre-Dame du Laus seulement un sanctuaire marial. Les apparitions de Jésus, que ce soit crucifié sur la Croix d’Avançon ou enfant auprès de Marie, sont, à n’en pas douter, au cœur même des messages. Le Laus est aussi la Terre des Anges par excellence tant ils s’y manifestèrent de multiples manières. Enfin n’omettons pas les apparitions des saints au premier rang desquels saint Joseph, des bienheureux, comme les appelle Benoîte, de défunts ou encore, et dans un tout autre ordre, de démons.
Alors bien sûr, raconter une telle histoire est un pari certainement difficile. La vie de Benoîte Rencurel est d’une richesse si prodigieuse qu’il peut paraître bien téméraire de vouloir en embrasser d’un coup toutes les facettes : la voyante, la missionnaire, la mystique, la conseillère, l’ascète, la persécutée… Comment être fidèle à une personnalité aussi complexe, déconcertante parfois, admirable toujours, une personnalité qui ne se laisse enfermer dans aucun schéma préétabli ?
Fort heureusement, la raison se rebiffe et le doute s’insinue. Tout ce qu’on raconte est-il vrai ? Sommes-nous dans la réalité ? Est-ce une expérience hors norme ou une façon de dire, dans un contexte social et religieux tellement différent du nôtre ?
Ces questions s’imposent d’autant plus naturellement que cette histoire sublime se déroule à une époque où des récits légendaires soutiennent encore à l’occasion la foi populaire. Dans ces conditions, quelle crédibilité attribuer à ce que nous savons ?
Solidité des sources, personnalité de la voyante et cohérence des messages : les éléments d’information regroupés dans les Manuscrits du Laus¹ apparaissent comme des fondements solides et pertinents pour étudier ces phénomènes extraordinaires. Leur crédibilité s’est trouvée renforcée par l’instruction du dossier de béatification et de canonisation. Une commission de six historiens dont les noms sont traditionnellement gardés secrets en a notamment reconnu le caractère « authentique ».
« Refugium peccatorum », rappelle une inscription en latin, tirée des litanies de la Vierge et placée au-dessus de la chapelle incluse dans la basilique de Notre-Dame du Laus. Refuge des pêcheurs, c’est-à-dire des âmes en quête de paix et de repos. Un lieu pour ceux et celles qui sont tellement éloignés de Dieu, qu’ils ne savent plus comment le retrouver. Il faut, quand on vient ici, se souvenir de ces mots de Jésus : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin des médecins, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent². »
Dans le gouffre où l’homme se retrouve parfois, une échelle est lancée. Il ne la voit pas toujours. Souvent il ignore son existence car il regarde vers le bas et non pas vers le haut. Pour emprunter cette échelle, il faut en avoir le désir et la volonté, changer son regard, ouvrir les yeux, avoir la lucidité et la force nécessaires… Opérer une conversion. Le mot sera employé par Marie lorsqu’elle annoncera à Benoîte la Mission du Laus.
Cette grande et belle histoire commence au milieu du XVIIe siècle dans une petite vallée des Alpes…
1 Cf. chapitre VIII, 6.
2 Évangile de Luc 5,31-32.
Chapitre I
L’ÉVEIL
(1647-1664)
Le pays de Benoîte Rencurel est l’étroite vallée de l’Avance, près de Gap, dans ces Alpes intermédiaires, qui n’appartiennent déjà plus au sud, mais qui ne sont pas encore du nord, comme en témoigne sous l’Ancien Régime une situation à la frontière entre la Provence et le Dauphiné. La terre est assez ingrate et le plus souvent rocailleuse, l’environnement sans grand attrait : on ne trouve rien de pittoresque ou de spectaculaire dans cette nature simple et vigoureuse. Le schiste qui affleure ici et là donne une touche grise et austère au paysage.
On imagine aisément l’isolement de la vallée au milieu du XVIIe siècle, quand les moyens de transports sont limités au cheval qui n’est pas encore à vapeur. L’actualité met du temps à venir. Cependant la route d’Italie passe par là pour éviter l’octroi de Gap, filant ensuite vers Chorges, Embrun, Briançon et le col de Montgenèvre. Le trafic engendre davantage de maux que de richesses, comme nous le verrons, avec les guerres et leur charroi de prédateurs.
Les parents de Benoîte habitent à Saint-Étienne d’Avançon¹, village de 180 habitants parmi lesquels on compte trente hommes en âge de travailler. Le cadastre recense huit propriétaires. Nous sommes sur le fief seigneurial d’Avançon, qui dépend du diocèse d’Embrun sur le plan religieux et de la subdivision de Gap pour les affaires judiciaires. Le village aux maisons serrées les unes contre les autres semble placé sous la protection de l’église qui se dresse sur la pente.
L’endroit est considéré par l’historien Raymond Juvénis, comme « l’un des plus pauvres » de la province du Dauphiné. On compte seulement deux bœufs pour labourer les champs. La population vit de cette agriculture de montagne qui n’a jamais enrichi personne. Aux cultures du blé, du seigle et des légumes dans la vallée sur les terres les plus riches, s’ajoute l’exploitation des noyers dont on tire une huile précieuse, de la forêt pour le bois de construction et des vignobles sur les coteaux. L’élevage des vaches, des moutons et des chèvres tient une place importante dans l’alimentation. Enfin la fabrication artisanale de plâtre à partir des carrières de gypse et le chanvre produit par quelques chènevières², dans les marais sur la rive droite de l’Avance, complètent l’économie locale.
Les récoltes sont perturbées par les crues, la vigne donne un vin de qualité médiocre, la forêt ne possède pas de riches essences… On aura compris pourquoi les revenus que l’on tire de cette terre sont modestes.
La nourriture se compose, pour l’essentiel, de pain, de fromage et de lait, encore qu’il n’y en ait pas tous les jours, pour tout le monde : on ne mange « régulièrement à sa faim » que dans deux ou trois familles, précise Juvénis. La situation la plus difficile est celle des veuves qui sont le plus souvent contraintes d’aller chercher du travail à Gap.
Dans les années 1640, la misère est accrue par la crise qui touche une France en proie à un lourd déficit des finances publiques. Le pays est saigné par la Guerre de Trente Ans, qui se termine en 1648 avec la signature du traité de Westphalie. L’imposition excessive qu’engendrent le soin des armées et le financement des campagnes militaires n’a pas fini de peser sur l’économie, avec les conséquences que l’on connaît : hausse des prix, faillites, chômage et baisse de revenus pour la population.
Le Parlement de Paris réagit en votant le 13 mai 1648 une réforme des institutions politiques, qui vise à réduire le pouvoir royal. C’est un défi lancé à la régente, Anne d’Autriche (le futur Louis XIV n’est pas en âge de régner) et au Premier ministre Mazarin. La régente réagit en ordonnant, le 26 août 1648, l’arrestation des chefs de file de la sédition. Les corps intermédiaires et une noblesse dissidente se révoltent : la Fronde éclate à Paris et dans les provinces du Royaume. Ces événements vont avoir des répercussions jusque dans la vallée de l’Avance.
L’année suivante, de nouvelles hausses d’impôts sont imposées par le Premier ministre pour remplir les caisses de l’État. Le Parlement de Paris, suivi par les Parlements de Province, refuse. La Fronde prend de l’ampleur. Un mouvement insurrectionnel traverse le pays. Le pouvoir vacille.
Amat, le Directeur Général des Gabelles est assassiné en 1649, à Avançon. Le complot a été fomenté par plusieurs bailliages locaux. Les responsables sont arrêtés et les bailliages impliqués, dont celui de Saint-Étienne d’Avançon, condamnés solidairement à une amende de 2 100 livres. Le poids d’une telle dette laissera de profondes cicatrices dans un terroir qui n’avait pas besoin de cette épreuve supplémentaire.
Si la famille Rencurel n’est pas parmi les plus pauvres, elle n’est pas riche pour autant. Elle habite une maison³ du village à proximité de l’église. Le rez-de-chaussée, comme c’est généralement le cas à l’époque, abrite l’écurie. Le logement est à l’étage ; il est composé d’une grande pièce avec une cheminée et une alcôve. On trouve aussi un oratoire avec une statue de la Vierge et « quelques images pieuses⁴ ». Les parents ont la réputation d’être de « bons catholiques et très vertueux ».
C’est dans cette modeste famille de paysans alpins que naît Benoîte le 16 ou le 17 septembre 1647, et non le jour de la fête de saint Michel comme une pieuse légende le voudrait, prédestinant ainsi celle qui sera l’amie des Anges. Les archives de l’État Civil de Saint-Étienne d’Avançon ont été brûlées lors d’un incendie en 1692 et le seul document officiel que nous possédons est la copie de son certificat de baptême qui porte la date du 17 septembre. On en a déduit celle de sa naissance, en tenant compte de l’usage courant selon lequel on baptisait un nouveau-né le jour de sa naissance ou le lendemain.
Dans cette famille, on choisit des prénoms bien chrétiens. Benoîte, le nom vient du latin benedicta, qui veut dire bénie. Son aînée d’un an et demi s’appelle Madeleine et elle aura, trois ou quatre ans plus tard, une seconde sœur prénommée Marie⁵. Les enfants reçoivent une éducation religieuse et sévère à la fois. On rapporte qu’à l’âge de quatre ou cinq ans, Benoîte a été « fouettée aux orties⁶ » pour avoir donné des pelures de fromage à des enfants qui avaient faim, car la faim dans ce pays, on apprend à la supporter et on économise la nourriture surtout le fromage qui en est un élément de base, mais déjà pour Benoîte, les autres passent avant toute autre considération.
Sa première épreuve, elle la connaît à sept ans, avec la mort prématurée de ce père qu’elle aime tant. Quand on n’a pas de patrimoine comme chez les Rencurel, la disparition du père, c’est-à-dire de celui qui apporte son salaire pour faire vivre la famille, équivaut à plonger dans la misère. Benoîte s’en remet à la Providence et dit à sa maman, Catherine : « Dieu et sa Mère nous assisteront. » Ce serait une erreur de considérer cette attitude comme la banale réaction d’une fillette dévote : Benoîte se met intuitivement, spontanément, naturellement dans les mains de Dieu.
Le curé du village, Jean Fraisse, aide fort heureusement Catherine Rencurel et ses trois enfants dont l’aînée, Madeleine, n’a que neuf ans. Il agit en voisin puisqu’il habite la maison d’à côté, et il le peut sans se priver grâce à ses terres considérées comme les meilleures du terroir et sa pension annuelle de 550 kilogrammes de blé et 320 litres de vin.
La situation financière de la mère de Benoîte va s’aggraver quand ses parents – les Matheron – la dépouilleront du peu qu’elle a. Aussi, dès que ses enfants seront en âge de travailler, ils seront placés. Après Madeleine, ce sera le tour de Benoîte. Catherine Julien, nièce du curé, lui offre un emploi de bergère. Cette manière ne doit pas choquer : elle est usuelle. C’est une forme d’embauche et de troc dans l’économie de pénurie et de crise que l’on connaît alors. L’essentiel est assuré : un toit et le minimum vital.
On ne sera pas surpris d’apprendre que Benoîte n’a eu ni le temps, ni les moyens d’aller à l’école. Elle ne saura jamais lire, ni écrire, et signera jusqu’à la fin de sa vie d’une simple croix comme en témoignent les registres paroissiaux où elle figure quarante fois comme marraine.
Avant sa mise en service – c’est-à-dire son départ du foyer maternel – Benoîte, qui a douze ans, va voir sa maman et lui demande un chapelet. On est en droit de penser qu’elle a l’habitude de lui emprunter le sien pour prier et qu’il va lui manquer. Sa mère accepte. Pour Benoîte, grâce à ce chapelet, un lien est assuré avec Marie, la sainte Vierge, sa maman du ciel.
Un an plus tard, c’est-à-dire en 1660, sa situation change. Elle est placée, en alternance, une semaine chez les Rolland toujours comme bergère et une semaine chez madame Astier, une veuve du village⁷.
Dès cette époque, elle s’inflige des ascèses très dures. Il en va ainsi de sa faculté à jeûner. Lorsqu’elle s’aperçoit que les enfants de sa patronne n’ont pas suffisamment à manger, elle leur donne en cachette sa part de nourriture. Il lui arrive aussi de sauter régulièrement des repas lorsqu’elle travaille chez madame Astier, et même dit-on, de passer une semaine quasiment sans manger. À l’ordinaire elle est d’une extrême frugalité, se nourrissant de presque rien.
Très jeune aussi, elle commence à s’imposer de cruelles mortifications. Elle n’a que 14 ans quand elle se flagelle le dos et les épaules jusqu’au sang avec la discipline, un petit fouet composé de cinq chaînettes en fer. Comme si cela ne suffisait pas, elle porte un sous-vêtement de crin, un cilice, qui irrite et blesse la peau. Elle dort très peu. Quelques heures à peine. En général trois ou quatre heures. Et consacre le reste de sa nuit à la prière. On ne doit pas s’en étonner. Il est dans la culture religieuse de l’époque de valoriser la pénitence et les mortifications. Même chez les pré-adolescentes, on laisse faire avec un œil bienveillant des pratiques qui paraissent aujourd’hui excessives ou même dangereuses.
Deux siècles plus tard, Mélanie, la petite voyante de La Salette, jeune paysanne des Alpes comme Benoîte, sera dès son plus jeune âge une grande ascète. « Je sentais en moi, déclarera-t-elle, comme une nécessité absolue de souffrir⁸. » Benoîte aurait très bien pu faire, nous semble-t-il, le même aveu. Elle suit le chemin de la Croix. Ce besoin d’imitation de Jésus Christ dans la souffrance n’est pas pour autant une spiritualité négative. L’ascète s’élève. Benoîte trouve un équilibre mystérieux et fécond dans un mode de vie, qui sera le sien jusqu’à la fin de ses jours.
On voit également naître, dans ses jeunes années, les traits caractéristiques d’une forte personnalité religieuse. Elle pratique naturellement la méditation et s’adonne à la prière. Voici un des premiers témoignages que nous en ayons. Un matin, sa mère lui demande⁹ d’aller chercher de l’herbe aux champs près de Valserres, sur les pentes du Puy-Cervier. En s’y rendant, elle passe devant la petite chapelle qui se trouve à côté du cimetière, et poussée par « un très fort désir intérieur », elle y entre.
Elle tombe aussitôt en prière. Les heures passent sans qu’elle s’en aperçoive. C’est la fin de l’après-midi lorsqu’elle prend conscience qu’il est temps d’aller couper de l’herbe. Elle a complètement oublié le travail qu’elle avait à faire, et voilà qu’en sortant, elle voit le sac, qu’elle avait laissé dehors, rempli d’herbe… On peut penser qu’une de ses amies passant par là l’aura ramassée, ou y voir, comme certains auteurs, une intervention céleste.
Très tôt chez Benoîte se manifeste un caractère mystique marqué. Son âme contemplative est attirée, aimantée par les mystères du ciel. Elle plonge dans l’oraison comme dans tout ce qu’elle entreprend, c’est-à-dire sans calcul, ni demi-mesure. Elle a le goût et le sens de Dieu sans que cela résulte chez elle de cette piété imitative que l’on retrouve chez certains enfants.
L’église de Saint-Étienne d’Avançon devient le lieu privilégié de sa prière. Elle s’y rend de jour comme de nuit, dès qu’elle le peut. Elle a de la chance, si on peut dire… Détruit pendant les Guerres de Religion, l’édifice a été rebâti en 1614 sur des fonds fournis personnellement par Mgr Honoré de Laurens, l’archevêque et prince d’Embrun. Ce n’est pas sans importance dans la vie d’un village : l’église est le centre communautaire, c’est là qu’on se retrouve dimanches et fêtes pour la messe ; on sonne les cloches au moindre événement et même pour détourner l’orage, la vibration des cloches ayant cette réputation. C’est aussi sous l’auvent de l’entrée que se réunit le Conseil de Communauté¹⁰, qui gère les affaires communes.
Benoîte va donc prier dans cette église qui se trouve à deux pas de chez elle. On peut l’imaginer à genoux devant les statues de la Vierge, de sainte Anne ou de l’Enfant Jésus. Elle doit dire des Je vous salue Marie, des Notre Père et des Je crois en Dieu, les trois seules prières qu’elle connaisse.
La dévotion naissante qu’elle manifeste pour la Vierge Marie s’enflamme à la suite d’une homélie dominicale de Jean Fraisse. Le curé y parle de la bonté et de la miséricorde de la sainte Vierge en des termes qui la marquent profondément. Retenons ici la capacité d’écoute et d’obéissance de la jeune Benoîte, et aussi cette phrase forte de Maurice Zundel, qui semble avoir été écrite, trois siècles et demi plus tard, pour elle : « Celui qui écoute porte en lui-même une faculté de discernement. » Il faudra s’en souvenir.
Dès ce moment-là, « elle éprouve un grand désir de voir la Vierge Marie