Marvin Gaye de retour à Oostende: Biographie romancée
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« Il y a de ces trucs qui vous donnent envie d’arrêter tout, puis de prendre la décision irrévocable de quitter votre pays natal pour ne jamais y revenir. Plaquer père et mère, frères et sœurs, tant le dégoût est insurmontable. Alors que les gens naissent avec le cœur sur la main, ils finissent par grandir l’estomac dans les talons, nuit et jour. Par suite, on en arrive même à perdre la foi, quelque pieuse et dévote eût été notre éducation. » Dans un tumulte permanent, aussi violent que les sentiments qui se télescopent dans sa tête chamboulée par l’usage abusif de substances illicites, le narrateur retrace le chemin, aussi tragique et complètement délirant fût-il, qui l’a conduit par des paliers de plus en plus brinquebalants à tomber sous les balles de son propre géniteur, d’une arme qu’il lui avait achetée comme avec le secret espoir que ce dernier en ferait usage contre lui le jour venu, puisque tel était le destin tristement évident de cet homme, le narrateur Marvin Gaye de son nom, et tel était également le sort funeste qui l’attendait. L’auteur, Georges Monny, à travers cette rétrospective romancée, essaie de suivre du début à la fin le parcours difficultueux qui lui fut imposé depuis sa plus tendre enfance à la notoriété malgré les signes jamais trompeurs d’une mort annoncée de longue date par les fins observateurs en direct de ce mélodrame fou.
Ce roman biographique vous plongera librement dans le parcours tumultueux et maudit du chanteur Marvin Gaye, venu se ressourcer à Ostende en 1981.
EXTRAIT
Au demeurant, n’est-ce pas Gwen Gordy - la sœur de ma femme Anna Ruby Gordy Gaye - qui persuada la « Motown » de permettre à Tammi Terrell de chanter en duo avec moi ?
Tout au long de ces trois exubérantes et démentielles années, Tammi et moi avions mis le pays entier à genoux. Avec notre répertoire à nul autre pareil à l’époque - des tubes comme Ain't No Mountain High Enough ou If I Could Build My Whole World Around You - que j’allais reprendre bien des années plus tard avec Florence Lyles, après que Tammi eut succombé à une tumeur du cerveau en 1970 - déclenchaient des émeutes en plein concert. Quelle misère, quel désastre et quelle dévastation que la mort de ma partenaire, ma petite-sœur bien-aimée…
Ce fut le début d’une période des plus noires que j’ai connues, où j’allai jusqu’à faire le serment de ne plus jamais chanter en duo avec personne d’autre, quitte à me résoudre moi-même à abandonner la scène pour toujours. Je ne pouvais m’empêcher d’y repenser, ce jour-là, sur les hauteurs de Helgoland. Il n’y avait pas de grands magasins de faiseurs célèbres à « dévaliser » dans ce bled, mais j’imaginais fort bien Tammi sautillant sur les marches d’escalier menant là-haut, au bord de la falaise. En effet, après avoir déjeuné d’un poisson exquis et réglé une note incroyablement insignifiante, je m’étais laissé tenter à suivre un groupe de touristes qui ahanaient en direction de ce promontoire, d’une majesté à vous couper le souffle, qui surplombait la mer de toute sa hauteur.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1956 à Douala Cameroun, Georges Monny s’est installé en France en 1977, où il a poursuivi des études universitaires en Droit et en Langues. Lecteur-correcteur, traducteur, réviseur de traductions et écrivain, sa démarche pluridisciplinaire l’a conduit naturellement au règlement des conflits en tant que Chargé de l’Information à l’ONU. À la suite de L’Épine dans le pied, aux Éditions Le Lys Bleu en 2018, Georges Monny continue son bonhomme de chemin avec Marvin Gaye de retour à Ostende, une passionnante plongée dans les miasmes des bas-fonds de l’âme humaine : une défense atrabilaire de la star écologiste au destin maudit.
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Marvin Gaye de retour à Oostende - Georges Monny
Georges Monny
Marvin Gaye de retour à Oostende
Roman
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Georges Monny
ISBN : 978-2-85113-647-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la Propriété intellectuelle.
Première Partie
Des sources de l’horreur
Faire un détour par ici.
Se pencher sur les énigmes de la pensée vive.
Boire à la source du savoir.
Crier en silence son amour pour autrui
en sa quintessence.
Réconcilier le grand, le beau, le vrai et le bien.
I
Il y a de ces trucs qui vous donnent foutrement envie d’arrêter tout, puis de prendre la décision irrévocable de quitter votre pays natal pour ne jamais y revenir.
Plaquer père et mère, frères et sœurs, tant le dégoût est insurmontable.
Alors que les gens naissent le cœur sur la main, ils finissent par grandir l’estomac dans les talons, nuit et jour. Par suite, on en arrive même à perdre la foi, quelque pieuse et dévote eût été notre éducation. Du coup, on finit par passer son temps à traverser la rue afin d’éviter de mettre un nom sur la face d’une de nos frangines qui, le visage délibérément tourné ailleurs, se font maquer toute honte bue pendant qu’elles harponnent à longueur de journée des michetons et que nos potes d’enfance sombrent corps et biens dans l’abîme de la toxicomanie et l’alcool.
À ce stade-là, toutes les références sont biffées de la carte et toutes les valeurs, reléguées aux orties.
Entre-temps, l’autre manège continue jusqu’aux Calendes grecques : la queue devant les services sociaux et tout le bazar.
C’est ainsi que l’humiliation est devenue la pitance à laquelle nous sommes réduits à nous repaître au quotidien.
Quant au fond, putain mais qu’est-ce que c’est que ce pays de merde et qu’a-t-il encore à nous offrir en échange, lors même que ce sont nos ancêtres qui l’ont bâti à la sueur de leur front ?
Et nous restons là, le nez en l’air, à persister à y croire, en leur sempiternelle promesse : « Tu gagneras ta vie à la sueur de ton front »…
On s’enfonce le doigt dans l’œil jusqu’au coude, ouais !
Des conneries !
Même à la sueur de notre front, nous ne gagnons plus notre vie.
C’est fini, cette époque-là.
TER-MI-NÉE !!!
Rien ne sert plus d’aller écouter tous les dimanches le prêchi-prêcha de mon paternel, le prédicateur. Peine perdue.
Quel numéro, celui-là !
Lui au moins s’en sort les doigts dans le nez : carrosse blindé, bagouzes aux dix doigts, sans compter des gonzesses en veux-tu-en-voilà. Et par-dessus le marché, ce mec ose nous intimer de respecter la Parole de Dieu. À l’entendre, nous ne devrions même plus nous adonner à nos musiques profanes.
Des chansons païennes. Les uniques chants dignes de nos cordes vocales qui devraient être entonnés à la Seule et Simple Gloire de l’Éternel Tout-Puissant :
« Jéhovah Dieu des Armées », qu’il l’appelle.
Le saligaud.
Pendant qu’on y est, qu’est-ce qu’il ne va pas finir par exiger de nous ?
Bordel, pourquoi pas nous imposer l’abstinence avant le mariage et, pour faire bonne mesure, le Carême sec en sus ?
À le voir pourtant, il se trémousse avec emportement, la lippe molle et avachie, dans son bel embonpoint de bon vivant qui ne se prive pas. Pas besoin de se forcer pour entr’apercevoir les bourrelets de ses poignées d’amour qui tressautent sous la transpiration de ses hanches pendant qu’il chauffe la salle de sa voix de stentor et que la chorale se laisse assujettir.
On dirait qu’il a ravalé toute sa honte, mon dabuche. Dans notre quartier, là même où nous avons poussé comme de la chienlit, il ne condescendait même pas à jouer au basket avec nous, le « saint homme ».
Toujours collet monté, la mandibule en béton armé, raide droit comme un piquet, les fesses serrées.
On dirait une fiotte.
On ne comprend vraiment pas pourquoi des énergumènes de cet acabit se sont soudain mis à croire qu’ils étaient le Dieu réincarné, et partant, qu’ils étaient investis de la vocation farouche d’éliminer le Diable de la surface de la Terre.
Mon daron, lui, était persuadé d’une chose : c’était ou lui ou nous autres.
Aussi simple que ça.
Nous autres : les mécréants, la lie de la tribu, ce genre d’individus malodorants et infâmes, le ver malfaisant qu’il fallait extirper du fruit, à la manière dont eux autres séparaient le bon grain de l’ivraie.
Et pourtant, j’aimais bien chanter dans sa fichue église, moi.
Tout au long de mon enfance, je ne suis parvenu à trouver la paix que dans la musique. Déjà, c’était au piano et par la suite, à la batterie. Il ne s’en est donc pas fallu beaucoup pour que je me mette à nourrir un goût immodéré pour le R&B et le Doo-Wop, qui resteront à jamais mes lignes rythmiques de base en musique.
Cela dit, ces chansons d’église requéraient de moi une technique vocale prodigieuse. Il me fallait vaille que vaille réussir à chanter sur n’importe quel registre. Eh oui, moi je vous en fiche mon billet, j’adorais me lancer dans ces envolées qui emportaient notre petite communauté tout entière, dans un bel ensemble, comme une sorte de gigantesque mugissement de fin du monde. Alors, juste à ce moment-là, on se sentait tous un, soudés, inséparables et indissociables.
En osmose.
Mince, comme je pouvais adorer ça : ce sentiment de faire corps, d’appartenir à quelque chose de tangible !
Un repère auquel me fixer.
Lui, ne me faisait pas de cadeau. Il sentait que je lui échappais, tant il était finaud. En outre, il me regardait, du haut de sa taille, ses yeux fixés dans mes yeux qui ont toujours pleuré devant la tragédie de l’existence juste parce qu’il n’aimait pas jouer au basket avec nous dans la minuscule ruelle de notre cul-de-basse-fosse tandis qu’il persistait à me marteler à l’oreille que je n’étais qu’un voyou, une lopette, une ordure et un raté de première, jusqu’à enfoncer le clou :
— Tu sais, Marvin, je vais te dire une chose : tu ne pourras jamais chanter, petit. Jamais.
Mais ça, c’était avant que je ne rejoigne le groupe les Moonglows.
Il me surveillait du regard.
Un regard en biais.
Ce regard de reptile.
Des yeux de serpent.
Et moi, mes yeux en amande.
Hérités de ma mère, Alberta.
Il la tenait sous sa coupe, ma mère, tel un précieux trophée.
Tu parles d’une bonne affaire pour un salopard comme lui. Une fille originaire de Caroline du Nord, enseignante de surcroît. Quelle mouche a dû la piquer pour qu’elle vienne s’installer notre trou à rats de Washington, D.C. !
D’ailleurs, je n’ai jamais su comment ils se sont connus. Leur couple me semblait si désassorti. Il ne s’en est jamais ouvert, elle encore moins. Force est de reconnaître, ici, que ma mère gardait en toutes circonstances un visage hermétiquement fermé, qui devait sans doute refléter le froid dans son cœur, la désillusion et le poids de ses vicissitudes.
Du coup, je n’ai pu mettre le doigt sur le sens profond de la relation qu’ils entretenaient l’un avec l’autre. Ce que j’ai cru comprendre, c’est que ma mère avait un oncle maternel qui était également un ministre du culte, et qui l’avait recueillie à la mort précoce de ses parents. Sans doute par reconnaissance vis-à-vis de lui, elle avait jugé bon de lui obéir les yeux fermés le jour où il lui présenta l’homme qui allait devenir mon géniteur. Il faut avouer, néanmoins, à la décharge de ce dernier, qu’il avait alors beaucoup de prestance, à en juger par les vieilles photos qui trônaient sur la cheminée, au domicile familial.
On devinait à son allure tout entière le déhanchement qu’il affectait d’emprunter à l’abordage de la gent féminine.
Sale type.
C’est sans doute de cette époque que date mon animosité envers cet homme, surtout parce que depuis ma prime enfance, j’ai dû m’interposer entre eux lorsqu’il devenait violent. Il nourrissait certainement une sorte de complexe d’infériorité à son endroit. J’ai l’impression qu’il y avait comme du chiqué chez lui, comme une sorte d’arnaque ou de supercherie.
La faisande.
Je me demande même s’il savait lire parfaitement, à la manière dont il devait s’attarder longuement, à la maison, à la lecture des extraits de la Bible qu’il prévoyait citer dans son prêche du lendemain.
De toute façon, il ne les préparait jamais par écrit, ses prêches.
Talent oratoire hors pair ?
Plutôt baratin, truculence et bagout, ouais.
La tchatche.
Cela une fois posé toutefois, il restait encore une explication plausible à l’attachement d’Alberta pour lui : l’amour sans doute, cette lueur d’admiration qui de manière fugace illuminait de loin en loin son regard sur son jules, une sorte de vénération - non, disons plutôt - d’adoration, ou d’idolâtrie simplement.
Mais bien entendu, la tchatche devait y être pour quelque chose également.
Et Dieu seul sait combien, en tant que prédicateur, il pouvait y exceller.
Il lui arrivait de surprendre mon regard posé sur ma mère juste au moment où, dans ces imperceptibles instants d’impudeur et de laisser-aller, elle le vénérait des yeux.
Il devinait ce que je me disais dans mon for intérieur.
Il savait que je le haïssais alors plus que jamais.
Quel rigolo.
Un guignol.
Après avoir essayé de me dresser à sa manière, à force de coups de fouet, de boucles de ceinture, d’incriminations, admonestions et objurgations