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Le marché aux tueurs: Polar régional
Le marché aux tueurs: Polar régional
Le marché aux tueurs: Polar régional
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Le marché aux tueurs: Polar régional

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About this ebook

Un forain, menacé de mort, est obligé de fuir à Poitiers, où son destin le rattrape bien vite...

« Hier après-midi on a essayé de me tuer, de me tuer !!! Je ne devrais plus être là.
Un malade est passé à l’action ; il a cherché à me dézinguer en haut du Gaudy ! Un des mes refuges préférés, un des seuls endroits où je suis bien, dans la nature, loin de cette société pourrie qui n’est pas faite pour moi. Elle ne veut pas de moi non plus, je la dérange, je ne suis pas dans les clous. J’aime le Gaudy, l’homme l’a abandonné, j’en suis ravi. Qu’on les laisse en paix les squelettes des sarcophages une fois pour toute ! Qu’on laisse pousser les arbres, les taillis et les ronces. »
Geoffrey Mareuil menacé, doit quitter Guéret pour se réfugier à Poitiers. Il y connaîtra un destin tragique. Le commandant Venturini, flic philosophe, est chargé de l’enquête. Se laissera-t-il enfumer par les évidences ? Non bien sûr, mais est-ce suffisant pour découvrir la vérité ?

La vérité éclatera-t-elle au grand jour ? Suivez le commandant Venturini et le commissaire Lebeau dans leur chasse aux suspects, avec ce polar régional qui déjoue les évidences !

EXTRAIT

Le visage du mort, aux yeux grands ouverts sur un ciel parsemé de nuages gris, reflétait un grand étonnement ; la mort frappe toujours par surprise. Le policier se demanda s’il avait enfin trouvé la sérénité, là où il se trouvait. Même s’il est vrai « que nous préférons nos angoisses de mort à la paix du néant », le terme d’une vie devrait déboucher sur la délivrance, du moins le supposait-il.
Ce visage lui parut soudain familier. Très vite il réalisa qu’il avait croisé cet homme au marché le matin même ; il tenait un stand d’articles africains. Le major Charvet et Daisy Gobert l’avaient sans doute questionné, il les appellerait très vite pour s’en assurer. Le meurtre de deux forains, à quelques jours d’intervalle, n’allait pas manquer de créer de l’agitation dans la ville et les pressions s’exercer sur les policiers de tous côtés. Ces deux crimes étaient-ils liés ? Il n’eut pas le temps d’approfondir ses réflexions.
– Commandant, il y a des gens qui veulent entrer dans le bâtiment, comment on fait ?
– Pour l’instant on interdit l’accès à tout le monde. Essayez de voir si l’on peut passer par la cave. Recouvrez le corps d’un drap, on ne peut pas le laisser ainsi exposé à tous les regards.
Plusieurs groupes distincts s’étaient formés à quelque distance du cadavre. A l’angle de l’immeuble, une quinzaine d’individus, plutôt jeunes, les regardait d’un air hostile. Ils n’aimaient pas voir les policiers intervenir dans ce qu’ils considéraient comme leur territoire. Mario Venturini en avait croisé quelques-uns lors d’affaires récentes liées à la drogue. Les parkings souterrains de cette rue avaient reçu plusieurs visites policières, ces derniers temps.
Un peu à l’écart, d’autres badauds observaient la scène, commentant les événements sans aucune retenue. Des enfants se tenaient au premier rang à peine surveillés par leurs parents : c’était là une curieuse idée pour une sortie dominicale ! Décidément il n’était pas fait pour avoir des enfants ! Il ne saurait pas comment les gérer, le mode d’emploi lui semblait trop complexe.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un suspense qui s'étoffe au fil des pages, alimenté par des suspects successivement coffrés par ce cher Lebeau ! - NLG, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Luc Loiret, qui a travaillé auprès des sourds et sourds-aveugles, vous propose son septième ouvrage et quatrième roman policier. Passionné de polars, ce vendéen de naissance, habite une belle commune de la Vienne, Vouneuil-sous-Biard. Depuis plus de quarante ans, il fait de fréquents séjours en Creuse, dans la maison natale de son épouse. Il vous emmène en balade de Poitiers à Guéret.
LanguageFrançais
Release dateAug 23, 2019
ISBN9791035305659
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    Le marché aux tueurs - Jean-Luc Loiret

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    Le marché

    aux tueurs

    Collection dirigée par Thierry Lucas

    © 2013 – Geste éditions – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    www.gesteditions.com

    Jean-luc Loiret

    Le marché

    aux tueurs

    Geste éditions

    « Tout récit à énigme se résume

    en une entreprise de manipulation

    d’un lecteur par un écrivain…

    L’auteur est toujours le complice du coupable. Et il est un traître qui lâche systématiquement son comparse à la dernière page. »

    J.M. ERRE

    L’action se déroule de nouveau à Poitiers avec de fréquents détours par la Creuse, département que j’ai découvert il y quarante ans et où j’ai toujours plaisir à séjourner dans la maison natale de mon épouse, à quelques encablures de Guéret. J’espère vous en faire aimer les paysages évoqués au long de ces pages.

    Dans mes polars précédents : « On ne meurt jamais par hasard », « La chute d’un flic poitevin » et « Croix de bois, croix de fer, si tu mens… », certains de mes lecteurs se sont amusés à percer le mystère de mes personnages, y recherchant des modèles vivants. J’ai été surpris des ressemblances qu’ils ont découvertes avec des personnes existant réellement auxquelles je n’avais pas pensé.

    Mes personnages sont tous imaginaires (enfin presque) ; j’aime cependant m’appuyer sur des observations glanées ici et là, pour leur donner vie et ce sera le cas une nouvelle fois ici.

    Malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pas progressé dans l’étude des rouages de la justice, n’essayez donc pas de voir dans cette fiction, une transcription fidèle de la réalité judiciaire. Il s’agit d’une œuvre romanesque et non d’un documentaire. J’y décris des policiers avant tout comme des êtres humains avec leurs passions et leurs soucis et non comme des techniciens, ce qui vaut mieux d’ailleurs pour éviter les incongruités.

    Mon unique motivation est de faire vivre des personnages, même ceux pour lesquels le destin se montrera tragique et par la même occasion vous emmener avec eux, dans un monde que j’espère le plus possible virtuel.

    Dimanche 29 octobre,

    strois heures du matin.

    Putain de journée ! J’ai failli me faire trouer la peau. Quel salaud m’en veut ? Impossible de le savoir, j’ai pourtant passé une partie de la nuit à me triturer les méninges, pour rien. Je n’ai eu qu’une vie de merde. Qui n’intéresse personne, elle a été insignifiante jusqu’à maintenant :je n’ai connu que des colères, des révoltes, et pour quel résultat ?

    Hier après-midi on a essayé de me tuer, de me tuer !!! Je ne devrais plus être là.

    Un malade est passé à l’action ; il a cherché à me dézinguer en haut du Gaudy ! Un des mes refuges préférés, un des seuls endroits où je me sens bien, dans la nature, loin de cette société pourrie qui n’est pas faite pour moi. Elle ne veut pas de moi non plus, je la dérange, je ne suis pas dans les clous. J’aime le Gaudy, l’homme l’a abandonné, j’en suis ravi. Qu’on les laisse en paix les squelettes des sarcophages une fois pour toute ! Qu’on laisse pousser les arbres, les taillis et les ronces.

    Je contemplais la vallée de la Creuse tout en bas, sans personne pour me casser les pieds. J’ai senti soudain la chaleur d’une balle au ras de mon oreille et presque aussitôt, j’en ai entendu une autre exploser dans le tronc d’un chêne à côté de moi, pas du petit plomb. Heureusement après le premier tir, j’ai failli me casser la gueule de surprise. J’ai échappé par chance au pire. Je me rappelle vaguement des détonations, celles d’un fusil. Je me suis sauvé à toute allure sur un terrain que je connais bien. Je sais, ce n’est pas courageux, mais je n’ai pas eu le temps de réfléchir.

    Je n’y comprends toujours rien !

    Dommage que le tireur ait été si maladroit ! J’aurai dû rester sur place pour qu’on en finisse, définitivement. Je ne serais pas là, à me lamenter sur mon sort.

    Mourir par surprise ça m’irait bien. Mais je ne pouvais pas me laisser tirer dessus, ce ne serait pas moi. Je ne suis pas comme les poilus qui partaient au front la trouille au ventre, pour se faire massacrer. Je n’aurais jamais pu. On m’aurait fusillé à l’arrière. Maudites guerres !

    Je dois comprendre ce qui m’arrive. Je n’ai pas d’ennemis contre qui me battre, ça m’énerve. Celui qui a cherché à me tuer est un sournois, il sera difficile à débusquer.

    Et les amis, je n’en ai pas beaucoup ! Je suis un loup solitaire, pas du genre à m’épancher.

    Je n’ai pas le choix, il faut que je décampe de ce trou pourri, je ne suis plus en sécurité. D’ailleurs qu’est-ce qui me retient dans cette ville ? Elle m’a si peu donné, je ne lui dois rien. Je ressemble à Marcel Jouhandeau ; je suis son frère, bien des années plus tard. Je m’y retrouve dans son Chaminadour. Je ne donnerai pas un nouveau nom à ma ville, elle restera Guéret. Comme lui, j’aime cette ville et je la déteste ou plutôt ce sont ses habitants qui m’énervent bien souvent.

    Je n’ai que mon journal pour me consoler. Il restera oublié au fond d’un tiroir et disparaîtra avec moi. Il a si peu d’intérêt ! Mais je ne voudrais pas qu’il tombe entre de mauvaises mains, on ne comprendrait pas. Je vais le planquer en lieu sûr.

    Je dois fuir d’accord, mais pour aller où ?

    – 1 –

    Le Gaudy

    « On a beau changer d’état,

    on ne change pas d’âme,

    on a beau changer de monde,

    on ne change pas le monde »¹

    Le Gaudy était un lieu familier, presque intime, pour Geoffrey Mareuil qui ne voulait pas entendre parler du Puy de Gaudy, cela sentait le dépliant touristique à plein nez. C’était le Gaudy, une fois pour toutes ! Le Gaudy était un havre de paix pour lui, pas vraiment un symbole de joie², cependant il y trouvait une certaine sérénité, il y goûtait des moments de calme dans l’existence torturée qui était la sienne. Il s’y sentait plus à l’aise que dans sa turne guérétoise, les murs n’étaient pas faits pour lui ; il avait besoin d’horizons sans obstacle, son regard devait porter loin.

    Il venait d’entreprendre, une nouvelle fois en ce samedi après-midi, l’ascension de cette colline chargée d’histoire qui dominait Guéret. Il avait abandonné, quelques instants plus tôt, son fourgon brinquebalant au Theil, à deux pas du château de Lavaud.

    Ce véhicule poussif était bien à son image. A trente ans passés, Geoffrey Mareuil offrait un visage cabossé, le plus souvent fripé, aux rides marquées. Une barbe de quelques jours, des yeux gris acier et une boucle d’oreille unique y ajoutaient une note inquiétante. Il aurait été très crédible s’il avait dû interpréter un privé dans un film tiré d’un polar de James Hadley Chase ou de Dashiell Hammett. Ses longs cheveux déjà grisonnants, tirés en arrière dans une queue de cheval approximative, le rendaient encore plus pathétique. Heureusement cette première impression était atténuée par le chapeau australien au cuir crasseux qu’il gardait du premier janvier au trente-et-un décembre ; ses larges bords apportaient un peu de douceur à son expression. Par-dessus un T-shirt noir à la gloire de l’Anarchie, il avait mis son habituel perfecto ; le temps frisquet de cette fin octobre annonçait selon les vieux creusois qu’il côtoyait au marché, un hiver précoce. Pour eux, quoiqu’il arrive, le pire était inéluctable, il est vrai qu’à leur âge ils n’avaient rien de réjouissant à attendre de l’existence.

    Les santiags qu’il enfilait été comme hiver, n’étaient pas des plus adaptées pour entreprendre cette grimpée. Qu’importe ! Jamais il ne mettrait de chaussures de sport à ses pieds. Il avait en horreur les joggeurs, les vététistes et autres marcheurs qui troublaient régulièrement sa quiétude. Ils étaient incapables de comprendre ces paysages sublimes qu’ils affrontaient, trop préoccupés par la seule performance, les yeux constamment rivés sur leurs montres GPS et leurs cardios. Ce culte obsessionnel du corps l’horripilait ; lui tout au contraire n’en avait rien à faire de sa carcasse, elle devait le suivre où qu’il aille et quoi qu’il lui fasse subir. Il brûlait sa vie par tous les bouts. Son médecin, consulté à intervalles très irréguliers, lui prédisait les pires catastrophes s’il continuait dans cette voie.

    En longeant une bâtisse pour partie en ruine, Geoffrey Mareuil se demanda un instant si Jean-Marie Chevrier n’y avait pas situé l’action d’un de ses derniers ouvrages³. Allait-il, au détour du chemin, croiser Mathieu et sa vache Io ? Il sourit en se rendant compte qu’il venait de balayer inconsciemment du regard le pré voisin, à la recherche du ruminant et de son maître. Il n’aurait pas été surpris de les apercevoir ; chez lui la fiction rejoignait fréquemment la réalité, la frontière entre les deux était très perméable. D’ailleurs sa vie n’était-elle pas un rêve éveillé, une vaste fumisterie ?

    Il alluma une nouvelle cigarette, déclenchant une toux rauque qui le plia un court instant en deux. Il s’efforça sans grand succès de contrôler son souffle en ralentissant légèrement son pas ; il avait tout son temps ! Les hêtres et les châtaigniers s’étaient dépouillés de leurs feuilles alors que les chênes faisaient de la résistance pour quelque temps encore. Il appréciait au plus haut point cette forêt de feuillus qui, depuis des générations, inséraient avec pugnacité, leurs racines dans les failles du granit ; ils étaient bien à l’image des anciens du pays, opiniâtres, entêtés.

    La mode des résineux qui avaient, depuis des dizaines d’années, envahi une partie de la forêt de Chabrières, le mettait en rage. On se justifiait en évoquant la nécessaire exploitation forestière, comme si l’exploitation des hommes ne suffisait pas ; cette dernière était d’ailleurs de moins en moins à l’ordre du jour. Pour faire plus vrai, on y avait même invité des loups. Quelle hérésie de les garder prisonniers pour le plaisir éphémère d’enfants capricieux !

    Quand un Martin Nadeau écolo allait-il se lever et brandir l’étendard de la révolte ? Il se serait bien vu dans ce rôle mais il était trop solitaire pour devenir chef de meute.

    On se moquait gentiment de lui quand il essayait de rallier des adeptes à sa cause ; pour tous il était un hurluberlu assez sympathique dont les propos ne méritaient pas qu’on s’y intéressât plus que nécessaire. Pas pour tous apparemment !

    Geoffrey Mareuil ne trouvait aucune circonstance atténuante aux sapins et aux douglas soi-disant plus nobles que les précédents. Quand il les condamnait, c’était sans nuance et à la peine maximale. Il les jugeait d’une tristesse infinie, d’un vert imbuvable d’un bout à l’autre de l’année, dépourvus de la moindre originalité, de la moindre grâce, exterminant sans état d’âme toutes les plantes qui avaient l’outrecuidance de pousser à leur pied. Dans ses moments de déprime, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps, il prétendait avec une mauvaise foi assumée qu’ils étaient trop égoïstes pour prêter l’une de leurs branches à la corde d’un pendu ; elle n’aurait pas résisté.

    Il reprit sa respiration en atteignant une esplanade bitumée à mi-pente. Il grogna de nouveau. Quelle idée d’avoir construit une route depuis les Bains-d’en-Bas jusqu’ici ! Pour un peu on aurait prolongé cette voie jusqu’au sommet. Le Gaudy se méritait, il ne pouvait être offert au tout venant, il exigeait un minimum de sacrifices pour l’atteindre.

    Il se calma en attaquant le dernier raidillon bordé de magnifiques hêtres aux branches tendues vers le ciel dans une imploration silencieuse aux divinités locales. Sur la droite il admira une fois encore les restes des remparts en pierres vitrifiées oubliés dans les broussailles. Peu de promeneurs s’intéressaient à leur existence et encore moins se passionnaient pour les mystères de leur réalisation.

    À bout de souffle, Geoffrey Mareuil parvint enfin tout en haut du Gaudy, face à une table d’orientation en piteux état. Elle avait été victime de vandales analphabètes. Qu’importe, elle ne lui était d’aucune utilité. Bizarrement, la seconde table sur sa gauche avait été préservée.

    Sous ses pieds, à perte de vue s’étendait un paysage grandiose dont il ne parvenait pas à se lasser, si ce n’est la pinède située sur la droite qu’il finissait par oublier. Il était capable de nommer chaque colline, chaque étang, chaque hameau, chaque château, qu’ils soient de Sainte-Feyre, de la Saunière ou de Saint-Laurent. Ces vallonnements infinis le mettaient en joie, il y trouvait une sorte de perfection, de douceur, d’accomplissement que seule la nature pouvait nous offrir.

    Il n’eut pas le temps de s’enfermer plus longtemps dans sa bulle, comme il avait coutume de le faire. Une balle siffla à son oreille, suivie d’une forte détonation qui fit s’envoler deux ou trois moineaux apeurés. De surprise il faillit perdre l’équilibre, ce qui le sauva. La seconde balle au lieu de l’atteindre, se ficha violemment dans le tronc d’un chêne rabougri, dans un flop sinistre. Un plomb pour la chasse au sanglier à n’en pas douter. Il aurait réduit sa tête en bouillie. L’instinct de survie le fit plonger, sans se retourner, dans un chemin escarpé, à peine visible du sommet. Il perçut le bruit d’un fusil qu’on recharge ; trop tard, il était hors de portée, protégé par les taillis et les touffes de buis et de genêt. Il s’aperçut alors qu’il avait perdu son chapeau dans sa précipitation. Il n’était pas question de rebrousser chemin pour le récupérer. Il en jura de rage. Il se sentait nu sans son couvre-chef, il avait l’impression d’être un cow-boy scalpé par un indien.

    Sa fuite ne faisait que commencer. Très vite ses poumons furent au bord de l’implosion. Un court instant il se promit d’arrêter de fumer avant d’abandonner cette idée saugrenue.

    Slalomant entre les arbres, sa descente fut laborieuse d’autant qu’il surveillait constamment ses arrières, évitant de s’exposer sur le chemin. Finalement il retrouva, plus vite qu’il ne l’avait pensé, son véhicule. Il avait l’avantage du terrain. Son assaillant semblait avoir abandonné provisoirement la partie. Son instinct lui suggérait que ce n’était qu’une trêve, il ne devait pas baisser sa garde.

    Une fois assis dans son véhicule, il essaya tant bien que mal de récupérer son souffle. Il réalisa alors qu’un individu bien au fait de ses habitudes avait cherché à le supprimer. Il se mit à trembler de tous ses membres, le froid n’en était pas responsable. Il eut toutes les peines du monde à allumer sa cigarette. Pour quelles raisons avait-on voulu l’anéantir lui qui n’avait jamais cherché à faire de mal à personne, lui le défenseur des causes perdues ? Il ne pouvait pas rester les bras ballants à attendre la prochaine offensive.

    Il regagna péniblement, dans un état second, son petit appartement, proche du Saint-François, au-dessus d’une agence immobilière. Les fenêtres donnaient sur la place Bonnyaud, vide comme bien souvent en fin d’après-midi. Dans l’étroit escalier grinçant qui y menait, il jeta de fréquents regards en arrière, bien inutilement.

    Allait-il devenir parano ? Le joint qu’il se roula sans attendre, l’apaisa momentanément. Il s’allongea sur son lit, tirant de larges bouffées, abandonnant son esprit à ses divagations. Combien de temps resta-t-il ainsi ? Il fut incapable de le dire. Son rêve éveillé l’entraîna de la place Bonnyaud, au Gaudy, puis au Theil, et enfin dans la forêt de Chabrières dans un désordre étrange. Il essayait d’échapper à des agresseurs surgissant des sarcophages du sommet. Sa tête bourdonnait d’assauts multiples ; il ne réagissait pas, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

    Vers une heure du matin, Geoffrey Mareuil put enfin se lever, il se passa un peu d’eau sur le visage et grignota une part de pizza desséchée, abandonnée depuis quelques jours dans son frigo. Il se mit à arpenter le couloir de son appartement de long en large comme un somnambule. C’était un rite chez lui quand il avait des décisions importantes à prendre. Pas sûr que cela l’aide à y voir plus clair.

    Une idée fixe l’obsédait : l’air devenait irrespirable pour lui à Guéret, il devait s’éloigner au plus vite. Il ne pouvait pas parler de son assaillant et celui-ci le savait. Lui, Geoffrey Mareuil, n’irait jamais raconter aux poulets ce qui lui était arrivé. Il se tenait autant que possible à distance de ces volatiles. Il imaginait sans peine les réponses de ces derniers et surtout leurs moqueries à peine voilées.

    Il était né à Guéret, il y avait vécu une grande partie de sa triste vie, mais il se rendit compte douloureusement qu’il n’avait que peu d’attaches en cette ville, que son travail sur les marchés de la Creuse et de quelques départements voisins lui permettait à peine de survivre et qu’il ne lui procurait plus guère de plaisir. Et le comble, sa dernière histoire d’amour venait de se terminer comme trop souvent dans la fureur et les éclats ; il ne survivait que dans l’éphémère.

    Alors pourquoi rester ? Il devait partir même s’il n’avait nulle part où aller.

    Il sortit un cahier quadrillé de sa cachette et commença à écrire laborieusement ; puis peu à peu son cerveau entra en action. C’était l’un de ses rares moments de bonheur véritable. Il avait de la peine à tenir son stylo dans sa main, tellement il tremblait. Ses idées, elles, étaient devenues très claires : fuir, fuir…


    1. Toutes les citations en tête de chapitre sont extraites de Chaminadour de Marcel Jouhandeau.

    2. Pour ceux qui auraient perdu leur latin, gaudium : la joie.

    3. Une lointaine Arcadie.

    – 2 –

    Un mercredi ordinaire,

    rue des Ecossais.

    « On épouse presque toujours

    le lendemain ce qu’on a répudié

    un peu trop vite la veille »

    Des Pâques précoces sont souvent synonymes de fraîcheur et de gelées traîtresses. Pourtant, cette année, la première quinzaine d’avril avait été particulièrement chaude et ensoleillée, sans la moindre goutte de pluie ; on parlait déjà d’une sécheresse historique, reléguant celle de 1976 aux oubliettes, et de nappes phréatiques désespérément basses. Le commandant Mario Venturini installé comme souvent en équilibre précaire sur l’avant de son fauteuil de cuir, les yeux mi-clos, se demanda un instant si le réchauffement climatique annoncé avec une certaine gourmandise par tous les médias, n’était pas devenu une réalité. En fervent disciple de Pyrrhon et de Saint Thomas, il se méfiait d’instinct des annonces péremptoires de ces spécialistes autoproclamés qui pullulaient depuis quelques années sur les écrans ou sur les ondes ; la rigueur scientifique était rarement leur marque de fabrique. Ses congénères avaient besoin d’éprouver régulièrement de nouvelles frayeurs, résidu sans doute des terreurs de nos ancêtres néandertaliens. Les angoisses du dernier millénaire étaient déjà de l’histoire ancienne et aucune comète n’avait l’intention de s’écraser sur terre ; dans l’immédiat la montée des océans et les dérèglements climatiques venaient à point. Il dut reconnaître que cette crainte n’était pas sans fondement, la folie des hommes étant sans limites.

    Il venait de parcourir d’un œil distrait les pièces du dernier dossier dont il avait été chargé, avant de le remettre à son patron. Un jaloux avait massacré l’amant de sa femme à grands coups de pioche et contre toutes les évidences il s’acharnait à se déclarer innocent ; il finirait par s’en persuader, si ce n’était déjà fait. Le juge d’instruction allait l’inculper dans les jours à venir et le tribunal l’enverrait pour une dizaine d’années à l’ombre. Sinistres conséquences pour un geste plus irréfléchi que prémédité !

    L’amour et surtout les déceptions d’amour entraînent des débordements qui s’avèrent parfois tragiques ; il était bien placé pour le savoir. Il est tellement facile de passer de l’adoration à la haine, souvent sans étape intermédiaire. Cela devrait être annoncé comme risque potentiel le jour du mariage, au même titre que les obligations légales insipides des publicités vantant un alcool fort ou un saucisson.

    Le commandant n’avait pas cherché à le faire avouer, c’était une perte d’énergie totalement vaine mais le nouveau commissaire s’était attelé à cette tâche avec un zèle navrant, comme pour prouver son savoir-faire. Sans succès comme l’avait pronostiqué Venturini. Quand on est face à un mur infranchissable, il est souvent préférable de le contourner. Dans le cas qui l’occupait, l’aveu était totalement superflu.

    En février, le commissaire Paul Despond avait enfin vu ses manœuvres incessantes pour être nommé à Paris couronnées de succès. Pour accélérer cet avancement tant attendu il s’était prévalu sans aucun scrupule du succès de son adjoint dans la résolution des meurtres à la croix⁴, l’année précédente.

    La tartufferie du commissaire, au moment du pot de départ, avait atteint des sommets. La larme à l’œil, il avait assuré qu’il regrettait d’être dans l’obligation de quitter une ville si attachante et des collaborateurs d’un tel professionnalisme. Il avait feint de ne pas remarquer les sourires narquois de ses subalternes.

    Venturini s’était alors rappelé à propos les mots de son philosophe favori : « Vertu sans bonne foi c’est mauvaise foi, et ce n’est pas vertu⁵ ».

    Son compère le procureur Jean-Michel Le Chenadec, de son énorme voix rocailleuse, avait été beaucoup plus convaincant dans ses propos. Il perdait son alter ego avec qui il avait formé un duo de choc pendant plus de trois ans. Les conférences de presse auraient désormais moins de tenue.

    Venturini gardait en tête la réflexion de son adjoint, Bruno Chalais.

    – Ne nous réjouissons pas trop vite ! On va peut-être le regretter et sous peu.

    Sa collègue Isabelle Pontreau, par jeu ou par provocation, l’avait contredit.

    – Ça m’étonnerait ! C’était quand même le roi des faux-culs.

    – D’accord avec toi, mais il ne nous cassait pas trop les pieds.

    A ce jour, Venturini n’était pas loin de penser que le lieutenant avait eu un bon pressentiment. Le nouveau commissaire, James Lebeau, avait voulu avec une autorité surannée, prendre possession de son territoire ; le partage des responsabilités ne figurait pas à son programme. Le message était clair : les policiers étaient là pour obéir.

    Les épaules étriquées du nouveau venu, une tête décharnée plantée bizarrement sur un cou interminable n’annonçaient rien de bon. Ses yeux fureteurs mettaient mal à l’aise dans les tête-à-tête, c’était comme s’il cherchait à prendre en défaut son interlocuteur, d’autant qu’ils étaient globuleux, comme sortis de leur orbite. Il faisait penser immédiatement à un batracien. Il ne méritait visiblement pas son patronyme.

    Venturini était persuadé, en bon philosophe, que le physique et le comportement étaient intimement liés et qu’ils influaient l’un sur l’autre. On ne pouvait que craindre le pire d’un individu doté d’un corps aussi tarabiscoté, comme s’il était la résultante d’un puzzle mal reconstitué ; son caractère ne pouvait qu’en pâtir.

    Les deux mois de recul dont il disposait ne faisaient que confirmer cette première impression.

    James Lebeau s’était montré d’emblée servile à l’égard du

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