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Les compétences de l'Union européenne: Ordre juridique de l’Union et contentieux européen
Les compétences de l'Union européenne: Ordre juridique de l’Union et contentieux européen
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Les compétences de l'Union européenne: Ordre juridique de l’Union et contentieux européen

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La Cour de justice a dégagé les grands principes gouvernant l’ordre juridique de l’Union en mettant en évidence la spécificité et l’autonomie du droit résultant des traités, dont le principe d’attribution de compétences constitue un élément central.

Cet ouvrage donne une lecture critique de ce qu’est le droit de l’Union, et de ses caractéristiques qui marquent sa singularité, dont les compétences font partie.

Un livre de référence indispensable pour ceux qui souhaitent accéder à une lecture critique de l'évolution du droit de l'Union et de ses caractéristiques essentielles.

EXTRAIT

La déclaration Schuman du 9 mai 1950, « véritable document d’origine de la Communauté », constitue le point de départ de la construction européenne et indique la voie retenue à cet effet : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait (…). Par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle (…), cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix ». C’est ce qui a été dénommé la « méthode fonctionnaliste », caractérisée par une approche fonctionnelle et pragmatique d’un processus se voulant évolutif, qui a effectivement permis à la Communauté européenne de développer son action dans des domaines de plus en plus variés, et ce avec des degrés divers d’intensité.
Cette évolution est certes le résultat d’une impulsion politique provenant des Etats membres. L’on se référera plus spécialement à la déclaration solennelle sur l’Union européenne, proclamée à Stuttgart le 19 juin 1983, par laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres ont, « dans le but d’engendrer une solidarité et une action commune toujours plus étendues », exprimé leur volonté de développer les politiques communautaires existantes et d’élaborer des politiques nouvelles4. L’Acte unique européen des 17 et 28 février 1986 (AUE) est le résultat concret de cette déclaration : il renforce et développe considérablement les compétences dévolues à l’origine aux institutions communautaires par le traité de Rome du 25 mars 1957. De nombreuses autres modifications ont été apportées par la suite à ce traité, avec le traité de Maastricht du 7 février 1992 et le traité d’Amsterdam du 2 octobre 19975, qui ont eu pour objet l’octroi de nouvelles compétences à la Communauté européenne, certes surtout au niveau économique, mais aussi dans des domaines non économiques, ainsi que dans certains domaines régaliens – telle la monnaie – réservés traditionnellement à la souveraineté étatique.
Le traité de Maastricht a toutefois vu la création parallèle de l’Union européenne, compétente notamment dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), pour lequel les Etats, soucieux de préserver leur souveraineté, ont prévu des règles particulières concernant l’exercice de ces compétences. C’est ainsi que des modes de coopération intergouvernementaux ont vu le jour par rapport au mode « traditionnel » d’exercice des compétences, en vigueur au sein de la Communauté européenne, que l’on connaît sous l’expression de « méthode communautaire ».

À PROPOS DE L'AUTEUR

Thierry Ronse est membre associé du Centre de droit européen de l’Université libre de Bruxelles et premier auditeur honoraire à la Cour des comptes de Belgique. Il est notamment le coauteur avec le professeur Jean Victor Louis, de l’ouvrage L’ordre juridique de l’Union européenne (2005).
LanguageFrançais
Release dateMay 22, 2019
ISBN9782800416762
Les compétences de l'Union européenne: Ordre juridique de l’Union et contentieux européen

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    Les compétences de l'Union européenne - Thierry Ronse

    Avant-propos

    Le présent ouvrage est consacré à la problématique des compétences de l’Union. Le ministre français des Affaires étrangères indiquait, dans sa célèbre déclaration du 9 mai 1950 : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ».

    Cette déclaration a enclenché un processus évolutif, qui s’est traduit par l’attribution de compétences à la Communauté, et puis à l’Union, et par l’instauration d’un nouvel ordre juridique au profit duquel les Etats ont limité leurs droits souverains. L’Union a cependant dû faire face au souci des Etats membres de préserver leur souveraineté, quitte à freiner le développement de la construction européenne.

    Les deux questions posées par la déclaration de Laeken du 15 décembre 2001, et qui sont au centre de l’ouvrage, reflètent ces tensions : comment, d’une part, garantir que le système des compétences organisé par le traité « ne conduira pas à un élargissement furtif des compétences de l’Union » mais aussi, d’autre part, veiller à ce que « la dynamique européenne ne s’affaiblisse pas » ?

    L’ouvrage, qui permet de mettre en exergue les grands traits spécifiques de l’ordre juridique de l’Union, constitue le premier volume de la grande matière « Ordre juridique de l’Union et contentieux européen ». Celle-ci comprendra au total quatre volumes : « Contentieux et protection juridictionnelle dans l’Union » ; « Sources du droit de l’Union » et « Droit de l’Union et droit national ».

    Marianne DONY ← 9 | 10 →

    ← 10 | 11 →

    Introduction

    1. La déclaration Schuman du 9 mai 1950, « véritable document d’origine de la Communauté »¹, constitue le point de départ de la construction européenne et indique la voie retenue à cet effet : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait (…). Par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle (…), cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix »². C’est ce qui a été dénommé la « méthode fonctionnaliste »³, caractérisée par une approche fonctionnelle et pragmatique d’un processus se voulant évolutif, qui a effectivement permis à la Communauté européenne de développer son action dans des domaines de plus en plus variés, et ce avec des degrés divers d’intensité.

    2. Cette évolution est certes le résultat d’une impulsion politique provenant des Etats membres. L’on se référera plus spécialement à la déclaration solennelle sur l’Union européenne, proclamée à Stuttgart le 19 juin 1983, par laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres ont, « dans le but d’engendrer une solidarité et une action commune toujours plus étendues », exprimé leur volonté de développer les politiques communautaires existantes et d’élaborer des politiques nouvelles⁴. L’Acte unique européen des 17 et 28 février 1986 (AUE) est le résultat concret de cette déclaration : il renforce et développe considérablement les compétences dévolues à l’origine aux institutions communautaires par le traité de Rome du 25 mars 1957. De nombreuses autres modifications ont été apportées par la suite à ce traité, avec le traité de Maastricht du 7 février 1992 et le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997⁵, qui ont eu pour objet l’octroi de nouvelles compétences à la Communauté européenne, certes surtout au niveau économique, mais aussi dans des domaines non économiques, ainsi que dans certains domaines régaliens – telle la monnaie – réservés traditionnellement à la souveraineté étatique. ← 11 | 12 →

    Le traité de Maastricht a toutefois vu la création parallèle de l’Union européenne, compétente notamment dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), pour lequel les Etats, soucieux de préserver leur souveraineté, ont prévu des règles particulières concernant l’exercice de ces compétences. C’est ainsi que des modes de coopération intergouvernementaux ont vu le jour par rapport au mode « traditionnel » d’exercice des compétences, en vigueur au sein de la Communauté européenne, que l’on connaît sous l’expression de « méthode communautaire ».

    3. Cette évolution résulte également de cette méthode communautaire qui a permis de donner une impulsion à la construction européenne. En effet, parallèlement au développement des compétences communautaires résultant de la volonté politique des Etats membres, les progrès accomplis dans la construction européenne ont résulté aussi, voire même surtout, de la nature même du traité de Rome et de sa mise en œuvre par les institutions communautaires. Comme l’exprime Jean-Victor Louis, « la déclaration Schuman de 1950 a insufflé une dynamique, celle de l’intégration par des réalisations successives »⁶. Cette déclaration ne contient pas seulement une méthode, la méthode fonctionnaliste, elle poursuit aussi un but fondamental, l’intégration européenne. Ainsi, s’agissant tout d’abord du traité de Rome en lui-même, en tant que traité-cadre définissant des objectifs à atteindre, celui-ci a conféré aux institutions un vaste pouvoir normatif. Ensuite, que ce soit au niveau du mécanisme d’attribution de compétences ou au niveau du rôle des institutions, les particularités de ce traité ont été un facteur essentiel au développement d’un droit spécifique grâce à cette méthode communautaire, « associant initiative de la Commission, codécision du Parlement européen et du Conseil, vote à la majorité au Conseil et contrôle juridictionnel »⁷ : cette méthode a permis de « façonner » un droit dont la caractéristique essentielle est d’être un droit de l’intégration. Enfin, par la compétence obligatoire qui lui a été attribuée par le traité, laquelle constitue un élément central de cette méthode communautaire, la Cour de justice a joué un rôle essentiel dans l’affirmation de la spécificité et de l’autonomie du droit communautaire, et a également contribué à une vision souple et dynamique du mécanisme organisé par le traité en matière de compétences.

    Ces différents facteurs ont permis à la Cour de justice de considérer, dès le début des années 1960, que le traité communautaire avait institué un nouvel ordre juridique spécifique⁸, à savoir, pour reprendre la définition donnée par Guy Isaac, « un ensemble organisé et structuré de normes juridiques possédant ses propres sources, doté d’organes et procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, les violations »⁹. Les traits spécifiques de cet ordre juridique sont, essentiellement, le principe d’attribution de compétences, qui fait l’objet du présent ouvrage, ainsi que, notamment, le principe de l’Etat de droit, ← 12 | 13 → l’existence d’un système institutionnalisé de création de normes, et la personnalité juridique internationale¹⁰.

    4. Dans les années qui ont suivi l’adoption du traité de Maastricht, le développement des compétences attribuées à l’Union européenne, et du droit communautaire en tant que résultat de l’exercice de ces compétences par les institutions, a provoqué auprès de certains gouvernements un frein, voire parfois un renversement, dans l’impulsion politique. Dans la foulée de la déclaration n° 23 relative à l’avenir de l’Union annexée au traité de Nice¹¹, le Conseil européen a adopté, le 15 décembre 2001, la déclaration de Laeken sur l’avenir de l’Union européenne¹², par laquelle il convoque une convention chargée de revoir les traités européens par un vaste débat autour de plusieurs thèmes, et notamment celui d’assurer « une meilleure répartition et définition des compétences dans l’Union européenne ».

    Le Conseil européen pose à cet effet plusieurs questions ciblées qui reflètent les visions différentes de la construction européenne : ainsi, de manière plutôt négative, voire méfiante, « comment garantir que la nouvelle répartition des compétences ne conduira pas à un élargissement furtif des compétences de l’Union ? » ; et, à l’opposé, de manière plus constructive, « comment veiller en même temps à ce que la dynamique européenne ne s’affaiblisse pas ? ». Cette double question se justifiait toutefois dans une certaine mesure au regard de la complexité et de l’opacité du traité CE en la matière, donnant l’impression que l’Union s’appropriait des domaines de compétences qui ne lui revenaient pas¹³.

    La Convention sur l’avenir de l’Europe a élaboré le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004¹⁴, et appelé à remplacer les traités existants. Le mandat assigné par les déclarations de Nice et de Laeken semblait atteint, puisque ce sont pas moins de huit dispositions contenues dans la première partie du projet qui étaient consacrées à la question des compétences : étaient ainsi précisés les principes qui gouvernent la répartition et l’exercice des compétences, avec une définition des types de compétences ainsi qu’une énumération et une classification des domaines de compétences, tandis que l’article I-1 du projet de traité précisait que l’Union « exerce sur le mode communautaire [c]es compétences ».

    Le projet constitutionnel ayant été rejeté à la suite des référendums français et néerlandais des 29 mai et 2 juin 2005, une nouvelle Conférence intergouvernementale a élaboré le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009, ← 13 | 14 → qui modifie les traités existants : le traité sur l’Union européenne (ci-après traité UE) conserve sa dénomination tandis que le traité instituant la Communauté européenne (ci-après traité CE) devient le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après traité FUE). L’Union remplace la Communauté, avec une suppression de la distinction entre piliers¹⁵, et fonctionne soit sur un mode communautaire, soit sur un mode intergouvernemental. Pour reprendre l’expression de Madame l’avocat général Kokott¹⁶, le traité de Lisbonne correspond, « dans toute la mesure du possible au traité constitutionnel qui avait échoué, à l’exception de quelques points particulièrement symboliques ». Ainsi, en même temps que la « Constitution », l’expression « loi » et le titre de « ministre des Affaires étrangères » disparaissent, tout comme la référence aux symboles de l’Union (hymne, drapeau…).

    S’agissant de la question des compétences, l’on notera de manière schématique dans cette introduction que l’entreprise de clarification opérée par le projet constitutionnel a été maintenue et que le recours à la majorité au sein du Conseil et à la codécision, rebaptisée procédure législative ordinaire, se généralise de plus en plus. Mais par ailleurs, l’on regrettera le sentiment de méfiance des Etats membres à l’égard de l’Union, d’autant que cette méfiance se manifeste à l’égard du principe d’attribution des compétences en lui-même¹⁷. Enfin, le traité de Lisbonne a supprimé la référence au « mode communautaire » d’exercice des compétences, sans modifier toutefois le processus de décision inhérent à cette méthode, si bien que l’on peut se demander s’il n’y a pas eu là également la volonté de supprimer un symbole heurtant certaines souverainetés étatiques.

    5. Ce phénomène de balancier observé au niveau politique, tantôt souhaitant « une solidarité et une action commune toujours plus étendues », tantôt craignant « un élargissement furtif des compétences », a été, dans une certaine mesure, également présent à certains moments auprès des institutions dans la mise en œuvre des traités. Nous pensons notamment à la Cour de justice, où un certain flottement a aussi pu être observé il y a une dizaine d’années dans l’évolution de sa jurisprudence dans certains domaines, alors que cette institution a été le fer de lance dans le développement de plusieurs principes en matière de compétences dans les années soixante et soixante-dix, en tous points conformes à la dynamique de la déclaration Schuman.

    Dans le cadre de cette introduction, nous nous limiterons à citer brièvement deux exemples illustrant ce phénomène de balancier. Ainsi, en ce qui concerne la question de la compétence externe implicite de l’Union en l’absence de règles communes, telle que consacrée de manière très large par la Cour dans son avis 1/76 du 26 avril 1977¹⁸, la haute juridiction adopte dans son avis 1/94 du 15 novembre 1994¹⁹, « une ← 14 | 15 → conception rigoureuse de la nécessité d’exercer la compétence externe, qui pourrait avoir vidé la doctrine de l’avis 1/76 de l’essentiel de sa portée », et « qui contraste avec le rôle de pionnier qu’elle a joué à une époque précédente »²⁰. Par ailleurs, s’agissant de la compétence normative en matière de rapprochement des législations, suite à l’arrêt du 5 octobre 2000 dans l’affaire Publicité en faveur du tabac²¹, dans laquelle la Cour a refusé de reconnaître au profit du législateur communautaire une compétence générale pour réglementer le marché intérieur, il a été noté que celle-ci « semble s’orienter vers une interprétation particulièrement rigoureuse du principe des compétences d’attribution »²².

    6. Ce bref tableau introductif visant à illustrer des tendances tantôt plus dynamiques, tantôt plus réservées à l’égard de la construction européenne, émanant aussi bien des Etats membres que des institutions de l’Union, démontre que plusieurs questions méritent d’être posées, d’autant qu’actuellement, il apparaît effectivement que la construction européenne vive une phase où l’« euroscepticisme » se substitue dans certains Etats membres à la dynamique engendrée par la déclaration Schuman. La victoire des partisans du Brexit lors du référendum du 23 juin 2016 relatif au maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, et le retrait de cet Etat membre qui, en principe, en résultera, en sont l’illustration la plus marquante.

    Cette dynamique de l’intégration serait-elle dès lors appelée à s’essouffler ? Qu’en est-il aujourd’hui du principe d’attribution de compétences ? Qu’en est-il également de l’ordre juridique de l’Union, dont le principe d’attribution de compétences constitue un des traits les plus fondamentaux ? Enfin, si, avec la disparition de la Communauté européenne, il n’y a effectivement plus lieu de parler de l’ordre juridique communautaire, au sens géographique du mot, l’ordre juridique de l’Union peut-il encore être qualifié de « communautaire », par référence à la méthode fonctionnaliste et à la finalité d’intégration poursuivie par la déclaration du 9 mai 1950 ? Dans le même sens, une référence à cette « méthode communautaire » est-elle encore d’actualité ?

    Cet ouvrage tente de répondre également à ces questions délicates et complexes. Le premier chapitre se centrera sur l’analyse de la dynamique de la déclaration Schuman et de la spécificité de la construction européenne par rapport au droit international public. Le deuxième chapitre sera consacré à l’étude du principe d’attribution de compétences et à sa portée, tandis que le troisième s’attachera à dégager les caractéristiques des diverses compétences de l’Union européenne.

    Une place particulière sera accordée à la jurisprudence de la Cour de justice, dont le rôle reste déterminant dans la construction européenne. En effet, chargée, dès le traité ← 15 | 16 → de Rome, d’« assure[r] le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités »²³, la Cour a donc pour mission d’assurer l’interprétation authentique du droit de l’Union européenne, et donc, plus particulièrement, de l’ensemble des dispositions et principes relatifs à l’attribution de compétences à cette Union.


    1J. MONNET, Mémoires, Fayard, 1976, réédition Le Livre de Poche, 2014, p. 426.

    2Texte disponible sur le site de l’Union européenne : http://europa.eu/abc/symbols/9-may/decl_fr.htm.

    3Par rapport à la « méthode constitutionnaliste », telle que les Etats fédéraux la connaissent, dans lesquels l’organisation politique et l’ensemble des compétences spécifiques attribuées à l’Etat fédéral et aux entités fédérées sont déterminées dès le départ.

    4Cette déclaration mentionne notamment les objectifs suivants : « renforcer et poursuivre le développement des Communautés (…) par l’approfondissement des politiques existantes et l’élaboration de politiques nouvelles », « renforcer et développer la coopération politique européenne », « donner une impulsion nouvelle au développement de politiques communautaires sur un large front » : Bull. CE, juin 1983, p. 26 à 31.

    5Les modifications apportées par le traité de Nice du 26 février 2001 concernent surtout les aspects institutionnels et juridictionnels du traité de Rome.

    6J.-V. LOUIS et Th. RONSE, L’ordre juridique de l’Union européenne, Bâle, Genève, Munich, 2005, p. 6.

    7J.-V. LOUIS, « Le traité de Lisbonne », JTDE, 2007, p. 289, 291.

    8CJ, 5 février 1963, Van Gend & Loos, 26/62 ; 15 juillet 1964, Costa c. ENEL, 6/64.

    9G. ISAAC, Droit communautaire général, 7e éd., Paris, 2001, p. 117.

    10 Sur ces questions, voy notamment J.-V. LOUIS et Th. RONSE, L’ordre juridique de l’Union européenne, op. cit.

    11 La « Conférence souhaite qu’un débat à la fois plus large et plus approfondi s’engage sur l’avenir de l’Union européenne », qui devrait porter, entre autres, sur les questions suivantes : « comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l’Union européenne et les Etats membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité… ».

    12 Texte disponible sur le site du Conseil européen.

    13 K. LENAERTS, « La déclaration de Laeken : premier jalon d’une Constitution européenne », JTDE, 2002, p. 29, 30.

    14 JO, n° C 310, 16 décembre 2004.

    15 Des règles particulières subsistent toutefois en ce qui concerne la PESC.

    16 Dans ses conclusions dans l’affaire C-583/11 P.

    17 Il conviendra ainsi de s’interroger sur la portée réelle des précisions qui apparaissent çà et là, à la lecture de ce traité et des protocoles et déclarations liés à ce principe.

    18 CJ, 26 avril 1977, Fonds européen d’immobilisation de la navigation intérieure, avis 1/76. Dans le même sens, 14 juillet 1976, Kramer, 3, 4 et 6/76.

    19 CJ, 15 novembre 1994, Accord OMC, avis 1/94.

    20 J.-V. LOUIS, « La compétence de la CE de conclure des accords internationaux », in J.-V. LOUIS et M. DONY (dir.), Relations extérieures, Commentaire Mégret, vol. 12, 2e éd., Bruxelles, 2005, p. 57, 70, 72.

    21 CJ, 5 octobre 2000, Allemagne c. Parlement et Conseil (publicité en faveur du tabac I), C-376/98, points 83 et 84.

    22 D. SIMON, Le système juridique communautaire, 3e éd., Paris, 2001, p. 128. Dans le même sens, voy. aussi L. DEFALQUE, « Théorie générale du rapprochement des législations », in L. DEFALQUE, J. PERTEK, P. STEINFELD, P. VIGNERON, Libre circulation des personnes et des capitaux. Rapprochement des législations, Commentaire Mégret, 3e éd., Bruxelles, 2006, p. 193, 206.

    23 Article 19, par. 1, TUE.

    ← 16 | 17 →

    Chapitre I

    La dynamique communautaire : le transfert de « droits souverains »

    7. Bien que le principe d’attribution de compétences n’ait été formellement consacré dans le droit primaire qu’à l’occasion du traité de Maastricht en 1992, la reconnaissance de cette attribution, et surtout la portée de celle-ci, sont le résultat de la jurisprudence de la Cour de justice, et plus spécialement de ses célèbres arrêts Van Gend & Loos, du 5 février 1963¹, et Costa c. ENEL, du 15 juillet 1964² : ces arrêts ont consacré, dès les premières années de la construction européenne, l’existence et l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, et aussi mis en exergue ses traits spécifiques.

    L’arrêt Costa c. ENEL, qui a également consacré le principe de la primauté du droit de l’Union, est particulièrement explicite en décrivant l’« ordre juridique propre » institué par le traité de Rome : « en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétences ou d’un transfert d’attributions des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes »³.

    Parmi les différents traits spécifiques de l’ordre juridique communautaire qui sont cités dans cet arrêt, l’on soulignera la place centrale octroyée par la Cour à la problématique des compétences de la Communauté : « pouvoirs réels », « limitation de compétences », « transfert d’attributions », ou encore limitation des « droits souverains », qui permet à la Cour de conclure que « le transfert opéré par les Etats, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains »⁴. ← 17 | 18 →

    Le concept de souveraineté reçoit dans la jurisprudence de la Cour de justice une signification particulière, et il revient à Pierre Pescatore d’avoir mis en exergue, à l’aube de la construction européenne, cette distinction fondamentale : le droit communautaire, droit de l’intégration, repose sur la prémisse de la divisibilité de la souveraineté où, pour une question déterminée, soit l’Union européenne, soit les Etats membres sont compétents, alors que, selon le droit international classique, ne permettant qu’une coordination et une coopération entre Etats, une seule souveraineté peut s’exercer sur un territoire donné⁵ ; l’ancien juge à la Cour de justice estime en outre qu’il est difficile de considérer qu’il y ait atteinte à la souveraineté des Etats membres, puisque le système institutionnel de l’Union européenne se caractérise par la mise en commun de pouvoirs entre les mains d’institutions indépendantes, de telle sorte que la divisibilité de la souveraineté correspond en réalité à un partage de celle-ci. En droit international, ce n’est que « grâce à cette plénitude de prérogatives que l’Etat est considéré comme sujet de la société internationale », alors qu’au niveau communautaire, la création d’une structure institutionnelle commune a permis l’attribution de droits souverains, « sans mettre en cause pour autant l’égalité et la dignité des Etats participants »⁶.

    Nous procéderons donc dans un premier temps à une analyse comparative de la notion de souveraineté telle qu’elle est conçue dans le droit international public et dans le droit de l’Union européenne (I), avant de nous attacher plus spécifiquement à quatre questions propres à la construction européenne, qui constituent autant de traits spécifiques de l’ordre juridique gouvernant l’Union européenne (II).

    I  Regards croisés du droit international public et du droit de l’Union européenne sur le concept de souveraineté

    8. Il existe des différences fondamentales en la matière entre le droit international public et le droit de l’Union européenne. Il apparaît toutefois que le concept de ← 18 | 19 → souveraineté doit également être entendu de manière relative en droit international (1). Certains traits spécifiques de la construction européenne permettront de déterminer la nature et la portée de ce transfert de droits souverains affirmé par la Cour de justice (2).

    1  L’apparente indivisibilité de la souveraineté en droit international

    9. Certains auteurs⁷ ont combattu la thèse d’une divisibilité de la souveraineté, en se basant principalement sur l’arrêt rendu en 1923 par la Cour permanente de justice internationale (CPJI)⁸ dans l’affaire Wimbledon, et plus spécialement sur l’attendu suivant de cet arrêt : « La Cour se refuse à voir dans la conclusion d’un traité quelconque, par lequel un Etat s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre, apporte une restriction à l’exercice des droits souverains de l’Etat, en ce sens qu’elle imprime à cet exercice une direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de 1’Etat »⁹.

    Il convient cependant de replacer cet arrêt dans le contexte de l’époque. Cette analyse est « le reflet d’une situation où la conclusion de traités internationaux était un phénomène épisodique portant sur telle ou telle obligation spécifique de faire ou de ne pas faire » ; elle est donc « incapable de rendre compte de l’attribution (…) par des Etats à des institutions internationales de pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, certes déterminés, mais s’exerçant dans des domaines cruciaux pour la vie politique, économique et sociale de l’Etat »¹⁰.

    L’ampleur de l’attribution de compétences à l’Union est en effet d’un tout autre ordre, si bien qu’il convient de « se demande[r] dès lors ce que signifie une souveraineté dépouillée d’une partie de ses attributs essentiels » : dans le cadre de la construction européenne, l’on ne saurait en effet dédoubler les notions de souveraineté et de compétence, par l’illusion d’un maintien de la souveraineté étatique en dépit du vaste dessaisissement de compétences résultant de leur attribution à l’Union par les différents traités communautaires¹¹. Il convient donc de relativiser la portée de l’arrêt Wimbledon, tout comme il convient aussi de ne pas l’isoler, d’autant que cet arrêt constituait le premier arrêt rendu par la haute juridiction internationale.

    10. Cette vision dépassée de la souveraineté des Etats apparaît dans d’autres « anciens » arrêts de la CPJI. C’est notamment le cas de l’arrêt rendu en 1927 dans ← 19 | 20 → l’affaire Lotus, dans lequel la Cour, par une formulation tout aussi générale que celle de l’arrêt Wimbledon, conçoit la volonté des Etats comme une règle générale de liberté absolue de ceux-ci : « le droit international régit les rapports entre des Etats indépendants. Les règles de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit, et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l’indépendance des Etats ne se présument donc pas »¹². Cette jurisprudence a été synthétisée comme suit : « Tout ce qui n’est pas interdit est permis »¹³. Il convient ici aussi de ne pas extrapoler la portée de cet arrêt rendu dans un contexte spécifique. Tant l’arrêt Wimbledon que l’arrêt Lotus doivent être examinés par rapport à l’ensemble de la jurisprudence des juridictions internationales.

    Dans l’arrêt Lotus, qui a fait l’objet de diverses études critiques¹⁴, la juridiction défend une « conception, presque caricaturalement « positiviste » de la souveraineté »¹⁵. Nous nous permettrons de reprendre un passage de la déclaration faite par le président de la Cour internationale de justice (CIJ) dans le cadre de l’avis consultatif rendu en 1997 par cette juridiction dans l’affaire Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires¹⁶. Faisant référence à la jurisprudence de l’affaire Lotus, le haut magistrat souligne que « la décision en question exprimait sans aucun doute l’air du temps, celui d’une société internationale encore très peu institutionnalisée et régie par un droit international de stricte coexistence, lui-même reflet de la vigueur du principe de la souveraineté de l’Etat ». Et l’éminent magistrat d’ajouter : « il est à peine besoin de souligner que la physionomie de la société internationale contemporaine est sensiblement différente. En dépit de la percée encore limitée du « supranationalisme », on ne saurait nier les progrès enregistrés au niveau de l’institutionnalisation, voire de l’intégration et de la « mondialisation », de la société internationale. On en verra pour preuve la multiplication des organisations internationales, la substitution progressive d’un droit international de coopération au droit international classique de la coexistence, l’émergence du concept de « communauté internationale » et les tentatives parfois couronnées de succès de subjectivisation de cette dernière »¹⁷.

    Certes, venant d’un « internationaliste », la référence au concept d’intégration est probablement faite au regard de l’article XXIV du GATT 1947, prônant « une ← 20 | 21 → intégration plus étroite des économies des pays » au moyen d’accords favorisant la liberté du commerce, et non au droit de l’intégration cher aux « communautaristes », mais il n’empêche que ce sont différents concepts traditionnels du droit international public qu’il convient d’adapter au fil de l’évolution de la société mondiale et de l’actualité. Il en est ainsi tant pour la notion même de souveraineté (§1) que pour la question de savoir en quoi consiste son exercice (§2).

    §1  La notion de souveraineté

    11. S’agissant de la souveraineté en tant que telle, les juridictions internationales ont refusé elles aussi, dans certaines décisions, de voir dans la souveraineté un absolu, en admettant que celle-ci puisse faire l’objet d’aménagements¹⁸. Un ancien juge à la CIJ¹⁹ montre ainsi qu’au-delà de la qualification formelle et classique de la souveraineté retenue tant par la CPJI que par la CIJ, apparaît une vision plus réaliste de la souveraineté dépassant l’unicité du concept ainsi que son caractère absolu et illimité.

    Dans l’affaire Interprétation du Statut du Territoire de Memel, il s’agissait d’une convention par laquelle ce territoire « devait constituer, sous la souveraineté de la Lituanie, une unité jouissant de l’autonomie législative, judiciaire, administrative et financière ». Tout en considérant que « les Parties à la convention n’ont certainement pas cherché à partager la souveraineté entre deux organismes devant coexister sur le même territoire », la CPJI estimera, en faisant référence à l’économie générale de la convention, que « l’intention a été que l’autonomie (…) et la souveraineté soient toutes deux effectives »²⁰.

    L’affaire Statut international du Sud-Ouest africain concernait le régime international des Mandats mis en place par le pacte de la SDN en ce qui concerne les anciennes colonies de l’Allemagne. Selon la CIJ, « le Mandat a été créé (…) comme une institution internationale à laquelle était assigné un but international ». En ce qui concerne la question de la souveraineté, « la création de cette nouvelle institution internationale n’impliquait ni cession de territoire ni transfert de souveraineté à l’Union sud-africaine », mais par ailleurs, « l’Union sud-africaine [le mandataire] devait avoir pleins pouvoirs d’administration et de législation sur le Territoire, qui serait administré comme partie intégrante de l’Union »²¹.

    La notion de droits souverains reçoit ainsi dans la première affaire une interprétation extensive et non restrictive, tandis que, dans la seconde, ce sont les notions de souveraineté formelle et de souveraineté fonctionnelle qui font en réalité l’objet d’une distinction²². ← 21 | 22 →

    D’autres exemples similaires plus récents existent dans la sphère du droit international : c’est notamment le cas du traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959²³. De manière on ne peut plus traditionnelle, il prévoit qu’« aucune disposition du présent traité ne peut être interprétée (…) comme constituant, de la part d’aucune des Parties Contractantes, une renonciation à ses droits de souveraineté territoriale ». Mais, par ailleurs, le but principal de ce traité, qui est que « l’Antarctique soit à jamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux »²⁴, se retrouve formellement consacré en son article premier par une interdiction générale de « toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres, ainsi que les essais d’armes de toutes sortes ». C’est donc un élément important de la souveraineté étatique qui se retrouve ainsi limité, voire supprimé. En outre, le traité affirme qu’« aucune revendication nouvelle, ni aucune extension d’une revendication de souveraineté territoriale précédemment affirmée, ne devra être présentée pendant la durée du présent traité », et il apparaît de la sorte que cette souveraineté est également limitée sur le plan territorial, puisque, concrètement, cela signifie qu’aucune zone économique exclusive ne peut être créée au large des côtes du Continent blanc²⁵ ²⁶.

    12. Ce sont en réalité des conceptions différentes de la souveraineté qui apparaissent dans les situations exposées ci-dessus. Notre propos ne vise pas à définir la souveraineté, tant les conceptions – et les controverses – doctrinales sur ce sujet apparaissent aussi nombreuses que variées²⁷, mais à montrer la relativité de la notion de souveraineté : il est en effet permis de considérer qu’« il n’y a pas de souveraineté. Il n’y a que des doctrines de la souveraineté »²⁸.

    Deux conceptions fondamentales de la souveraineté peuvent toutefois être retenues : celle en tant que « caractère suprême de la puissance étatique » et celle en tant qu’« ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’Etat »²⁹. La première ← 22 | 23 → acception de la notion empêche toute divisibilité du concept car, à ce moment, il n’y a plus de souverain, tandis que, dans la deuxième acception, la souveraineté est parfaitement divisible et peut d’ailleurs être divisée selon plusieurs modalités³⁰. Les arrêts Lotus et Wimbledon paraissent plutôt retenir la première acception de la notion de souveraineté, tandis que les autres cas repris ci-dessus – et il en est de même, dans le cadre de l’Union, pour les arrêts Costa c. ENEL et Van Gend & Loos – sont plus proches d’une notion de souveraineté conçue comme étant l’« ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’Etat », susceptible de division ou de limitation³¹. La souveraineté n’est pas un concept à contenu unique, absolu et illimité³².

    §2  L’exercice de la souveraineté

    13. Que faut-il entendre par ailleurs par « exercice de la souveraineté » ? Selon la CIJ, « le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d’entre eux de se décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures »³³. C’est ainsi que l’expression « exercice de la souveraineté » traduit en droit international classique cette liberté générale reconnue traditionnellement aux Etats par la Cour de La Haye depuis l’affaire Wimbledon, qui trouve lieu à s’exercer dans tous les domaines d’action d’un Etat : selon cette conception, les Etats exercent au niveau interne leur souveraineté pour définir leur régime politique et leur système constitutionnel, tandis qu’au niveau externe, l’exercice de la souveraineté sera assurée par la conclusion – ou non – d’accords ← 23 | 24 → internationaux, et par l’adhésion – ou non – à des organisations internationales, dont le mandat sera « souverainement » décidé par les Etats fondateurs.

    Il est difficile de contester sur le plan conceptuel et théorique cette affirmation de la juridiction internationale, surtout en ce qui concerne la détermination au niveau interne du régime politique et constitutionnel de chaque Etat. Mais, sur le plan des relations internationales, qui ont connu un développement important depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il convient de tempérer, comme on a pu le montrer, les « principes » de la liberté souveraine, au sens de l’affaire Lotus, et de l’exercice de la souveraineté, au sens de l’affaire Wimbledon. La première acception de la notion de souveraineté, à savoir le « caractère suprême de la puissance étatique », peut, sans doute, encore se concevoir concrètement au niveau interne d’un Etat, mais apparaît de plus en plus irréaliste au niveau externe dans le monde globalisé que l’on connaît. Le concept classique de souveraineté n’est-il pas, alors, à l’image de Robinson Crusoé disposant de la « summa potestas » sur son île déserte ?

    14. C’est surtout le développement d’organisations internationales de plus en plus variées et nombreuses, ayant pour effet de modifier la structure de la communauté internationale, qui nous incite à relativiser le « dogme » lié à l’exercice de la souveraineté dans un monde sans cesse plus globalisé : en effet, « le temps n’est plus où les Etats pouvaient s’en prétendre, non sans quelque naïveté, les ordonnateurs exclusifs »³⁴. Avec la multiplication de ces organisations, « l’interdépendance, bien davantage que l’indépendance (et a fortiori que la souveraineté), devient le maître mot des relations internationales »³⁵. L’existence de ces diverses organisations internationales implique en effet pour les Etats « des devoirs de prise en compte, de bonne foi, de partage, axés sur la réalisation du but recherché » par l’organisation à laquelle ils ont adhéré, de telle sorte qu’un principe de liberté souveraine, au sens de l’arrêt Lotus, « contredirait l’essence même de l’effort commun »³⁶.

    Dans une étude récente consacrée aux différentes facettes de la souveraineté en droit international, et en restant fidèle à son idée de divisibilité de la souveraineté, Pierre Pescatore défend également ce même concept de divisibilité au sein de la communauté internationale : « tous les Etats qui font partie de la communauté internationale sont désormais enserrés dans un réseau de plus en plus dense de compétences détachées de leur souveraineté et transférées à des structures autonomes de droit international. Cette transaction est fondée, et voilà l’essentiel, sur un échange de pouvoirs nationaux contre des droits de cogestion dans l’organisme attributaire de ces transferts. L’Union est certes très avancée dans cette voie, mais sa situation n’est pas singulière au niveau international »³⁷. ← 24 | 25 →

    15. Enfin, lorsqu’il faut définir les contours de cette notion d’exercice de la souveraineté, il convient aussi de prendre en considération les conséquences de cet exercice. Ainsi, un Etat peut décider de fusionner avec un autre Etat : or, il est admis que « c’est assurément exercer sa souveraineté que décider d’y mettre fin »³⁸. Si ce cas extrême est un exercice de la souveraineté, pourquoi ne pas admettre, au sens de l’arrêt Costa c. ENEL, que l’exercice de la souveraineté par les Etats signataires des traités communautaires s’est traduit par une limitation de droits souverains au profit de la Communauté, puis de l’Union européenne ? Ou, pour reprendre une métaphore médicale, pourquoi ne pas admettre le cas d’une amputation, par le transfert de droits souverains déterminés, si le « suicide institutionnel » est admis comme exercice de la souveraineté ? La Cour de justice reconnaît d’ailleurs dans son arrêt cet exercice de la souveraineté par les Etats, puisque le traité de Rome a institué « un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité ».

    2  La divisibilité de la souveraineté dans le droit de l’Union

    16. Il nous paraît évident que, dans le contexte de l’Union européenne, le concept de souveraineté doit se comprendre dans le sens de la seconde acception de la notion, à savoir l’« ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’Etat », où la divisibilité de la souveraineté peut se concevoir.

    L’attribution de pouvoirs à la Communauté a, dès l’origine, concerné des aspects importants de la vie économique et sociale des Etats membres, dans les domaines des libertés fondamentales du « marché commun » et de la concurrence notamment. Cette attribution est devenue par la suite de plus en plus importante, et concerne aujourd’hui des domaines éminemment régaliens de l’activité étatique. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les titres des politiques pour lesquelles certaines compétences ont été attribuées à l’Union : union et coopération douanières, contrôles aux frontières, asile et immigration, coopération judiciaire en matière civile et en matière pénale, coopération policière, politique économique, politique monétaire, politique commerciale commune, etc.

    17. C’est en ce sens qu’il convient de s’opposer, comme nous l’avons déjà évoqué³⁹, à la thèse d’un dédoublement des notions de compétence et de souveraineté, qui permettrait de considérer que les transferts de compétences à l’Union laisseraient intacte la souveraineté des Etats, Les transferts concernent « l’accomplissement des fonctions fondamentales et vitales de l’Etat, à savoir la formulation de la politique, la législation, l’administration de la justice » ; dans ce contexte, le dédoublement entre les deux notions « revient, en réalité, à créer ou recréer, en faveur des Etats, une sorte de réduit, une place de sécurité à partir de laquelle ils peuvent, impunément, remettre ← 25 | 26 → en cause, quand il leur plaît et au gré de leurs intérêts, n’importe lequel de leurs engagements »⁴⁰.

    Il y a donc bien divisibilité de la souveraineté dans le cadre de l’Union européenne, comme le corroborent plusieurs analyses doctrinales. Ainsi, Armin von Bogdandy écrit-il : « the exercise of power by the Union appears not as the will of a single sovereign, but rather as common exercise of public power by various actors »⁴¹, en se référant à l’article 1er du traité UE qui stipule que « les Etats membres attribuent des compétences [à l’Union] pour atteindre leurs objectifs communs ». L’image d’une « commonly exercised or « mixed » sovereignty »⁴² est peut-être la plus appropriée dès lors que les politiques de l’Union et des Etats membres sont si différemment entremêlées et rendent difficile une démarcation claire de compétences.

    Enfin, la métaphore médicale d’« amputated sovereignty » a aussi été invoquée dans le même contexte, en considérant que la souveraineté des Etats membres ne consiste plus qu’en une autorité partielle sur ses citoyens, depuis qu’une partie de ses pouvoirs souverains sont « irrevocably bound in the system of supranational integration »⁴³.

    18. La question de la souveraineté n’a pas seulement fait l’objet d’analyses basées sur le critère du partage de compétences entre l’Union et les Etats membres. L’évolution de la position du Parlement européen sur l’échiquier institutionnel européen permet également de se baser sur le critère de la légitimité démocratique. A l’origine, effectivement, le pouvoir de décision appartenait principalement au Conseil, et les membres du Parlement européen n’étaient pas élus au suffrage universel direct. Le système actuel est dans une certaine mesure caractérisé par un compromis entre une souveraineté classique des Etats membres (« state sovereignty ») et une représentation directe des citoyens au niveau européen, en tant qu’expression de la souveraineté du peuple (« people’s sovereignty »).

    Le système institutionnel de l’Union est dès lors basé aujourd’hui sur deux piliers de légitimation démocratique, l’un issu des parlements nationaux et de leurs représentants gouvernementaux au sein du Conseil, et l’autre caractérisé par le fait que les membres du Parlement européen ne peuvent plus être considérés comme de simples représentants des nations individuelles ou des différents peuples composant l’Union, mais comme représentants d’un « peuple », compris comme la totalité de tous les citoyens de l’Union européenne⁴⁴. Le concept de souveraineté du peuple n’est ← 26 | 27 → dès lors pas intrinsèquement basé sur le concept de nation, mais aussi sur celui d’un « demos », désignant la totalité des citoyens vivant dans une entité politique donnée. En définitive, selon cette analyse, la question se pose de savoir si l’Union européenne ne constitue pas « a state with « shared » or « dual » sovereignty »⁴⁵. L’article 10, par. 2, TUE consacre cette existence d’une double légitimité, en évoquant à la fois la représentation des Etats et des citoyens au niveau de l’Union⁴⁶.

    19. Ces particularités du concept de souveraineté dans le droit de l’Union amènent inévitablement à poser la question de la nature de l’Union européenne. L’Union n’est pas un Etat (§1) et ce n’est pas en termes d’indépendance mais d’autonomie de l’ordre juridique de l’Union que raisonne la Cour de justice (§2).

    §1  L’Union européenne n’est pas un Etat

    20. L’Union européenne n’est pas et ne sera jamais un Etat indépendant et n’a aucune vocation à se substituer aux Etats membres. La volonté affichée de la déclaration Schuman de réaliser « une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix », par « des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait », par « la mise en commun de productions de base », par « l’institution d’une Haute Autorité nouvelle », n’avait d’autre but que d’indiquer la méthode propre à la construction européenne, qui se veut fonctionnaliste : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble ». Cette déclaration n’exprime en aucune manière une quelconque vocation fédérale qui se serait traduite de manière structurelle par un « super-Etat » européen ayant « remplacé » les Etats membres.

    Il est exact que cette méthode reprend certains principes que l’on retrouve habituellement dans une démarche de type fédéral : la séparation impliquant une répartition nette de compétences entre l’Union et les Etats membres, l’autonomie de l’Union et des Etats membres qui disposent d’une souveraineté – divisée et limitée – dans leurs domaines respectifs de compétence et enfin, la participation des Etats membres aux pouvoirs constituant et législatif de l’Union. En ce sens, cette déclaration « s’inspire d’une logique de fédéralisme fonctionnel »⁴⁷.

    Mais la comparaison s’arrêtera là, tant les théories relatives à la nature juridique de l’Union sont nombreuses et fondamentalement différentes, axées tantôt sur l’idée de la préservation de l’intégrité des Etats qui reste au cœur de l’Union européenne, tantôt au contraire sur l’idée que les Etats membres se retrouvent dans l’Union entrelacés à tous les niveaux de la vie politique, économique et sociale, tantôt encore sur l’idée d’une entité politique poursuivant des objectifs communs par le biais de différents ← 27 | 28 → organes de décision qui sont à la fois entremêlés et autonomes⁴⁸. On notera d’ailleurs que les « Pères fondateurs » ne se sont à aucun moment prononcés sur la finalité de ce processus d’approfondissement et la nature de l’organisation à venir, ni dans le sens d’une fédération en gestation, ni dans celui d’une confédération⁴⁹.

    L’Union européenne reste essentiellement une organisation internationale, même s’il s’agit d’une construction sui generis pouvant présenter certains liens avec l’organisation politique et constitutionnelle d’un Etat fédéral. Il s’agit d’une organisation internationale instituée par un traité de droit international conclu par des Etats, et ceux-ci conservent, en dépit de la spécificité d’intégration de la construction européenne, une place fondamentale.

    Les traités contiennent de nombreuses indications permettant de considérer que les Etats membres restent reconnus comme des Etats en tant que tels. Quelques exemples méritent d’être cités⁵⁰ : l’Union doit respecter l’identité nationale des Etats membres, et nous verrons que ce concept correspond à l’identité constitutionnelle des Etats⁵¹ ; la révision des traités et l’adhésion de nouveaux Etats membres restent largement soumises à des règles relevant du droit international classique⁵² ; les Etats membres ont la faculté de se retirer de l’Union⁵³ ; il appartient au Conseil européen, composé des chefs d’Etat ou de gouvernement, de donner à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et d’en définir les orientations et les priorités politiques générales⁵⁴ ; la citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas⁵⁵ ; les Etats membres sont les titulaires, conformément au droit international, d’une souveraineté territoriale, tandis que les traités européens se bornent à préciser « le champ d’application territoriale » de ces traités⁵⁶ ; enfin, et surtout, l’Union ne dispose pas de la Kompetenz-Kompetenz, c’est-à-dire la compétence de déterminer ses propres compétences.

    21. Il a été souligné que le système politique résultant des traités repose sur un paradoxe : « the Member States keep their character as States in the full sense of Public International Law (…); but they have limited their sovereign rights by accepting that a whole variety of matters central to a modern political economy must or may be decided within the framework of common institutions, according to the procedures and with the legal consequences the Treaties prescribe »⁵⁷. Mais ce paradoxe n’est en ← 28 | 29 → fait qu’apparent. La première partie de cette affirmation se réfère implicitement à la première acception de la notion de souveraineté, à savoir le « caractère suprême de la puissance étatique », qui est en effet tout à fait inapproprié pour qualifier la situation existant au sein de l’Union : cette affirmation permet de rappeler que l’Union est issue d’un traité conclu « souverainement » par les Etats membres. La seconde partie se réfère quant à elle à la deuxième acception de cette notion, visant l’« ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’Etat » qui ont, effectivement, fait l’objet d’une attribution à l’Union dans certains domaines pour reprendre les termes des arrêts Costa c. ENEL et Van Gend & Loos.

    La position des Etats membres au sein de l’Union est en réalité ambivalente : « on the one hand, they are founders and bearers of the Union and participate authoritatively through their representatives in the European Council and in the Council (…). On the other hand, the member States are also members of the Union in the sense that they are subject to its politic and legal order and must give it priority over national politics and national law »⁵⁸.

    La suppression ou, à tout le moins, un plus grand encadrement de l’autonomie actuelle des Etats membres au sein de l’Union a parfois été préconisée, comme dans la proposition de mise en place d’une Fédération européenne d’Etats nations, en tant qu’entité politique composée en un seul ensemble de la Fédération et des Etats⁵⁹. Il s’agirait d’une structure permettant d’établir entre la Fédération et les Etats membres des rapports entre égaux et non hiérarchiques, au sein d’un ordre politique sans souveraineté⁶⁰, cette notion étant conçue comme une et indivisible. En outre, les traités non seulement consacreraient le transfert à la Fédération européenne de certaines compétences qui seraient exercées selon la méthode communautaire, mais inscriraient aussi les compétences explicitement réservées aux Etats membres.

    Cette vision permettant de « s’affranchir » du concept de souveraineté semble à la fois idyllique et peu réaliste : dans la construction européenne, « ce qui est en cause, ce ne sont pas des simples partages d’attributions, mais des rapports de souveraineté », pour reprendre une nouvelle fois une expression de Pierre Pescatore⁶¹. En outre, l’inscription dans le traité de compétences réservées aux Etats ne ferait que confirmer les craintes du citoyen vis-à-vis d’un super-Etat européen, puisque les compétences nationales seraient de la sorte déterminées par une autorité supranationale. La structure actuelle associant les Etats membres et l’Union européenne, tout en les distinguant, ← 29 | 30 → doit être maintenue, même si elle est source permanente de conflits potentiels entre l’Union et ses Etats membres, ou entre ceux-ci.

    22. L’Union ne sera donc jamais un Etat indépendant. Comme l’a affirmé la Cour de justice, « l’Union, du point de vue du droit international, ne peut pas, en raison de sa nature même, être considérée comme un Etat »⁶².

    Ainsi, en dépit de l’accroissement permanent de ses domaines de compétences⁶³, « l’Union conserve sa marque de fabrique, à savoir une compétence essentiellement de nature « régulatrice », normative ou de coordination, laissant aux Etats membres l’essentiel des instruments fiscaux et budgétaires, de la fonction de redistribution des richesses, ainsi que de la compétence d’exécution et de gestion des politiques »⁶⁴.

    Il convient en outre de ne jamais perdre de vue « la pérennité du patrimoine génétique interétatique des traités communautaires », lesquels ont institué un ordre juridique dont les bases « ne sont pas libérées de toute attache avec le droit international »⁶⁵, et dans lesquels les Etats membres occupent, encore et toujours, une place fondamentale, même si l’Union a progressé de manière remarquable sur le plan de l’intégration.

    §2  L’autonomie de l’ordre juridique de l’Union européenne

    23. Il convient de souligner que « la Cour de justice, elle-même, n’a jamais qualifié l’Union européenne de souveraine, en évoquant simplement les droits souverains dont elle est attributaire »⁶⁶. Et elle n’a jamais consacré un quelconque principe d’indépendance de l’Union pas plus qu’une quelconque vocation de l’Union à accéder au statut d’Etat indépendant. C’est un autre principe fondamental qui est consacré par la haute juridiction, : celui de l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, devenu ordre juridique de l’Union. Les traités ont en effet institué un ordre juridique, c’est-à-dire, au risque de nous répéter, « un ensemble organisé et structuré de normes juridiques possédant ses propres sources, doté d’organes et procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu’à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, ← 30 | 31 → les violations »⁶⁷. Il semble donc très difficile d’y voir seulement, pour reprendre les termes de l’arrêt Wimbledon, la simple « conclusion d’un traité quelconque, par lequel un Etat s’engage à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

    Par ailleurs, la Communauté européenne s’est vu octroyer la personnalité juridique dès le traité de Rome, et il en est de même pour l’Union dans le cadre de l’actuel traité de Lisbonne⁶⁸. La Cour de justice a souligné que cela « signifie que, dans les relations extérieures, la Communauté jouit de la capacité d’établir des liens contractuels avec les Etats tiers dans toute l’étendue du champ des objectifs définis [par le] traité »⁶⁹. Or, la capacité de l’Union à conclure des traités constitue un élément de souveraineté⁷⁰, puisque celle-ci dispose, parfois à l’exclusion des Etats membres, de « la faculté de contracter des engagements internationaux » au sens de cet arrêt Wimbledon. C’est donc la capacité même des Etats membres qui est partagée avec l’Union européenne, et c’est dans ce sens que, dans son arrêt Van Gend & Loos, la Cour de justice a considéré que le traité de Rome, à la différence des dispositions du traité de paix de Versailles de 1919 consacrant la liberté de navigation sur le canal de Kiel qui étaient au centre de l’affaire Wimbledon, « constitue plus qu’un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les Etats contractants ».

    De manière plus explicite, et ce dès l’arrêt Costa c. ENEL, l’autonomie de l’Union est également clairement affirmée à l’égard de l’ordre juridique international, puisque la Cour prend soin de préciser qu’« à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre » présentant l’ensemble des traits spécifiques que nous avons déjà cités⁷¹. Mais la Cour précise aussitôt qu’il s’agit d’« un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’impose à leurs juridictions ». L’autonomie de l’ordre juridique de l’Union à l’égard de l’ordre juridique international a particulièrement été mise en exergue par la haute juridiction dans l’affaire Kadi. Tout en rappelant que les compétences de l’Union doivent être exercées « dans le respect du droit international », ainsi que « dans le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies et des autres organisations internationales », la haute juridiction affirmera également que « les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité »⁷². La Cour de justice adopte une approche dualiste qui contraste avec l’approche moniste à l’égard des ordres juridiques nationaux : l’ordre juridique de l’Union est en effet « intégré au système juridique des Etats membres ».

    Dans une étude remarquable consacrée aux fondements de l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, Denys Simon estime ainsi que la spécificité obligée du ← 31 | 32 → droit communautaire apparaît dans la nécessité d’une réglementation juridique commune en vue de réaliser les objectifs du traité, les objectifs poursuivis par les auteurs du traité postulant l’uniformité du droit applicable sur l’ensemble du territoire communautaire. Dès lors, « c’est donc bien (…) la volonté des Etats exprimée dans un traité international qui fonde la nécessaire autonomie de l’ordre juridique qu’ils ont créé, afin que les objectifs poursuivis, qui postulent l’uniformité du droit, puissent être atteints », et « c’est délibérément, volontairement et souverainement, que les Etats membres ont décidé l’émancipation de l’ordre juridique communautaire appelé à s’affranchir du règne exclusif du droit international »⁷³.

    La consécration de cette autonomie, associée à l’absence de consécration d’une souveraineté de l’Union en tant que telle montre la différence fondamentale existant entre l’Union européenne et ses Etats membres.

    Mais, si l’Union n’est pas souveraine, ses Etats membres ne sont plus quant à eux, détenteurs d’une souveraineté illimitée. Qu’on parle de « souveraineté limitée, partagée, transférée, mise en commun », ces notions ne sont pas seulement « des visions théoriques mais il s’agit de conceptions juridiques opérantes »⁷⁴.

    II  La portée du transfert de droits souverains à l’Union

    24. Afin de circonscrire le concept de souveraineté dans le droit de l’Union de manière « opérante », nous avons choisi d’analyser quatre questions qui constituent des traits spécifiques de l’ordre juridique gouvernant l’Union européenne et qui permettent d’illustrer, en termes de souveraineté, la portée du transfert de droits souverains à l’Union et du dessaisissement corrélatif de pouvoirs dans le chef des Etats membres.

    Il y a tout d’abord la question de l’appartenance des Etats membres à l’Union, qui est étroitement liée à celle de la finalité même de la construction européenne telle qu’elle a été exprimée par la déclaration Schuman (1). Egalement liée à cette finalité se pose la question de l’irréversibilité de la construction européenne et de l’extension ou non des compétences de l’Union et du champ d’application du droit de l’Union (2). Le rôle des institutions dans le cadre de la « méthode communautaire » doit aussi être analysé, avec une attention particulière accordée au rôle de la Cour de justice (3). Enfin, la problématique des sanctions financières pouvant être infligées aux Etats membres par l’Union est également révélatrice du partage de souveraineté entre l’Union et ses Etats membres (4). ← 32 | 33 →

    1  L’appartenance à l’Union : le droit de retrait des Etats membres

    25. A l’origine de la construction communautaire, il n’existait pas de clause consacrant au profit des Etats membres un droit unilatéral de retrait. Le traité de Lisbonne a modifié la situation en octroyant le droit, pour tout Etat membre, de se retirer de l’Union. Cette modification est importante sur le plan de la question de la souveraineté des Etats membres, puisqu’elle semble indiquer que les Etats membres sont en mesure de « récupérer » leur part de souveraineté consentie lors de leur adhésion à l’Union.

    Un bref rappel des principes généraux gouvernant cette problématique en droit international (§1) contribuera à mieux évaluer la portée des deux situations, passée (§2) et actuelle (§3), dans le cadre de la construction européenne.

    §1  Le droit

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