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Parce que j’aime le mot « Impérial »: Roman
Parce que j’aime le mot « Impérial »: Roman
Parce que j’aime le mot « Impérial »: Roman
Ebook332 pages4 hours

Parce que j’aime le mot « Impérial »: Roman

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About this ebook

Que serait devenue Ysaline Dumesnil si elle n’avait pas rencontré Hector Grandeuil, au nom prémonitoire et si elle avait décidé de rester dans ses Vosges natales ? Elle n’aurait pas été confrontée aux petits trains électriques, au passé douloureux de son époux, à ses frustrations et à la folie dévastatrice des lignes. Et puis, l’argent ne fait pas toujours le bonheur. Parfois, il fait même votre malheur et clôt les chapitres d’une vie. Tante Célestine, Grand-mère Eudoxie, Abygaëlle ou Marlyse seraient peut-être encore de ce monde… sans parler d’Hector.
Les mystères de la providence et de l’imprédictibilité narrative ne jouent pas toujours en notre faveur. Ysaline en paiera le prix.
Méfions-nous de l’auteure…

À PROPOS DE L'AUTEURE

Catherine Schebath habite en Alsace. La fiction et les fantaisies ont peu de place dans ses fonctions, alors elle emprunte des chemins irréels qui n'ont de sens que dans son imaginaire.
Tout comme la nature, l'écriture lui donne une sensation de paix intérieure et de plénitude. Comme des bulles d'oxygène, les mots lui permettent de s'évaporer et de créer ses propres univers.
Trouver un sens est parfois une quête de toute une vie. Écrire en est un...
LanguageFrançais
Release dateApr 24, 2020
ISBN9791037706614
Parce que j’aime le mot « Impérial »: Roman

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    Parce que j’aime le mot « Impérial » - Catherine Schebath

    1

    La boule de cristal de Pakita

    Il était une fois…, oui, commençons comme toutes les histoires commencent. Il était une fois dans une forêt enchantée où se trémoussaient lièvres, écureuils et faons, une jeune fille pauvre et fort belle qui chantait toute la journée espérant qu’un beau prince vienne l’écouter… À tout hasard.

    Il n’avait rien d’autre à foutre le mec en collants que de se paumer dans les bois avec son fidèle cheval, une mèche blonde rebelle retombant sur son regard lapis-lazuli, découvrant un sourire d’un blanc éclatant. Il aurait découvert la demoiselle en haillons, dans une taverne, en charmante compagnie de nains lubriques et déjantés puisqu’ils se faisaient passer pour ses enfants.

    Bande de pervers !

    Avec le temps, la pauvrette s’était attachée à ses bourreaux et ce fut le cœur brisé qu’elle s’assit derrière son beau prince, que l’étalon donna un coup de rein et détala au galop en pétant un coup…

    « Passe-moi la télécommande.

    — Mais va la chercher toi-même ta télécommande !

    — Tu es plus près que moi. »

    La réalité me rattrapa. Je me levai donc de mon fauteuil et cherchai la télécommande posée sur le buffet pour la lui donner.

    « Tiens. Ne me dis surtout pas merci.

    — Si tu le dis…

    — Ne me provoque pas Hector ! »

    J’eus des palpitations. Il eut ce petit rictus au bord des lèvres que je ne lui connaissais que trop bien. Ça lui faisait une ride. Une ride malveillante dans sa peau durcie et barbue. Il portait la barbe suite à une cicatrice qu’il s’était faite, jeune en s’amusant avec des copains. Je n’ai jamais su comment, il n’a rien voulu me dire. Il avait tellement changé depuis notre rencontre. Douze ans plus tôt. En 2001…

    De banal, il était devenu laid. Disgracieux physiquement et moralement. Alourdi de quinze kilos d’animosité, de rancune et de regrets.

    J’avais passé les quinze premières années de ma vie à rêver au prince vigoureux et héroïque qui me sauverait de mon milieu de petite paysanne vosgienne. J’en avais assez de la gadoue, des bottes en caoutchouc et du fumier des vaches. Fendre le bois. Porter le bois. Rentrer le bois. Fendre le bois. Porter le bois. Rentrer le bois.

    Pourtant que cette chaleur était bonne, elle me réchauffe encore aujourd’hui quand j’y pense…

    Ses crépitements. Ses odeurs. Ses couleurs. Le chien qui dormait devant le poêle, heureux à en fondre. Ma mère qui préparait des flans au caramel, avec des œufs frais encore couverts de plumes en écoutant son vieux poste de radio, dans son éternel tablier et ses bas à varices. Je m’en souviens parfaitement. Les jours de neige, les joues rouges, le nez qui coule, la chaleur de ma mère dans la cuisine.

    Elle était belle ma mère, malgré ses doigts abîmés. Elle était de cette génération de femmes qui portaient un foulard sur la tête.

    Elle prenait soin de ses beaux cheveux longs qu’elle enroulait régulièrement de bigoudis et qui lui donnaient l’allure d’une actrice italienne des années 60.

    Elle aurait aimé être coiffeuse mais ses parents avaient eu besoin de leur fille pour travailler à la ferme. Son adolescence fut brève mais pas forcément malheureuse.

    Puis, elle avait rencontré ce petit gars d’un patelin d’à côté. Blond et moustachu. Beau jeune homme. Un peu fauché. Mécano. Intelligent. Dernier d’une famille de huit marmots, qui n’avait pas toujours mangé à sa faim et avait dû se battre contre une saleté de tuberculose qui avait bien failli l’embarquer.

    Son père, invalide de la Grande Guerre, était devenu fou, violent et rallongeait les ardoises aux bistrots en passant du bon temps avec quelques maîtresses bon marché. Tandis que la pauvre grand-mère, percluse d’arthrose, se tuait à la tâche, s’évertuant à faire pousser la marmaille avec quelques sous et quelques patates.

    Mon père et ma mère s’étaient rencontrés au bal et s’étaient entichés l’un de l’autre. Mon futur géniteur partit en Algérie dix-huit mois faire la guerre, soi-disant. Il n’y a jamais tué personne, si ce n’est du poisson pour le barbecue…

    Leur idylle ne s’éteignit pas. À son retour, beau et bronzé, il se lia à ma mère pour le meilleur et pour le pire et lui fit deux enfants, mon frère et moi.

    Débrouillard et sans boulot, mon père s’installa avec ma mère à la ferme et s’arrangea pour développer un commerce fructueux avec les négociants en bétail.

    Dix-sept ans plus tard, durant l’été 2001, je fis mes premiers pas de danse sur les mêmes planches que mes ancêtres. Pas franchement belle, je n’avais pas hérité des avantages physiques génétiques. Tassée dans un mètre cinquante-huit, un nez légèrement bosselé, des yeux couleur terre, des cheveux noirs attachés en permanence et une peau claire qui maudissait le soleil.

    J’avais gardé de ma naissance traumatique un léger déhanché, qui me donnait l’air de boitiller légèrement. Ma mère disait, à qui voulait l’entendre, que je n’avais pas eu envie de sortir et qu’ils durent m’extraire de son ventre comme un œuf s’extraie du cul d’une poule !

    J’aurais aimé être si jolie que les gens m’auraient regardée parce que cela leur aurait fait du bien et puis un peu mal aussi. Ce qui est beau fait forcément mal.

    Des jeunes gars des fermes environnantes, à l’étroit dans leurs costumes trop courts, qui n’y connaissaient pas grand-chose aux bonnes manières qu’un gentleman devait adopter avec une dame, s’accolaient au bar et quand ils avaient descendu deux ou trois verres de blanc ou de bière, franchissaient le pas en invitant une créature du sexe opposé.

    Après trois ou quatre verres, ils s’aventuraient à m’inviter alors qu’ils puaient déjà la transpiration et le mauvais alcool.

    Un soir, alors que les esprits étaient déjà bien échaudés, un mec dégarni atteint d’un début de couperose et de calvitie, emmuré dans un jeans remonté jusqu’à la taille et d’une chemise à carreaux rouge, style bûcheron, m’invita à valser.

    Il savait tout danser, sauf la valse, et m’écrasa les pieds une bonne dizaine de fois en cinq minutes. Il me susurra des banalités à l’oreille, m’apprenant qu’il était d’Anglemont, qu’il était le cousin de l’épicier et qu’il était venu passer quelques jours dans le coin parce que les filles n’y étaient pas farouches. Très drôle du con !

    Par politesse, je me résolus à finir la danse et me fis la promesse de ne plus jamais rien accepter par politesse !

    Mon frère se moquait souvent de moi devant ses copains. Eh oui, mes procréateurs eurent la bonne idée de donner naissance à un écervelé de cinq ans mon aîné. Ce qu’il m’en a fait voir celui-ci ! Bébé, il me tirait les joues, me donnait des coups dans le dos pour me faire tomber ou me retirait ma poupée pour que je pleure. Il jouissait à l’idée de me voir ramper par terre pour que je le suive et que je me fasse mal. Ma mère me sortit plus d’une fois du poulailler où mon frère m’avait enfermée.

    « Léopold, qu’as-tu encore fait à ta petite sœur ? criait maman.

    — Rien, juste ce qu’elle mérite ! Sale pleurnicheuse ! Tais-toi ! me lançait-il.

    — Léopold, tu es un vaurien ! » lui lançait notre mère.

    Et lui s’en allait en ricanant. Cela lui importait peu.

    Mes parents l’avaient prénommé « Léopold » parce qu’il était né un 15 novembre et que c’était la Saint Léopold.

    Il était mauvais à l’école où il arrivait systématiquement en retard dans ses bottes en caoutchouc. C’était le chouchou des élèves car il faisait rire l’assemblée. L’instituteur n’avait aucune poigne et finissait par céder à ses caprices. C’est qu’il était malin le Léopold !

    Sa ruse grandit avec l’âge si bien qu’à 25 ans, il roula dans la farine la grand-mère maternelle (qui vivait avec nous) qui n’avait d’yeux que pour son petit-fils. Il lui fit vendre des terrains acquis depuis belle lurette, vider ses bas de laine planqués derrière les sommiers, les cruches à eau ébréchées, les pots Viandox et j’en passe.

    Il se fit la malle un beau matin de juin au moment des foins, laissant son bol, les miettes sur la table à déjeuner et une lettre aux parents :

    « Je pars loin de vous parce que je déteste ce que vous avez fait de moi. Je déteste vos bêtes, votre puanteur, votre façon de vivre ! J’aime Leandro que j’ai rencontré sur Internet et vais le retrouver à Rio. Je pars pour toujours. J’ai pris une petite part d’héritage en attendant. »

    Mes parents et Internet ça faisait deux, mais l’homosexualité de leur fils ça faisait… honte. Mon père décréta qu’on ne devait plus jamais en parler et que j’aurais plus de travail avec le départ de mon idiot de frère.

    Aucun mot pour sa sœur. Ysaline, moi, en l’occurrence, je ne l’intéressais nullement.

    « Muito obrigada » Léopold…

    Je savais qu’il était en adoration devant Amoroso, qu’il avait vu « L’homme de Rio » plus de trente fois dans sa chambre et qu’il rêvait de son Carnaval, mais de là à tomber amoureux d’un homme, y avait un continent à traverser !

    Mon frère homo…

    Je l’ai vu jouer au foot, conduire des tracteurs, couper le cochon, draguer des minettes, les mains dans le cambouis, cracher par terre, se bagarrer, pisser contre un arbre.

    Je l’ai vu aussi regarder les étoiles, écouter de la musique classique, aller à l’église, jouer à la poupée, s’épiler le torse…

    Il n’était tout de même pas allé se refaire les fesses au Brésil ? Ou se faire couper le sexe et se faire implanter un vagin !

    Plus les semaines passèrent, plus on débarrassa toute trace de son passage parmi nous. C’est que dans les Vosges, il n’y avait pas beaucoup de pédés ou alors c’était des pédés qui s’ignoraient et dans notre bled, on préférait faire l’autruche !

    Ma mère prit un coup de vieux en quelques mois, mon père prit l’habitude de fumer, seul, presque en cachette des femmes, cogitant sans doute aux fautes qu’il avait dû commettre pour que la carrosserie de son rejeton ne coïncide pas avec son moteur…

    Plus personne pour se moquer de moi devant ses copains…

    Un samedi soir, à Doncières, lors d’une cavalcade, ma copine Esmée et moi nous déguisâmes en tziganes. J’avais piqué deux vieux tabliers à ma grand-mère qui allumait des cierges pour que son petit-fils revienne. Mon père s’était bien gardé de lui parler de ses penchants masculins d’Amérique latine.

    Esmée, rondouillarde et petite, était la sœur que je n’avais jamais eue et n’avait pas sa langue dans la poche. Sa mère était morte en couches en lui donnant la vie. D’un an ma cadette, elle avait un franc-parler et tenait tête aux hommes. Elle avait une poitrine généreuse et une coupe de garçon.

    Elle avait déniché une boule de cristal et plaisantait à inventer un futur aux curieux qui s’asseyaient à notre table. 

    « 5 euros la séance de voyance, laissez-vous séduire par la douce voix d’Esmée qui vous lira votre avenir. »

    Ses appels se noyaient dans le brouhaha général entre la musique de l’orchestre de bal et les cris des enfants qui, déguisés eux aussi, voulaient profiter de la soirée jusqu’à la dernière goutte de sommeil.

    Félix, un copain de classe, se laissa prendre au jeu et implora Pakita (nom de scène de Madame Esmée) de lui prédire des choses qu’il avait envie d’entendre… Il partit le sourire aux lèvres conscient qu’aucune prédiction ne se réaliserait.

    Vint un homme, plutôt grand, vingt-cinq ans environ, chemise rouge, châtain, barbu et parfumé. Un certain Hector…

    Il s’assit en face de moi et me demanda de lui conter son lendemain…

    « C’est mon amie la diseuse de bonne aventure, pas moi…

    — J’ai envie que ce soit vous. Allez, dites-moi ce qu’il va m’arriver de beau… Mademoiselle… ?

    — Ysaline. Ysaline Dumesnil. Monsieur… ?

    — Hector. Hector Grandeuil.

    — Allons Monsieur Hector ne voulez-vous pas plutôt danser ? 

    — Allons-y, Mademoiselle Ysaline… »

    Il dansait moyennement bien. Les autres filles m’envièrent pour une fois. Je ne vis plus que lui. J’en oubliai même ma hanche décadente et dansai jusqu’à 4 heures du matin. Esmée avait fini par rentrer chez elle en scooter avec son cousin.

    Moi, j’étais dans les bras de mon cavalier, rien ne pouvait m’arriver de grave si ce n’est d’être heureuse. J’existais pour la première fois de ma vie à 21 ans.

    Il était dans le coin pour trois jours. Une exposition.

    Il habitait à Besançon, était fils unique, d’un père comptable et d’une mère conteuse.

    Apparemment, elle écrivait des histoires et les racontait, à qui voulait les entendre, mais je crois que les amateurs ne se bousculaient pas.

    Hector était né à Sidi Bou Saïd à côté de Tunis. Dans les fastes années, ses parents avaient décidé de tout quitter et de travailler pour des expatriés français qui possédaient une grosse fabrique de transformateurs électriques. Son père y fit la comptabilité et sa femme profita de la douceur de vivre du pays.

    Un jour de grande chaleur, on retrouva le père mort d’une crise cardiaque dans son fauteuil, les lunettes sur le nez. Dix ans après leur arrivée, la femme et son petit Hector quittèrent le pays embarquant au port de la Goulette pour Marseille. Le défunt repose dans le cimetière catholique du Borgel à l’ombre des oliviers, face à la mer…

    Malgré son jeune âge, Hector quitta la terre de sa naissance avec un immense chagrin. On l’abandonnait une deuxième fois. La mort lui avait arraché son père, le départ pour la France l’arracha de ses racines.

    Ils rentrèrent à Besançon et furent hébergés par une parente éloignée, veuve depuis plus de trente ans qui se réjouit de ne pas finir ses jours seule et abandonnée de tous. Célestine Jeambrun. Tout le monde l’appelait « tante Célestine ». Elle avait eu une dote considérable : feu son mari avait occupé un poste à responsabilités à la SNCF. Elle n’avait pas de descendance (enfin, pas tout à fait) et ne manquait de rien, excepté d’amour et de compagnie.

    Hector avait quitté le soleil, les maisons blanches de Sidi Bou Saïd, l’air marin pour découvrir la grisaille, les collines et la froideur du Doubs. Sans père, sans repères. Un immigré…

    Il vivait dans une coquette demeure en ville avec une femme de 82 ans et une femme qui avait perdu un peu de son discernement.

    Pourtant, une pièce de la maison était devenue le lieu d’oubli et de récréation pour Hector.

    Une pièce entièrement dédiée aux trains électriques. Des circuits, des maquettes, des tunnels, des ponts, des villages… donnaient à cet endroit miniature le sentiment d’être un géant. L’enfant en devint le chef de gare… De là, naquit sa passion pour le modélisme. Son grand-oncle lui avait légué son affection pour les locomotives.

    Hector devint un élève moyen, ordinaire, avec peu d’amis autour de lui. Trop différent. Lui, avait des parfums de menthe, de curcuma, de jasmin, de chicha dans les naseaux de son cerveau. Le bon couscous de Nesrine, les macaronis au poulet et au curry de Hamza… Ces rigolades avec Okba, Bilel, Honoré et François, ses potes d’école.

    Ses copains de classe fantasmaient sur les seins naissants, les paquets de cigarettes, les gâteaux au chocolat, les canettes de bière dérobées à leur vieux.

    À douze ans, il avait la sensation étrange que le bon temps était déjà derrière lui.

    Sa mère se désintéressa des hommes et préféra ses personnages aux personnalités du coin.

    À vingt-deux ans, le baccalauréat puis un BTS comptabilité et gestion en poche, il intégra un cabinet d’expertise à Besançon.

    Mais revenons à nos moutons, à Doncières, à notre première soirée… Hector me raccompagna jusqu’à la maison d’Esmée où je devais passer la nuit. Lui, réservé, moi, timide. On s’embrassa sur la joue et se troqua nos numéros de téléphone. Il ne faisait pas l’effet d’un tombeur, mais il était venu vers moi…

    2

    Sans démarrage en côte

    Je ne me voyais pas épouser un éleveur ni reprendre l’exploitation agricole. J’en fis le serment. Solennellement, devant mes parents. Cette vie ne me convenait pas, personne ne pouvait décider de mon sort.

    Il m’arriva d’envier mon frère. J’aurais pu partir. Mais pour aller où ? Je n’avais jamais voyagé, jamais pris l’avion. Le monde m’était inconnu. Effrayant. Hostile. J’étais encore si jeune !

    Côtoyer vaches, veaux, lapins et poules avait développé des qualités inappropriées à l’évasion, mais des aptitudes terre à terre. Pas de dentelles, pas de fioritures, pas de chichis. J’étais capable d’aider une vache à mettre bas, de labourer, de tailler les arbres, mais j’aurais été paumée dans une grande ville. Le trafic, les embouteillages, les flux humains, les codes urbains, le progrès technologique. J’avais accumulé un peu de retard à certains niveaux…

    J’aimais la campagne, entendre les oiseaux gazouiller le matin, respirer le parfum de l’herbe fraîchement coupée, aller me baigner dans la rivière les jours d’été, piquer un sprint à vélo à travers chemins, assister à la naissance d’un veau, donner le biberon à un agneau. La nature était si belle, si variable, si prometteuse. J’étais incapable de dire si je croyais fermement en Dieu, mais comment ne pouvait-on pas croire en lui devant telle beauté ou telle cruauté. De toute manière, il fallait un nom, il fallait un bienfaiteur ou un coupable…

    Le soleil allait briller encore cinq milliards d’années selon les scientifiques. Il était à la moitié de sa vie, de son parcours. Et moi, mon parcours, que serait-il ?

    Oui, j’aimais la campagne mais j’avais en horreur les jours de pluie sans relâche qui m’obligeaient à récurer la maison du sol au plafond, les longues soirées d’hiver pleines de solitude et d’ennui, les gens du village étriqués dans leurs idées préconçues pour certains, le manque d’imagination pour d’autres.

    Hector était à Besançon. Je me mis à penser à lui comme je n’avais jamais pensé à aucun garçon. En fait, lorsque je me concentrais sur lui, j’oubliais le reste, le quotidien, la ferme et cela me procurait une sensation de plénitude absolue. Quelque chose sur Terre en valait le coup !

    Alors, commença la correspondance sous forme de sms, les inquiétudes absurdes au moindre retard de réponse.

    J’épiais l’écran sadique de mon téléphone à l’affût du message suprême alors qu’on n’échangeait que des banalités.

    On s’appelait tous les jours, on apprenait à se connaître. On se confiait peu à peu bien qu’il n’était pas un grand bavard.

    J’avais perdu de l’appétit, je dormais mal, j’étais devenue une autre.

    Au bout d’un mois, Hector entreprit une visite à mes parents qui acceptèrent de l’héberger pour un week-end en lui attribuant la chambre de mon frère.

    Bon Dieu, ce que j’ai été heureuse de cette nouvelle !

    Je fis appel à mes potes les nains de la forêt, du plus grand au plus petit, enfin surtout du plus petit au plus petit, qui m’aidèrent à astiquer la casbah, à préparer de bons gâteaux au chocolat et aux amandes, à ranger la piaule de mon frangin partit danser le Maculele, un bâton en bois planté entre les fesses, et à enlever le purin de nos amis à quatre pattes.

    Ma mère mit un point d’honneur à recevoir notre hôte de façon royale : toasts au foie gras, gigot d’agneau du pré, fagots de haricots verts du jardin, gratin de pommes de terre du jardin, fromage de Gérardmer et gâteaux maison de Salfride and co.

    Mon père, en bon sommelier, se chargea du vin. Il fallait du blanc pour adoucir les esprits, du rouge pour rehausser les couleurs et des bulles pour alléger les tourments. Recette miraculeuse…

    Hors de question de passer pour des paysans qu’ils étaient ! Le mot d’ordre était le travail. Dans les champs, le jardin, l’étable, la ferme. Il y avait toujours une bonne raison de se retrousser les manches. On pouvait, tout à fait, être assis et écosser des petits pois, casser des noix, éplucher des carottes. C’était une forme de repos…

    Bien qu’étant des gens simples, leur éducation avait été sévère et efficace.

    Personne ne pouvait partir de chez eux le ventre à moitié plein et le gosier desséché. Cela ne se pratiquait pas chez les Dumesnil. Impensable ! Impraticable ! Impardonnable !

    Mon Hector fit donc la connaissance de ma famille un samedi de septembre vers midi. Par chance, il ne plut pas ce jour-là. Il descendit de son Alfa Roméo 147 rouge, un bouquet à la main, les pieds au sec. Amadeus se planta devant lui, aboya, histoire de faire son boulot et repartit se coucher de tout son long dans les rayons du soleil qu’il avait captés. C’est que le p’tit père n’était plus tout jeune, il approchait de la retraite et s’octroyait des siestes de plus en plus longues.

    On l’avait appelé Amadeus parce que quand Léopold écoutait du Mozart, il frétillait de la queue et dressait les oreilles.

    J’accueillis Hector dans la cour et l’invitai à entrer. Mes parents et ma grand-mère toisèrent le monsieur de la ville un instant puis lui firent un accueil chaleureux. Hector offrit les fleurs à maman qui fut touchée par cette attention.

    Je vis un étonnement dans le regard d’Hector. Moi, j’étais surtout belle de l’intérieur…

    « Mais c’est trop, il ne fallait pas dépenser de l’argent ! Oh comme elles sont belles ! s’égosilla-t-elle ! L’étiquette indiquait un fleuriste distingué à Besançon.

    — Vous avez fait bonne route ? s’enquit mon père.

    — Oui Monsieur Dumesnil, merci. 

    — Tu es revenu Léopold ? sourit ma grand-mère.

    — Non, mamie c’est Hector, mon ami Hector. 

    — Permets-moi de te tutoyer mon garçon, allez mets-toi à ton aise. Sois le bienvenu » lança papa en lui donnant une tape amicale dans le dos.

    Et c’est ainsi que débuta une longue route, sans démarrage en côte…

    3

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