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Elle(s): Roman
Elle(s): Roman
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Ebook388 pages6 hours

Elle(s): Roman

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About this ebook

Un nouveau meurtre qui s’ajoute à une liste déjà longue. Aucun indice si ce n’est cette marque étrange retrouvée sur les scènes de crimes.
Une rencontre qui va changer la vie d’un homme.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Gaétane Lebot âgée de 20 ans est née à Rouen mais a toujours vécu près de Tours. Après une classe préparatoire de lettres spécialité théâtre, elle entre à l’université où elle obtient une licence en Arts du spectacle, spécialité théâtre. Elle écrit depuis toujours et est également une grande lectrice de littérature classique et contemporaine. Sa vie se répartit entre sa famille, ses amis, le théâtre, la musique étant elle-même une joueuse de saxophone et l’écriture.
LanguageFrançais
Release dateMar 6, 2020
ISBN9791037706898
Elle(s): Roman

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    Elle(s) - Gaétane Lebot

    1

    Liste 1 (01/**17)

    Adams Abbie : morte.

    Bataglia Olimpio : mort.

    Belikov Vladimir : mort.

    Bousso Tongoona : mort.

    Buschman Heinrich : mort.

    Cestane Daniela : morte.

    Chen Kien-Lung : mort.

    Davis Zoe : morte.

    Fritzmann Lutgard : morte.

    Harris Rose : morte.

    Jabal Farah : morte.

    Maki Ashim : mort.

    Martin Robert : mort.

    Mills Aki : mort.

    Moreno Taïssa : morte.

    Ngozi Tafadhdhal : mort.

    Nikina Mareto : mort.

    Nikos Iounia : morte.

    Nyang Mahjah : morte.

    Ornilo Aanui : morte.

    Pac Saadat : morte.

    Petridis Nesios : mort.

    Raab Yasmine : morte.

    Saku Kimura : mort.

    Samba Minkah : morte.

    Thompson Bill : mort.

    Ubaeh Amine : mort.

    Vinheiro Mikhail : mort.

    Wable Talla : morte.

    Wang Jia : morte.

    Yabada Essa : mort.

    Zheng Biaq-Qing : morte.

    Liste 2 (02/**17) …

    2

    De petites larves blanches sortent des yeux fixes. Elles rampent sur la peau rigide du cadavre. Les traces de bave translucide se mélangent au sang séché. Des mouches se posent sur la plaie béante qui barre le cou. On aperçoit le cartilage de la trachée découpé proprement. La peau est déchiquetée. Le sang a giclé sur les vêtements. Le haut du costume et la chemise habituellement blanche en sont imbibés. Même les meubles sont éclaboussés. Le bureau en chêne est tacheté de milliers de gouttes qui brillent au soleil. Un rouge profond. Comme la flaque au sol qui attire irrésistiblement les yeux. Superbement atroce. Le type est encore assis. Sa main est en l’air rigidifiée dans un dernier geste de protection. Les traits sont tirés. La peau passe du jaune au violet en passant par le vert. Dégueulasse. Le visage figé dans une terreur indescriptible. La bouche ouverte. La langue arrêtée dans un ultime cri qui n’a pas eu le temps de sortir.

    Les yeux.

    Ce sont les pires.

    Légèrement blancs. Le regard figé à jamais droit devant lui. Et comme dernière image la mort elle-même. Gravée dans ce regard qui l’a vue trop tard pour l’éviter. Et qui l’a regardé en face. L’odeur est infecte. Le type a eu le temps de commencer à se décomposer. Un homme sort précipitamment de la pièce. On l’entend vomir dans le couloir. Une coupe nette. La gorge ouverte. Il n’a eu aucune chance. Je m’avance et m’accroupis près du cadavre. Je fais attention à ne pas poser mon genou dans la mare de sang, pas envie de foutre en l’air mon pantalon neuf. Surtout pour un cadavre dont de toute façon on connaît déjà le meurtrier. Je l’observe une bonne minute. La mort on a beau dire c’est impressionnant. Surtout aujourd’hui où on la cache. Si ces connards pouvaient écrire sur des panneaux publicitaires « La mort n’existe pas ! », ils le feraient. Ici c’est raté. Pauvre type. Je me relève. « Alors Agent Spécial ? » Je me tourne vers mon collègue Barry.

    « — C’est…

    — Oui

    lui. »

    On se tourne tous les deux vers la vitre du bureau ou le corps pourrit depuis trois jours.

    Lui.

    La marque qui recouvre le mur vitré ne laisse aucun doute. Un immense V allongé qui fait penser à une ombre d’oiseau. Fait avec le sang de la victime évidemment. Je m’en approche et pose mes doigts gantés dessus. Visqueux. J’approche ma main de mon nez et renifle. L’odeur du sang. Une forte teneur en fer. La pièce en est imprégnée. Ça pue le sang et la mort. C’est insoutenable. Une image furtive me revient. Un champ de bataille un ciel rouge et des cadavres. Par morceaux. À perte de vue. Une femme. Debout. Droite dans une belle robe blanche. Elle me regarde et ses yeux pleurent des larmes de sang. Un rêve que je fais souvent. Non. Un cauchemar. De l’autre côté de la vitre la rue puis les bureaux d’en face où un amas d’employés prennent des photos. Ils jouissent de sortir de leur vie puante et routinière. Les femmes font semblant d’être choquées mais elles ne détournent pas le regard pour autant. Je sens leurs petits yeux sourire cruellement. Une bande de chacals attirés par la mort violente. Celle qu’on voit que dans les films. Tout ça doit déjà tourner sur internet. Bande de salauds. « Barry, tu veux bien passer en face. Un avertissement et une réquisition leur apprendraient peut-être la pudeur. » Je n’ai aucun espoir mais je refuse de ne rien faire. « Bien Agent Spécial. »

    Je laisse l’équipe scientifique faire son boulot et passer la pièce au peigne fin. Sale job. Et inutile. Du moins pour cette affaire. La marque suffit. À elle seule elle nous dit qui comment pourquoi. Et que nous ne trouverons rien. Aucun indice. Comme d’habitude. Dans les bouchons de Paris, je réfléchis. Un cadavre de plus. Et on peut y ajouter les morts dont on ne connaît pas le nom, ceux dont on ne sait même pas ce qu’ils sont devenus. Les « disparus ». Ceux dont il ne reste rien. Mais Il reste responsable de leur disparition. Cet homme. Cette chose. Ce monstre. Tous les jours des hommes perdent leur titre d’humain. Mais lui. C’est le pire. Il n’y a plus de mots pour le qualifier. Il marche sur des cadavres sans aucune pitié. Savoir que je foule la même terre que ce genre d’être me donne envie de gerber. C’est à dégoûter de la vie. Cette affaire est simplement un enfer.

    J’arrive au bureau. Il est sept heures. Je dois aller faire un compte rendu au patron à neuf heures. J’ai un peu de temps. Je m’écroule dans un siège mon café fumant dans la main. Son âme est plus noire que les abîmes du fond de ma tasse. J’en suis convaincu. Je pense à ma nuit écourtée et à plan-cul-numéro-sept.  Enfin surtout à ses fesses. Je soupire. Elle ne va pas apprécier de se réveiller et ne pas me voir à ses côtés. Tant pis. Le travail passe avant tout. Comme toujours. J’attrape quand même mon portable et lui envoie un message. Les femmes. C’est compliqué et chiant. Toujours à se plaindre. Insupportable. Je n’ai jamais réussi à garder une relation plus de trois mois. J’ai aussi essayé les hommes. Rien à faire. C’est juste le monde entier qui m’énerve. Je vide mon café d’un trait et me lève. Je m’approche des panneaux en plexiglas qui servent à chacune de mes enquêtes et ajoute aux photos des morts celle du type de ce matin. Un patron d’une boîte de quatre-vingts salariés, transports de matériaux de construction. Et on découvrira bientôt un petit faible pour le trafic d’armes. Ça finit souvent voire même toujours comme ça. Je m’écarte pour prendre une vue d’ensemble. Beaucoup de cadavres pour un signe. La marque. Cet oiseau. Libre et impitoyable. Terrible présage. Et pour les autres une marque aussi, quoique différente. Une tête de loup. Qui hurle. À en mourir. Faites également avec le sang des victimes. Le seul lien entre les deux marques c’est qu’elles sont souvent trouvées ensemble sur les scènes de crime. À part ça quoi ? Quatre ans, une liste de morts tellement longue qu’on n’a toujours pas fini de rassembler les dossiers, sur tous les continents en plus, très peu d’indices, aucune piste, ne parlons même pas d’une quelconque identité. Et un groupe, dix personnes maximum dont on ne connaît que le surnom. Parce que tous les agents de polices, d’infiltrations, spéciaux et autres sous couvertures sont morts avant d’en savoir plus.

    Les Loups Blancs.

    Et à leur tête cette chose, cet homme qui n’en est plus un. Beaucoup de légendes, de murmures, de chuchotements, de demi-dits, de mensonges, pour du rien. Du vide. La seule chose qui soit sûre c’est qu’il terrorise et le monde normal et l’Autre. Parce que sur cette planète deux mondes coexistent tant bien que mal. Celui où vivent les trois quarts des gens avec ses bureaux ses patrons ses artistes ses cafés ses journaux ses étudiants ses femmes maquillées ses pubs sa consommation son argent ses guerres ses hommes en costards ses cinémas ses clopes sa merde. Et l’Autre. Celui avec les mafias les armes les meurtres non élucidés les soi-disant accidents les règlements de compte les terroristes les hommes politiques aussi les trafics de tout et de rien. Bref l’Autre. Si vous croyez le connaître, c’est que vous êtes un sacré prétentieux qui va bientôt crever. C’est un mystère même pour ceux qui y sont. Ce n’est pas la réalité truquée des films. C’est du noir. Du sombre. C’est l’ombre. Et encore. C’est plus les ténèbres de l’ombre. Ce monde-là tout le monde en a entendu parler mais seulement quelques personnes le connaissent réellement. C’est un monde à plusieurs niveaux. Plus vous allez loin plus vous risquez de mourir de la pire manière. Ou de simplement disparaître. Une vie éliminée même des mémoires. Et celui que je cherche depuis trop longtemps déjà y évolue comme si c’était son milieu naturel. Il se fond dans l’Autre. Il le connaît. Il en fait partie à part entière.

    Lui.

    Un surnom.

    L’Ombre Blanche.

    3

    « Alors ? » Il s’attend à quoi sans déconner. « Rien. Un cadavre et la marque. Pas de traces, pas d’empreintes, pas de cheveux, pas de vidéos, pas de témoins, pas de preuves, pas d’indices. Rien. »

    Il soupire.

    « Comme d’habitude hein.

    — Oui Monsieur. »

    La fatigue ronge son visage. Il a des valises sous les yeux et la pile de gobelets vides témoigne que seul le café le fait tenir encore debout. On se regarde à travers l’écran de l’ordi. On sait très bien que cette affaire est impossible. Et même dangereuse. Parce que c’est le plus grand tueur de notre époque. Et peut-être de tous les temps. Et que je risque ma peau à le chercher. Plus que n’importe qui d’autre. Dangereux pour moi mais aussi pour tous ceux qui me sont proches. Voilà pourquoi j’ai le dossier. 27 ans aucune attache plus de famille major de ma promotion brillant inspecteur et reconnut mondialement pour la résolution de plusieurs affaires difficiles. Forcément on me refile les dossiers pourris. Et lui qui boit un nouveau café a perdu sa femme et ses enfants dans un attentat. Un désir de vengeance irrationnel envers l’Autre dans son entièreté. Rien à perdre non plus. Sauf peut-être la secrétaire qu’il se tape, et encore. « Bon, je me charge des harpies (ces putains de charognes de journalistes), appelez-moi si vous avez du nouveau. » Lui et moi on sait très bien que c’est pas près d’arriver. J’éteins mon ordi et jette un coup d’œil à mon portable. Ah un message de plan-cul-numéro-sept. Je crois qu’elle en a marre de mon boulot et qu’elle veut se barrer. Une rupture en perspective. Je lui achèterais un cadeau ça me permettra de garder la seule chose qui me laisse souffler un peu. Le sexe. Et puis faut pas se mentir elle est très bien foutue et elle aime le cul. Pour le mois que je vais encore passer en France, ça devrait suffire.

    Barry débarque dans mon bureau. Un regard entre nous suffit pour résumer l’entretien avec le Patron. Barry travaille avec moi sur le dossier. Mon seul ami si on peut appeler comme ça notre relation. La seule aide que j’ai acceptée pour ce dossier. Trois ans plus jeune que moi, abandonné par ses parents à la naissance et élevé dans un orphelinat. Lui aussi il en a chié. Il sait ce que c’est la vie. Mais surtout, la mort. J’apprécie son esprit rationnel et son humour. Et puis il est aussi très bon au lit. Quand lui et moi on n’a personne d’autre, ça nous arrive de passer la nuit ensemble.

    « — Si tu veux la salle de sport est libre. Je me lève.

    Je souris. C’est vrai que ça m’arrive régulièrement de casser ce genre de matériel. Mais quand on grandit dans la montagne entourée d’adultes maîtres en arts martiaux, on apprend vite à se défendre et à frapper. Fort. On traverse les bureaux sous les regards inquisiteurs des employés. Ça m’énerve. J’ai l’impression d’être une bête de foire. Juste par ce qu’on est Américains. Donc étrangers. « Ils ont légalisé le mariage pour tous non ? » Je demande à Barry. Il me regarde étonner. « Euh… je crois oui, pourquoi ? » Bien. Alors on va leur apprendre la discrétion. Je me tourne brusquement vers Barry, avec une main je lui attrape le menton et je pose l’autre sur ses fesses. Je l’attire à moi et l’embrasse. Avec la langue. Je sens nos salives se mélanger. Un french kiss pour l’occasion c’est plutôt bien choisi. J’ouvre les yeux et compte. Cinq poissons, quatre qui rougissent, trois autres se détournent et un crétin tombe de sa chaise. Je lâche Barry et dévisage les employés. Connards en jupes et cravates. Je fais un grand sourire et l’entraîne vers l’ascenseur. Une fois la porte fermée il me regarde avec de grands yeux. Il rougit. C’est mignon.

    « Pas devant tout le monde… » Il me dit en détournant le regard.

    Je passe ma main dans ses cheveux. « Sorry. » Les portes s’ouvrent et on arrive dans la salle de sport au sous-sol. Personne. Bien. Je me dirige vers les vestiaires suivis par Barry.

    On remonte deux heures après. Le sport pour se vider la tête, y a pas mieux avec l’alcool et le sexe. Alors avec deux à la fois ça va mieux. Barry devant moi a du mal à marcher. Je le regarde boitiller dans le couloir. Vraiment le seul collègue que je supporte. Il est adorable. Ça va faire quoi, quelque chose comme sept ans qu’on se connaît. On s’est toujours très bien entendu. Surtout depuis une affaire de cartel où on a failli y passer mais on s’en est tiré après avoir cassé quelques mâchoires, butés quelques gars et pris quelques balles. Je retourne dans mon bureau. Les analyses du labo m’attendent dans un dossier bien rangé. Pour une fois qu’ils sont rapides. Bon je suis aussi prioritaire et en plus il n’y a évidemment rien à en tirer. Des chiffres, des colonnes, quelques mots mais rien. Pas d’ADN, de morceaux de vêtements, de cheveux, bref les preuves habituelles quoi. En tous cas on peut leur reconnaître qu’ils sont vraiment très forts quand il s’agit de se planquer. J’ai jamais vu ça. Sur chaque scène de crimes pas une faute, pas une erreur, pas une inattention. Ils ne laissent jamais rien.

    De vrais pros.

    Encore une journée inutile. Je soupire. Plus qu’à attendre le soir en remplissant des papiers et en me creusant la cervelle sur cette équation insoluble. Cette affaire est réellement intéressante mais un seul indice m’aiderait un peu. Parce que je ne peux rien faire à part compter les morts. Et c’est frustrant. Même énervant. Je n’arrive pas à comprendre qu’il n’y ait rien. Nos preuves se résument au néant. J’ai l’impression de chasser un fantôme. Je cherche du vide. J’avoue que je donnerai cher pour lui demander comment il fait.

    Mais enfin que faire avec rien.

    Je sors du bureau tôt pour aller acheter un cadeau à plan-cul-numéro-sept. Ce qui lui fait énormément plaisir et m’acquiers son pardon. Évidemment je ne lui ai pas dit pour les faux diamants. Ma soirée et ma nuit sont sauvées et c’est le plus important. Parce que c’est vraiment une petite perfection au lit. Grâce à elle je suis de nouveau presque de bonne humeur.

    J’ouvre les yeux. Le plafond plongé dans l’obscurité semble me renvoyer à moi-même. Je passe la main sur mon front. Insomnie. Je regarde l’horloge. Quatre heures. Je sais que je ne dormirai plus. Du moins pour cette nuit. Je me redresse et quitte le lit sans bruit pour ne pas réveiller la forme nue roulée dans les draps. Une fois dans le salon j’allume la télé. Un flash spécial apprend que la femme la plus riche de cette planète rentre lundi à New York pour rencontrer le Président. À 22 ans elle possède les dix plus grosses entreprises du monde soit la main mise sur presque tout le marché. Elle traite avec quasiment tous les pays du monde. Elle est aussi impliquée dans de nombreuses actions humanitaires auxquelles elle participe en personne. On en entend souvent parler dans les journaux ou à la télé. Son nom est partout. Mais très peu de photos. C’est le phénomène du siècle. Parce que c’est une première mondiale qu’une femme ait autant de pouvoir. Et d’indépendance. Pas de tutelle masculine elle gère elle-même ses affaires. Ajoutez à ça un corps de rêve et un sourire incroyable. Parce que bien sûr elle est aussi considérée comme la femme la plus belle du monde. Et de loin. Inaccessible pour nous simples mortels. Un goût d’amertume se répand dans ma bouche. J’éteins la télé. Je m’habille et sors dans la nuit froide. Je m’arrête sur le seuil de l’immeuble pour prendre une grande inspiration. L’air froid brûle ma gorge. Je me dirige vers la Seine. Une boîte sur le trottoir d’en face se vide de ses jeunes soûls d’alcool, de sexe, de shits aussi sûrement qui vont se perdre par petits tas bruyants dans la nuit. Bientôt le son de l’eau m’annonce avant de le voir le fleuve. Les quais sont vides à cette heure. Les lumières de la ville se reflètent comme si des milliers de diamants roulaient sous la surface de la masse tranquille. Debout j’observe ce mouvement infini, immuable, que personne n’empêchera. Le bruit des gouttes qui éclaboussent le quai me calme et m’apaise. L’eau, elle s’en fout de mes problèmes. Dans la solitude de la nuit et le calme de mon esprit, un nom me revient. Doucement d’abord. Par à-coups. Il se fraye un chemin. Il émerge de mes souvenirs qui, déjà, s’estompent dans les tréfonds de mes pensées. Cette femme. Deux mots. Comme une marque indélébile m’apparaissent à la lumière de l’obscurité.

    Elle.

    Un nom.

    Arya Bloo.

    4

    Paris c’est sympa. Mais quand on a le temps de visiter. Parce que les métros c’est les mêmes partout. Beaucoup de monde des tourniquets des contrôleurs des fraudeurs des groupes de filles qui gloussent des mecs qui se la pètent des gens sur leurs portables des SDF qui racontent leurs tristes vies à des gens qui s’en foutent des RER en retard des gens perdus des gens en retard des gens qui regardent par la fenêtre les tunnels défiler des gens avec des écouteurs et d’autres avec des casques des gens avec des livres. Ah si et aussi beaucoup de gens qui tirent la gueule. Bref le vrai visage des choses c’est en dessous qu’on le trouve. Avec le fils à papa qui observe ses chaussures flambantes neuves et bien vernies à côté de la famille de migrants avec deux gamins et un bébé qui ont à peine de quoi se vêtir. La surface c’est juste pour faire beau. Faut pas se leurrer. C’est comme les pubs. C’est pour te faire croire que t’es riche et que tu peux te payer cette bagnole. Mais si tu crois ça c’est que t’as pas encore lu la phrase imprimée en minuscule qui dit en gros que toi t’as pas les moyens et que tu peux bien aller te faire foutre toi ta femme tes gosses ton chien et ton prêt sur trente ans pour ta baraque en banlieue. Tellement écœurant. Cette société me dégoutte.

    C’est dans un de ces métros toujours trop pleins que j’ai reçu l’appel. Le Patron a dit « Vous rentrez », et pour une fois j’étais content d’entendre sa voix grave et cassée. En plus plan-cul-numéro-sept venait de me quitter. Parfait. Il semblait de toute évidence avoir quitté Paris. Car absence de marques et de gens morts. Tant mieux pas de meurtres égal retour maison.

    Paris New York c’est pas le même délire. Parce que New York c’est le cœur de l’Autre. Son point central. C’est de là que tout part. De là que tout est dirigé. La première chose que je fais en rentrant c’est passer voir chacun de mes informateurs. Visiblement il est rentré aussi. Et ils le savent parce que les rumeurs disent que trois chefs de clan, cartel et branche de mafia ont été liquidés. Or soit on bosse pour lui d’une manière ou d’une autre. Soit on est mort. On ne trahit pas l’Ombre Blanche. Pas de preuves pas de corps évidemment. Parce que jamais rien n’apparaît dans le monde normal. Une planète pour deux univers opposés. Déjà aucun de mes agents n’a disparu. Un bon point. Je passe ensuite voir quelques prostituées de luxe. Elles sont souvent très bien renseignées et j’ai mes propres entrées dans ce monde-là et aussi de bons moyens de pression. L’avantage d’être un agent spécial. Je rentre au bureau avec le peu d’informations que je trouve.

    Bon.

    Je passe saluer le Patron. Il a une meilleure tête que la dernière fois. Il me donne de nouveaux dossiers et quelques dates de réunions importantes. Des banalités affligeantes. Je traverse les bureaux en sens inverse. Je pose la main sur la poignée en bois et entre. Les odeurs m’assaillent. Familières. Je souris. Je retrouve enfin mon bureau. Je suis l’un des plus hauts gradés donc j’ai droit à une grande pièce. Juste pour moi. À droite le mur vitré donne sur une des grandes avenues de New York et on peut même apercevoir Central Park. Il y a aussi une table ronde avec quatre chaises en plastique. À gauche un long meuble longe tout le mur, noir et lisse. Ma machine à café personnelle est posée dessus. J’ai horreur du café au bureau. Et puis ça m’évite de devoir marcher jusqu’à la salle de repos de l’étage. Pas envie de croiser les autres. Avec leurs discussions inintéressantes sur leurs dernières voitures ou leurs enfants. Qu’est-ce que je m’en fous. Je range aussi dans ce meuble tous mes dossiers en cours ou que je veux garder sous la main. Et enfin au centre mon bureau noir aussi avec ordinateur intégré et écran tactile. Pratique et stylé, un peu futuriste. Ça impressionne toujours les visiteurs. Et mes fameux tableaux en plexiglas. Parce que le papier c’est mieux que des infos dématérialisées. Au moins j’ai une vision d’ensemble de toute l’horreur de cette enquête.

    Je m’assois dans mon fauteuil et pose ma tête sur le dossier. Je soupire. Je sens déjà la fatigue me tomber dessus. Je me redresse. Je prends le premier dossier de la pile qui me fait face. J’en ai pour des heures de paperasse. Mon téléphone sonne je sursaute et il me faut trois secondes pour reprendre mes esprits. Mon portable indique le numéro du Patron. Je décroche.

    « — Allô ?

    Et puis la milliardaire Arya Bloo fait partie des otages. »

    Je reste scotché à ma chaise une seconde et demie le temps de réaliser la chance que c’est pour moi et je bondis d’un coup pour me précipiter dans les bureaux en hurlant c’est une intervention d’urgence que j’ai besoin d’un maximum d’agents et que je prends aussi l’unité spéciale. De toute façon j’ai carte blanche alors autant mettre toutes les chances de réussite de mon côté. Et puis vingt hommes surentraînés par des années d’expérience capables de réagir vite dans toutes les situations et prêts à affronter la fin du monde s’il le faut ça ne sera pas de trop. De bons petits soldats des bouledogues bien dressés. Dangereux et armés jusqu’aux dents. De très bonnes armes. Des surhumains.

    Les sirènes résonnent dans les rues de la ville pendant que je donne mes ordres. Cinquante-quatre otages civils et trois gardiens. Les autres sont morts. Entre quinze et vingt preneurs d’otages. Autorisation de tirer à vue. Faire le moins possible de blessés civils. J’ajoute que cet incident peut potentiellement faire leur carrière au vu de l’identité de certains otages. Ça va les motiver normalement. On arrive sur le terrain. La première chose que je fais est de demander à la police locale de dégager ces putains de journalistes. Et je leur dis qu’on prend les choses en main maintenant. Le flic qui gère ce bordel à l’air soulagé. Je le vois transpirer à grosses gouttes. Il est presque jaune. Il donne quelques ordres et nos hommes échangent leurs places. Les siens poussent les charognards et la foule des curieux et les miens encerclent le bâtiment. Je lui demande des précisions en attachant mon gilet pare-balles. Vingt preneurs d’otages et très bien armés. Fusils à pompes MP5 grenades mitraillettes automatiques kalachnikovs bombes lacrymo et armes blanches. Je charge mon arme. Le bruit du percuteur retentit dans le brouhaha de sirènes ordres et bruits de pas qui courent. Tout ce matériel ne veut dire qu’une chose.

    Ça pue.

    Cette histoire pue.

    Parce que pour prendre Wall Street il faut avoir du soutien au bon endroit. Bien. Les revendications sont simples. Un hélicoptère de l’argent et aucune poursuite. Classique. Donc la réelle question est pourquoi faire une prise d’otages dans une bourse. C’est évident qu’il n’y a pas d’argent liquide. Donc le véritable but concerne les personnes enfermées là-dedans. Et ça ne peut être qu’elle. Parce que la femme la plus riche du monde avec un fusil sur la tempe ça peut rapporter gros. Il faut qu’on agisse le plus vite possible. Les revendications sont bidon elles ne servent qu’à gagner du temps. J’ai déjà vu ce genre de situation. Je prends le mégaphone et m’adresse d’abord aux journalistes « Tous ceux qui passeront les barrières de sécurité se verront confisquer leur matériel et toutes les données seront effacées. » Il y a un mouvement de foule. Cinq vautours entrent dans le périmètre. Aussitôt ils sont arrêtés matériels récupérés et relâchés. Ils crient et j’entends des murmures offusqués de nos méthodes. Mais je m’en fous. Parce que je n’ai pas de temps à perdre avec eux. Le plus important est de sauver les civils. Je m’adresse ensuite aux preneurs d’otages. « Dans une demi-heure tout vous sera donné. » Le policier à côté de moi devient livide. Il m’attrape par les épaules et me hurle « Mais on a absolument rien c’est impossible ! » Mon regard suffit à le calmer. Et il me lâche tout tremblant. Barry qui m’a suivi lui explique gentiment que l’agent spécial sait ce qu’il fait. Mes hommes me font signe. Tout est en place. Tout le monde est prêt.

    Alors il est temps d’entrer en scène !

    On se positionne à l’arrière du bâtiment avec neuf de mes gars. Barry et les dix autres doivent entrer par les portes latérales. Une unité est chargée de s’occuper des caméras. Le reste entrera après en renfort. Tout le monde est en place. Je respire lentement pour faire ralentir mon rythme cardiaque. Je ferme les yeux et ressers mes doigts sur mon arme. Je repasse le plan du bâtiment dans ma tête. Les sorties de secours les ascenseurs les escaliers les couloirs les pièces la disposition de chaque salle les angles morts. Mon oreillette grésille. « Caméras neutralisées. » J’expire. Je fais le signal. Go ! Deux hommes défoncent la porte on atteint rapidement les escaliers après avoir sécurisé le rez-de-chaussée où ils n’avaient laissé qu’un homme qu’on neutralise et laisse aux autres unités. On monte au premier. RAS. J’entrouvre la porte de l’escalier. Selon le flic les otages sont au dernier. On investit les étages les uns après les autres assez vite puisqu’ils n’ont laissé que deux hommes dont on se débarrasse vite et on se rejoint avec l’équipe de Barry. On répartit les hommes par deux pour pouvoir surprendre les criminels de tous les côtés tout ça dans le plus grand des silences. Une fois des groupes à chaque porte j’introduis une micro-caméra sous la porte pour voir ce qui se passe dans la pièce principale. Les otages sont à terre. Dix hommes les surveillent. Ils ont peur je le sens d’ici. Ils puent la peur. Ils sont donc beaucoup plus dangereux. Mais ils sont debout et les otages allongés. Et puis j’ai les meilleurs agents avec moi. Bon. Je me retourne et fais un signe à mes hommes. Intervention ! On débarque dans la pièce. Surprise ! Avant même qu’ils réagissent j’abats les deux du centre d’une balle dans la tête aucune chance les otages crient les mères cachent le visage de leurs enfants contre elles beaucoup tremblent et plusieurs ne peuvent détacher le regard de ce qui se passe.

    L’attrait de la mort.

    La moitié des hommes est abattue en moins de sept secondes.

    Il y a déjà du sang partout.

    Je jette un coup d’œil aux otages pour voir s’il y a des blessés. Ils ont tous une expression d’horreur sur leurs visages. Ces gens-là ressortiront différents. Eux ils sont en train d’apprendre ce que veut dire vivre et mourir. La mort ils la découvrent. Ils l’apprennent. Et ça fait mal. Pauvres gosses. C’est pour eux que c’est le pire. Ils pourront difficilement s’intégrer aux autres désormais. Parce qu’ils ont senti sur leurs peaux le souffle de la fin. Sur cette planète deux types de personnes. Ceux qui croient avoir vu la mort. Ceux qui l’ont vu. Entre les deux un ravin. Un gouffre. La différence est tellement gigantesque que les mots même manquent pour la qualifier.

    L’effet de surprise est un succès. Mais un des types réagit plus vite que les autres et attrape une femme par les cheveux pour lui coller son pistolet sur la tempe la femme pleurniche je braque mon arme sur lui l’homme sourit un filet de sang coule de sa bouche.

    Il s’écroule.

    Ses yeux montrent qu’il n’a pas compris comment il est mort. Barry est derrière avec un couteau. Le sang goutte sur le sol.

    Plic. Plic. Plic.

    « Vous n’êtes pas blessée ? » La femme secoue la tête négativement.

    Blessée non.

    Traumatisée oui.

    Quelqu’un me tape sur l’épaule. Je me retourne et lui colle mon neuf millimètres sous le nez. Des seins. Énormes. Je lève les yeux. La femme me regarde. Habits de civil. Je baisse mon arme et l’observe. Blanche. Grande. Un bon mètre soixante-quinze. Peut-être un mètre quatre-vingts. Des épaules carrées. Bien habillée dans un tailleur pantalon. Ses cheveux bruns sont attachés en simple queue de cheval qui tombe en cascade dans son dos. Assez longs. Elle est musclée aussi. Vraiment musclée. Je vois le tissu tendu sur sa peau. Son visage est carré. Son corps est étrange. Atypique. Elle n’a pas peur. Ses yeux sont même plutôt froids. Et même sans émotions. Deux lames de couteaux plantées sur moi. Deux yeux noirs. Comme deux gouffres. C’est une habituée des armes je le sens. Son aura est meurtrière. Cette femme. Elle fait peur. Elle me claque les doigts sous le nez je sursaute.

    « — Mon patron est toujours avec leur chef et un gamin. Qu’est-ce que t’attends le flic ?

    J’y vais. »

    Elle dit ça comme une évidence et sort deux semi-automatiques. Des Heckler & Koch USP. Magnifiques. Et dangereux. Ils sont gravés et je crois aussi qu’ils sont modifiés. J’ai toujours adoré les armes. Ça me fascine. La capacité de l’homme à concevoir des instruments de mort aussi beaux est tout de même assez incroyable. Mais avant que j’aie le temps de réagir elle s’élance dans les escaliers à toute allure. « Suivez-la bordel ! » je crie et je me précipite à sa suite suivi par mes hommes. Mais elle nous devance largement. Je la vois disparaître dans un couloir. Des coups de feu retentissent. Cinq. On se met à courir plus vite et on débarque dans un bureau. Cinq hommes sont à terre. Morts. Leur sang se répand en marre rouge sous les corps. Parfaitement sombre. Une balle dans la tête chacun. Du travail de pro. La femme aux yeux froids est au milieu de la pièce ses deux pistolets braqués sur les deux hommes restants. L’un tient un

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