Petit traité de l’insignifiance: Ces mots qui ne valent rien ou presque
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About this ebook
Patrick Vighetti
Docteur en philosophie, enseignant et traducteur
« Le Petit traité de l’insignifiance fait une apparition pour le moins intempestive dans le cadre des catégories figées du paysage littéraire. Poésie ? Essai ? Aphorismes ? Philosophie ? Linguistique ? Métaphysique ? Probablement tout cela à la fois. Le lecteur, d’abord interloqué, pense assister à un dialogue à première vue chaotique entre des instances qui posent des questions, les laissent sans réponse, ou répondent par une autre question, laquelle est une nouvelle béance. Répondent parfois par une affirmation mais qui plonge le lecteur dans une perplexité sans fond. Dialogue intérieur du poète avec lui-même ? Alors c’est sans doute un dialogue entre ses mille moi… »
François Aguettaz
Docteur es lettres, chercheur honoraire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Luc Favre Reymond, poète, critique et écrivain est né en 1963 en Savoie. Son œuvre poétique a été saluée par les plus grands poètes et universitaires contemporains. Auteur à ce jour de 37 ouvrages publiés. Son œuvre est traduite tout ou partie en huit langues. Il figure dans le Larousse de la poésie française. Edition établie en 2007 par Jean Orizet.
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Book preview
Petit traité de l’insignifiance - Jean Luc Favre Reymond
Jean-Luc Favre Reymond
Petit traité de l’insignifiance
(Ces mots qui ne valent rien ou presque)
Du même auteur
– Le registre, de l’origine de l’oeuvre
5 Sens Editions, 2018
– Tractacus logico-poeticus, Suivi d’Epistémè
5 Sens Editions, 2019
Pour Barbara Cassin
De l’Académie Française
« La langue est un lieu de l’identité temporaire »
« Les mots ne sont jamais fous (tout au plus pervers),
et c’est la syntaxe qui est folle ; n’est-ce pas au niveau
de la phrase que le sujet cherche sa place – et ne la
trouve pas – ou trouve une place fausse qui lui est
imposée par la langue ? »
Roland Barthes
Fragments d’un discours amoureux
Insignifiance et sens
Au fil de ses nombreux ouvrages et de ses modes d’expression multiples, Jean-Luc Favre Reymond, travaillé par la fièvre poétique depuis des lustres, je le sais, ne cesse de modeler lui-même de façon assez enfiévrée la langue – qu’il triture, creuse, expérimente, essouffle, ranime et dynamise, farouchement désireux d’en explorer et d’en exploiter sans lassitude les virtualités. Le poète, le poïète, le créateur de mots et de formulations et d’images et d’élans nouveaux du dire, n’entend jamais se satisfaire des énoncés éculés, des fades habitudes de la communication ordinaire, des proses purement informationnelles. À lui la tâche exigeante, souvent douloureuse, toujours enthousiaste malgré les mille morts subies dans cette fondation verbale éternellement recommencée, de livrer et délivrer du sens, arraché aux bruissements ou aux silences du monde, aux émotions les plus profondes de l’humain qui nous est commun, aux interrogations les plus dérangeantes pour l’esprit que nous bâtissons ensemble, nous frères humains.
Ici, dans son texte introductif et plus encore dans ses aphorismes lancinants, aux allures nietzschéennes et wittgensteiniennes, s’ajoute au poète tourmenté par le feu de la curiosité la plus incisive, la perplexité du philosophe qui s’essaie, intrigué par le « je », par les arcanes du « moi », par les abîmes de la conscience de soi et du monde lorsqu’elle ose héroïquement se prendre comme objet d’étude.
Voilà le but visé, tout au long de ces pages : déterminer qui approchera au mieux, et avec quels moyens, la vérité la plus primordiale des choses, des êtres, de l’existant. Le poète recourra pour l’essentiel aux intuitions qui le caractérisent, à cette sensibilité aiguë qui l’anime ; le philosophe usera des analyses plus rationnelles, plus méthodiques, – non sans effroi ! Et même, autre figure qui s’interpose ici, le « prophète » fourbira ses croyances, ses affirmations de foi. Tous brûlants de savoir, de comprendre, d’accéder à Ce qui Est, derrière les apparences (trompeuses), les tumultes (assourdissants) ou les nébulosités de l’existant. L’Être derrière l’écran des phénomènes, des péripéties mineures de la vie.
Dans tous les cas, c’est le langage, essentiellement, qui se voit placé sur la sellette : que n’est-il clair, apaisant, capable de répondre le plus simplement aux questions les plus vitales ! Le poète bataille avec les mots (souvent fugitifs), la langue se dérobe, le sens se révèle insaisissable, d’usage épineux. Le philosophe – bergsonien, par exemple – reprochera au même langage de se montrer, par la brutalité de ses généralités et de ses raccourcis, infidèle à la richesse, à la vitalité et à la précision intime de ce qu’il prétend traduire. D’ailleurs, le traducteur, à son tour, est à juste titre quelque peu incriminé : comment rendra-t-il autrement, dans une langue différente, le même, que comportait la langue initiale ? Le prophète, quant à lui, se perd assez dans ses vaticinations ; mais le voilà vite congédié, au profit du sujet qui s’inquiète métaphysiquement de la vie et de la mort, ou encore du sort que nous avons en partage, thèmes si centraux de notre condition terrestre !
Comment parler, comment écrire, comment exprimer notre pauvre savoir – et toutes les inquiétudes que ce savoir, et que l’ignorance qui entoure celui-ci de ténèbres (comme un flambeau qui n’éclaire qu’un étroit cercle d’existence autour de nos angoisses justement existentielles !) nous vaut au long de notre présence ici-bas ? « La langue sait ruser sans rompre les équilibres grammaticaux », écrit notre Penseur (Aphorisme 122). Certes, il faut construire du sens, et la raison a ses règles ; il s’agit d’être intelligible ! Mais le poète s’ingénie à déconstruire : la poésie, fondée sur l’impertinence, c’est « la violation systématique du code du langage », c’est « l’infraction », c’est « l’antiprose », écrivait Jean Cohen dans sa Structure du langage poétique (Ch. I) ; et c’est parce qu’elle étudie les formes anormales du langage que la poétique « peut justement nous permettre de mieux comprendre comment fonctionne le langage normal. » Ainsi, dans un mouvement analogue et simultané à celui du travail poétique sur le langage comme matériau, Jean-Luc Favre Reymond s’emploie à déstructurer nos certitudes – qui nous aveuglent en nous rendant trop confiants, ou dogmatiquement ensommeillés, comme le dirait Kant –, en désorganisant la langue commune, les propos familiers, les idées les plus reçues, par son feu nourri de sentences lapidaires, d’interrogations corrosives, de protestations même ! À la babélisation évoquée par le récit biblique fait écho, dans les pages enflammées qui suivent, une multiplication des questionnements, un foisonnement de demandes des plus déstabilisantes. Le lecteur, un peu hébété d’abord par ce tourbillonnement de mots vigoureux, en protestera. Mais, s’il veut bien deviner derrière cette profusion l’intention haute, il jouera bientôt le jeu, âpre il est vrai et cependant salutaire, consistant à réviser inlassablement ses jugements, et, par là, à surprendre au-delà des faits un arrière-monde, à se surprendre lui-même comme capable de penser à son tour avec grande audace !
Nous avons certes affaire ici plus