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Le serpent de venise: Roman
Le serpent de venise: Roman
Le serpent de venise: Roman
Ebook395 pages5 hours

Le serpent de venise: Roman

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About this ebook

Fille d’un riche marchand florentin, Chiara Maltese épouse Francesco Pisani Comte di Falco. Cette farce de mariage est soldée par la mort du comte tué d’une dague par son amant qui ne supporte de le voir marié à une femme. Accusée du meurtre, Chiara se voit forcée de fuir pour prouver son innocence. Sa fuite la mènera à Venise, là où elle espère retrouver Enzo di Rivaldi. Riche banquier vénitien, Enzo di Rivaldi succombera aux douceurs de l’amour de Chiara devenue courtisane pour subvenir à ses besoins. Alors que des amours contrariés allaient se jouer dans la ville de tous les plaisirs, un monstre hideux torture des jeunes filles avant de leur arracher leur organe vital.
Commandité par le doge Alvise Ier Mocenigo, Enzo di Rivaldi aura pour mission de débusquer le meurtrier. Plus que jamais fidèle à elle-même, Venise va se transformer en une gigantesque scène de théâtre baroque où tout le monde va jouer un rôle.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née au Portugal et immigrée en France avec sa famille en 1972, Gabriela Da Fonseca Gomes trouve la nourriture essentielle à son caractère réservé dans les livres. Devenue mère à 20 ans, elle se consacre à sa fille et à son métier d’auxiliaire de puériculture. L’envie d’écrire la tenaille de plus en plus et elle se lance en 2005 en découvrant les jeux de rôles où elle apprend enfin à faire vivre des personnages sur le papier. Elle est auteure de L’Ange et le Masque, A serpente de Veneza édité dans sa langue maternelle (traduit de l’original Le serpent de Venise écrit en français). Elle écrit également des histoires pour les enfants dans sa langue maternelle portugaise.
LanguageFrançais
Release dateMay 1, 2020
ISBN9791037706645
Le serpent de venise: Roman

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    Le serpent de venise - Gabriela Da Fonseca Gomes

    Chapitre 1

    Un cri aigu comme le hurlement d’une âme tourmentée fracassa l’obscurité. Dans sa couche de paille, Chiara se redressa en clignant plusieurs fois des yeux. Tentant de percer la nuit éternelle de son cachot, ses pupilles brûlaient et cédèrent impuissantes face aux ténèbres. Elle leva son visage vers un plafond qu’elle savait bas pour s’y être cogné la tête les premiers jours de son emprisonnement, et poussa une plainte.

    Depuis combien de temps était-elle là ? Au début, elle avait compté. Un. Deux. Trois. Puis au quatrième jour, elle hésita. Était-ce le quatrième ? Non le deuxième ! Non c’était bien le quatrième. Elle ne s’arrêta que lorsque son esprit embrouillé ne sut faire la différence entre le jour et la nuit. Alors, elle chercha un autre repère, le fixant sur le moment où le geôlier lui apportait un quignon de pain rassis et de l’eau. Puis, il ne vint plus, laissant Chiara sans nourriture, la privant en même temps de l’unique lien qu’elle avait avec l’extérieur, empêchant son esprit de sombrer.

    Un autre cri fusa, terrible. Du plat de ses mains, Chiara se boucha les oreilles. Mais cela ne suffit pas, les hurlements étaient tels qu’ils traversaient sans trouver d’obstacles le dos, la chaire et la paume de ses mains, pénétrant son ouïe pour se déverser dans son corps. Les images des tortures infligées aux prisonniers affluaient à son esprit. Elle imaginait les corps écartelés dont les membres se détachaient, les ongles arrachés et de nombreux autres supplices sortis de l’imagination fertile des hommes.

    Elle se souvenait de son indicible frayeur quand elle avait été conduite dans la salle des tortures pour y être interrogée. À la vue des instruments dont les bourreaux se servaient, elle avait paniqué et s’était agenouillée, les mains jointes, elle avait supplié qu’on la préserve, qu’il n’était pas nécessaire qu’on la torture, puisqu’elle avouait tout.

    Les bourreaux avaient cédé à ses prières en grimaçant, jetant pinces et tisons chauffés à blanc avec grand fracas, ravalant leur déception de ne pouvoir lui infliger les sévices dont ils voulaient se délecter.

    Ce fut enchaînée à une chaise qu’elle acquiesça à toutes les accusations dont on la disait coupable. Oui, elle était une empoisonneuse. Oui, elle était une sorcière. Oui, elle était une pécheresse se servant de ses charmes pour asservir les hommes et les rendre esclaves de ses instincts les plus vils.

    — Oui, je suis tout cela. Mon Dieu pardonnez-moi.

    La sentence qui avait suivi ne lui laissa aucun espoir : Elle serait brûlée vive.

    Ce fut une douleur aiguë qui la ramena à l’obscurité de son cachot. On dévorait son orteil et d’un geste de sa main aveugle, elle chassa le rongeur qui protesta en couinant. Un sanglot au fond de la gorge elle recula dans les ténèbres de son cachot, les larmes qu’elle avait retenues jusqu’à maintenant coulèrent le long de ses joues creusant des sillons clairs sur ses joues grises de saletés. Son visage posé sur ses cuisses elle pleurait sur sa vie et sur son amour perdu.

    — Où es-tu ? Ne m’abandonne pas, je t’en supplie, Enzo…

    Au-dehors une nouvelle journée commençait. De la plus petite rue à la plus grande place montaient vibrants les bruits d’une ville continuellement animée par ses habitants, qui du plus pauvre au plus riche aimaient festoyer et se préparaient à la folle ferveur du carnaval. Au large, un grand voilier aux cales chargées de marchandises rentrait dans le port de la sérénissime Venise.

    Chapitre 2

    En ce milieu de printemps, un soleil radieux éclairait de ses rayons la Toscane. Entre ses collines aux rondeurs multicolores serpentaient des routes reliant les vallées entre elles. Tels des rubans, elles filaient vers l’infini à travers les riches terres d’une province ou la nature et l’homme semblaient avoir partagé la même palette, créant un décor savant et harmonieux de couleurs subtiles et dorées. Ainsi oliviers, vignes et cyprès composaient une architecture naturelle où l’on retrouvait le goût artistique inné du peuple toscan. C’est dans une de ces routes conduisant vers le sud que le carrosse avançait. Tiré par quatre chevaux au galop il avalait les kilomètres au son du fouet du cocher.

    Par la lucarne située à hauteur de son visage, Enzo di Rivaldi regardait, émerveillé, le paysage qui défilait devant ses yeux. Un instant, ses pensées allèrent vers celle qui faisait battre son cœur : Valeria. – Aurais-tu aimé cette campagne, mia bellissima ? Non sans doute. Tu es trop citadine. – Ses lèvres avaient murmuré le court de ses pensées, en soupirant Enzo recula dans son siège. Ce fut la voix du cocher qui le tira du sommeil dans lequel l’épuisement des jours du voyage et les cahots réguliers du carrosse l’avaient fait tomber.

    — Signore, nous arrivons.

    Enzo se redressa et devant ses yeux encore gonflés de sommeil, sous une lumière diaphane et ambrée se dessinait la patrie des génies et des arts au sein du riche bassin de l’Arno : Florence.

    Quelques minutes après, ils passaient la porte est de la ville fortifiée.

    Après le calme serein de la campagne, le tumulte de la ville les accueillit. Ils s’engagèrent dans les rues étroites de la ville traversant les places admirant au passage les palais dressés symbolisant le luxe perpétuel dans lequel vivaient les florentins.

    Au détour d’une place carrée au centre de laquelle trônait une fontaine, ils tournèrent sur une rue ombragée par la silhouette imposante du palais Maltese.

    La pièce dans laquelle fut emmené Enzo di Rivaldi dès son arrivée était spacieuse. Sous le plafond peint, de scènes commémorant le fastueux passé de la ville était disposée une grande table, à laquelle on l’invita à se restaurer avant de rejoindre le maître des lieux. La collation terminée, il fut conduit dans une seconde pièce tout aussi spacieuse. Le plafond était orné de poutres peintes en blanc, des scènes de bataille décoraient deux murs. Les deux autres étant occupés l’un par une immense cheminée devant laquelle avaient été placés deux fauteuils bas et un bureau fabriqué dans du bois précieux. L’autre par une rangée imposante de livres aux reliures dorées à l’or fin, ainsi que la porte qu’il venait de franchir.

    — Enzo ! Sois le bienvenu.

    Fabio Maltese s’était levé à son entrée et faisait un pas vers lui les mains tendues. Les deux hommes se saluèrent d’une accolade et prirent place en dégustant un verre de grappa. Malgré une certaine nervosité que l’on devinait par la contraction des muscles de sa mâchoire, Fabio Maltese souriait. Son visage buriné par le soleil était encadré de boucles blanches attachées par un ruban derrière la tête. Des yeux marron perçants et une aisance oratoire avaient fait de lui, malgré sa petite taille, un homme redoutable en affaires. Son commerce, axé sur la laine, l’avait hissé parmi les plus grandes fortunes de florence. Ce roturier, traitait désormais, d’égal à égal avec les grands seigneurs d’Italie.

    — Comment se porte la sérénissime ?

    — Mal hélas, la bataille de la Lépante a épuisé le peuple, et aujourd’hui Venise est abandonnée. La signature du traité avec l’Empire Ottoman* l’endette. Le peuple ne peut qu’en souffrir mon ami.

    Fabio Maltese hocha la tête.

    — Ces guerres sont en effet à double tranchant, d’un côté elles auront apporté la grandeur de Venise, mais d’un autre elles finissent par l’épuiser.

    Après ces phrases qui semblaient sonner comme une sentence, les deux hommes restèrent un moment silencieux. Fabio profita de ce moment pour détailler Enzo di Rivaldi.

    C’était un homme jeune, trente ans tout au plus. Son regard était aussi sombre que ses cheveux bouclés. Des lèvres bien ourlées et un nez aquilin terminaient l’esquisse d’un visage aux pommettes hautes. Mince et brun de peau, il se dégageait de lui une intelligence vive qui forçait le respect d’autres financiers aussi redoutables, peut habitués à courber le dos devant plus jeune qu’eux. Une aisance des gestes et un raffinement naturel lui valaient la fascination des femmes qui se pâmaient d’amour, quand son regard se voilait de ténèbres. Buvant quelques gorgées de grappa Fabio ne voulant pas paraître indiscret dans la contemplation du jeune homme se leva prestement, invitant celui-ci à le suivre dans le patio qui jouxtait la pièce.

    Une brise légère faisait doucement vibrer les branches d’un cyprès au tronc noueux et centenaire. Dans l’air flottaient des effluves de jasmin et de menthe. Pensée et dessinée pour rappeler le passé antique et grandiose de Rome la conquérante, la terrasse montrait deux grands carrés d’eau entourés d’arbres aux branches ombrageuses, des bancs de pierre attendaient des occupants cherchant l’ombre réconfortante des cyprès. C’est sur l’un deux que les deux hommes s’installèrent.

    — Venise est-elle à ce point ruinée ? La laine risque-t-elle de mal se vendre ?

    — La n’est pas la question, Fabio. C’est que, d’autres se sont mis sur le marché et deviendront de sérieux concurrents pour toi si mon père leur accorde les crédits qu’ils demandent. Mais il me semble que ce n’est pas un revers de fortune qui t’a fait me demander près de toi ?

    Fabio sourit et claqua la langue après une dernière gorgée de grappa.

    — Non mon jeune garçon, en effet. Comme je te l’ai détaillé dans la missive que je t’ai envoyée, je marie ma fille, au fils du comte di Falco.

    Le ton de Fabio était jovial mais l’inquiétude qui perçait dans sa voix. Enzo ne fut pas long à le questionner.

    — Cela t’inquiète Fabio ?

    — Pas tout à fait. Ce mariage me réchauffe le cœur. Toutefois les di Falco n’ont aucune fortune ou si peu. Il ne leur reste que quelques lopins de terre qui, même vendus, ne permettent pas de couvrir toutes leurs dettes. En même temps, force est de constater qu’ils ont un train de vie qui laisse à penser que leurs ennuis financiers sont… inexistants.

    Sans le quitter des yeux, Enzo hocha la tête.

    — Tu es son père, ta crainte ne peut être que justifiée. Je suppose que sa dote leur permettra de se relever de leurs ennuis financiers. Mais… Pourquoi avoir fait appel à moi ? Je suis banquier, pas homme de loi.

    Fabio fixa Enzo alors que ses lèvres remuèrent une réponse. Il tenta de cacher l’angoisse persistante qui étreignait son cœur.

    — Simplement parce que tu es le seul homme digne de ma confiance. Il faudrait que tu fasses en sorte que si… Chiara venait à devenir veuve avant… Dieu que c’est agaçant de penser à cela… Enfin, je voudrais qu’elle retrouve au moins la moitié de sa dot.

    Habitué à côtoyer les plus habiles hommes d’affaires, des plus honnêtes aux moins scrupuleux, Enzo conserva un calme déconcertant devant les paroles de son ami.

    — La moitié dis-tu ? Hum ! Ce sera facile, il faudra faire signer un contrat à son futur époux… Allons Fabio, est-ce vraiment tout ce qui te cause tant de soucis et t’a forcé à me faire venir d’aussi loin ? Et pourquoi Chiara deviendrait-elle veuve ? Son futur mari serait-il mourant ?

    Sur les derniers mots de Enzo, Fabio Maltese se leva, fit quelques pas et se perdit dans la contemplation d’une rangée d’oliviers qui terminaient la perspective du patio.

    — Non ! reprit Fabio d’un ton plus ferme. Francesco di Falco n’est pas de santé fragile mais… Dieu m’en garde ! Je n’ai aucune preuve.

    Les sourcils de son interlocuteur s’arquèrent face à la terrible anxiété que son ami ne parvenait plus à cacher et se montraient insidieux.

    — Des preuves ? Mais des preuves de quoi ? Fabio ce n’est pas de son éventuel veuvage que tu me parles mais de sa mort.

    Enzo s’était levé et s’approchait de son ami dont le visage était devenu livide.

    — Je soupçonne quelque chose de terrible dans cette famille mon ami. Je ne saurais l’expliquer mais j’ai peur pour ma Chiara. Son trépas, je préfère ne pas y penser mais, oui, cela fait partie de mes terribles soupçons. Ici, dans ma demeure, je ne m’adresse plus au financier mais à l’homme de foi, celui qui paye auprès de Dieu la faute d’une autre.

    La dernière réplique cingla.

    La mâchoire d’Enzo se contracta sous une violente colère qu’il étouffa rapidement. D’une voix blanche, il demanda.

    — Ton épouse, qu’en dit-elle ?

    Écartant les bras de son corps dans un geste fataliste, Fabio continua.

    — Oh, mon épouse ! Elle est subjuguée, ne jure que par eux. À l’entendre, nulle famille ne saurait mieux combler notre fille.

    — Fabio, tu me donnes l’impression de soupçonner une famille démoniaque.

    Un lourd silence s’installa dans le patio. Gêné, Enzo reprit la parole, le ton plus sec.

    — Ce n’est pas possible.

    Il avait posé une main sur une épaule de son ami. De haute stature il faisait une tête de plus que Fabio Maltese, il fixait son visage et rencontra ses yeux où il crut lire quelque chose qui le fit frémir. Était-ce la folie qui brillait fortement dans le regard de cet homme jadis si respectable ? Ou autre chose ? Fabio se dégagea de l’emprise d’Enzo et recula de quelques pas.

    — Possible, ou pas, je nage dans la plus obscure confusion ! Je me fais l’effet d’être une vieille femme superstitieuse et pourtant, tous ces va-et-vient la nuit… très tard… Ces gens habillés de noir qui viennent lorsque tous dorment et qu’on ne voit jamais le jour venu.

    — Pourquoi ne pas annuler le mariage s’il te déplaît ? Tu es en droit de le faire si quelque chose t’inquiète.

    — C’est impossible Enzo. Maintenant que ma femme s’est faite à l’idée que sa fille serait comtesse, elle ne veut plus entendre parler d’autre chose. Comme je n’ai aucune preuve de ce que j’avance, je n’ose aller contre elle.

    La discussion entre les deux hommes dura ainsi une bonne partie de la soirée. Quand vint l’heure du repas il expliqua l’absence de ses dames, par leur départ pour la maison du comte deux jours plutôt. Devant l’étonnement de son ami, Fabio lui expliqua qu’il avait été nécessaire qu’il le voie seul, qu’elles n’apprennent pas sa venue.

    — Sylvia dirait encore que je suis un vieux fou. Peut-être a-t-elle raison. Mais toi en tant qu’homme de foi, il te faut me croire. S’ils sont réellement désargentés, qu’est-ce qui les empêcherait de tuer ma Chiara pour sa fortune ?

    Après un repas copieux, Fabio, prétextant une grande fatigue, se retira dans ses appartements, laissant à Enzo le libre choix de ce qu’il ferait de sa soirée. Le jeune homme après ces heures d’immobilité ne se sentait pas d’aller se coucher si tôt, après avoir sonné, il demanda qu’on lui selle un cheval.

    Après le calme du palais de Fabio Maltese, le tumulte de la ville fut pour Enzo une délivrance. Les propos de son ami l’avaient mis face à ses propres démons. Enzo di Rivaldi. Si sa mère n’avait pas fauté, il porterait aujourd’hui en entier, le nom très respecté de celui qui aurait été son père : Giacomo Montebello di Rivaldi, financier redouté qui tenait dans sa main quelques-uns des plus grands notables d’Italie.

    Marié à une très belle femme d’origine française qui lui avait donné deux fils, il avait tout pour être un homme heureux. Mais, une épine s’était glissée dans ce bonheur, dans la faute adultère de sa femme. De cette aventure, qui avait fini par la mort mystérieuse de son amant et son exil dans un couvent de la très éloignée Sicile, est né un second fils : Enzo.

    De ses dix premières années, l’enfant ne connut que la paix du couvent. Illuminé par la lumière divine, il se promettait à l’âge de dix ans de devenir un homme de Dieu. C’était sans tenir compte du destin qui, avec brio, se joue de tout et en particulier des hommes en les détournant du chemin qu’ils s’étaient choisi.

    *1573=Abandonnée par ses alliés, Venise signe le 7 mars un traité avec le sultan de l’Empire Ottoman par lequel elle s’engage à payer 100 000 ducats pendant trois ans et renonce à ses revendications sur Chypre.

    Chapitre 3

    Un matin, alors qu’Enzo venait de fêter ses dix printemps, un homme vint se présenter au parloir du couvent. L’inconnu avait demandé à le voir sans préciser la raison de sa visite ni son identité. De nature joviale et naïve la seule question qui le perturba fut de savoir qui est était cet homme, et pourquoi demandait-il à lui parler. Quand il le rejoignit dans la chapelle, Enzo fut impressionné par le regard sévère et la haute stature de l’homme entièrement habillé de noir. L’élégance et la prestance ténébreuse de son interlocuteur l’avaient d’abord intimidé. Tandis qu’il le détaillait des pieds à la tête, le cœur d’Enzo battait comme un tambour. À son âge une intelligence vive se reflétait déjà dans ses yeux qu’il avait aussi noirs que les ailes d’un corbeau, aussi ne fut-il pas long à suivre un précepte qui sera sien tout le long de sa vie. - Si tu veux avoir une réponse, pose la question

    — Signore, on m’a dit que vous vouliez me parler. Puis-je savoir de quoi ? Ou de qui ? Est-ce que, je vous connais ?

    La voix de l’enfant était pleine d’assurance et reflétait une éducation soignée. Giacomo Montebello di Rivaldi fut instantanément séduit. Lui, le banquier qu’aucune émotion n’avait jamais fait flancher, se trouvait démuni devant cet enfant. Hésitant à se lancer, il avait peine à soutenir l’acuité du regard noir braqué sur lui.

    — Et bien, je vois qu’on ne t’a pas appris, à ne pas poser de questions aux grandes personnes.

    Boudeur, la répartie de Enzo ne se fit pas attendre.

    — Mais comment saurais-je qui vous êtes, et ce que vous voulez de moi, si je ne le demande pas ?

    — Soit, coupa sèchement Giacomo. J’accède à ta requête jeune enfant, puisque tel est ton désir. Mais toi, qui es-tu ?

    — Je suis Enzo Montebello ! s’écria-t-il fièrement.

    — Enzo Montebello hein ? Hum ! Pour ma part, on me nomme Giacomo di Rivaldi.

    Il avait omis volontairement de donner son nom complet à l’enfant, mais fut néanmoins surpris de le voir rougir.

    — Je vois que mon nom ne t’est pas inconnu. Parfait ! dit-il en s’asseyant sur un banc, invitant – Oui signore, de ma mère.

    — En effet petit. Et tu n’as pas de père ?

    — J’ai un père signore mais ma mère m’a dit qu’il vivait très loin et que je ne le verrai jamais.

    Pendant un instant, Giacomo pensa à la femme enfermée dans le couvent, à l’homme avec lequel elle l’avait trahi et comme si ses pensées le torturaient il se leva et dit d’un ton sec.

    — Quoi qu’il en soit, mon petit, là où tu iras, ton nom sera Enzo di Rivaldi.

    — Où, vais-je aller, signore ? Et pourquoi vais-je m’appeler Enzo di Rivaldi ?

    Les questions pleuvaient de la bouche d’Enzo, Alors que Giacomo se levait et lui prenait la main.

    — Oui, tu vas venir avec moi. Dieu, j’étais juste venu voir, me rendre compte de mes propres yeux. Aussi j’ai vu, et je ne quitterai pas cet endroit sans toi !

    Les phalanges de Enzo disparaissaient dans la poigne de Giacomo qui le conduisait à grands pas vers la porte du parloir et appelait d’une voix forte la nonne qui lui avait amené l’enfant. Alors que la nonne se penchait vers lui, Enzo prit peur et se tourna vers Giacomo qui l’avait lâché et le poussait doucement derrière la nuque.

    — Mais ma mère ?

    La question avait fusé comme le cri d’un désespéré. Giacomo faillit fondre devant le regard implorant d’Enzo, mais la flèche empoisonnée du passé piqua son cœur et ce fut d’une voix sèche qu’il répondit :

    — Ta mère, oublie-la ! Que Dieu m’en soit témoin, tu ne la reverras jamais ! Maintenant, dépêche-toi de te préparer, nous partons.

    Quelques heures plus tard, la Sicile devenait un point de plus en plus petit, pour l’enfant qui, debout sur le pont du bateau, la regardait disparaître.

    Vingt ans étaient passés depuis ce jour-là, Enzo n’avait que peu de fois pensé à sa mère. Sans doute en aurait-il été autrement, s’il avait vu la femme qui pleurait et se débattait derrière les barreaux de sa cellule, le jour où il avait quitté la Sicile. Mais le temps n’oublie jamais rien ni personne, et les circonstances de la vie viennent à vous les rappeler dans les moments les plus imprévus. Une lueur avait encore plus assombri son regard tandis que les souvenirs avaient afflué à son esprit. Perdu dans ses pensées, Enzo jura au moment où, son cheval fit une embardée évitant de justesse une courtisane qui sortait d’une villa en courant, son amant sur ses talons. Tandis qu’il les regardait s’éloigner sans qu’ils lui aient prêté la moindre attention, Enzo sourit et mit pied à terre. En entrant dans la maison, il fut assailli par deux femmes légèrement vêtues aussi belles l’une que l’autre. Quand elles glissèrent leurs mains sous ses bras le conduisant vers une salle où des couples s’adonnaient à toutes sortes de plaisirs, Enzo pensa qu’il avait trouvé l’endroit qu’il cherchait et l’aiderait à chasser la nervosité qui s’était emparée de lui. Quand il se trouva allongé sur un lit à baldaquin entouré de voilages, son corps abandonné aux mains expertes des courtisanes il se crut au paradis. Lascif il se laissa explorer par leur sensualité jusqu’au moment où rendant les armes il se laissa emporter par les bras de Morphée. Après une nuit où tous les plaisirs lui avaient été offerts, le jour se levant trouva Enzo di Rivaldi endormi entre les deux courtisanes. Le soleil pénétrant par les interstices des persiennes plongeait la pièce dans une douce pénombre créant des ombres sur leurs corps nus. Enzo émit un grognement en se retournant quand un rayon pertinent joua sur son visage, le forçant à ouvrir les yeux. Offrant son dos aux nymphes décorant le plafond il tenta de se rendormir mais n’y parvint pas. Il ouvrit alors un œil paresseux et se leva tout en grommelant.

    Rires, gloussements et bruits étouffés lui apprirent que tant au-dessus qu’à côté, plusieurs résidents se donnaient à cœur joie de démontrer que l’amour n’était pas désuet et, que de jour comme de nuit il était honoré. S’étirant tel un félin, il posa ses pieds sur la fraîcheur carrelée du sol et se dirigea vers un guéridon où un verre avait été abandonné. Une odeur fortement alcoolisée monta à ses narines tandis qu’il en buvait plusieurs gorgées. Brutalement, sa gorge s’enflamma et lui fit cligner des yeux. La tête lui tourna, des sueurs froides montèrent le long de son échine dorsale. Chancelant, il s’allongea sur une causeuse installée non loin de la porte-fenêtre qui donnait sur un patio. Ses mains agrippèrent les recoins afin d’y transmettre toute la tension nerveuse. Les yeux fermés, il laissa son corps se détendre, bien qu’il le savait – les spasmes lui vrilleraient les tripes et le faisaient se plier en deux. Au début il avait cherché à contrôler les douleurs et il y arrivait aux prix de grands efforts de concentration qui le laissaient sans forces. Mais maintenant que cela s’amplifiait, il préférait les laisser passer. Lentement, il se redressa et se plia en deux entourant ses jambes de ses bras puis garda la bouche fermée étouffant ses cris sur ses cuisses serrées l’une contre l’autre. Quand cela fut fini, il s’allongea de nouveau, haletant sa poitrine se soulevant au rythme rapide de sa respiration. Ses yeux noirs ouverts étaient recouverts d’un voile de ténèbres.

    Il se passa deux heures avant qu’il ne soit complètement calmé, seuls ses yeux cernés trahissaient le mal qui le rongeait silencieux jusqu’à la prochaine crise. Puis il se mit debout en jetant un dernier coup d’œil sur le lit où les deux déesses dormaient paisiblement. Après quelques ablutions, il enfila ses vêtements puis passa la porte. C’est avec une certaine agilité qu’il s’effaça au gré d’un couloir, devenant plus qu’une trace infime de son passage en ces lieux. En passant devant une porte restée entrouverte, il s’arrêta. Allongés sur une alcôve plusieurs hommes et femmes s’entremêlaient au gré de leurs soupirs et de leurs cambrures charnelles. Tandis que ses yeux s’attardaient sur les corps dénudés, les images terrifiantes qui venaient souvent hanter ses nuits s’imprimèrent dans son esprit.

    À travers les brumes de son esprit encore ensommeillé, une pièce obscure et lugubre lui apparut. Soudainement, six candélabres vinrent éclairer des ombres qui s’ajoutaient à celles que des hautes fenêtres aux vitraux ouvragés renvoyaient sur le sol. Non loin une silhouette de femme reposait sur un autel. D’autres silhouettes habillées de noir arrivaient et emplissaient la pièce, leurs lèvres psalmodiant des prières. Les incantations devenaient un tumulte grandissant et trois autres silhouettes avançaient vers l’autel. L’une d’elles se séparait des autres, la lame d’un poignard brillait dans sa main. Arrivés près de la femme allongée, la lame se levait pour s’abattre sur sa poitrine d’où était extrait son cœur palpitant. Le poignard dans une main et le cœur dans l’autre l’homme levait les bras écartés et d’une voix haute et gutturale psalmodiait son offrande. Dans son dos la forme imposante d’une croix à l’envers de dessinait, ombre terrifiante telle le mat d’un voilier fantôme.

    Enfin l’homme (c’était devenu une certitude) baissait les bras et ses yeux vitreux vers la salle contemplant les corps nus et emmêlés des adeptes. Lorsqu’une main, plus réelle cette fois, émergea pour empoigner Enzo, le mouvement brisa sa vision d’horreur. Figé par le choc d’une telle scène, il mit un temps à réagir puis chassa finalement d’un mouvement brusque la main de la rouquine qui le désirait. Bouleversé, Enzo oublia sa belle nuit, les corps enchevêtrés et les multiples gémissements qui s’élevaient. Il disparut en un éclair.

    Dehors, la chaleur toscane l’accueillit. Haletant l’esprit perturbé par cette malédiction, il s’enfuit en courant vers le palais Maltese et entra dans la propriété par une porte dérobée qu’un serviteur lui avait indiquée. Assis sur un banc, il offrait son visage au soleil, tandis que sa respiration se calmait son cœur en ralentissant ses battements, pompait plus lentement le sang dans ses veines. La pâleur de son visage perdait du terrain au profit de la couleur qui lui regagnait les joues. Penché en avant, les coudes posés sur ses genoux, sa tête entre ses mains, il reprenait alors vie lorsqu’un rire enchanteur parvint à ses oreilles. Sans réfléchir, ne voulant pas être vu dans cet état, il se cacha derrière une haie taillée à hauteur d’homme. Très vite quelqu’un s’approcha en courant. Une jeune fille lui tournant le dos se plaça devant lui, cherchant à se dissimuler de quelqu’un. Habillée d’une robe simple qui découvrait ses bras, elle guettait ses poursuivants. Cette scène dégrisa Enzo qui sourit charmé. De sa place, il ne voyait que son abondante chevelure blonde, de cette couleur ambrée que prenait le sol toscan les soirs d’été. Sa main alla plus vite que sa pensée, et s’avança vers la soie la caressant lentement. La jeune femme sursauta se retourna en riant et se retrouva enlacée dans les bras d’Enzo. Ce fut un océan dans lequel il noya son regard qui accueillit ses yeux noirs, et comme si le temps se figeait autour d’eux, les lèvres d’Enzo se posèrent avec délicatesse sur celles de sa prisonnière. L’étreinte était douce et sauvage à la fois. Durant ce baiser doux et sucré, l’océan disparu derrière une forêt de cils ombragés, quand il réapparut la jeune fille le regardait avec intensité et, d’un battement de cœur disparaissait de nouveau au son de la voix qui l’appelait.

    — Chiara ? mon enfant ! Où es-tu donc ?

    En fin de matinée devant un repas copieux Fabio Maltese excusa sa fille qui revenue le matin même était légèrement indisposée. Plus tard l’affaire qui l’avait préoccupé étant réglée, il salua son ami avec grande effusion quand il monta dans son carrosse.

    — Salue la sérénissime pour moi, mon ami.

    — Je n’y manquerai pas Fabio.

    Remarquant le peu d’entrain dans la voix du jeune homme, Fabio s’inquiéta.

    — Enzo, quel est donc ce trouble qui habite ton regard ? Tu m’as semblé fatigué ce matin…

    — Non mon ami ! Tout va bien… j’aurais juste aimé dire adieu à un bel océan.

    Laissant le vieil homme sur ces mots mystérieux, Enzo le gratifia d’un léger sourire d’adieu avant de faire signe au cocher. Au claquement du fouet, les chevaux avancèrent, emportant le carrosse sur la route qui les mènerait vers Venise. Derrière une fenêtre, un océan se déchaînait sous la tempête qui faisait battre le cœur de celle qui dans le silence de sa chambre, se jurait de ne jamais aimer

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