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Histoires à remonter le temps: Contes insolites et fantastiques
Histoires à remonter le temps: Contes insolites et fantastiques
Histoires à remonter le temps: Contes insolites et fantastiques
Ebook347 pages5 hours

Histoires à remonter le temps: Contes insolites et fantastiques

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About this ebook

Plongez dans ces récits qui parcourent le temps et l'Histoire afin de retrouver vos yeux d'enfants !

Avez-vous gardé votre regard d'enfant, celui qui vous permettait, en un fragment de seconde, de vous imaginer en explorateur du monde, en témoin d'aventures lointaines que seuls les livres peuvent encore vous narrer aujourd'hui ? Possédez-vous toujours en vous cette étincelle curieuse, tout au fond de votre âme, qui vous poussait jadis à vouloir découvrir les mystères passés ? Si vous la ressentez, ce livre est fait pour vous.. plongez avec délice au coeur de ces récits qui parcourent le temps des débuts de l'Histoire jusqu'à nos jours présents... et si jamais vous constatez, au contraire, que la part de rêve qui vous enchantait ne brûle plus en vous, ne désespérez pas.. Eric Lysoe vous accompagne tout au long de ce recueil, et vous conte ces voyages au travers de vingt et une histoires à remonter le temps...

Ces contes fantastiques et...insolites raviront les lecteurs !
LanguageFrançais
PublisherOtherlands
Release dateOct 4, 2020
ISBN9782797302000
Histoires à remonter le temps: Contes insolites et fantastiques

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    Histoires à remonter le temps - Éric Lysoe

    temps

    Éva naissante, Éva

    L’air plutôt satisfait, Dieu regarda la créature qu’il venait de modeler dans la glaise. Cette fois, il pouvait être fier de son ouvrage ! Des seins ronds et pleins, des hanches accueillantes, un sourire mutin et des yeux à faire pâlir d’envie les biches, ces douces et tendres bêtes qu’il avait façonnées la veille. Oui, tout dans l’œuvre nouvelle était parfait, jusqu’à cette jolie petite fleur entre les cuisses dont on ne savait pas bien à quoi elle pouvait servir. Y’avait pas à dire, c’était du grand art ! Il ne restait plus qu’à lui souffler dessus pour lui donner la vie.

    Toutefois, avant d’accorder ainsi une âme et un nom à la créature, Dieu, sans vraiment réfléchir à ce qu’il faisait – il faut reconnaître qu’en ces temps, il ne se posait guère de questions –, Dieu, donc, décida d’aller faire un brin de toilette. Il rejoignit l’oasis la plus proche et s’accroupit dans l’eau afin de se laver les mains avec soin et de se curer méthodiquement les ongles. Voilà près de six jours qu’il travaillait comme un forcené et il n’avait pas eu un instant à lui. Séparer la terre des océans, jardiner dans les cinq continents pour y faire apparaître les herbes, les buissons et les arbres, aider les bestioles en tout genre à croître et se multiplier – vous imaginez bien qu’on ne peut pas abattre une telle besogne en blouse blanche. Alors on s’éclabousse, on s’en colle partout. Et forcément, vous pensez, cette saleté, ça s’incruste ! Or, comme la brosse à ongles n’était pas encore inventée – pas plus d’ailleurs que la brosse à dents – Dieu, qui avait déjà une dent cariée, prit un bon bout de temps avant de pouvoir présenter des mains irréprochables – ce qui, soit dit au passage, le mit légèrement en retard pour le reste de son ouvrage.

    Avant de retourner au travail, et là encore sans se demander pourquoi, le Créateur se passa les doigts dans les cheveux, qu’il avait longs et blancs – un peu sales aussi, car c’était toujours pareil, il faudrait attendre on ne savait qui pour découvrir les joies du shampooing. Une fois à peu près recoiffé malgré tout, il se sépara la barbe en deux – il l’avait longue également, et blanche, avec de petites mouchetures de vase – et se piqua une marguerite sous le menton, là où sa toison était particulièrement épaisse.

    Quand il retrouva sa statue d’argile, Dieu s’accroupit devant elle, et lança d’un ton solennel :

    – Tu t’appelleras Éva ! Je ne vois pas trop ce que ça peut vouloir dire. Mais je trouve que ça sonne bien. Il y a de l’énergie dans Éva ! Ainsi, tu seras pour moi la Vivante.

    Puis il s’agenouilla, se pencha pour souffler sur la glaise, comme il l’avait déjà fait pour Lilith.

    Mais cette fois… Était-ce à cause d’un début de lumbago qui le rendait un peu gauche ? Il se baissa légèrement plus qu’il n’aurait dû. Au lieu de caresser l’argile de son haleine, ses lèvres divines touchèrent les lèvres de terre. Et Dieu vit que c’était bon. Et il songea à sortir la langue.

    – Ça va pas, non, vieux cochon ?

    C’était Éva qui venait de se réveiller d’un sommeil jusque-là éternel.

    – C’est que j’étais en train de vous animer, chère Madame…

    – Mademoiselle ! fit la ravissante créature en se levant et en tournant sur elle-même pour lui faire admirer la finition impeccable de sa plastique.

    Puis, les mains sur les seins et la mine interrogative, elle demanda :

    – Tu m’as laissé un mode d’emploi, au moins ?

    – C’est que… répondit Dieu un peu embarrassé… je travaille beaucoup à l’inspiration… J’ai trouvé cela joli, ces deux globes tout ronds, et leurs petits mamelons rouges. C’est érectile, vous savez ? Quant à vous dire à quoi ça peut servir, c’est une autre paire de manches ! Si vous me permettez d’y toucher, je retrouverai peut-être l’impression première et…

    – Bas les pattes, vieux pervers ! lança Éva d’une voix cinglante. Je me débrouillerai toute seule. Qu’as-tu prévu pour que je m’occupe un peu ?

    – Ben, rien de très précis. J’ai créé des animaux !… Il y en a de très jolis, commenta le divin Père en bombant légèrement le torse.

    – Ah ouais ? Et tu veux que je fasse quoi avec ? demanda la jeune femme.

    Et comme un âne passait à proximité, elle poursuivit :

    – Tiens, celui-là, par exemple, je m’en sers de quelle façon ?

    – Bah ! fit Dieu. Il est idiot. Pour lui, je crois que je me suis planté.

    – Peut-être, mais on dirait qu’il est bien membré. Tu veux que je lui titille le…

    Et, passant la main sous le ventre de l’animal, l’impertinente enfant vint placer ses doigts entre les pattes postérieures.

    – Non, non ! cria le vieillard en rougissant.

    Et changeant aussitôt de sujet :

    – Autrement, ajouta-t-il, j’ai créé les fleuves, les lacs, et même les océans. Les bains de mer, ce doit être bien agréable, non ? Vous pourriez tester la chose, qu’en pensez-vous ?

    – D’accord ! concéda la première femme (Dieu estimait que Lilith, qu’il avait détruite sur-le-champ, ne comptait pas).

    – Et en sortant de l’eau, continua Éva, je me paierai une petite séance de bronzage intégral. Vu qu’il y a personne alentour, je ne vais pas me gêner.

    Elle se reprit toutefois en considérant le vieillard :

    – Et toi, n’en profite pas pour me mater, hein ? Pense plutôt à me trouver une occupation pour les jours suivants. Parce que si j’ai bien compris, on est là pour l’éternité, c’est ça ?

    – Je crois bien que oui, répondit le Créateur d’un air coupable.

    – Eh bien ! ça va être d’un gai ! maugréa Éva en se dirigeant vers la plage la plus proche.

    Dieu la regarda s’éloigner. Ah, ce balancement des hanches ! Cette façon qu’avaient ses longs cheveux d’or de flotter librement sur ses épaules. Comment ne pas tomber sous le charme d’une créature aussi exquise ?

    Lorsque Éva revint du bain, elle demanda à Dieu quelle idée il avait eue pour qu’elle puisse enfin tromper son ennui. Le vieillard resta un moment dubitatif, respira fortement entre ses narines dilatées, puis finit par lâcher :

    – J’ai pensé que tu pourrais avoir des enfants, ça durerait neuf mois. Tu les porterais dans ton ventre… Ça t’occuperait…

    – Mouais… Je trouve ça moyen comme passe-temps, moi. Mais enfin, suivons cette piste et voyons où elle nous mène. Ils sortiraient par où, après ça ?

    Dieu leva les bras au ciel.

    – Mais est-ce que je sais, moi ? Par un orifice ou un autre… Je ne peux pas penser à tout ! Tiens, par l’oreille, si tu veux.

    – C’est des coups à devenir sourde, ça ! Tu n’as pas mieux ? Et ils seraient entrés par où, d’abord ?

    – Ça, fit Dieu en se frottant le menton, je n’en ai pas la moindre idée.

    Son regard tomba sur le ventre d’Éva où un minuscule buisson blond tremblait dans la brise du soir. Il ajouta entre ses dents, comme pour lui-même :

    – Ou alors, il me faudrait un truc spécial, une sorte de pipette.

    J’ai oublié de dire que Dieu, comme ses anges, n’avait pas de sexe. Ceci à la différence de l’âne et de quelques autres créatures qu’il avait pourtant façonnées avec soin, mais, on l’a vu, sans réellement se poser de questions.

    – De toute façon, ce truc-là, avoir des enfants, les porter et tout, ça ne m’emballe pas trop, conclut Éva. Je suis sûre que ça doit faire mal.

    – Ce que tu peux être chochotte, quand même ! ne put s’empêcher de lancer le vieillard. Je t’ai conçue et modelée, ainsi que tous les animaux, les océans, les continents, et même la Corse ! Mais moi, je ne me plains pas. Et pourtant ! Regarde les ampoules que j’ai aux mains. J’en ai les paumes tellement calleuses que si je te caressais, je finirais par t’écorcher !

    – N’essaie surtout pas ! fit Éva en reculant. Bon, puisque tu n’as pas d’idées, de mon côté, j’ai pensé à un truc…

    Elle cassa une branche du pommier voisin pour s’en faire une sorte de stylet. Puis elle s’agenouilla et se mit à dessiner dans le sable. L’attention qu’elle prêtait à l’ouvrage lui faisait tirer un tout petit bout de langue rose hors de la bouche. Ainsi, elle était encore plus ravissante et drôle. Elle commença par tracer un cercle, puis un second à peu près de la même taille. Elle les fit se rejoindre l’un et l’autre par une série de courbes, de tubes et de pistons. D’un mouvement vif, elle prolongea ensuite les deux tiges qui montaient du premier cercle par des espèces de poignées. Elle surmonta le tout de rectangles aux bords arrondis et, comme s’il s’était agi de miroirs, elle s’observa dedans, en jouant des cils, des narines et des lèvres.

    – C’est quoi, ce truc ? lança Dieu.

    – Harley-Davidson, répondit Éva.

    – Ashley Davidson ? Une amie à toi ? demanda le Créateur, qui commençait à ne plus très bien entendre.

    – Harley, Papy, Harley ! Et ce n’est pas une fille, c’est une machine.

    – Ah ! Je me disais bien… Et à quoi ça sert ?

    – À rien de particulier, à se balader à travers la vaste Terre.

    – Et ça marche comment ?

    – Je n’en ai aucune idée ! Je fais comme toi, je travaille à l’inspiration. Mais ce que je sais, c’est que ça file à une de ces vitesses !

    – Encore un truc qui va puer et me saloper les trois quarts d’une planète toute neuve !

    La vérité oblige à reconnaître ici que Dieu, même s’il avait la mémoire qui, de temps en temps, flanchait un peu, n’en était pas à ses débuts d’Ingénieur universel. Il s’en fallait de beaucoup. Il avait fabriqué cent autres mondes : des carrés et des ronds, des mous et des durs, des drôles et des tristes. Il avait pu vérifier que les machines, ça vous flanque souvent des cochonneries partout dans l’herbe.

    – Mais non, t’inquiète, fit Éva. Tu n’auras qu’à en limiter la production. Une ou deux, et tu t’arrêtes là.

    – Et tu penses que ça va suffire à te distraire ? demanda Dieu, qui s’était déjà mis au travail, levant un doigt tout taché d’huile de moteur.

    – Non, mais le soir, grâce à Harley, je pourrai aller en boîte, ça me changera les idées.

    – Tu veux dormir dans une caisse, à présent ? C’était bien la peine que je te fabrique le jardin d’Éden, avec ses petits tertres tout moelleux de mousse, et ses ruisseaux qui chantent au pied de ton lit. Des plantes de premier choix. Un arbre du bien et du mal ! Tout cela pour rien. Mademoiselle veut coucher dans une boîte…

    – Mais ce n’est pas pour dormir, et ce n’est pas une caisse. C’est plutôt un truc où il y a de la musique et…

    – De la musique ? C’est quoi, ça encore ?

    – Je n’en ai qu’une vague idée. Je dirais… C’est quelque chose comme les bruits, mais en plus joli et en plus rythmé…

    Là-dessus, la gracieuse créature se mit à chantonner en ondulant de tout son corps. Et cela, sans se gêner le moins du monde, sous les yeux mêmes de Dieu, tandis que celui-ci achevait la Harley-Davidson à grands coups de marteau et de clef anglaise – un outil bizarre, dont l’appellation lui échappait totalement : certes, il avait déjà créé l’Empire britannique (à moins que le serpent ne s’en soit chargé, il ne savait plus) ; mais il n’avait pas encore eu le temps de lui donner un nom.

    Et pendant que notre glorieux bricoleur s’affairait, les mains dans le cambouis, la belle Éva continuait à tanguer, à rouler des hanches, à faire bouger ses petits seins en cadence. À tel point que son Créateur, le regard rivé sur son ventre, ne put résister à la tentation. Il n’allait pas avouer, évidemment, que ce corps merveilleux, doré comme le bon pain, lui donnait envie d’y croquer à belles dents – à l’exception, bien sûr, de la première molaire qui, en haut, à droite, commençait à lui faire drôlement mal. Non ! Sa réaction fut plus subtile et pour tout dire absolument divine. Car il prit prétexte d’apprivoiser le serpent pour inventer la première musique. Et ce fut ainsi que résonna, dans l’atmosphère si légère de notre jeune Terre, une danse très lente, aux rythmes ternaires et à la mélodie fort orientale.

    – Évidemment, ce qui serait génial, ça serait que tu me façonnes un partenaire, laissa négligemment tomber la première femme après avoir écouté attentivement l’œuvre du Père.

    – Comment ça, un partenaire ?

    – Un grand garçon, beau et vigoureux, qui me ferait guincher, en me serrant très fort contre sa large poitrine, et qui…

    – Ça, fit Dieu, pas besoin de l’inventer. Je suis là, moi…

    Et le vieillard s’approcha d’Éva en quelques entrechats malhabiles, tout en claquant des doigts comme s’il jouait des castagnettes. Puis, étreignant brutalement la jeune femme, il se colla contre elle. Il s’efforçait d’épouser les ondulations de son bassin, un large sourire aux lèvres.

    – Euh ! demanda Éva, à court d’arguments, tu en as fini avec Harley ?

    – Yep ! lança Dieu, un tantinet égrillard. Sa main courait sur la chute des reins de sa cavalière, dont la courbe, à elle seule, avait toute la force de conviction d’une œuvre d’art.

    – Alors, il faudrait que tu nous fabriques la boîte de nuit. Autrement, ça ne sert à rien de se trémousser comme cela.

    Et Éva repoussa doucement le vieillard.

    – Mais, mon petit, demanda Dieu, c’est comment, ce truc, exactement ? Une caisse en planches, avec les ténèbres à l’intérieur ?

    – À peu près, sauf que c’est très grand, qu’il y a plein de lumières dedans. Et puis une piste de danse, un bar…

    – Un bar ? Encore une de tes inventions, je suppose.

    – Non ! Imagine une longue table, avec un beau gosse derrière qui te sert des boissons…

    – De l’alcool, tu veux dire ?

    Éva baissa le nez et murmura :

    – Ce n’est pas obligé. Ça peut être du jus d’orange.

    – Non, parce que pour le vin et tout le reste, il faudra attendre Noé. C’est que… Tu es drôle ! J’ai un planning à respecter, moi.

    Le vieillard demeura un long moment dubitatif. Puis il considéra Éva – le moindre détail qui en faisait l’attrait – et finit par conclure :

    – Dans tous les cas, je ne vois pas l’intérêt d’embaucher du personnel. Je veux bien te faire la boîte, la lumière, le bar, mais nous nous servirons nous-mêmes.

    – Nous ? demanda la jeune femme de son air le plus naïf.

    – Ben toi et moi, évidemment. Il faut bien que quelqu’un te fasse danser.

    Les jours passèrent. Dieu, doit-on l’avouer ? cédait à tous les caprices d’Éva. De sorte que la petite ne s’ennuyait plus – ne fût-ce qu’une seconde, pourrait-on dire, même si l’on doit reconnaître que, disposant de durées infinies, celui qu’on appelait non sans raison l’« Éternel » ne s’était pas embarrassé à découper le temps en tranches, que ce soit en heures ou en minutes. Pour lui, parler en jours, c’était déjà beaucoup. Mais qu’importe ! L’adorable demoiselle qu’il avait façonnée n’avait aucune raison de s’en plaindre. Elle jouissait de chaque instant présent. Et quand elle était épuisée, le bon Créateur – priant le ciel que tous les anges du firmament soient au lit – enfourchait la Harley-Davidson et reconduisait sa protégée à la porte du jardin d’Éden. Il la regardait s’éloigner ensuite, toute frêle, titubant de fatigue. Elle grimpait jusqu’au mamelon de mousse spécialement conçu pour l’accueillir : une merveille de douceur et de moelleux. Elle s’allongeait dessus en soupirant et généralement s’endormait comme une masse. Le vieil homme retournait alors dans ses appartements, un nuage assez coquet qu’il avait installé non loin de là et qui disposait de tout le confort biblique.

    Et il passait la nuit à rêvasser en se disant que ce serait bien d’avoir une petite femme dans tout ce coton blanc. Cela vous apporte de la couleur, de la gaieté, du piment pour l’éternité…

    *

    Un matin, Dieu fut réveillé par une forte odeur de graillon. Il se leva en catastrophe, la barbe et les cheveux en bataille.

    – Qu’est-ce qu’elle a encore inventé ? grommela-t-il en humant l’atmosphère d’ordinaire si pure de la Terre. Le feu, ça doit être ça ! Elle a dû trouver le moyen de faire du feu.

    Il observa le ciel et aperçut, sur sa gauche, un gros nuage de fumée. Il partit aussitôt pour éteindre l’incendie. Et c’est ainsi qu’il tomba sur Éva qui, tranquillement, préparait son petit-déjeuner.

    – Un méchoui en plein jardin d’Éden, mais le soleil t’aura tapé sur le crâne ! éructa Dieu au comble de la colère. Heureusement qu’il n’y a pas de voisins. Car tu les entendrais râler, ça, tu peux en être sûre !

    – Ah ! Ne crie pas ! Assieds-toi, Papy, et mange un morceau.

    – Primo, ma chérie, tu m’appelles « Seigneur » et non « Papy ». Deuzio, c’est quoi ce truc ?

    Éva lui tendait un bout de viande à demi calciné.

    – Ben, comment le saurais-je ? s’exclama-t-elle.

    – On dirait une côte, mais une côte de quoi ? ou de qui ?

    – Ça, si tu ne reconnais plus tes créatures…

    Et elle désigna l’épaisse couenne grise qu’elle avait arrachée à l’animal avant de le faire cuire. Deux longues oreilles dépassaient du tas de poils informe.

    – L’âne ! Ne me dis pas que tu as tué l’âne – mon âne, pour en faire ton déjeuner ?

    – Mais tu t’en es plaint toi-même, en prétendant qu’il était idiot. Je n’aurais jamais imaginé que tu puisses y tenir à ce point.

    – C’est que… Il n’y en avait qu’un !

    – Pas pour longtemps, si tu veux mon avis. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai assez mal pris !

    – Comment cela ? fit Dieu en fronçant les sourcils. Explique-toi, au lieu de parler par énigme.

    – Bon, tu connais Zirah, l’ânesse ? Elle est quand même moins bien roulée que moi, non ?

    Dieu considéra un instant les petits seins faits au tour, la hanche accueillante de la jeune femme et, sous le bouquet de poils blonds, l’étrange fleur rose qu’assise en tailleur, elle dévoilait, impudique, à tous les regards, que ceux-ci soient animaux ou divins.

    – Je reconnais qu’à tout prendre… répondit le vieillard.

    – Ah, tu vois, même toi. Eh bien, l’âne lui… Tu te souviens de l’appendice qu’il avait entre les jambes ? Il faut dire que ça m’intriguait. Alors, je l’ai observé. Cela a pris un moment, mais j’ai fini par y voir clair. Avant-hier, figure-toi, voilà que notre père Hervé…

    – Hervé ? demanda Dieu sans comprendre.

    – C’est ainsi que j’ai appelé l’âne. Tu m’avais bien dit : « donne un nom à chacun des animaux », je me trompe ?

    Dieu, déjà fort éprouvé, acquiesça d’un hochement de tête, comme vaincu.

    – Donc, voici deux jours, je vois le père Hervé qui s’approche de la petite Zirah, lui met ses pattes de devant sur la croupe, et hop ! lui enfonce son machin dans…

    – Ça va, j’ai compris, coupa Dieu en rougissant, ponctuant son intervention d’un geste de la main. Je me doutais bien que cela fonctionnerait un peu de la sorte, mais je ne pensais pas que ça leur viendrait si vite !

    – C’est la nature, Papy… Euh, pardon, Seigneur. Et moi aussi ça m’est venu.

    – Comment cela ? demanda Dieu au comble de l’angoisse. Il tiraillait sur un nœud de cravate imaginaire       – car il était nu, tout autant que ses créatures, et personne n’y voyait matière à se plaindre.

    – Ben, la petite Zirah, continua Éva, elle avait l’air de trouver ça pas mal du tout. Et que je te tourne la tête d’un côté, de l’autre, et que je te recule ma croupe… Tout ça avec de longs braiments de plaisir. Du coup, j’ai voulu essayer.

    – Es-say… yer, répéta Dieu, en articulant sans comprendre.

    – Ou qu’il m’essaie si tu préfères. Bref, je me suis mise à quatre pattes et j’ai crié : « Hervé, Hervé ! » Eh bien, tu me croiras ou non, cet imbécile s’est retourné et a fait comme s’il ne me voyait pas. Alors, je peux te dire que j’ai été drôlement vexée. Voilà pourquoi je me suis vengée, et que… couic ! à la première occasion, je l’ai occis, ton idiot d’âne. Regarde, quand même, ce n’est pas mignon ?

    Éva s’était mise à quatre pattes et tendait sa croupe en direction de son Créateur. Celui-ci sentit son sang bouillir dans ses artères lorsqu’il aperçut l’adorable organe qui nichait là, juste sous les fesses, et comme comprimé par les cuisses. On aurait dit un abricot un peu mûr, la peau prête à s’ouvrir à la moindre caresse pour révéler une chair gavée de suc et de soleil. Un vrai fruit défendu. Heureusement que lui, Dieu, n’avait pas de sexe, car il aurait sans doute commis l’irréparable.

    – Éva, c’est très joli, mais on ne montre pas ça… Enfin, pas comme ça ! Un homme qui passe et…

    Il se mordit les lèvres, car il venait de se rendre compte qu’il avait sauté une étape dans son planning. « Après Éva, créer l’homme, se dit-il. Il va falloir que j’y pense sérieusement. Mais pour l’instant, je dois calmer cette petite folle. »

    Dieu s’approcha, et caressa doucement la croupe de l’impudique enfant

    – Quand je t’ai dit : « tu peux manger de tous les fruits du jardin et te rendre maîtresse de tous les animaux », ce n’est pas ainsi que je l’entendais, ma chérie.

    – Mais alors… Moi, je ne servirai jamais à rien ? fit Éva la larme à l’œil. Je suis sûre que c’est en lui sautant dessus qu’Hervé a trouvé le moyen de faire de jolis petits ânons à Zirah. Je ne sais comment cela m’est venu à l’esprit. Je l’ai compris, c’est tout. Et tu verras, dans douze ou treize mois, un petit lui sortira de la croupe… ou de l’oreille, comme tu as dit. Sur ce point, je ne sais pas… Mais de moi…

    Elle contempla son adorable ventre, tout lisse, sans le moindre nombril.

    – De moi, rien ne sortira jamais, si aucune de tes créatures ne me trouve à son goût. Ah, vraiment, ce n’était pas la peine de m’appeler la Vivante !

    Dieu, lui aussi, avait la larme à l’œil. Il dut avouer qu’égoïstement, il n’avait conçu Éva que pour son usage personnel, le plaisir de ses divins yeux. Dans son for intérieur, et quoi qu’il prétende le contraire, il n’avait pas « oublié » de créer l’homme. C’était là ce que, bien plus tard, un vieux barbu de son genre appellerait un « acte manqué ». Il avait dû se dire, plus ou moins consciemment, qu’il ne serait pas très malin de se fabriquer un rival. Déjà, avec le serpent, il se demandait bien comment les choses allaient tourner. À peine la bestiole avait-elle pris vie qu’elle l’avait piqué à l’orteil. Qui sait ce que lui ferait le futur compagnon d’Éva ? N’en viendrait-il pas à décréter l’inexistence de son Créateur ou, pire, à lancer en manière de plaisanterie : « Dieu est mort » ? N’irait-il pas jusqu’à claironner des trucs tordus du genre : « Je suis l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de l’autruche ! » Enfin… Le divin Père songeait à l’autruche comme cela, sous le coup de l’inspiration. Mais l’homme pouvait tout aussi bien s’imaginer descendre du cheval, du lion ou même du singe. Allez donc savoir ce qui leur passerait par la tête, à tous les représentants de cette engeance !

    Bref, Dieu n’ignorait pas qu’il commettait une bêtise. Une… ânerie, comme on dirait plus tard. Mais Éva était si jolie, elle paraissait si triste. Alors, il planta la côte d’Hervé dans une motte d’argile et commença à former une nouvelle créature. Il y allait à grands coups, sans faire vraiment attention aux détails, ajoutant des bouquets d’herbes folles ici ou là, pour simuler les cheveux ou les poils. Certes, la silhouette générale ressemblait assez bien à celle d’Éva, mais le résultat était, de loin, bien moins agréable à voir.

    – Je t’appellerai Adam, murmura Dieu en soupirant. Ça veut dire « le glaiseux ». J’avoue, ce n’est pas terrible comme nom. Mais je n’ai plus guère d’idées. J’espère en tout cas que tu réussiras à t’en tirer avec la petite, car, je dois le reconnaître, elle n’est pas facile, facile.

    Mais déjà Éva commençait à tripoter la côte de l’âne que le vieillard avait plantée chez l’homme, allez donc savoir pourquoi, toute droite entre les deux cuisses.

    L’angelle

    Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l’Orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.

    Genèse 11, 1-4

    Le soleil l’écrasait contre les rochers. Titubant, il fit encore quelques pas, puis s’effondra, le visage dans le sable. Athan savait à présent que la fin était proche. Sa dernière chamelle était morte. Il l’avait lui-même égorgée avant d’en boire le sang. Quant à ses compagnons, il avait oublié leurs noms et ne parvenait même plus à se remémorer leurs traits. Cela faisait des lunes qu’ils s’étaient brûlés à la fournaise du désert. Tout au plus leurs ombres venaient-elles le visiter la nuit. Mais les ombres n’ont pas de visage. Seul les habite le néant du Shéol.

    Sa dernière quête !... Il arrivait au terme de sa dernière quête. Enfant, il avait entendu un vieillard expliquer que des êtres tombés du ciel s’étaient unis aux filles de l’homme et leur avaient donné une descendance de héros et de géants. Et depuis lors, il s’était demandé s’il existait des angelles, des anges femmes – puisque tout démontrait que, contrairement aux croyances, les séraphins, chérubins et autres compagnons des Élohim n’étaient pas dépourvus de sexe. « Un jour, promettait-il à ses frères, je reviendrai parmi vous avec une plume d’angelle. »

    À l’adolescence, fidèle à son vœu, il était parti.

    Bien sûr, la vie l’avait contraint à en rabattre sur ses illusions. Lancé à la recherche des créatures éthérées, il lui avait fallu survivre, accepter des besognes provisoires. Et même faire fortune à plusieurs reprises, afin de pouvoir monter des expéditions, s’engager dans des entreprises plus déraisonnables les unes que les autres. Des embuscades en pleine montagne, des naufrages par la vaste mer, combien en avait-il vécu ? Et des femmes, combien ? Cent ? Deux cents ? Mais pas la moindre angelle. Bien souvent pourtant, il avait cru toucher au but. Il avait débarqué dans des pays inconnus, aux palais magnifiques, aux populations sauvagement belles. Et à chaque fois, une créature exquise s’était dressée au milieu de l’or et des pierreries. Presque toujours d’une grâce à vous couper le souffle. An-Huy, des lointaines contrées d’Orient, à la peau de citron frotté de miel, Vishaniah aux seins

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