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Angle d'attaque: Causes et conséquences du crash Air France 447 Un éclairage inédit sur l’évolution de la sécurité aérienne
Angle d'attaque: Causes et conséquences du crash Air France 447 Un éclairage inédit sur l’évolution de la sécurité aérienne
Angle d'attaque: Causes et conséquences du crash Air France 447 Un éclairage inédit sur l’évolution de la sécurité aérienne
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Angle d'attaque: Causes et conséquences du crash Air France 447 Un éclairage inédit sur l’évolution de la sécurité aérienne

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About this ebook

« Vous n’avez pas besoin d’être un pilote pour trouver ce livre émouvant et captivant. Les auteurs expliquent clairement la série d’événements qui ont fait toute la différence entre les centaines de milliers de vols sécurisés et routiniers, et ceux qui ont tourné au drame. »

Le 1er juin 2009 s’abimait en mer le vol Air France 447. La chute de l’Airbus 330 qui effectuait la liaison Rio-Paris ôta la vie à ses 228 passagers et membres d’équipage, devenant ainsi la plus grande catastrophe de l’aviation française.

À l’occasion du 10e anniversaire de la tragédie, Roger Rapoport (journaliste d’investigation) et Shem Malmquist (commandant de bord, instructeur et enquêteur-accident) apportent un éclairage inédit sur les causes et conséquences de cet accident. Un ouvrage captivant destiné au public qui se passionne pour l’aviation comme aux professionnels.

C’est toute la relation entre l’humain et la technologie qui est au cœur d’un débat de plus en plus nécessaire dans cette industrie. En effet, la négligence de mettre pleinement en œuvre des leçons tirées du vol Air France 447 a entraîné d’autres tragédies qui auraient pu être évitées, notamment les écrasements d’appareils Boeing 737 Max en Indonésie et en Éthiopie. Cela explique pourquoi, depuis une dizaine d’années, des douzaines d’accidents apparemment reliés à des causes différentes ont en réalité été provoqués par des problèmes systémiques similaires. Ce livre propose un schéma directeur pour mettre fin à ces écrasements dus à l’automatisation des appareils. Une nouvelle orientation en matière de conception et de certification des aéronefs – et en matière de formation aérienne – s’avère nécessaire pour maintenir optimal les systèmes de sécurité actuels.
LanguageFrançais
Release dateMay 30, 2019
ISBN9782896265176
Angle d'attaque: Causes et conséquences du crash Air France 447 Un éclairage inédit sur l’évolution de la sécurité aérienne
Author

Roger Rapoport

Roger Rapoport est journaliste d’investigation et auteur de nombreux ouvrages. Il a collaboré avec ShemMalmquist dans le cadre de la Flight Safety Information à la mise en ligne d’un cours destiné aux pilotes dumonde entier sur les spécificités du vol à haute altitude.

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    Book preview

    Angle d'attaque - Roger Rapoport

    Préface

    Angle d’attaque lève le voile

    sur le destin tragique du vol Rio-Paris

    Le premier Juin 2009 s’abimait en mer le vol Air France 447. La chute de l’Airbus 330 qui effectuait cette liaison Rio-Paris ôta la vie à ses deux cent vingt-huit passagers et membres d’équipage, devenant ainsi la plus grande catastrophe de l’aviation française.

    Publié en version française à l’occasion du dixième anniversaire de la tragédie, ce livre, qui a connu un succès mérité aux États-Unis pour son sérieux, sa force et sa clarté, apporte des révélations inédites sur les tenants et aboutissants d’un accident qui a pu faire l’objet de conclusions hâtives et de considérations déconcertantes au regard des faits réels.

    Un accident tellement emblématique qu’il allait devenir, au fil de ces dix années, un cas d’école pour l’évolution de la sécurité aérienne mondiale.

    Ouvrage de vulgarisation conçu néanmoins avec toute la rigueur scientifique et le recul nécessaire, Angle d’attaque est destiné non seulement aux pilotes mais à un large public qui se passionne pour l’histoire de l’aviation, en premier lieu les passagers qui y découvriront le métier des navigants, mais aussi à l’intention de tous les professionnels qui permettent à ces belles machines de voler.

    Résultat de dix années d’enquêtes et de recherches, de centaines d’entretiens réalisés auprès des compagnies aériennes, des constructeurs d’avions, des enquêteurs, des autorités aéronautiques, des familles des victimes et des pilotes et d’experts scientifiques ou techniques du monde entier, cet ouvrage explique pourquoi un petit nombre d’accidents à l’image des récents crashes de deux Boeing 737 Max flambant neufs en Indonésie et en Éthiopie continuent d’affecter l’industrie aéronautique qui peut se targuer de rester le moyen de transport le plus sûr du monde, réalisant quelque 36 800 000 vols par an pour quatre milliards de passagers.

    Cette enquête minutieuse, qui a été qualifiée à juste titre de contribution indispensable à la sécurité aérienne, est destinée aux concepteurs de ces machines complexes, aux dirigeants des compagnies aériennes, aux autorités de tutelle et aux pilotes. C’est également un ouvrage de référence pour les acteurs du monde judiciaire.

    Écrit en étroite collaboration par le journaliste d’investigation américain Roger Rapoport et Shem Malmquist, pilote de ligne très impliqué dans ces questions, commandant de bord de Boeing 777 aux États-Unis, instructeur et enquêteur d’accidents, ce livre raconte l’histoire de la machine la plus élaborée qui soit : un avion qui n’était pas censé pouvoir décrocher, et qui a cependant plongé dans l’océan depuis une altitude de 11 600 m en à peine quatre minutes. Paradoxe qui n’est pas sans rappeler un autre naufrage survenu le 15 avril 1912 au large de Terre-Neuve : celui du paquebot Titanic, réputé insubmersible.

    L’épave de l’Airbus Rio-Paris aurait pu reposer indéfiniment par 4 000 m de fond, oubliée dans les abysses de l’Atlantique, sans la détermination des familles de victimes à obtenir qu’on la retrouve enfin, vingt-deux mois après sa mystérieuse disparition.

    Cet ouvrage explore les répercussions mondiales du crash du vol Rio-Paris sur tous les aspects du transport aérien. Non seulement dans la formation des équipages, qu’il a révolutionnée, mais aussi dans les modifications des calculateurs et de leurs logiciels ; dans la réflexion sur le suivi des avions de ligne en temps réel, et sur l’impérieuse nécessité de les équiper d’indicateurs d’angles d’incidences ; dans une meilleure prise en compte de la météorologie par les compagnies aériennes ; dans l’amélioration des procédures d’urgence, afin d’éviter qu’un vol de routine bascule aussi brutalement dans l’irrémédiable.

    Il se peut que la conséquence la plus importante de cet accident - inimaginable avant qu’il n’advienne - soit d’avoir forcé l’industrie du transport aérien à repenser ses postulats les plus communément admis.

    Ce livre en apporte la démonstration percutante.

    Curt Lewis

    Enquêteur expert, Flight Safety Information.

    Introduction

    L’approche du décrochage

    Avec ses milliers d’heures de vol aux commandes d’avions de ligne aux quatre coins de la planète, le Commandant Shem Malmquist est parfaitement à même d’affronter les défis susceptibles de mettre à rude épreuve les équipages tout autour du globe [1]. En sa qualité d’instructeur et d’enquêteur accident, il connaît bien les mauvaises surprises qui peuvent transformer instantanément un vol ordinaire en situation d’urgence absolue, ne vous laissant que quelques secondes pour faire face à un événement inattendu. Depuis les décollages sur pistes verglacées jusqu’aux atterrissages au milieu d’orages soudains, cet aviateur a entrainé ses collègues à faire face à toutes les circonstances imaginables. Dans son dossier professionnel impeccable figurent plus de 12 000 heures de vol ; autant dire que les problèmes qui effraient habituellement les passagers lui sont familiers. Il est parfaitement apte à faire face à des dangers en puissance, tels que la turbulence en ciel clair ou la survenue d’un début d’incendie à bord.

    Pendant plus de trente ans, Shem Malmquist a bénéficié d’une formation sur simulateur, de cours théoriques et de phases plus pratiques en vol pour se préparer à affronter une myriade de situations d’urgence. Soumis à des évaluations régulières, il a été préparé à réagir à l’imprévu, à ce qui peut arriver ne serait-ce qu’une fois dans la vie d’un membre d’équipage. Mais là, c’est complètement différent. Il se dirige vers l’aéroport en vue d’apprendre à piloter dans la pire des situations d’urgence imaginables un Airbus 330 transportant deux cent vingt-huit passagers et membres d’équipage.

    Parti tôt dans la soirée, son vol se déroule sans problème particulier jusqu’à l’altitude de croisière de 35 000 pieds. C’est alors que le pilote automatique se débraye sans aucun avertissement. Comme le prévoit la procédure, Shem Malmquist tire plein cabré sur le minimanche, jusqu’à ce que l’avion de deux cents tonnes entre en décrochage aérodynamique à haute altitude. Il maintient encore un moment le nez de l’appareil suffisamment haut au-dessus de l’horizon, puis le gros-porteur accentue son entrée en décrochage, avant de commencer sa chute vertigineuse vers le sol. Il est grand temps de récupérer la situation.

    Appliquant un entraînement spécifique, qui va bien au-delà des compétences dont la plupart des pilotes de ligne sont appelés à faire preuve, il abaisse le nez du simulateur de 20 degrés en dessous de l’horizon. Une minute plus tard, après avoir perdu 10 000 pieds (environ 3 000 m) et récupéré suffisamment de vitesse, il tire sur le manche et sort du décrochage.

    Parfaitement accomplie, à l’entière satisfaction de son instructeur sur simulateur de vol du centre de recherche de l’Administration Fédérale de l’Aviation (FAA) en Oklahoma, cette mission du printemps 2016 fit de Shem Malmquist l’un des premiers pilotes de ligne américains à montrer comment se tirer d’une situation qui avait causé la perte de trois avions de ligne depuis 2009.

    Il est désormais exigé de chaque compagnie américaine qu’elle enseigne à ses pilotes cette leçon de survie. Selon le règlement 60 de l’Aviation Fédérale (FAA/FAR 60) relative aux simulateurs de vol, en adéquation avec les préconisations sur l’entraînement à la récupération des situations « inusuelles », les transporteurs aériens ont eu trois ans pour s’assurer que leurs équipages sachent parfaitement éviter ces décrochages aérodynamiques en haute altitude, reponsables de la mort de cinq cent six personnes au cours des sept dernières années.

    Le règlement de la FAA est entré en vigueur la veille du premier juin 2016, date du septième anniversaire du crash du vol Air France 447 entre Rio et Paris[2]. Deux crashes de plus en 2014, l’un dans la mer de Java, l’autre au Mali, ont ajouté à l’urgence de relever ce nouveau défi en matière de sécurité. Après ces accidents, l’industrie américaine du transport aérien a pris des dispositions pour reprogrammer ses simulateurs afin de reproduire de façon plus réaliste l’approche du décrochage à haute altitude et la récupération d’une telle situation. La même règle sera progressivement appliquée en Europe, au Canada, en Australie et dans beaucoup d’autres pays, pour un coût prévisible atteignant le milliard de dollars.

    Ce livre explique pourquoi certains transporteurs - inquiets à juste titre de cette récente série de décrochages à haute altitude qui n’avaient pas été anticipés, et des pertes de contrôle qui en ont résulté – ont décidé d’avancer la date limite fixée par le règlement FAA/ FAR 60 à 2019, afin de réaliser un programme d’entraînement à la récupération du décrochage plus réaliste sur des simulateurs modifiés.

    Cet ouvrage répond également à de nombreuses questions importantes posées tant par des professionnels du transport aérien que par des passagers. Le crash du vol Rio-Paris, qui a révolutionné la sécurité aérienne et la formation des pilotes, soulève aussi des questions concernant la suprématie des automatismes. Comme le démontre le règlement FAR 60, cette catastrophe et quelques autres incidents graves ont forcé l’industrie aéronautique à accorder davantage d’importance à l’entraînement au pilotage au manche « à l’ancienne ». La nouvelle doctrine de pilotage « manuel » réaffirme que le premier facteur de sécurité sur n’importe quel avion est avant tout la présence aux commandes d’un pilote bien formé.

    Sans être soi-même pilote, chacun peut apprécier à sa juste valeur le fait que, depuis le premier juin 2009, jour fatal de la perte du vol AF 447, les leçons en aient été tirées par l’industrie du transport aérien. Alors que les automatismes dominent nos existences, nous avons tous besoin de comprendre leurs limites intrinsèques. Que ce soit dans le domaine de la recherche scientifique, en médecine, dans l’enseignement ou dans le monde industriel, le rôle de l’être humain reste prépondérant. Après s’être engagée à marche force, pendant des décennies, dans l’automatisation des postes de pilotage, au point de transformer les pilotes en purs gestionnaires de systèmes, l’industrie du transport aérien essaie de changer de paradigme.

    Fondée sur l’expérience accumulée au cours de millions d’heures de vol, cette nouvelle approche est suivie de près par d’autres secteurs industriels, soucieux de tirer les enseignements de l’expérience de pointe de l’aéronautique.

    Les organismes régulateurs de l’aviation civile, les constructeurs d’avions et les compagnies aériennes ont désormais intégré le fait que des dizaines d’ordinateurs ne puissent remplacer des aviateurs doués et talentueux, qui comprennent pleinement les lois de l’aérodynamique et sont à tout moment capables de reprendre les commandes à la main en se passant des automatismes. Qu’il s’agisse des voitures à conduite autonome ou d’une salle d’opération dans laquelle l’équipe médicale se focaliserait sur les données de ses appareils plutôt que sur le patient lui-même, cette problématique est plus que jamais d’actualité.

    Voyons maintenant comment les meilleurs connaisseurs de l’aviation commerciale ont expliqué ce qui avait ici « dérapé », et de quelle manière nous pouvons unir nos efforts pour assurer à l’être humain une place prépondérante dans la gestion des systèmes de sécurité qui dominent nos vies.

    [1]   Le Commandant Shem Malmquist reproduisit en 2016 sur le simulateur (modifié), les derniers instants de l’AF ⁠447 au Monroney Aeronautical Center de la FAA à Oklahoma City.

    [2]   Le règlement de la FAA est entré en vigueur : Registre Fédéral sur le site http//bit.ly2uxlyYK

    Chapitre 1

    L’escale de Rio

    Peu de temps avant minuit heure locale, en ce 28 mai 2009, le vol Air France 447 assuré par un Airbus A330 quitte son poste de stationnement de Paris Charles-de-Gaulle et roule sur les taxiways de l’aéroport vers la piste. Numéro 1 au décollage, il survole bientôt l’Île-de-France et met le cap au sud-ouest. Le Commandant Marc Dubois regrette fugitivement l’absence d’un nom sur la liste des passagers, un ami de Biarritz qu’il avait invité quelques jours plus tôt à faire le voyage avec lui, son collègue Arnaud Lorente.

    Connu pour ce genre d’invitation surprise de dernière minute, Marc Dubois, 58 ans, encourageait souvent des membres de sa famille ou des amis à se joindre à lui sur ses vols aux destinations exotiques. Tout comme son père Jean-Paul, un ancien commandant de bord Air France décédé deux mois plus tôt à l’âge de 89 ans, il était un bon compagnon de voyage et un guide touristique expérimenté.

    Avec plus de quarante vols au compteur entre Paris et Rio « do Brazil », Lorente était séduit à l’idée de faire cette rotation avec Dubois[1]. L’attrait des plages de sable blanc tiédies par les alizés, la perspective de revoir des amis proches, et celle de dîners dans ses restaurants préférés du bord de mer, étaient autant d’incitations à dire oui. Il était difficile de résister à Marc surtout avec une bonne chance d’un surclassement en fonction des places disponibles à bord. Le Commandant était connu pour sa gentillesse avec tous ses membres d’équipage, pour son attachement à cette tradition de « vie en équipage », au nom de laquelle il pouvait aller jusqu’à offrir à toute l’équipe des fauteuils d’orchestre pour l’Opéra de Prague[2]. Malheureusement, une rotation sur Caracas planifiée de longue date contraignit son ami Arnaud à décliner cette séduisante invitation et aller plutôt subir les averses de Biarritz. Avec un peu de chance, ce ne serait que partie remise et il pourrait même effectuer prochainement ce vol comme copilote de Marc.

    Selon les critères exigeants de la compagnie Air France, Marc Dubois était parfaitement qualifié pour assurer le commandement de ce gros biréacteur qui, après être passé à la verticale de la baie de Biscaye en Galice puis au travers de Lisbonne, était en train de mettre le cap vers les Canaries et le Cap Vert. Ses deux collègues dans le siège de droite et sur le siège central étaient des copilotes chevronnés : David Robert, 37 ans, et Cédric Bonin, 32 ans.

    Installée en classe « éco », l’épouse de Cédric Bonin, Isabelle, est professeur de mathématiques et physique au lycée, et toujours prête à suivre son mari en rotation. Comme les autres passagers dans la cabine, elle se sentait rassurée par ce qui avait toutes les apparences d’un système de sécurité sans faille semblant entourer d’une bienveillante enveloppe protectrice ces infatigables machines volantes qui passaient plus de temps en l’air qu’au sol. Il n’y avait donc aucune raison de s’inquiéter pour ces quelques turbulences rencontrées sur la route de l’Amérique du Sud.

    Dix heures plus tard, le gros Airbus atterrit en douceur à 250 km/h sur la piste de l’aéroport de Rio, dans l’ile de Galeào, puis roule vers le terminal Antonio Carlos-Jobim, qui doit son nom au créateur de la bossa nova.

    Marc Dubois, David Robert et Cédric Bonin avaient démontré une fois de plus à leurs passagers pourquoi Air France, fondée 76 ans plus tôt, figurait toujours parmi les vingt plus grandes compagnies aériennes mondiales.

    Tandis que les équipes au sol préparent immédiatement l’avion pour le vol retour sur Paris, les pilotes montent dans la navette du Sofitel de Rio à Copacabana. Ils vont bientôt être en mesure d’explorer cette ville aux chaudes vibrations tropicales, très appréciée des touristes français. Les mauvaises langues et les esprits chagrins ont beaucoup glosé sur l’emploi du temps des membres d’équipage pendant cette escale. Il ne fut en rien différent de celui de n’importe quel autre équipage en escale : quelques balades touristiques ou sorties culturelles et un bon restaurant en couple ou entre amis de circonstance.

    Quand bien même le repos n’est pas toujours de la qualité souhaitée, en raison de la perturbation de l’horloge biologique des équipages malmenée à longueur d’année par les changements de fuseaux horaires et les nuits en vol, au moment où les pilotes se préparent au vol de retour en cette soirée du 31 mai, ils sont « relativement » détendus et reposés. Le corps ne coopère pas forcément pour dormir sur commande. Le Commandant Dubois ressentait les effets du décalage horaire et n’avait pas réussi à s’endormir pendant la petite sieste de l’après-midi que les pilotes de longs courriers ont l’habitude de faire avant un vol de nuit. Cependant il avait eu son temps de repos réglementaire, et même au delà ; il n’y avait pas lieu d’en faire un problème, pas davantage que pour tout autre pilote dans cette situation. Les pilotes ont l’habitude de prendre sur eux en dépit du manque de sommeil que viennent encore perturber des plannings de services trop rapprochés les uns des autres et des horaires de départ qui sont davantage motivés par des critères commerciaux que par la gestion des facteurs humains. Rentabilité oblige sur fond de féroce concurrence : l’aviation de son père, aux longues escales de rêve restées dans la mémoire des passagers d’alors, était bien loin.

    Le briefing dans la salle de préparation des vols fut rassurant. Les centaines de mains invisibles de l’encadrement, des opérations aériennes, du centre de coordination des vols et du suivi météo, de l’entretien et celles du contrôle aérien s’étaient activées pour faire de ce vol un vol de routine. Il n’y avait pas de défauts répertoriés sur le carnet de l’état technique de l’appareil. De Rio à Paris en passant par Dakar, pas un de ces professionnels expérimentés ne pouvait imaginer que le vol AF 447 allait bientôt devenir un événement majeur de l’histoire de l’aviation. La flotte Airbus A330 et ces pilotes jouissaient jusqu’à ce jour d’une réputation irréprochable.

    L’Homme bénéficiant de plus d’un siècle d’expérience aéronautique, le fait de prendre l’avion était devenu tellement sûr que les individus sujets à la peur de l’avion étaient régulièrement tournés en dérision par les humoristes. Pourtant, les personnes éprouvant de l’appréhension, voire de la peur à des degrés divers, demeuraient nombreuses. Au regard des statistiques, il était néanmoins largement admis que voyager avec une grande compagnie aérienne sur un avion moderne n’était pas dangereux. Ce vol Rio-Paris n’était pas assuré par un tas de ferraille rouillé piloté par un apprenti pilote vers un terrain en latérite brumeux de l’Afrique équatoriale ou de la mer de Java. La probabilité pour cet avion d’arriver à bon port le lendemain à Paris était maximale : depuis son vol inaugural en 1992, plus de cent millions de passagers (bien davantage que la totalité de la population française) avaient été transportés à bon port, d’un bout à l’autre de la planète, sur environ un million de vols effectués en A330/A340.

    Prouesse aéronautique en soi, l’A330 donnait toute satisfaction à ses clients. À commencer par le Président Sarkozy[3] qui en avait fait racheter un d’Air Caraïbes au prix de 227 millions de dollars (environ 180 millions d’euros), pour lui tenir lieu d’avion présidentiel, juste six semaines avant la perte de l’AF 447. Ce palace volant était équipé d’une salle de réunion pouvant accueillir douze personnes et d’une chambre avec salle de bains. Par comparaison, la chancelière Angela Merkel devait se contenter à l’époque d’un vieil A310 de première génération opéré par la Luftwaffe. L’A330 qui effectuait le vol AF 447 ne disposait évidemment pas des aménagements présidentiels, pas plus que celui du Président Sarkozy ne pouvait transporter 216 passagers et 12 membres d’équipage.

    En ce début de soirée caractéristique de l’hémisphère sud, le temps était chaud et calme. Le ciel commençait à se piquer d’étoiles. À l’intérieur du terminal climatisé de l’aéroport, les passagers en attente de l’annonce d’embarquement n’avaient aucune raison de s’inquiéter de ce vol ordinaire qui allait bientôt contribuer bien malgré eux à l’histoire de l’aviation.

    L’annonce de pré-embarquement se fit d’abord en portugais puis en français. Au bout de vingt-trois minutes, tous les passagers, avec leurs bagages et leurs enfants en bas âge, avaient trouvé leurs sièges et s’étaient installés pour ce long vol. Les portes de l’appareil se fermèrent sur les rampes d’accès du terminal. À 19h29 locales (12h29 de Paris) l’AF 447 commença à rouler sur le tarmac pour s’envoler vers son funeste destin.

    Le Commandant Dubois aux commandes, la queue bleu blanc rouge disparut dans la nuit tombante, cap au nord le long de la côte brésilienne juste au moment où les constellations commencèrent à embellir le ciel de l’hémisphère sud. Chacun à bord avait désormais hâte d’arriver à Paris à temps pour le déjeuner.

    [1]   En outre : Interview du pilote Arnaud Lorente par Félix Dufour dans Sud Ouest du 4 juin 2009.

    [2]   Les entretiens avec Jacques Dubois par Roger Rapoport à Paris en octobre 2015 et janvier 2017.

    [3]   L’appareil du Président Sarkozy : Dans The Gardian du 16 novembre 2009.

    Chapitre 2

    Rétrospective en France

    Il n’existe pas de petits rôles parmi les acteurs de la saga de l’aviation qui a permis, depuis cent ans, de placer les points les plus reculés de la planète à la portée de tous, en quelques heures.

    Même celui dont le rôle semble insignifiant peut mettre en danger un vol à plusieurs milliers de kilomètres de là. Un mécano ne maîtrisant pas l’anglais dans un hangar d’entretien au Salvador peut commettre une faute en intervenant sur un avion américain. Une traduction imprécise en chinois mandarin d’un étiquetage de stock de pièces détachées répertoriées en anglais peut avoir des conséquences sur le gros entretien en Chine du réacteur d’un avion français. Un ingénieur qui commet au Japon une erreur sur un nouveau système de batteries Ion Lithium peut déclencher l’incendie d’un Boeing 787 stationné à Logan, l’aéroport de Boston.

    Tous les acquis que nous considérons comme définitifs dans le domaine du transport aérien ne sont pourtant que des échelons sur la courbe d’apprentissage d’une industrie relativement jeune. Des problèmes importants sont souvent découverts longtemps après la mise en service d’un nouveau modèle. En dépit des progrès impressionnants des nouvelles technologies, la réussite de chacun des 37 000 vols effectués chaque jour dans le monde dépend d’un ensemble de personnes qui peuvent vivre et travailler à des milliers de kilomètres de distance. Certes l’intelligence artificielle est prometteuse, mais elle n’est pas encore un substitut de l’expérience et des capacités d’analyse de bons opérateurs humains[1]. En retour, ces aviateurs sont tributaires du savoir-faire de collègues qui gèrent efficacement la coordination des vols, leur exploitation au quotidien, le trafic aérien, l’entretien et la météo. Chaque rôle est la résultante d’un scénario joué avec précision par tous les acteurs du système, y compris les « seconds rôles » tout aussi essentiels, pour faire en sorte que chaque vol se passe bien.

    Dès la première moitié du vingtième siècle, Air France a posé les bases d’une norme d’exploitation de haut niveau conjuguant le meilleur de la technologie disponible et les meilleurs aviateurs pour l’utiliser. Dans ce genre de compagnie, les pilotes peuvent faire toute leur carrière sans connaître une seule panne de moteur. Il est vraisemblable qu’ils ne seront jamais amenés à « stresser en vrai » pour faire face à une situation d’urgence qui soit comparable à celles qu’on leur fait régulièrement subir en simulateur selon des scénarios bien orchestrés.

    Le commandant Marc Dubois et son officier pilote Pierre Cédric Bonin étaient tous deux des fils de pilotes du groupe Air France. Leurs pères Jean-Paul Dubois et Jean-Louis Bonin avaient rejoint la « grande compagnie » après des carrières prestigieuses dans l’armée de l’air en zones de combats, dans le nord de l’Italie pour l’un et au Tchad pour l’autre[2]. Le second officier pilote – car il faut réglementairement deux copilotes pour ce temps de vol de dix heures de nuit afin de ménager de courts temps de repos aux membres d’équipage – David Robert était diplômé de l’ENAC, l’École nationale des pilotes de ligne à Toulouse. À eux trois, ces hommes totalisaient plus de 20 000 heures de vol, l’équivalent de mille allers-retours Paris-Rio de Janeiro sans incident grave.

    Marc Dubois, qualifié sur dix-sept modèles d’avions allant du monomoteur monopilote adapté aux terrains en herbe jusqu’au jet transocéanique, était aussi un instructeur apprécié, titulaire d’une qualification montagne dont l’obtention exigeait une habileté singulière au pilotage dans des conditions délicates. Il utilisait ses loisirs à gravir le Mont-Blanc et à rénover lui-même avec grand soin sa maison de village dans les Yvelines.

    Ce commandant d’A330, qui adorait faire admirer le poste « high tech » de son avion à sa famille, à des apprentis pilotes admiratifs et à d’autres aviateurs, les invitait fréquemment à faire un vol avec lui. Pendant ses temps de repos à bord, il ne manquait pas de sortir son iPod dans lequel il avait téléchargé ses opéras préférés, et laissait se dérouler Les noces de Figaro dont il se délectait en attendant que le personnel de cabine vienne lui apporter son menu de première classe. Dubois était à ce moment à l’apogée de son existence.

    L’avion que Dubois avait l’honneur de commander bénéficiait d’un pedigree tout aussi prestigieux[3]. Quinze ans après leur première mise en service, fortes d’un million de vols qui avaient transporté plus de passagers que l’ensemble de la population française, les séries A330/A340 s’avéraient être un indéniable succès pour Airbus. Ce constructeur toulousain de second ordre à l’époque, comparé aux autres grands constructeurs, et qui n’avait vendu que quinze avions pendant ses cinq premières années d’existence, pouvait désormais se targuer de construire bon an mal an à peu près la moitié des avions de ligne vendus dans le monde.

    Airbus était l’héritier de l’ancienne Sud Aviation puis de L’Aérospatiale, concepteurs du Concorde[4]. L’un des éléments décisifs de la success story qui avait permis à Airbus de rafler, en vingt-cinq ans, la moitié du marché mondial, après avoir introduit sur l’A320 en 1988 le premier système de commandes de vol informatisées, tenait au développement et à l’intégration de protections automatiques du domaine de vol censées empêcher les trop nombreux accidents du passé.

    Dans les modèles classiques en service, les commandes de vol étaient mues de bout en bout par des circuits hydrauliques actionnés depuis le poste de pilotage. La nouvelle technologie Airbus convertissait les mouvements des pilotes sur des joysticks en impulsions électriques traitées par informatique via des dizaines de calculateurs, avant d’être envoyés sous forme d’ordres numériques aux servocommandes (hydrauliques) des gouvernes. Ces calculateurs activaient des protections si l’avion sortait d’un domaine prédéterminé, que ce soit à cause d’inclinaisons trop fortes, de vitesses excessives ou insuffisantes, palliant ainsi les problèmes créés par d’éventuelles pertes d’attention momentanées de l’équipe de pilotage. C’était à n’en pas douter une contribution essentielle à l’amélioration de la sécurité des vols.

    Cette nouvelle approche semblait propre à éliminer un certain nombre d’accidents liés aux pertes de contrôle en vol. Ce système révolutionnaire était conçu pour outrepasser les ordres des pilotes si ces derniers réagissaient de façon inappropriée ou excessive dans une situation d’urgence.

    Ces avions de nouvelle génération étaient plus simples à manier pour les pilotes en cas de rencontre avec les dangereux phénomènes de cisaillement de vent, par exemple. Les écrans plats à cristaux liquides avaient remplacé la plupart des instruments analogiques et autres innombrables cadrans en forme de montre sur les tableaux de bord des avions des générations précédentes. Le résultat visé était une information plus fiable à la disposition des pilotes, et un entretien simplifié pour la maintenance.

    Malgré quelques inévitables bogues lors de la mise en service, comme souvent avec une nouvelle invention, Airbus avait réussi à devenir une locomotive pour l’économie française et pour ses partenaires européens. La réputation de l’A330 et de son frère l’A340 n’avait pas eu à souffrir des crashes de son prédécesseur l’A320 (Habsheim, Sainte-Odile), lequel avait payé au prix fort l’introduction de ces nouvelles technologies.

    Les équipages aux commandes des A330 associaient des aviateurs chevronnés et de jeunes pilotes bien placés sur la courbe ascendante de leur carrière chez Air France. Tout comme leur commandant, les copilotes Bonin et Robert étaient tout à fait aptes au pilotage manuel. Dubois, quant à lui, était un pilote de voltige. Bonin, qui pratiquait le planeur pendant ses loisirs, avait toujours réussi la totalité des nombreuses évaluations professionnelles avec les meilleures notes[5]. Lors d’une sélection chez Air France en 2002, il avait été retenu parmi soixante candidats sur mille. Pieer-Cédric Robert, fin connaisseur de l’Amérique du Sud avec ses trente-neuf traversées océaniques, occupait un poste d’encadrement au centre de coordination des vols de la compagnie, une marque de reconnaissance de sa compétence professionnelle.

    Il y avait donc les meilleures raisons pour les passagers et membres d’équipage du vol AF 447 de se sentir en sécurité dans cet avion autant que dans leur lit. Derrière les équipages en première ligne veillaient les techniciens et ingénieurs affectés au nouveau système de gestion de la sécurité de la compagnie en cours de mise en place. La redondance, concept coûteux aux yeux des DRH, avait bien une signification positive pour les gestionnaires des compagnies aériennes.

    Une loi de la construction aéronautique, depuis les premiers vols commerciaux, veut que même les systèmes de secours aient leur système de secours ! Sur l’A330 les mises à jour des systèmes informatisés des commandes de vol étaient facilement réalisées. Et si l’un des calculateurs principaux tombait en panne, il était rapidement remplacé. Les mécaniciens « en ligne » étaient toujours prêts à effectuer en urgence un changement de pièce de dernière minute si les pilotes détectaient le moindre problème au cours de leur visite prévol.

    Peu de pilotes étaient mieux entrainés que Marc Dubois, aux commandes du premier tour de service, d’une durée de 3h30, du vol Rio-Paris AF 447. Il avait grandi dans une famille aéronautique. Son père Jean-Paul Dubois résidant à Saint-Germain-en-Laye avait combattu dans le nord de l’Italie au sein de l’armée de l’air française pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de poursuivre sa carrière chez Air France sur DC4. Jean-Paul Dubois et la mère de Marc, Hélène, une ex-hôtesse de l’air, s’étaient rencontrés dans la compagnie. Leurs trois fils Marc, Michel et Jacques étaient tous des pilotes[6].

    À bien des égards, Marc et son père étaient de ceux qui avaient fait l’Histoire d’Air France, probablement la compagnie la plus « romantique » du monde à cette époque. Il est intéressant de s’attarder un peu sur la carrière de pilote du père, Jean-Paul, pour découvrir une notion qui allait jouer un grand rôle dans l’histoire de l’AF 447. Ce dernier avait rejoint la compagnie nationale après avoir débuté en 1944 et 1945 sur le chasseur Bell P-39 Airacobra, de sinistre mémoire.

    Qualifié de « serpent non venimeux », ce chasseur américain était propulsé par un moteur en position centrale, et non dans le nez de l’appareil comme c’était l’usage. Il attaquait ses proies au canon de 37 mm synchronisé qui tirait à travers les pales de l’hélice, une invention mise au point par Fokker en 1915 au cours de la Première Guerre mondiale.

    Bien que l’avion fût très maniable, il était courant pour un pilote de ne pas avoir conscience des changements d’assiette. Quand l’avion avait épuisé ses munitions, le centre de gravité se déplaçait vers l’arrière. À ce moment, un pilote d’Airacobra pouvait se retrouver avec une incidence beaucoup trop forte.

    Mais qu’est-ce que cette incidence, facilement confondue par les néophytes avec l’assiette ou la pente suivie par l’avion  ?

    En mécanique des fluides, l’incidence est l’angle formé par la corde de référence du profil d’une surface et le vecteur vitesse du vent relatif. Ou encore l’angle entre cette corde et la direction du vent attaquant le profil, d’où l’appellation anglaise angle of attack (AOA), titre de la version US du présent ouvrage.

    L’incidence est donc l’angle formé entre la trajectoire de l’avion et l’axe longitudinal de l’avion.

    L’avion évolue le long de la trajectoire  ; l’air qui arrive sur l’avion (vent relatif) arrive donc avec la même direction que cet axe mais en sens opposé (voir le schéma).

    En application de ce principe, la portance d’une aile est en relation directe avec son angle d’incidence : plus l’angle d’incidence est important plus la portance est grande. Ceci reste vrai jusqu’au point de décrochage où la portance commence à décroître à cause de la séparation

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