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Communication internationale et communication interculturelle: Regards épistémologiques et espaces de pratique
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Ebook428 pages4 hours

Communication internationale et communication interculturelle: Regards épistémologiques et espaces de pratique

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Quels sont les liens entre la communication internationale et interculturelle ? Cette réflexion d’ordre épistémologique, méthodologique et pratique, ayant mené à la création du Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII), est poursuivi dans cet ouvrage.
LanguageFrançais
Release dateNov 14, 2011
ISBN9782760531208
Communication internationale et communication interculturelle: Regards épistémologiques et espaces de pratique

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    Communication internationale et communication interculturelle - Christian Agbobli

    Canada

    INTRODUCTION

    Au milieu des années 1990, nous poursuivions nos études aux cycles supérieurs au département des communications de l’Université du Québec à Montréal. Réputé pour son profil ou, comme certains se plaisaient à le rappeler, son axe en communication internationale et interculturelle, le département voyait œuvrer en son sein un nombre important de professeurs se réclamant de cette tendance, ayant chacun sa zone géographique, ses sujets de prédilection et ses auteurs privilégiés. Même le vocabulaire courant de l’un et de l’autre teintait les orientations théoriques et méthodologiques auxquelles ils souscrivaient. Impossible ainsi de faire sa scolarité de maîtrise et de doctorat sans avoir à se soumettre à la posture de ces figures fortes de la discipline, sans parler de la nécessité d’être encadré par l’un ou l’autre.

    Ainsi, nous avions pu nous familiariser avec les travaux de Gaëtan Tremblay sur «les industries culturelles» et son ère de prédilection brésilienne, avec le penchant africain pour «l’usage» des nouvelles technologies et le développement de Jean-Paul Lafrance, avec «la posture» goffmanienne et l’amour de l’Asie de l’Est de Claude-Yves Charron, avec l’obsession théorique de «la réception active» et des «réseaux traditionnels de coerséduction» de René-Jean Ravault et son idéal américain de la communication, et nous familiariser aussi avec «l’entre-deux» éternel de Gina Stoiciu et ses références incontournables aux pays de l’Europe de l’Est, avant, pendant et après le communisme. Soulignons ici que ces aires géographiques et ces préférences théoriques avaient leur écho dans la façon d’aborder les sujets proprement liés à la communication interculturelle, aux rapports entre majorité et minorités et à toutes les politiques et les questions d’immigration et d’intégration. C’est pourquoi le lien intrinsèque entre l’international et l’interculturel fut des plus naturels.

    Toutefois, la présence de ces poids lourds du domaine et le lien étroit entre l’international et l’interculturel n’ont pas donné lieu à un quelconque corpus cohérent, une quelconque école visible de ces domaines de la communication au sein du département. Ce, malgré le volume impressionnant des thèses et des mémoires sur le sujet, et malgré le rôle joué par chacun de ces professeurs dans l’avancement des connaissances pour notre discipline. Au courant de la dernière décennie (2000-2010), le départ progressif à la retraite de certains, la division en deux du Département des communications en 2005¹ et la réforme de la maîtrise (faisant disparaître lesdits axes) ont contribué à un plus grand éclatement du domaine et au déclin progressif des traditions portées par les fondateurs au sein de l’ancien département.

    Observateurs de ce rayonnement comme étudiants, et témoins de son déclin comme professeurs par la suite, nous avions cru bon de créer un groupe de recherche apte à réunir les forces «inter» du département de communication sociale et publique où nous œuvrons; un groupe qui soit en mesure de projeter une image fidèle à la réalité du domaine: éclectique par essence, mais fondée sur une épistémologie qui, elle, est fidèle à l’esprit des tendances promues par les pionniers de l’ancien Département des communications.

    Au départ, en 2006-2007, ces forces «inter» du nouveau département ont réuni les auteurs de ces lignes avec Carmen Rico, spécialiste de l’Amérique latine qui avait déjà créé l’Observatoire de communication internationale et interculturelle et qui, avec ses étudiants, a joué un rôle important dans la recension des mémoires et des thèses portant sur le sujet². En plus, nous avions pu profiter de la présence de Gina Stoiciu, qui a su nous guider dans le démarrage de notre projet et qui continue à inspirer notre élan. Ainsi est né le Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle, GERACII. Aujourd’hui, le groupe compte sept professeurs et autant d’étudiants intéressés aux enjeux de la communication dans ses dimensions interculturelles et internationales.

    Bien que des colloques, des conférences et des échanges internationaux aient eu lieu sous la bannière du groupe, ce livre constitue la première publication identifiant les orientations épistémologiques qui nous définissent et qui définissent les champs qui nous préoccupent. Non que les auteurs soient tous des membres du groupe ou qu’ils adhèrent nécessairement à notre regard du domaine, là n’était pas notre intention non plus; mais les objets traités par chacun d’entre eux font partie, de près ou de loin, de nos préoccupations.

    Le livre est divisé en trois parties: la première traite des enjeux théoriques et épistémologiques du champ d’études en communication internationale et interculturelle, la deuxième traite des objets propres au domaine de l’international, alors que la troisième traite des objets propres à l’interculturel.

    Dans la première partie, Gaby Hsab et Gina Stoiciu tentent d’identifier les points communs et les différences tant épistémologiques que méthodologiques entre la communication interculturelle et la communication internationale. Dans la même lignée, Oumar Kane aborde l’articulation nécessaire entre culture et changement, ayant l’altérité comme point focal de rassemblement. Carmen Rico et Antonin Serpereau dressent un portrait éloquent des mémoires et des thèses produites dans le domaine inter- au sein de l’ancien Département des communications de l’Université du Québec à Montréal. Un portrait qui reflète le «non-lieu» d’une école proprement dite, tout en remarquant le grand volume de la production du domaine en question. De son côté, Gina Stoiciu nous donne un aperçu du développement du champ de recherche en communication interculturelle et de ses pratiques dans différents milieux. Finalement, partant du concept d’afrocentricité, Christian Agbobli avance la thèse d’une endocentricité comme modèle utopique pour une communication internationale efficace.

    La deuxième partie porte sur des objets de recherche en communication internationale. Jean-Jacques Maomra Bogui et Myriam Montagut-Lobjoit abordent la question de la réception de l’information d’actualité dans l’espace francophone. Prenant le cas des espaces médiatiques français et ivoiriens, les auteurs se demandent si la mondialisation de l’information entraine une convergence des centres d’intérêt concernant l’information d’actualité. Ils s’interrogent également sur les modalités de construction de l’opinion entre les jeunes citoyens issus de pays appartenant au même espace linguistique. Dans son texte, Dieudonné Ongbwa traite des représentations – souvent négatives – faites à l’endroit des Bagyeli, un des groupes pygmées du Cameroun. L’auteur envisage la transformation des ces représentations à la lumière de la théorie du noyau développée par certains chercheurs en psychologie sociale et au moyen de la communication. Quant à Guy Bois, à travers l’analyse de la radio chrétienne Pío XII en Bolivie, il aborde l’histoire récente de la quête démocratique en Amérique latine. La théologie de la libération, l’interventionnisme américain et les rapports de force sont au cœur de son analyse.

    La troisième partie porte sur des objets de recherche en communication interculturelle, notamment au Québec. Mustapha Belabdi s’intéresse aux stratégies de repositionnement des immigrants, en soulignant les variations communicationnelles avec la société d’accueil. L’auteur envisage le vivre ensemble entre les différentes composantes de la société québécoise. Pour sa part, Mohamed Chahid effectue une analyse critique du discours de la presse écrite pendant le débat sur les accommodements raisonnables. Il se demande comment s’est forgée la représentation sociale des accommodements raisonnables dans la presse écrite et questionne la communication de crise qui a caractérisé cette période. Dans sa contribution, Maryse Potvin, analyse le rôle des médias dans la construction de la crise des accommodements raisonnables. L’auteure effectue une distinction entre les discours journalistiques et les discours populaires et aborde le rôle des politiciens dans cette crise.

    Dans son ensemble, l’ouvrage se veut le premier jet d’une réflexion cohérente sur l’état des lieux de la recherche en communication internationale et interculturelle et sur les nombreuses significations et applications que peut avoir ce domaine de recherche. En misant sur la pluralité des regards et la diversité des perspectives, cet ouvrage souhaite circonscrire tout en demeurant ouvert, préciser tout en se sachant partiel, répondre tout en soulevant des questions.

    Christian Agbobli et Gaby Hsab


    1 École des médias et Département de communication sociale et publique.

    2 Voir Rico et Serpereau au chapitre 5.

    P A R T I E   1

    CARTE ET

    TERRITOIRE DE LA

    COMMUNICATION

    INTERNATIONALE ET

    INTERCULTURELLE

    Épistémologie

    et théories

    CHAPITRE 1

    COMMUNICATION

    INTERNATIONALE ET

    COMMUNICATION

    INTERCULTURELLE

    Des champs croisés,

    des frontières ambulantes

    Gaby Hsab

    Gina Stoiciu

    Université du Québec à Montréal

    RÉSUMÉ

    La communication interculturelle et la communication internationale constituent deux domaines particuliers d’étude dans le champ de recherche en communication. Quels sont la carte et le territoire de chacun de ces deux domaines? Quelles sont les frontières qui les séparent? Quels sont les ponts qui les unissent? Quels sont les textes fondamentaux qu’ils ont en commun? Quels sont les éléments épistémologiques, théoriques et méthodologiques qui les traversent?

    Dans une vision d’éloge des marges, le texte tente de répondre à ces questions en évoquant quelques thématiques qui peuvent être traitées tantôt dans une perspective internationale, tantôt dans une perspective interculturelle.

    De véritables enchevêtrements entre les enjeux interculturels et internationaux résultent des interactions entre individus, groupes, organisations et sociétés. Ces enjeux s’inscrivent dans le vaste champ disciplinaire de la communication et forment deux domaines d’étude vus souvent comme étant distincts l’un de l’autre. Or, si nous croyons en la commodité de cette distinction, en la spécificité de certains de leurs objets et en leur indépendance pragmatique, tels qu’institutionnalisés dans le monde académique par exemple, nous demeurons convaincus que leur dialogue est inhérent et que leurs assises conceptuelles sont interchangeables, ce qui rend les frontières qui les séparent marginales.

    D’entrée de jeu, statuons qu’il y a une réciprocité indéniable entre les deux domaines: les communications internationales servent de contexte pour comprendre les enjeux d’interculturalité, alors que les communications interculturelles servent de contextes pour comprendre les enjeux d’internationalité, pour ainsi dire. C’est ce que nous essaierons de démontrer plus loin, partant de l’hypothèse selon laquelle les deux domaines sont fondés sur une porosité méthodologique, théorique et épistémologique commune.

    1. CE QUI LES SÉPARE: DEUX DOMAINES DE RECHERCHE

    L’interculturel désigne souvent une rencontre, une relation de coprésence culturelle entre individus ou groupes, acteurs de la communication. Cette relation de coprésence opère par le biais de plusieurs niveaux d’expérience: par le biais d’expériences immédiates, par le biais d’expériences transmises entre les porteurs de cultures différentes, par le biais d’expériences médiatiques, par le biais des cadres et des limites juridiques et politiques, ou bien, comme c’est souvent le cas, par une combinaison de tous ces éléments.

    L’international réfère à une situation de communication qui, à différents niveaux, met en contact des cadres étatiques distincts, des relations entre nations, desquelles découle toute une série de problématiques ayant lien avec des acteurs, des gouvernements, des organisations et des groupes inter ou multinationaux.

    À titre d’exemple, si l’adaptation d’un groupe d’étudiants canadiens en Chine dans un milieu donné illustre le cas d’une problématique de communication interculturelle, les démarches entreprises par ces mêmes étudiants auprès d’un organisme local en vue de défendre les droits de la personne dans ce pays illustrent, quant à elles, le cas d’une problématique de communication internationale.

    On peut comparer les frontières qui séparent ces deux domaines d’étude aux portes d’une maison, servant à l’entrée et à la sortie: pour se protéger du monde extérieur, mais aussi pour le connaître. Nous pouvons ainsi avancer que la porte d’entrée de l’interculturel demeure celle de l’expérience individuelle ou groupale avec un ou plusieurs acteurs ou au sein d’environnements différents de leur milieu de départ; alors que la porte d’entrée de l’international demeure celle de la relation entre une situation dans laquelle se trouvent des individus et des groupes et les cadres nationaux et internationaux qui la régissent ou la définissent (parfois de façon conflictuelle entre les deux).

    Chaque domaine possède ainsi ses propres enjeux, ses thématiques et ses environnements conceptuels de base et son vocabulaire. C’est pourquoi, par exemple, développement, coopération, organisations non gouvernementales, droits, institutions, mondialisation, homogénéisation et hybridation font partie du vocabulaire marquant l’international; tandis qu’immigration, intégration, identité, ethnicité, interaction et acculturation font partie du vocabulaire marquant l’interculturel. Ce qui n’exclut pas, faut-il le dire, l’interchangeabilité de l’un ou l’autre de ces concepts parfois, sans que cela affecte le portrait global de l’environnement conceptuel.

    En revanche, les outils théoriques, méthodologiques et épistémologiques de ces deux champs sont puisés dans le même dépôt de connaissances communes. Leurs piliers et le toit qui les abrite sont proches, pour ne pas dire identiques, et font partie des savoirs épistémologiques et méthodologiques qui les ont vus naître et prospérer. Mais avant d’examiner ce qui les rapproche sur le plan de ces savoirs, regardons ce qui les distingue sur le terrain de la recherche.

    1.1. LE DOMAINE DE LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE: CARTE ET TERRITOIRE

    Comme nous l’avions souligné, le domaine de la communication interculturelle réfère principalement aux phénomènes de communication en situation de pluralisme ethnique et culturel. Il touche davantage les pays ou les sociétés d’immigration, et est alimenté par trois grands enjeux:

    Le premier enjeu est celui qui réfère à des thématiques centrales, telles que l’immigration, l’intégration, la reconstruction nationale et toutes les questions liées à la gestion du pluralisme. Sa carte du territoire est construite autour d’un certain nombre de notions dont on peut retrouver l’usage en anthropologie, en sociologie, en communication, en histoire et autres champs d’études culturelles: ethnie, groupes, minorités ou communautés ethniques, nationalisme, multiculturalisme, interculturalisme, laïcité, immigration, gestion de la diversité, etc.

    Le deuxième enjeu est celui qui réfère à la rencontre avec l’autre, aux «problèmes» de communication entre porteurs de cultures différentes avec filtres culturels et sociaux, ainsi qu’aux zones sensibles à la différence (perceptions du temps et de l’espace, règles de bienséance, rapports intergénérationnels et ainsi de suite). Sa carte du territoire est construite autour de notions puisées de la psychosociologie et de l’anthropologie culturelle et urbaine notamment. Entre autres, on y retrouve: interaction, cadres de référence, définition de la situation, distance/proximité culturelle, perception, adaptation, intégration, acculturation, évolution et changement culturel, etc.

    Le troisième enjeu est celui qui traite de la question des appartenances identitaires et des espaces politiques, économiques et culturels de cohabitation et de confrontation. Sa carte du territoire est construite autour de notions en provenance des domaines de la communication, de la psychologie et de l’intervention/gestion. Cette carte repose davantage sur les notions de stratégies identitaires (l’ethnicité comme entité politique), d’identités plurielles, de sensibilisation, de médiation et de médiatisation, de négociation, d’intervention et de compétences communicationnelles (cognitive, affective, comportementale).

    1.2. LE DOMAINE DE LA COMMUNICATION INTERNATIONALE: CARTE ET TERRITOIRE

    Ce domaine réfère à des thématiques de réflexion largement dominées par la communication et le développement. On débat de la question du développement et de l’aide au développement, ou encore de la communication pour le développement et la coopération internationale. Dans le flux de communication Nord-Sud, on utilise les nouvelles théories du codéveloppement, de développement participatif, de l’hybridation, de l’union régionale, de mises en convergence des économies, de la croissance équitable, ou encore de l’aide publique et de la solidarité internationales. Ainsi, le domaine est alimenté par trois grands enjeux.

    Le premier enjeu tourne autour de la modernité, notamment occidentale, et son exportation dans les pays dits en voie de développement, ou du Sud, et la question du «choc des civilisations».

    Le deuxième enjeu tourne autour de la coopération internationale et des organismes internationaux: ONU, UNESCO, UNHCR, FAO, OMS, etc. Le travail des organisations non gouvernementales (ONG) est abordé dans ce contexte en tant que médiation entre, d’une part l’Occident qui privilégie la politique des droits de l’homme et des droits des peuples et, d’autre part, des pays totalitaires, théocratiques ou «non démocratiques», qui se revendiquent des droits des gouvernements.

    Le troisième enjeu touche à la question de la spécificité et de la diversité culturelles. La protection et la gestion de cette spécificité/ diversité culturelle de la planète, notamment face à la domination américaine, devient l’objet de prédilection de cet enjeu.

    2. CE QUI LES RAPPROCHE

    Qu’en est-il maintenant de cette porosité méthodologique, théorique et épistémologique commune?

    En premier lieu, nous soutenons que l’Altérité constitue le noyau fort de cette porosité. Il s’agit là d’un positionnement épistémologique qui place la connaissance, son statut, au niveau du monde des acteurs. C’est donc un positionnement compréhensif et non positiviste des enjeux ci-dessus mentionnés. Par conséquent, le rapport à l’autre, égal et différent, théoricien de son propre monde, devient l’une des conditions d’entrée au terrain: que ce soit auprès de populations étrangères et dans un milieu étranger au chercheur, ou bien auprès de populations immigrantes dans un milieu familier au chercheur.

    En second lieu, et cela découle du premier constat, la posture du chercheur, son rôle et sa place dans la recherche sont déterminants dans le rapport qui s’établit avec les sujets de sa recherche. C’est un rapport sujet/sujet ayant des implications théoriques et méthodologiques communes aux deux domaines en question. D’un côté, le chercheur ne peut se soustraire de l’équation qui le place en présence de ses interlocuteurs. D’un autre côté, les sujets, eux, ne peuvent se réduire à de simples répondants à l’enquête et au questionnaire administrés par le chercheur. C’est donc affirmer que, sur le plan éthique et théorique, le retour du chercheur sur soi, sa réflexivité, est un impératif philosophique qui engage les deux champs.

    En troisième lieu, l’effort (épistémologique) de compréhension du monde des sujets implique la contextualisation (méthodologique) de ce monde, sa mise en valeur dans, et non en dehors de, toute sa complexité (théorique).

    En quatrième lieu, et sur un plan beaucoup plus concret: dans le contexte actuel de mondialisation des rapports économiques, politiques, technologiques et militaires, mondialisation des rapports de force contre «le terrorisme» ou contre «l’impérialisme», on ne peut plus faire l’économie des enjeux qui lient ou qui défont les rapports entre les populations de la planète. En d’autres mots, se pencher sur le phénomène d’intégration des immigrants dans un pays d’immigration, c’est inévitablement retourner au regard que les premiers portent sur les rapports du second avec leur milieu de départ.

    Ainsi, ontologiquement, il n’y a pas d’international sans l’interculturel, son pendant, ni d’interculturel sans l’international, son miroir. Par conséquent, nous pouvons traduire ces quatre lieux de rencontre à travers les éléments qui suivent, tels qu’illustrés par des auteurs ou des ouvrages que nous considérons communs et incontournables aux deux domaines:

    La prise en compte du contexte;

    la communication comme rituel;

    la figure de l’étranger et l’entre-deux thématique;

    la posture de l’ethnographe;

    l’être ici, l’être là-bas;

    les compétences des intervenants.

    2.1. LA FIGURE DE L’ÉTRANGER ET L’ENTRE-DEUX THÉMATIQUE

    Écrits par Alfred Schütz, respectivement en 1944 et 1945, L’Étranger et L’Homme qui rentre au pays sont deux essais fondamentaux à la compréhension de cette figure. L’immigrant, qu’était Schütz d’ailleurs depuis son exil d’Allemagne vers les États-Unis en 1940, est celui qui a été élevé dans un «modèle culturel» donné, «allant de soi», et qui, du jour au lendemain, doit tout remettre en question. C’est-à-dire, remettre en question toutes les «recettes» de la vie quotidienne qu’il a intériorisées et partagées avec les gens de sa terre natale.

    Mais, l’étranger n’est pas uniquement l’immigrant. Il est aussi l’exilé, le soldat, l’immigré, celui qui rentre au pays après plusieurs années d’absence. D’ailleurs, c’est ce qui rend ces deux essais pertinents dans les deux champs interculturel et international.

    Qu’il soit dans l’un ou l’autre cas, l’étranger est un individu dont le regard sur le monde qui l’entoure est neuf, distant et critique. Ainsi, Schütz évoque trois caractéristiques de l’étranger: son objectivité, l’ambiguïté et l’ambivalence de sa loyauté envers son milieu d’accueil (nouveau pour l’immigrant, ancien pour l’homme qui rentre au pays) et sa position d’entre-deux cultures. L’étranger a ainsi perdu ses repères, ses «recettes» d’antan et tente d’injecter son expérience passée aux repères et aux recettes du nouveau milieu. De là émergent son objectivité et sa distance critique face au monde qui l’entoure. L’étranger se laisse moins manipuler et conditionner par les idoles de la nouvelle tribu.

    L’immigrant est placé entre deux vies sociales différentes: il n’accepte pas la totalité du nouveau modèle culturel comme «attitude naturelle» et appropriée de vivre, mais ne peut adopter, dans sa totalité, le mode de son milieu d’origine. Souvent, s’il ne devient pas un être marginal, exclu de l’une et de l’autre culture, il devient un être hybride, un entre-deux, qui évolue à la frontière des deux.

    Quant à l’homme qui rentre au pays, on peut y retrouver les deux cas de figure inversés de l’immigrant: il ne reconnaît plus son milieu d’origine, en raison de son expérience de l’ailleurs, expérience à laquelle ses contemporains n’ont pas participé. Il ne le reconnaît pas non plus du fait que l’expérience de ses contemporains pendant son absence lui a aussi échappé. Ainsi, si l’immigrant doit s’attendre à être mal compris et à devoir appréhender la nouvelle culture avec ses propres recettes, l’homme qui rentre au pays, lui, doit s’attendre à replonger dans la familiarité. Il croit «retourner» chez lui, mais constate vite la rupture, la frontière expérientielle qui le sépare de ses anciens cadres culturels. Il n’a plus accès à ce «système de pertinences» des autres.

    Ce fut le cas d’Ulysse, tout comme c’est le cas du vétéran de guerre ou du soldat qui revient du front, souligne Schütz. C’est également le cas de l’immigrant qui revient dans son pays d’origine, ou celui qui revient dans sa ville ou village natal, après plusieurs années d’absence, ou encore celui qui revient dans son pays après un long séjour à l’étranger. Ils font tous face à la rupture de leurs cadres culturels et de la routine quotidienne.

    Goûter donc à l’étrangeté, aux ruptures des cadres et des systèmes de pertinence, dans un cas comme dans l’autre, fait partie des compétences essentielles à la compréhension de l’autre. Par ailleurs, cette rupture qui peut s’opérer dans des micromilieux étrangers au chercheur au sein même de sa propre société, a l’avantage de changer les perceptions de ce dernier qui verra la vie, la sienne et celle des autres, autrement.

    C’est ainsi que l’entre-deux thématique devient une plaque tournante pour les deux domaines de recherche: l’altérité, l’étrangeté et la figure de l’autre, soit-il un autre proche ou un autre lointain, font partie de cet entre-deux.

    L’Altérité constitue, pour ainsi dire, le noyau dur de tout questionnement interculturel et international. Car si dans la communication internationale l’autre désigne ceux et celles qui vivent dans un autre pays, il désigne, dans la communication interculturelle, des porteurs de cultures différentes en interaction au sein d’un même pays, d’une même société. Mais, et c’est là le nœud de notre argument, le mécanisme de construction de l’autre demeure le même dans les deux cas. Il repose sur l’imagination hostile ou affectueuse (sans juger de l’arrière-fond philosophique de cette hostilité ou de cette affection) déclenchée par la «découverte» de l’inconnu.

    En communication interculturelle, la figure emblématique de l’étranger prend surtout la forme de l’immigrant, traité sous plusieurs angles considérés séparément ou ensemble: celui qui a émigré de son pays d’origine, celui qui s’intègre à la société d’accueil ou celui qui retourne à l’occasion dans son pays natal. Il prend aussi, hélas, la figure de ses descendants, considérés comme des hybrides face à leur identité et dont l’angle de traitement est souvent celui de leurs allégeances ou conflits identitaires et culturels. Parallèlement, cette figure peut aussi être celle de l’enclavé qui passe de génération en génération dans son huis clos culturel, pas tout à fait immigrant ni complètement citoyen (aux yeux des autres), à la fois inclus et exclus.

    En communication internationale, la figure emblématique de l’étranger prend la forme de l’indigène, de l’autochtone que l’on voudrait découvrir, dont on souhaite scruter les conditions de vie, la culture, les problèmes d’ajustement face aux nouvelles technologies ou, la plupart du temps, ses réactions face aux changements, son (sous-) développement. Également, on peut vouloir examiner une petite communauté minoritaire dans ses relations avec la majorité ou l’État. C’est ainsi que le rôle et les actions des organismes locaux et internationaux, qu’ils soient gouvernementaux ou non, deviennent importants, sans transformer les enjeux de la communication internationale en enjeux de relations internationales.

    2.2. LA PRISE EN COMPTE DU CONTEXTE

    Depuis le développement des approches interprétatives, du paradigme de la complexité et l’avènement des approches systémiques, le contexte est devenu l’une des pierres d’assise des recherches qualitatives. Désormais, les objets de recherche, et à plus forte raison, les sujets de recherche, ne peuvent être approchés, appréhendés et compris sans le lien qu’ils tissent avec leur environnement, les éléments et les individus qui le composent.

    Dans le cas de l’immigration par exemple, il ne peut y avoir d’analogies dans l’étude de l’intégration en France et au Canada, entre un pays avec immigration et un pays d’immigration. Et, au sein du Canada, l’histoire, les politiques d’immigration, les débats linguistiques et les rapports fédéraux provinciaux font jaillir les particularités des processus d’intégration au Québec, et qui n’ont pas d’équivalents ailleurs. Être immigrant dans un Québec francophone animé par des débats linguistiques pré- et post-référendaires n’a pas la même valeur qu’en Ontario. Par conséquent, au changement de contexte un changement ou une

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