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Système scolaire franco-ontarien: D'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves
Système scolaire franco-ontarien: D'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves
Système scolaire franco-ontarien: D'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves
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Système scolaire franco-ontarien: D'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves

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About this ebook

Si de nombreuses publications traitent des pratiques dites « exemplaires » du système d’éducation scolaire franco-ontarien, force est d’admettre qu’aucune ne décrit en profondeur ses politiques, ses initiatives et les programmes mis de l’avant dans les dernières années.

Des données révèlent une augmentation du taux de diplomation des élèves du secondaire fréquentant un établissement francophone de la province. Ces résultats impressionnants sont attribuables aux politiques et aux programmes instaurés par le ministère de l’Éducation de l’Ontario, mais aussi à l’apport concerté des directions de conseil scolaire et d’école, du personnel enseignant, des professionnels, des parents et d’autres acteurs qui ont investi temps et énergie à la réussite de leurs jeunes. Tous avancent dans la même direction pour respecter les trois objectifs fixés au début des années 2000 par le Ministère : améliorer le rendement des élèves, réduire les écarts en matière de rendement et accroître la confiance du public. En 2014, son programme Atteindre l’excellence rappelle l’importance des trois objectifs et en fixe un quatrième : promouvoir le bien-être.

Plus de trente chercheurs et praticiens du domaine de l’éducation décrivent et analysent, dans le présent ouvrage, les politiques et les programmes qui ont fait la réputation du système scolaire ontarien, et ce, en les mettant en relation avec la situation de valorisation culturelle et linguistique (soit un contexte francophone « minoritaire ») dans laquelle évolue ce système scolaire. Les auteurs souhaitent que la lecture de ce livre soit enrichissante, voire mobilisatrice, et qu’elle stimule la mise en place de nouvelles pratiques permettant de développer davantage le plein potentiel de tous les élèves.
LanguageFrançais
Release dateNov 14, 2018
ISBN9782760549319
Système scolaire franco-ontarien: D'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves

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    Book preview

    Système scolaire franco-ontarien - Claire IsaBelle

    INTRODUCTION

    ¹

    CLAIRE ISABELLE

    Dans cet ouvrage, nous retrouvons 4 axes chapeautant 16 chapitres rédigés par des praticiens ainsi que des chercheurs d’université engagés pour faire connaître le système scolaire franco-ontarien.

    Quatre chapitres composent l’axe 1 «Contexte de l’école de langue française en Ontario». Le premier chapitre de Paul François Sylvestre et Stéphane Lévesque retrace avec précision l’historique de nos écoles de langue française et dresse un portrait de celles d’aujourd’hui. Les auteurs rappellent l’interdiction d’enseigner le français du Règlement 17 de 1912. Depuis, les Franco-Ontariens se démarquent par le succès incontestable de leur système d’éducation.

    Dans le chapitre 2, Diane Gérin-Lajoie expose la Politique d’aménagement linguistique de l’Ontario pour l’éducation en langue française de 2004 et apporte un regard englobant de la notion d’identité dans le contexte scolaire francophone en Ontario. Elle souligne l’importance «d’amener les élèves des écoles de langue française à partager une vision commune de la Francophonie en développant chez ces jeunes le sens d’appartenance à la communauté éducative d’abord, pour les amener par la suite vers une plus grande appartenance à la communauté francophone dans son sens large». Pour y arriver, les intervenants scolaires de tous les niveaux et de tous les milieux doivent collaborer. Le troisième chapitre, rédigé par André Samson, révèle des résultats fort pertinents de son étude quantitative menée auprès d’élèves d’école de langue française de 12e année, portant sur le lien entre la perception de leur identité culturelle et leur identité vocationnelle. Le quatrième chapitre porte sur l’École communautaire citoyenne. Hélène Martineau Vachon y décrit ce projet rassembleur initié, entre autres, par la Fédération nationale des conseils scolaires francophones. Même si le projet de l’École communautaire citoyenne demeure peu connu, l’auteure soulève qu’il a le potentiel de favoriser des apprentissages chez les élèves par la reconnaissance de leur identité ainsi que de mobiliser et de conscientiser les acteurs de l’éducation aux enjeux reliés aux communautés francophones vivant en contexte de valorisation culturelle et linguistique, soit, mais aussi celles du Québec.

    Dans l’axe 2 «Politiques et programmes des écoles ontariennes», trois chapitres abordent les principales politiques et les programmes des écoles élémentaires et secondaires.

    Au chapitre 5, France Nicolas et Ann Robichaud-Gagné présentent avec finesse le tout nouveau Programme de la maternelle et du jardin d’enfants (2016). Ce programme vise, entre autres, le développement global de l’enfant et des apprentissages axés sur le jeu. Dans le chapitre 6, ne pouvant exposer toutes les Politiques liées à école élémentaire de la 1re à la 6e année, Claire IsaBelle s’attarde sur certaines; certaines connues, d’autres à découvrir. Dans la même foulée, le chapitre 7, rédigé par Paulette Rozon, Rodney Leurebourg et Irène Charette, expose différentes Politiques des écoles secondaires. Pour ces auteurs, ce fut une lourde tâche de sélectionner les Politiques à analyser dans le cadre de ce collectif. Ils ont réussi avec brio à mettre en exergue les Politiques les plus importantes.

    L’axe 3 «Initiatives dans les écoles de langue française en Ontario» propose six chapitres. Le chapitre 8 combine les forces d’acteurs-clés des différents paliers du système d’éducation en Ontario: Éliane Dulude, Claire IsaBelle, Guy Dubois, Édith Dumont, Roxane Lamothe et Ruth Swan, et présente une initiative ministérielle phare: la Stratégie ontarienne en matière de leadership. Les auteurs exposent d’abord les résultats d’études des 30 dernières années quant aux défis de la mise en place de réformes éducatives à grande échelle et les résultats d’études sur les caractéristiques et pratiques des leaders scolaires et du système qui favorisent la réussite des élèves. Au regard de ces résultats, les auteurs exposent et commentent la Stratégie ontarienne en matière de leadership. Un chapitre riche en contenu par les commentaires de ses praticiens.

    Le chapitre 9, rédigé par Claire IsaBelle et Sylvie Rochon, relate les premiers pas de la mise en place des communautés d’apprentissage professionnelles et les recherches actuelles sur ce mode de fonctionnement. Dans les études menées au sein des écoles de l’Ontario, aucun participant qui travaille en communauté d’apprentissage professionnelle ne remet en question les bénéfices de ce mode de fonctionnement pour les élèves et le personnel enseignant.

    Dans le chapitre 10, Carole Fleuret, Francis Bangou et Chantal Fournier analysent deux programmes phares pour favoriser l’inclusion des jeunes issus de l’immigration: le programme d’actualisation linguistique et le programme d’appui aux nouveaux arrivants. Ils proposent une analyse critique et constructive de ces programmes. Le chapitre 11 de Claire IsaBelle et René Chiasson touche la délicate mais essentielle relation école-famille-communauté pour favoriser la réussite des jeunes. Les auteurs exposent les Politique/Programmes du ministère de l’Éducation, les principaux modèles théoriques, les facteurs qui encouragent cette relation et présentent des résultats d’études menées sur le sujet au niveau national et plus particulièrement en Ontario. Un chapitre fort documenté. Au chapitre 12, une initiative originale des 12 conseils scolaires franco-ontariens, le Consortium d’apprentissage virtuel de langue française de l’Ontario (CAVLFO), est présentée par Emmanuel Duplàa, Claire IsaBelle et Paul Lachance. Voici une belle façon de s’adapter aux différentes méthodes d’apprentissage des jeunes pour les encourager à obtenir leur diplôme d’études secondaires de l’Ontario. Finalement, le chapitre 13 expose une pratique utilisée à l’École élémentaire catholique Bernard-Grandmaître: le calendrier équilibré. Lisa Samrai, directrice adjointe de l’école, et Jean Al Alam exposent l’origine du calendrier équilibré, ses bienfaits, ses défis ainsi que les résultats de leur étude sur les effets de l’utilisation de ce type de calendrier selon la perception des élèves, du personnel enseignant et des parents. Une rare étude menée sur ce sujet.

    Trois chapitres honorent l’axe 4 «Organismes régulateurs et programme d’insertion professionnelle». Dans le chapitre 14, Gonzague Yerly et Dany Laveault analysent le rôle majeur de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation. De plus, des résultats intéressants de leur étude sont exposés. Pour contrer le décrochage professionnel des nouveaux enseignants, le ministère de l’Éducation a mis en place le Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant. Les professeures Nathalie Gagnon et Claire Duchesne en analysent, dans le chapitre 15, les composantes et admettent à partir des résultats de leur étude son efficacité pour contrer, entre autres, le décrochage des nouveaux membres du personnel enseignant. Dans le chapitre 16, Claire IsaBelle et Roch Gallien décrivent l’origine, le mandat et les principales responsabilités de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. D’ores et déjà, l’Ordre fête ses 20 ans! Si aucune étude ne peut établir un lien entre la création d’un ordre professionnel du personnel enseignant et la réussite scolaire des élèves, force est d’admettre, comme le soulèvent les auteurs, que l’Ordre encourage la professionnalisation des enseignants de l’Ontario ainsi que la confiance du public en son système d’éducation.

    Finalement, nous retrouvons, dans l’annexe A de l’ouvrage, deux témoignages reflétant le combat pour étudier et travailler en français de deux Franco-Ontariens. «Le petit poucet franco-ontarien devient doyen de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa» de Raymond LeBlanc ainsi que «Mon cheminement en tant que francophone aux quatre coins de l’Ontario» de Jean-François Boulanger. Ces auteurs, fiers de leur langue et de leur culture, nous livrent des témoignages succincts et touchants.

    Nous souhaitons plus que tout que la lecture de cet ouvrage soit profitable, enrichissante, voire mobilisatrice pour la mise en place de nouvelles pratiques permettant d’encourager davantage le plein potentiel de tous les enfants. A fortiori, qu’il favorise la réussite globale de tous les enfants, du personnel enseignant et de gestion, des parents ainsi que des membres de la communauté.

    1.Dans le présent ouvrage, le masculin englobe les deux genres et est utilisé pour alléger le texte.

    CHAPITRE 1

    Historique des écoles de langue française en Ontario

    PAUL-FRANÇOIS SYLVESTRE STÉPHANE LÉVESQUE

    Octobre 2016 a marqué le 230e anniversaire de la première école en Ontario, une école entièrement de langue française. Les écoles franco-ontariennes comptent donc plus de deux siècles d’histoire. D’octobre 1786 à nos jours, divers règlements, lois, crises scolaires et associations d’éducation ont jalonné le parcours de nos écoles de langue française. Ce chapitre se veut une mise en perspective de l’évolution de l’éducation en Ontario français.

    1.1.La présence française dans les «Pays-d’en-Haut»

    Il importe d’abord de situer le contexte de la première école de langue française en Ontario. L’explorateur Antoine Laumet, sieur de Lamothe Cadillac, fonde le fort Pontchartrain le 24 juillet 1701. En plus d’arriver avec 50 soldats, il amène avec lui 50 colons, qui s’établissent des deux côtés de la rivière Détroit (les villes actuelles de Détroit et de Windsor). Ces colons français fondent les premières familles sur le territoire des Pays-d’en-Haut et la mission des jésuites deviendra ainsi la première paroisse de l’Ontario, celle de l’Assomption (1767). C’est dans cette petite communauté que la première école de l’Ontario verra le jour.

    Il y a eu cependant quelques tentatives d’éducation en Ontario avant cette date, sous le régime français. Les missionnaires jésuites se sont établis au cœur de la Huronie vers 1634 afin d’évangéliser les Hurons (ou Wendats). Le père Jérôme Lalemant écrit, dans la Relation des Jésuites de 1639, que les Jésuites tiennent dans leur maison une «petite escole pour les enfans» des Hurons-Wendat convertis (Centre de recherche en civilisation canadienne-française [CRCCF], 2004)¹. Ils leur enseignent les bases du catéchisme et de l’histoire sainte. Il est difficile de prouver par les textes que les Jésuites enseignent la langue française aux Hurons-Wendat. En effet, les Jésuites cherchent avant tout à évangéliser les Autochtones directement dans la langue huronne. Les historiens s’entendent pour dire que ce premier projet d’éducation en Ontario s’est soldé par un échec.

    Dans les années 1670, l’intendant Jean Talon et le gouverneur Louis Buade de Frontenac permettent à René-Robert Cavelier de La Salle d’ériger un fort à Cataracoui (Kingston). Construit en 1676, le fort Frontenac attire plusieurs Autochtones qu’on tente de sédentariser en leur apprenant, entre autres, les rudiments de l’agriculture. Dans un mémoire de 1677, La Salle mentionne que les Récollets instruisent les enfants autochtones «à la française» et qu’ils leur ont fait construire une maison pouvant servir d’école (CRCCF, 2004)². Dans un autre témoignage d’époque, le missionnaire Louis Hennepin note que les Récollets obligent les enfants autochtones à converser fréquemment avec les petits Français. Ainsi, les uns et les autres s’enseignent mutuellement leur langue maternelle. Cependant, l’entreprise ne connaît pas de succès³.

    À la suite de la Conquête de 1760 et de l’instauration du régime britannique, les familles francophones établies sur le territoire de l’actuel Ontario sont trop peu nombreuses et trop pauvres pour pouvoir soutenir des écoles. Les parents les mieux nantis préfèrent envoyer leurs enfants dans les collèges et les couvents de Montréal ou de Québec.

    1.2.La première école en Ontario est francophone

    En 1785, l’abbé Jean-François Hubert est nommé évêque coadjuteur de Québec. Puisque ce dernier a déjà été curé de la paroisse de L’Assomption (Windsor), l’un de ses premiers gestes consiste à envoyer des institutrices de Québec à son ancienne paroisse du sud de l’Ontario.

    FIGURE 1.1

    Mgr Jean-François Hubert

    Source: Université de Montréal, Division des archives (P00581FP06672).

    Deux jeunes filles, des noms d’Adémard et de Papineau, arrivent en octobre 1786 et inaugurent la première école de l’Ontario financée par les deniers de la paroisse. Dans une lettre en date du 24 août 1787, le curé de l’Assomption, François-Xavier Dufaux, écrit à l’évêque Mgr Jean-François Hubert pour lui dire qu’il a ouvert l’école paroissiale et installé les deux enseignantes: «Cette petite maison leur sert ainsi qu’à leurs pensionnaires de dortoir. La salle commune des habitants leur sert d’école; elles ont huit pensionnaires et cinq externes» (Lajeunesse, 1960, p. 296).

    Le 22 août 1790, Dufaux écrit de nouveau à Mgr Hubert pour lui signaler que «le zèle, les soins et les travaux de Mlle Papineau y seront longtemps reconnus; sa conduite honnête et chrétienne aussi que celle de Mlle Adhemar ne peuvent donner lieu à la critique des honnêtes gens, elles en sont estimées» (Lajeunesse, 1960, p. 300).

    Cette correspondance atteste que la première école en Ontario aura duré au moins quatre ans. L’historien Robert Choquette (1980, p. 150) confirme que «quoique fondée sous le régime britannique, la première école de l’Ontario est [...] une école française». Cette école est bien entendu privée puisque l’État n’interviendra pas directement dans le domaine de l’éducation de la colonie du Haut-Canada (Ontario) avant 1797. Ce sera de façon très modeste pour favoriser la création de grammar schools, sorte d’écoles secondaires de district. Le résultat de cette première tentative du nouveau lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe demeure piètre puisqu’il n’y a que huit grammar schools en 1807, vingt en 1829. Les élèves ont entre 5 et 17 ans et l’enseignement se donne le plus souvent par un ministre du culte anglican. Ces écoles ne sont pas vraiment de niveau secondaire car, des 280 élèves inscrits en 1829, 60 apprennent encore à lire et à écrire, 112 étudient la grammaire et l’arithmétique, 108 commencent leur cours secondaire en étudiant le latin (Hope et al., 1950, p. 12).

    Suivant la loi de 1797 sur les grammar schools, le Haut-Canada adopte la loi des common schools en 1816. Ces «écoles communes» sont le plus souvent des écoles élémentaires, mais à peine 50% des enfants d’âge scolaire les fréquentent. Peut-être est-ce en raison du «deux poids, deux mesures» dont fait preuve le gouverneur en conseil qui ne donne que 2$ par enfant inscrit à une école commune, comparativement à 18$ par enfant inscrit à une grammar school? Selon Robert Gourlay, premier statisticien de l’époque, ce déséquilibre fait en sorte qu’il en coûtait pas moins de 10$ par enfant pour une année scolaire, ce que peu de parents de l’époque pouvaient payer (Gourlay, 1822, p. 354).

    Chose importante à noter, la loi des common schools de 1816 est basée sur le principe de gestion locale. C’était donc les commissaires d’école qui embauchaient les enseignants. Par le fait même, la langue d’enseignement dans une école de l’Ontario était, jusqu’à la fin du XIXe siècle, tributaire de la langue de l’enseignante ou de l’enseignant. Dans l’Est ontarien, par exemple, il est possible d’ouvrir des écoles gaéliques alors que les mennonites de langue allemande fondent leurs écoles dans la région de Waterloo. Dans plusieurs régions, le français est sur le même pied que l’anglais, l’allemand ou même le gaélique. À l’école de Sandwich (Assomption), on parle davantage le français que l’anglais en 1830. Une école privée à Kingston s’affirme comme bilingue en 1807; on y admet même gratuitement à de rares occasions «quelques élèves en plus de ceux qui avaient droit à ce privilège d’après la loi» (Godbout, 1972, p. 88).

    Durant les 50 années qu’il vécut sous l’Acte constitutionnel (1791-1841), le Haut-Canada est sans cesse le théâtre de luttes virulentes entre l’Assemblée législative et le Conseil exécutif nommé par le lieutenant-gouverneur. Comme le souligne l’historien Arthur Godbout (1980, p. 37), «de 1816 à 1840, il y eut beaucoup plus de discussions que de réalisations en fait d’éducation». Le législatif et l’exécutif accouchèrent d’excellents projets de loi relatifs au bon fonctionnement des écoles, mais tous restèrent en plan. Un fait demeure cependant: les jeunes francophones de l’Ontario ne souffrirent pas plus du manque d’écoles que les jeunes anglophones au cours des 25 années qui précédèrent l’Acte d’union des deux colonies du Canada.

    Le 31 mars 1838, Londres nomme John George Lambton, comte de Durham, au poste de gouverneur en chef du Haut et du Bas-Canada. Il a pour mission de faire enquête sur tous les aspects des affaires publiques notamment à la suite des Rébellions de 1837-1838. Dans son controversé rapport de 1839, Durham fustige les dirigeants des colonies pour leur inertie face à l’ignorance généralisée de la jeune génération. Il écrit: «Même dans les districts les plus populeux, il n’y a que peu d’écoles, et celles-là d’une qualité très inférieure; dans les endroits de colonisation les plus reculés, on n’en retrouve pratiquement pas» (Durham, 1839, cité dans Godbout, 1980, p. 37). La situation est encore plus critique chez les Canadiens français que Durham considère comme un peuple sans histoire et sans littérature: «Il est impossible d’exagérer leur manque d’instruction; aucun moyen d’instruction n’a jamais été prévu pour eux et ils sont presque tous dépourvus au point qu’ils ne savent ni lire ni écrire» (Durham, 1839, cité dans Charland, 2000, p. 28-29). Fortement imbu de l’impérialisme britannique, Durham recommande la réforme du système d’éducation et l’anglicisation des Canadiens français par la voie d’écoles publiques. Durham propose aussi de nommer un surintendant des écoles. Le rapport Durham conduira à la création du Canada-Uni en 1840.

    Lors de la première Assemblée législative du Canada-Uni, le projet de loi scolaire soumis par Lord Sydenham est adopté (18 septembre 1841). La loi s’applique tant au Canada-Est (Québec) qu’au Canada-Ouest (Ontario). Les protestants du Canada-Est réussissent à faire ajouter une clause selon laquelle des citoyens de foi religieuse autre que celle de la majorité puissent élire leurs propres commissaires d’école et puissent établir des écoles aux mêmes conditions que celles étant publiques. Cette clause sert les catholiques du Canada-Ouest (Ontario) et demeure la pierre angulaire de la législation ontarienne sur les écoles dites «séparées» (confessionnelles).

    1.3.Le rôle du surintendant Egerton Ryerson

    La nouvelle loi scolaire de 1841 prévoit la nomination d’un surintendant de l’instruction publique par le gouverneur en conseil. Or, devant l’impossibilité de nommer rapidement un fonctionnaire satisfaisant à la fois les franco-catholiques et les anglo-protestants, le nouveau gouverneur Charles Bagot opte pour une solution à tout le moins inusitée: il procède à la nomination de trois personnes au poste, soit surintendant appuyé par deux assistants (un assistant pour le Canada-Est et un assistant pour le Canada-Ouest). Cet arrangement purement canadien satisfait les parties. Après une brève période sous Robert Murray, c’est Egerton Ryerson, un pasteur méthodiste de famille loyaliste, qui prend la relève du poste d’assistant au surintendant pour le Canada-Ouest en 1844.

    Deux ans plus tard, la loi scolaire des common schools de 1846 centralise le système des écoles en Ontario pour ainsi favoriser les réformes: règlements, programmes, manuels, formation et certification des enseignants, inspecteurs, tout est contrôlé par Toronto.

    Egerton Ryerson, qui jouit dorénavant du titre de surintendant, n’a aucune réserve à l’égard de l’enseignement du français (ou de l’allemand) dans les écoles ontariennes. Le règlement prévoit qu’on peut substituer le français ou l’allemand à l’anglais et accorder des certificats en conséquence si on le demande. Bien que l’anglais soit la langue dominante, on n’impose pas d’embaucher un professeur d’anglais dans les localités où la majorité des habitants et des conseillers sont français ou allemands. Selon Robert Choquette (1980, p. 159), «les Franco-Ontariens ne font donc pas l’objet de discrimination linguistique dans la loi scolaire de l’Ontario du dix-neuvième siècle». D’ailleurs, Ryerson lui-même affirma lors d’un conflit linguistique dans le comté de Glengarry:

    Comme la langue française est reconnue dans ce pays aussi bien que la langue anglaise, il est tout à fait concevable et légitime que les membres du conseil scolaire permettent l’enseignement scolaire dans ces deux langues dont les parents désirent qu’ils les apprennent toutes les deux (Gaffield, 1993, p. 31).

    FIGURE 1.2

    Egerton Ryerson

    Source: Canadian Heritage Gallery (no 20128).

    La loi scolaire de 1846 donne un véritable coup de pouce aux écoles franco-ontariennes à Bytown (Ottawa), où les Sœurs Grises (aujourd’hui les Sœurs de la Charité d’Ottawa) arrivent en 1845, puis dans l’Est ontarien où elles rayonnent à partir de 1848. La première école à Bytown est bilingue (1845), mais les autres seront françaises puisque la loi le permet. Les Sœurs de Saint-Joseph (Toronto), les Frères des Écoles chrétiennes (Est ontarien), les Sœurs de Saints Noms de Jésus et de Marie (Windsor), les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame (Kingston et Ottawa) vont rapidement leur emboîter le pas. Il faut préciser ici que les évêques du Canada français sont de véritables recruteurs de communautés religieuses; c’est notamment le cas de Mgr Joseph-Eugène-Bruno Guigues, O.M.I. (Ottawa, 1847-1874), de Mgr Armand-François-Marie de Charbonnel (Toronto, 1850-1860) et de Mgr Pierre-Adolphe Pinsoneault (London, 1856-1866). Certains peuvent compter sur l’appui de confrères québécois tels que Mgr Ignace Bourget et Mgr Jean-Jacques Lartigue, de Montréal.

    1.4.La contribution herculéenne des communautés religieuses

    En matière d’éducation, il n’est pas exagéré de parler de «la contribution herculéenne des Pères, Frères et Sœurs au développement moral, intellectuel, social et culturel des Franco-Ontariens» (Sylvestre, 1984, p. 8). Au total, 25 congrégations de Pères (5), de Frères (4) et de Sœurs (16) ont dispensé un enseignement en français en Ontario (voir l’annexe 1.1). Les Oblats arrivent à Bytown (Ottawa) en 1844, suivis des Sœurs de la Charité d’Ottawa en 1845. Les premiers fondent un collège, les secondes ouvrent une école bilingue. Par la suite, ce sera un feu roulant de Pères, Sœurs et Frères enseignants qui fonderont ou dirigeront des écoles, collèges, académies, pensionnats, juvénats et petits séminaires (annexe 1.1).

    1.5.Le Règlement 17

    Egerton Ryerson tire sa révérence lorsque le ministère de l’Éducation de l’Ontario est créé en 1875. Sous Ryerson et son Conseil de l’instruction publique, «on admettait que tout se passe, dans les écoles françaises, comme dans les écoles du Bas-Canada et de France» (Godbout, 1980, p. 49). La haute main de Ryerson sur le système scolaire ontarien et sa tolérance face à la communauté francophone n’empêchaient pas les Orangistes antifrançais de s’en prendre aux écoles francophones. Pris entre deux feux, le nouveau ministère de l’Éducation, sous l’influence de George W. Ross, décide d’imposer l’enseignement de l’anglais dans les écoles de langue française à partir de 1885, bien que le gouvernement d’Olivier Mowat, assez libéral sur cette question, ait prévu une clause permettant l’enseignement du français pour les enfants ne maîtrisant pas la langue anglaise. Cela dit, en aucun cas l’étude du français ne devait nuire à celle de l’anglais. Ross lui-même soutient que les francophones «entourés par une majorité anglophone envahissante, s’angliciseraient au contact des instituteurs et des institutions anglaises et qu’ainsi se produirait une révolution sociale sans qu’il y ait mécontentement ni agitation» (Gaffield, 1993, p. 36).

    À partir de 1880, des journaux ontariens tels que le Toronto Globe et The Mail publient régulièrement des articles francophobes. En septembre 1882, le Toronto Globe attribue l’obscurité politique de l’Est ontarien conservateur au nombre croissant d’immigrants canadiens-français dans la région. Le quotidien torontois The Mail fait carrément montre de francophobie et de xénophobie lorsqu’il parle des écoles canadiennes-françaises de l’Est ontarien. Voici ce que The Mail écrivait en 1886:

    Le régime adopté dans les écoles de Russell et de Prescott empêche la jeune génération de s’élever au-dessus du niveau intellectuel de l’habitant moyen du Bas-Canada; et si on laisse continuer cet état de choses, les comtés de l’Est sont condamnés avant longtemps à devenir, sur la carte de l’intelligence, un point aussi obscur que n’importe quelle partie du Québec (Choquette, 1980, p. 171).

    C’est donc dans ce contexte de tensions linguistiques que le gouvernement de l’Ontario passera finalement à l’offensive. Le chef du parti libéral, Oliver Mowat, quitte la politique et c’est le conservateur James Pliny Whitney qui devient premier ministre en 1905, puis de nouveau en 1911. Depuis quelques années déjà, les conservateurs critiquent la politique linguistique du ministère de l’Éducation jugée inefficace. Le clergé anglophone – notamment l’évêque de London, Mgr Michael Francis Fallon, O.M.I. – exerce lui aussi des pressions pour éliminer les écoles bilingues de la province. C’est que les catholiques irlandais craignent que l’existence des écoles bilingues ne mette en péril le système des écoles séparées dont ils sont les bénéficiaires. Whitney attaque le 13 avril 1912. Le premier ministre annonce à l’Assemblée législative la nouvelle politique scolaire de son gouvernement en ces termes:

    L’enseignement en anglais devra commencer dès l’entrée d’un enfant à l’école, l’usage du français langue d’instruction et de communication variant selon les circonstances locales [...] mais ne devant en aucun cas se poursuivre au-delà de la première classe (Choquette, 1980, p. 183).

    Il faut préciser, ici, que «première classe» inclut les première et deuxième années du cours primaire. Quelque deux mois après l’annonce de Whitney, soit le 25 juin 1912, le ministère de l’Éducation émet l’infâme circulaire no 17 qu’on appelle communément le «Règlement 17». Cette circulaire précise que l’enseignement du français est permis environ une heure par jour, que le français comme langue de communication est limité aux premières années seulement et qu’il y a un double inspectorat pour les écoles anglo-françaises (un inspecteur francophone et un inspecteur anglophone qui ont autorité l’un sur l’autre). À noter que pour les écoles où la principale langue d’enseignement est le français, on parle d’écoles «anglaises-françaises».

    1.5.1.Résistance au Règlement 17

    La réaction est immédiate; c’est la contestation, le refus de se soumettre, la montée aux barricades. Fondée en 1910, l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFÉO) prend la tête du mouvement. Une résistance héroïque s’exerce alors dans plusieurs communautés, à Ottawa bien entendu, mais également à Pembroke, Green Valley et Windsor. Selon l’historien Robert Choquette, il y aurait eu 190 écoles dites «bilingues» qui ont refusé de se soumettre au Règlement 17⁴. De ce fait, elles n’étaient plus admissibles aux subventions provinciales.

    Comme le Conseil des écoles séparées d’Ottawa, sous la présidence de Samuel Genest, continue d’embaucher des institutrices capables d’enseigner en français, le gouvernement ontarien décide en 1915 de le remplacer par ce qu’on a appelé la «Petite Commission»; il nomme les trois membres: D’Arcy Mc Gee, Dennis Murphy et Arthur Charbonneau. La Petite Commission est anglophone dans un rapport de 2 contre 1, alors que les contribuables des écoles séparées d’Ottawa sont francophones dans la même proportion.

    L’année 1916 commence avec un grand coup d’éclat à l’école Guigues de la rue Murray à Ottawa. Chassées de leur école par la Petite Commission, les sœurs Diane et Béatrice Desloges avaient ouvert une école indépendante à quelques rues de là dans la chapelle Notre-Dame du Sacré-Cœur. Le matin du mardi 4 janvier 1916, les mères des élèves de l’école indépendante ordonnent à leurs enfants de reconduire les deux enseignantes à l’école Guigues. Le groupe réussit à reprendre l’école et à chasser les membres de la Petite Commission dont le bureau est situé dans l’école. Armées de ciseaux et d’épingles à chapeau, elles montent la garde à l’entrée.

    FIGURE 1.3

    Règlement 17

    Source: Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Association canadienne-française de l’Ontario (C2), C2/82/7.

    Puis, coup de théâtre en novembre 1916: le Conseil privé de Londres déclare la Petite Commission illégale. Le Conseil des écoles séparées d’Ottawa peut reprendre ses activités normalement. Samuel Genest décide de payer les salaires en retard que le Conseil devait à ses enseignants. Cependant, des contribuables anglo-catholiques intentent une poursuite judiciaire contre Genest afin de le faire emprisonner. Mais l’intervention inopinée du pape Benoît XV, qui défend aux catholiques de l’Ontario de se poursuivre entre eux pour des questions de langue, met un terme aux procédures judiciaires. Le Conseil des écoles séparées d’Ottawa va continuer à s’opposer au Règlement 17 jusqu’à son retrait en 1927.

    1.5.2.Green Valley

    C’est à l’école Guigues que la résistance a été le plus dramatique, mais la première école libre établie pour résister au Règlement 17 apparaît à Green Valley, petit village à majorité canadienne-française du comté de Glengarry, dans le diocèse d’Alexandria. L’école séparée de Green Valley est alors fréquentée par 41 élèves francophones et 18 élèves anglophones. En 1914, la commission scolaire décide d’embaucher Léontine Sénécal pour qu’elle enseigne en français.

    FIGURE 1.4

    Les gardiennes de l’école Guigues d’Ottawa en 1916

    Source: Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Association canadienne-française de l’Ontario (C2), Ph2-954. Reproduit des Archives municipales de la Ville d’Ottawa.

    Cependant, un contribuable anglophone poursuit en justice les deux commissaires francophones. Le plaignant soutient que l’enseignante a été embauchée illégalement et souligne qu’elle n’a pas le brevet requis et, surtout, qu’elle enseigne le français. Un bref d’injonction interdit aux commissaires d’embaucher une enseignante bilingue. Néanmoins, les commissaires francophones embauchent une nouvelle enseignante bilingue, soit Florence Quesnel. En janvier 1916, les commissaires Médéric Poirier et Jean Ménard sont reconnus coupables d’avoir versé un salaire à Florence Quesnel pour enseigner le français.

    En protestation contre le Règlement 17, les deux commissaires préfèrent aller en prison plutôt que de payer l’amende. L’affaire révolte les parents francophones qui décident d’établir une école libre, l’École du Sacré-Cœur. Financée par les parents francophones de Green Valley et par l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario, l’école libre de Green Valley existera jusqu’à ce que la commission des écoles séparées accepte d’établir des classes bilingues, quelques années après la résolution du Règlement 17, en 1927.

    1.5.3.Pembroke

    Un autre haut lieu de résistance est Pembroke, dans le comté de Renfrew. En septembre 1923, la commission des écoles séparées ouvre une nouvelle école à l’ouest de la ville. Les contribuables francophones croyaient que l’école compterait un nombre suffisant d’enseignants francophones puisqu’au moins deux tiers des élèves étaient canadiens-français. Mais à la rentrée des classes, le personnel enseignant ne compte dans ses rangs qu’une seule enseignante francophone, Jeanne Lajoie, 24 ans, originaire de Lefaivre (Est ontarien).

    FIGURE 1.5

    Jeanne Lajoie

    Source: Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Paroisse Saint-Jean-Baptiste de Pembroke (C27), Ph25-2.

    Son embauche a pour effet de créer un froid entre elle et les Sœurs de Saint-Joseph qui dirigent l’école. Le conseil scolaire la remplace alors par une sœur enseignante anglophone qui ne parle pas le français.

    Les parents demandent au conseil scolaire, puis aux autorités religieuses du diocèse de rétablir Jeanne Lajoie dans ses fonctions. Leur requête reste vaine; on leur refuse le droit à tout enseignement en français. Le Cercle Lorrain, association nationaliste, crée une école libre avec Jeanne Lajoie comme enseignante. L’École Jeanne D’Arc accueille d’abord une cinquantaine d’élèves, puis déménage dans un édifice pouvant contenir deux salles de classe. L’école libre de Pembroke est fréquentée par tout près de 100 élèves. Jeanne Lajoie y enseigne sans salaire et consacre ses étés à collecter des fonds pour maintenir l’école ouverte. L’exploit de Jeanne Lajoie se répand comme une traînée de poudre et elle devient rapidement une héroïne aux yeux de ses compatriotes à travers le Canada français⁵. Elle enseigne jusqu’en 1926. En septembre 1927, le conseil scolaire de Pembroke consent à embaucher des enseignantes francophones et à ouvrir quatre classes réservées aux élèves francophones. De santé fragile, Jeanne Lajoie quitte la région et entre dans un sanatorium du Québec où elle meurt quelques mois plus tard.

    1.5.4.Windsor

    Les francophones du sud de l’Ontario vivent dans un milieu largement anglodominant, mais la résistance au Règlement 17 se fait également sentir au sein des communautés comme à Windsor (Cecillon, 2013). Comme les écoles soutenues par leurs deniers renient les aspirations des francophones, ils ouvrent une école libre en septembre 1922, sous la direction de Phélonise Charlebois, venue de Bourget (Est ontarien). On la nomme naturellement la «Pucelle de Windsor». L’école accueille 35 élèves à la rentrée et une vingtaine de plus à la fin de l’année scolaire. En septembre, pour accommoder les 105 jeunes inscrits, on construit une plus vaste école. Les parents déboursent en moyenne 2$ par mois, plus leur impôt régulier pour l’autre école devenue anglaise. L’École Jeanne d’Arc connaît un tel succès qu’il faut ouvrir une seconde école libre en septembre 1924, dans une maison offerte gratuitement par Stanislas Janisse. L’école prend le nom de Saint-Stanislas.

    1.5.5.Vers une résolution du conflit: Unity League of Ontario et Commission Scott-Merchant-Côté

    La lutte contre le Règlement 17 n’est pas uniquement menée par les Canadiens français de l’Ontario. Il se trouve des anglophones et non-catholiques qui appuient les revendications des Franco-Ontariens. Parmi ces Anglo-Ontariens, on trouve William Moore, auteur de The Clash: A Study in Nationalities (1918); Arthur Hawkes, auteur de The Birthright (1919); Percival Fellman Morley, auteur de Bridging the Chasm: A Study of the Ontario-Quebec Question (1919); et James L. Hughes, ancien inspecteur général des écoles. Le sénateur libéral Napoléon-Antoine Belcourt est en contact avec eux et, ensemble, ils fondent l’Unity League of Ontario en 1921. Au dire de l’historien Robert Talbot (2007), le but principal de cette ligue est l’abrogation pure et simple du Règlement 17. Talbot décrit l’Unity League of Ontario de la façon suivante:

    En 1923, la ligue comptait quelque 150 membres. Tous, sauf un, étaient des anglophones d’une confession autre que catholique. Elle était composée [...] de représentants de toutes les sectes religieuses et de tous les partis politiques [...] Fait révélateur, l’ULO comptait parmi ses membres un certain nombre de personnes qui avaient œuvré au sein de la Better Understanding Association et de la Bonne Entente (Talbot, 2007, p. 100).

    Quand Talbot note que tous les membres de l’Unity League of Ontario étaient anglophones et non catholiques, sauf un, il se réfère bien entendu à Napoléon-Antoine Belcourt. Formée d’intellectuels, de journalistes et de professeurs reconnus, l’Unity League va permettre aux éducateurs franco-ontariens d’exposer leurs principes pédagogiques auprès des anglophones de l’Ontario et du Canada. Avec l’appui de dirigeants francophones, elle va peu à peu sensibiliser le gouvernement ontarien aux justes revendications des Canadiens français de la province. Elle publie même un manifeste prenant la défense des Franco-Ontariens. De leur côté, les leaders franco-ontariens multiplient les stratégies diplomatiques pour trouver une solution négociée au conflit scolaire qui perdure.

    En octobre 1925, le premier ministre Howard Ferguson nomme une commission d’enquête sur les écoles bilingues de l’Ontario. Francis Walter Merchant avait fait une étude en 1912 et son rapport avait été plutôt critique à l’endroit de l’enseignement de l’anglais dans les écoles dites «anglaises-françaises». Pour cette seconde enquête, Merchant est accompagné du juge J. H. Scott et de l’avocat Louis Côté d’Ottawa. Ils visitent 330 écoles et découvrent, entre autres, que l’enseignement de l’anglais est satisfaisant.

    Le vent tourne le 22 septembre 1927. Le gouvernement accepte les recommandations de la Commission Scott-Merchant-Côté et modifie le Règlement 17:

    —le français acquiert un statut juridique dans les écoles;

    —six inspecteurs sont nommés responsables des écoles bilingues;

    —un fonctionnaire est nommé responsable de l’enseignement en français en Ontario (Amédée Bénéteau);

    —l’École normale de l’Université d’Ottawa, fondée en 1923, est officiellement reconnue.

    Les nouveaux changements entrent en vigueur le 1er novembre 1927, mais le Règlement 17 ne disparaît des statuts qu’en 1944, lors d’une refonte où on oublie ou choisit tout simplement de ne plus l’inclure dans la liste des règlements ayant force de loi. On ne peut donc pas affirmer que le gouvernement ontarien a aboli le Règlement 17. Il a tout simplement cessé d’être mis en application. Fait intéressant, le gouvernement n’avait jamais fait adopter le Règlement 17 par l’Assemblée législative de l’Ontario; c’était une directive, une circulaire interne du ministère de l’Éducation. Un peu plus de 100 ans après l’inique réglementation, soit le 22 février 2016, la première ministre Kathleen Wynne a présenté au nom du gouvernement de l’Ontario ses excuses officielles à tous les Franco-Ontariens, dont les familles et les communautés avaient été touchées par le Règlement 17 (Gouvernement de l’Ontario, 2016).

    1.6.Le Concours provincial de français

    Un des six inspecteurs nommés en 1927 par le gouvernement est Robert Gauthier (1902-2001), ancien adjoint du principal de l’école modèle de Vankleek Hill. Dix ans plus tard, Gauthier devient directeur de l’enseignement français au ministère de l’Éducation. Aussitôt en fonction, il décide d’effectuer un relevé des effectifs scolaires canadiens-français dans les écoles primaires bilingues (on ne parle pas encore d’écoles franco-ontariennes). Les résultats de cette étude, sont renversants. Des milliers de jeunes ne montent pas en 3e ou 4e année; des jeunes de 15 ans sont encore en 1re ou 2e année; seulement 26% des écoliers francophones atteignent la 8e année (comparativement à 80% du côté anglophone). Ces chiffres pointent nettement vers un phénomène de «mortalité scolaire». La cause, selon Gauthier, est très simple: les jeunes n’étudient pas d’abord dans leur langue maternelle puisque l’anglais s’enseigne dès la 1re année. Il repousse donc ce cours vers la 2e année, puis vers la 3e année.

    Le directeur de l’enseignement français est convaincu qu’il doit y avoir une émulation chez les jeunes Franco-Ontariens pour les encourager à poursuivre des études au-delà du cours primaire. Cette émulation, il croit pouvoir la provoquer en tenant un concours assorti de bourses d’études et de prix alléchants. En collaboration avec les 11 inspecteurs d’écoles et les professeurs de l’École normale de l’Université d’Ottawa, Robert Gauthier lance le Concours provincial de français en septembre 1937.

    FIGURE 1.6

    Robert Gauthier

    Source: Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Robert Gauthier (P255).

    Des compétitions ont lieu d’abord au niveau local, puis régional, avec une finale provinciale en mai 1938. Deux élèves de la 8e année, un garçon et une fille, représentent chacun des 11 inspectorats. Il y a quatre épreuves: orthographe, composition, littérature et lecture. Les lauréats gagnent des bourses d’études qui couvrent le cours secondaire et parfois même le cours classique (de la 9e année jusqu’au baccalauréat). D’une année à l’autre, les bourses et prix se multiplient. Des collèges et académies d’Ottawa, de Sudbury, d’Haileybury, de Cornwall, de Montréal, de Québec, de Saint-Hyacinthe et de Rigaud offrent à un nombre croissant de jeunes Franco-Ontariens la possibilité de poursuivre leurs études en français. Cela est une bénédiction car, dans les années 1930-1960, les écoles secondaires publiques en Ontario sont presque toutes de langue anglaise. Il faut payer pour suivre des cours en français dans des institutions privées. Les écoles publiques françaises n’ouvriront leurs portes qu’en 1969 ce qui a causé un retard considérable à la scolarisation des jeunes franco-ontariens.

    En quelques années seulement, on assiste à une véritable émulation chez les jeunes, comme l’avait prévu Robert Gauthier. C’est un honneur de participer au concours de français, peu importe le niveau. Les enseignantes encouragent donc leurs élèves et préparent les lauréats pour le concours régional, puis provincial. Cinq ans après la tenue du premier Concours provincial de français pour les élèves de la 8e année, on ajoute un autre niveau, soit le concours provincial pour les élèves de la 12e année. Le concours pour la 8e année prend fin en 1964 et un concours pour les élèves de la 10e année est créé en 1965; il durera quatre ans, soit jusqu’à la création des écoles secondaires publiques de langue française, en 1969. Le concours pour les élèves de la 12e année existe encore de nos jours. Il est organisé en alternance par l’Université Laurentienne, l’Université d’Ottawa et le Collège Glendon de l’Université York.

    Le leadership du directeur de l’enseignement français a un effet important sur le développement des programmes ainsi que sur le regroupement des forces vives dans le domaine de l’éducation franco-ontarienne. L’Association de l’enseignement bilingue voit le jour le 12 mai 1939; elle devient l’Association de l’enseignement français en 1941, puis l’Association des enseignants franco-ontariens en 1962 et finalement l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens en 1985. L’Association des commissaires des écoles bilingues de l’Ontario est fondée le 17 novembre 1944; elle devient l’Association des commissions des écoles bilingues d’Ontario en 1962, puis l’Association française des conseils scolaires de l’Ontario en 1972. Les parents et instituteurs commencent à se regrouper à la fin des années 1940, d’abord à Ottawa, Windsor et Kapuskasing. Le 18 juin 1951, on fonde la Fédération des Associations des parents et instituteurs; elle deviendra la Fédération des associations de parents francophones de l’Ontario en octobre 1990. Enfin, les élèves des 75 écoles secondaires de langue française (ou mixtes) en Ontario se regroupent officiellement en septembre 1975 sous la Fédération des élèves du secondaire franco-ontarien (FESFO). À la fin des années 1990, elle devient la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne, mais garde néanmoins l’acronyme FESFO.

    FIGURE 1.7

    Roland Bériault, président du Comité sur les écoles de langue française en Ontario, 1971

    Source: Fonds Fédération des caisses populaires de l’Ontario (C93), Ph187-1136./Studio C. Marcil, Université d’Ottawa.

    1.7.Vers des écoles secondaires de langue française

    Entre 1950 et 1969, les communautés religieuses ne dirigent pas moins de 45 écoles secondaires (privées) de langue française. Ce réseau d’écoles catholiques s’est établi en marge du système public ontarien. Pendant cette période, on est aussi témoin d’une forte croissance d’écoles secondaires publiques bilingues, dont certaines sont à majorité francophone, notamment à Eastview (Vanier), Casselman, Hawkesbury et Sturgeon Falls. Des écoles secondaires publiques, majoritairement anglophones, offrent des cours spéciaux de français (Advanced French). Au début des années 1960, les écoles privées commencent à soutenir de plus en plus difficilement la concurrence des écoles secondaires publiques et plusieurs d’entre elles doivent fermer leurs portes. Pour les dirigeants franco-ontariens, le caractère confessionnel semble poser un obstacle. L’un de ces dirigeants est Roger N. Séguin, président de l’ACFÉO.

    Lors d’un congrès spécial sur la question des écoles secondaires, en février 1967, Séguin obtient des délégués le mandat d’étudier sérieusement la possibilité de créer des écoles secondaires de langue française non confessionnelles. En mars 1967, l’ACFÉO présente un mémoire en ce sens et, le 24 novembre 1967, le premier ministre John Robarts répond à cette demande en créant un Comité sur les écoles de langue française de l’Ontario sous la présidence de Roland Bériault (CRCCF, 2002)⁶.

    Rapidement, le mandat de ce comité est élargi pour englober l’ensemble des écoles fréquentées par les élèves franco-ontariens. En 1968, le Comité provincial sur les buts et objectifs de l’éducation dans les écoles de l’Ontario (Commission Hall-Dennis) publie les résultats de trois années de recherche dans son important rapport Vivre et apprendre. Le rapport du juge Emmett Hall et de Lloyd Dennis (1968) recommande que le ministère de l’Éducation élabore des programmes d’études à l’intention des élèves franco-ontariens où le français est la principale langue d’enseignement et l’anglais est une langue seconde.

    Publié également en 1968, le rapport Bériault, fortement imprégné des principes mis de l’avant par le rapport Vivre et apprendre, jette les bases d’un véritable système scolaire de langue française de l’élémentaire au secondaire en Ontario. En 1968, l’Assemblée législative de l’Ontario adopte la Loi sur l’administration des écoles (loi 140) et la Loi sur les écoles secondaires et les conseils scolaires (loi 141). Cette nouvelle législation permet la création d’écoles secondaires de langue française et, en 1969, la formation du premier réseau d’écoles secondaires de langue française constitué à partir d’un noyau d’anciennes écoles secondaires bilingues publiques et d’écoles secondaires franco-ontariennes privées.

    Bien que la nouvelle loi permette aux Franco-Ontariens d’établir des classes et des écoles secondaires de langue française, ils doivent en faire la demande auprès de leur conseil scolaire local. Pour faciliter cette démarche, la loi prévoit la création de comités consultatifs de langue française au sein des conseils scolaires. Dès le début des années 1970, plusieurs communautés francophones obtiennent des écoles secondaires homogènes de langue française sans trop de difficultés et, souvent, grâce à l’appui d’anciens collèges, académies ou couvents qui choisissent de s’affilier aux conseils publics. Mais en plusieurs endroits, les francophones doivent lutter avec ardeur pour obtenir de telles écoles. En effet, le pouvoir d’établir des écoles homogènes de langue française ou de créer des écoles mixtes demeure entre les mains de conseils scolaires qui sont souvent à majorité anglophone. Cela engendre ce qu’on appelle des «crises scolaires».

    En 1970, les francophones de Sturgeon Falls multiplient leurs demandes auprès du Conseil scolaire de Nipissing pour que l’école secondaire de Sturgeon Falls (bilingue) devienne une école homogène de langue française. Elle est alors composée de 1 600 élèves, dont 1 200 francophones. Le Conseil scolaire de Nipissing, composé de 17 membres, dont 6 catholiques et seulement 3 francophones, refuse d’accorder une école homogène aux francophones de

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