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Difficultés de lecture et d'écriture: Prévention et évaluation orthophonique auprès des jeunes
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Ebook512 pages5 hours

Difficultés de lecture et d'écriture: Prévention et évaluation orthophonique auprès des jeunes

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Plusieurs jeunes présentent des difficultés de lecture et d’écriture. Cela nuit à leurs apprentissages, à la poursuite de leurs études et à leur implication active dans la société. Les intervenants qui travaillent auprès de ces jeunes doivent considérer une grande diversité de courants de pensée, ce qui complexifie la prise de décisions quant aux actions à entreprendre pour les aider._x000D_
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En établissant un pont entre les connaissances scientifiques contemporaines et l’expertise clinique, cet ouvrage est l’un des rares en langue française qui propose des pratiques fondées sur les données issues de la recherche en langage écrit. Plus précisément, ce livre adopte une perspective langagière des difficultés de la lecture et de l’écriture et suggère une démarche clinique aux orthophonistes impliqués dans la prévention et l’évaluation des difficultés du langage écrit. Il s’agit d’une ressource indispensable à la formation et au perfectionnement des orthophonistes et des intervenants œuvrant en langage écrit auprès de la petite enfance et des jeunes d’âge préscolaire et scolaire.
LanguageFrançais
Release dateSep 6, 2011
ISBN9782760529892
Difficultés de lecture et d'écriture: Prévention et évaluation orthophonique auprès des jeunes

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    Difficultés de lecture et d'écriture - Marie-Catherine St-Pierre

    arrière

    Il est impossible de comprendre l’essentiel d’un phénomène sans avoir de connaissances solides de son origine, de son développement et de l’enchaînement des causes, des conditions et des circonstances déterminant son existence actuelle.

    KIML

    La lecture et l’écriture sont des actes importants pour bien des gens dans plusieurs situations de leur vie, et tout particulièrement au travail, où les avancées technologiques reliées aux communications se font à une vitesse fulgurante. L’utilisation du courriel et de la messagerie instantanée plutôt que du téléphone pour discuter de menus détails de la vie quotidienne le démontre d’ailleurs très bien. L’écrit constitue même une façon moderne d’élargir les réseaux sociaux, que ce soit par le biais d’échanges liés à des intérêts personnels, de groupes de discussion, de rencontres sportives ou même amoureuses, et ce, à l’endroit et au moment qui convient le mieux à chacun. L’écrit devient une façon de garder contact avec son entourage, de nourrir sa vie personnelle, de se procurer des biens de consommation, de planifier un voyage, de trouver de l’information au sujet d’un médicament, d’organiser son travail et ses loisirs ou de se dénicher un emploi. L’écrit permet donc de composer avec les exigences et contraintes d’une vie active en communiquant dans un espace-temps flexible et adapté aux préférences de chacun. Les inconvénients liés à la présence de difficultés de lecture et d’écriture chez un individu peuvent être tentaculaires et nuire significativement à la qualité de vie. Dans ce contexte, on conçoit aisément que les difficultés de lecture et d’écriture soient perçues comme très problématiques par les personnes qui en souffrent, de même que par leur entourage. L’intérêt à mieux les comprendre et à chercher à y remédier va donc de soi.

    Dans la population générale, discuter des difficultés de lecture et d’écriture est un peu comme discuter de la guérison d’un rhume. Chacun a sa « petite idée » sur le sujet. De façon bien intuitive, on croit en détenir l’ « explication » et comprendre le phénomène. Chaque fois, le remède proposé est justifié par une forme d’évidence en lien avec les diverses expériences des gens. Dans le domaine des difficultés de lecture et d’écriture, tout un chacun possède une expérience personnelle avec l’écrit qui lui confère une certaine connaissance du sujet et qui lui permet de réfléchir et d’avancer une certaine forme d’explication.

    Dans les milieux de l’éducation et de la santé, les intervenants de diverses professions sont appelés à travailler auprès d’enfants de différents âges ayant des difficultés de lecture ou d’écriture. La prévalence, les impacts « visibles » et manifestes de ce type de trouble pour la personne qui le vit, les inquiétudes générées par les difficultés éventuelles auxquelles s’exposent le jeune, et ce, tant sur le plan de ses apprentissages que de sa vie scolaire, sociale et affective, amènent une mobilisation du milieu pour lui venir en aide. Afin d’y parvenir, l’intérêt professionnel et scientifique à chercher à mieux comprendre la nature de ces difficultés, à les reconnaître, à les nommer, à les traiter et, même, dans la mesure du possible, à les éviter, est essentiel. Toutefois, l’évolution rapide des connaissances jumelée à une très grande accessibilité de l’information a malheureusement mené à une diffusion éparse du savoir développé. Les connaissances en la matière pouvant être véhiculées dans les divers milieux de pratique demeurent ainsi fragmentaires et peuvent, encore trop souvent, être basées sur des croyances et intuitions plutôt que sur des évidences scientifiques. Du côté des écrits scientifiques disponibles sur le sujet, malgré la recherche foisonnante qui existe depuis plus de trente ans, force est toutefois de constater que les difficultés de lecture et d’écriture sont présentées souvent selon un seul angle, ou alors qu’un seul ou quelques aspects sont documentés. Ainsi, il devient rapidement déroutant et ardu pour la personne désirant mieux comprendre les difficultés de langage écrit d’appréhender cette problématique avec la prise en compte de toutes ses facettes.

    Les courants de pensée actuels en recherche et en clinique accordent une importance sans cesse croissante aux données probantes pour appuyer et justifier les activités professionnelles, et ce, dans toutes les disciplines. Les professionnels sont donc imputables de leurs actions et doivent de plus en plus justifier par des évidences scientifiques celles qu’ils choisissent de poser pour répondre aux besoins des gens. Les intervenants œuvrant dans le domaine du langage écrit ne font pas exception à cette règle.

    Cet ouvrage a comme point de départ un groupe d’orthophonistes passionné de lecture et d’écriture et qui, à partir d’expériences et de connaissances différentes et complémentaires, ont souhaité mettre leurs énergies en commun pour faire le point sur les connaissances contemporaines dans le domaine des troubles du langage écrit. Cette initiative se voulait également une façon de répondre aux besoins vécus dans les milieux cliniques orthophoniques, dont ceux d’arriver à mieux cerner la nature langagière des difficultés de lecture et d’écriture, d’explorer leur relation avec les sphères cognitives et sensorielles, de développer un vocabulaire commun permettant une conceptualisation moins hétérogène de la problématique et de guider le rôle particulier de l’orthophoniste dans ce domaine. La conscience du fait que « tout n’est pas langage », que les difficultés de lecture et d’écriture sont bien trop complexes pour être entièrement comprises par un seul professionnel et que le travail interdisciplinaire constitue la voie d’avenir dans le développement de pratiques de qualité dans ce domaine a été bien présente dès les premières discussions. Les différentes idées présentées dans cet ouvrage ont d’ailleurs été amenées de façon extrêmement respectueuse des compétences et champs de pratique respectifs des différents professionnels qui s’intéressent à cette problématique et qui contribuent à en développer une description et une compréhension plus complètes.

    Difficultés de lecture et d’écriture. Prévention et évaluation orthophonique auprès des jeunes résulte d’une démarche exhaustive de réflexion, de conceptualisation et de documentation qui établit un pont entre les connaissances scientifiques contemporaines et l’expertise clinique, et qui se veut un document de référence offrant une vue d’ensemble de la problématique des difficultés de lecture et d’écriture. Il est écrit non seulement pour les orthophonistes et les étudiants dans ce domaine, mais aussi pour tous les intervenants qui ont à cœur d’offrir un service de qualité aux jeunes qui vivent des problématiques en lien avec le langage écrit. En effet, cet ouvrage découle de la conviction que la synergie de tous ces acteurs ayant des regards différents, mais complémentaires sur le sujet, constitue la pierre angulaire du succès des interventions auprès de ces jeunes.

    Ce livre se veut un outil complet permettant au lecteur d’approfondir ses connaissances dans le domaine du langage écrit dans une perspective globale. La lecture et l’écriture, de même que les difficultés qui peuvent en découler, sont abordées dans une perspective large, partant de la lettre jusqu’à la compréhension et la production de textes, et ce, dans un souci de tenir compte des théories et connaissances contemporaines développées.

    Un tour d’horizon des courants théoriques contemporains et de leur apport respectif dans la conceptualisation du développement et du fonctionnement du langage écrit est nécessaire pour pouvoir comprendre les difficultés éprouvées par un jeune. Ces fondements théoriques constituent les assises de la mise en place d’une démarche d’évaluation objective et complète, mais également d’interventions efficaces. Le chapitre 1 présente donc l’apport des différents courants théoriques influençant l’évolution des conceptions et des connaissances en langage écrit dans différentes disciplines depuis le début du siècle dernier.

    Dans le chapitre 2, une description conceptuelle des actes de lecture et d’écriture selon une perspective cognitive est présentée. Les composantes majeures des activités de lecture et d’écriture sont décrites et des précisions sont apportées quant à la terminologie utilisée, et ce, de façon à ce que les différents termes soit présentés en relation avec les concepts décrits. Ce chapitre vise à simplifier la compréhension des phénomènes présentés et à favoriser une meilleure communication entre les intervenants pour lesquels ce lexique spécialisé peut parfois sembler hermétique.

    Par la suite, le chapitre 3 présente les habiletés nécessaires à la lecture et à l’écriture ainsi que les facteurs qui en influencent la réalisation. En effet, la prévention, l’évaluation et l’intervention dans le domaine du langage écrit exigent la connaissance d’une multitude d’éléments qui sont sollicités lors de ces activités, leur fonctionnement et leurs interactions. Cette connaissance est nécessaire non seulement à la compréhension des activités exécutées mentalement lorsqu’un jeune lit ou écrit, mais également à l’identification précise de ce qui peut être à l’origine ou encore contribuer à la mise en place et au maintien de ses difficultés en lecture ou en écriture. Le langage occupe une place de premier plan dans ce chapitre.

    Dans les dernières décennies, les différentes conceptions et définitions associées à la terminologie des difficultés de langage écrit ont évolué au rythme de l’avancement des connaissances dans différents domaines. L’identification des difficultés de lecture et d’écriture nécessite, de la part du clinicien, une bonne connaissance des caractéristiques des troubles et des critères diagnostiques qui y sont associés, de façon à être en mesure de conclure à la présence ou non de difficultés en respectant une terminologie contemporaine. Le chapitre 4 fait un tour d’horizon complet de la nomenclature associée aux troubles d’apprentissage, aux déficiences langagières et aux troubles spécifiques des apprentissages (dyslexie, dysorthographie et dysgraphie).

    Les connaissances actuelles permettent d’identifier des pratiques préventives exemplaires en matière de langage écrit. Ainsi, il est possible d’identifier les facteurs de risque et d’agir sur les facteurs de protection chez les jeunes de façon à éviter l’apparition de difficultés ou du moins, d’en réduire la sévérité et les impacts. Le chapitre 5 fait donc le point sur la prévention des difficultés de lecture et d’écriture, une avenue incontournable qui permet de fournir à tous les jeunes des chances équitables de maîtriser le code écrit.

    Enfin, le chapitre 6 propose une démarche clinique aux orthophonistes impliqués dans l’évaluation des difficultés du langage écrit. On y rappelle l’importance d’aborder cette évaluation comme une approche de résolution de problèmes et de maintenir une collaboration avec divers partenaires. Les aspects à documenter et à mettre en relation pour obtenir une bonne vision d’ensemble de la problématique et ainsi, de bien en comprendre toutes les facettes, sont présentés de façon à guider la réflexion clinique et de permettre de poser une conclusion orthophonique basée sur une connaissance complète des faits.

    L’exploration de l’ensemble des éléments qui tissent la toile des connaissances dans le domaine du langage écrit relève du défi d’une vie! Il s’agit d’un domaine complexe et qui peut, à certains moments, poser des défis de taille à l’intervenant qui cherche à l’approfondir. C’est néanmoins de cette complexité et de la pluralité des aspects dont il faut tenir compte pour en saisir toutes les nuances, qui confèrent à l’étude du fonctionnement de la lecture, de l’écriture et des troubles son côté si fascinant, étonnant et stimulant.

    Courants théoriques et langage écrit

    Pascal Lefebvre et Marie-Catherine St-Pierre

    Devant la pression croissante pour l’imputabilité des intervenants face aux services offerts à la population, les professionnels sont appelés de toutes parts à adopter une pratique fondée sur les faits scientifiques. Cette pratique implique non seulement l’utilisation des données les plus probantes fournies par la recherche, mais aussi l’expertise du clinicien ainsi que la prise en considération des caractéristiques particulières du client (Sackett et al., 2000). Ainsi, le clinicien doit s’appuyer sur son expérience et sur les ressources qui sont à sa disposition pour juger dans quelle mesure les résultats des différentes études effectuées auprès d’une population plus large s’appliquent au contexte, aux valeurs, aux attentes et aux préférences de l’individu auprès duquel il intervient. Cette analyse de la part du clinicien permet non seulement d’augmenter les chances de réussite des activités proposées, mais aussi de favoriser l’adhésion du client au processus thérapeutique. Cette pratique permet ainsi d’offrir les meilleurs services possibles tout en rehaussant la réputation des professionnels auprès de leur clientèle (Justice et Fey, 2004). L’implantation de ce type de pratique constitue néanmoins un défi de taille pour les intervenants de toutes les disciplines, incluant l’orthophonie (Kent, 2006). Pour ce faire, l’orthophoniste doit utiliser des critères rigoureux pour juger de la qualité des évidences scientifiques et se permettre de critiquer l’opinion des figures d’autorité lorsqu’elle entre en contradiction avec ces évidences (Johnson, 2006).

    La pratique basée sur les faits scientifiques ne se limite cependant pas à l’application pure et simple de résultats issus d’études rigoureuses sur le plan méthodologique. Elle exige aussi des professionnels qu’ils soutiennent la pertinence de leurs activités cliniques par un raisonnement théorique. Le recours à une théorie valide et appuyée permet au clinicien de mettre en relation les éléments pertinents reliés au client, à l’activité clinique offerte et aux résultats escomptés. Il s’avère donc essentiel pour les orthophonistes de connaître et de comprendre les théories reliées au développement et aux troubles de la communication qui fournissent des explications documentées par des recherches scientifiques. Les modèles qui en découlent offrent des cadres de référence qui permettent au clinicien de bien cerner un problème, de le comprendre et de prendre les décisions éclairées menant à une prise en charge appropriée pour son client.

    Les modèles théoriques de la lecture et à l’écriture sont particulièrement abordés dans le cadre de cet ouvrage. À ce sujet, deux grands courants théoriques ont marqué et marquent toujours l’étude du développement et du fonctionnement du langage écrit: celui des sciences cognitives et celui des sciences sociales. Selon la perspective adoptée, le langage écrit peut donc être considéré sous des angles tout à fait différents. De plus, à l’intérieur même de chacun de ces courants, s’inscrivent plusieurs familles de théories qui apportent un éclairage différent sur le développement et le fonctionnement du langage écrit. Le présent chapitre vise à décrire les principales caractéristiques de ces théories ainsi que leur apport respectif aux activités des orthophonistes en matière de prévention, d’évaluation et d’intervention en langage écrit.

    1.1 LES SCIENCES COGNITIVES

    Les théories des sciences cognitives ont émergé notamment de la mise en commun des connaissances en linguistique, en psychologie et en sciences informatiques. Historiquement, ces théories ont révolutionné la psychologie au milieu du XXe siècle en proposant d’inférer les fonctions mentales humaines (Hiebert et Raphael, 1996). Cette idée s’opposait aux principes fondamentaux du behaviorisme, voulant que seuls les comportements observables puissent être décrits. Les théories des sciences cognitives conceptualisent les habiletés de lecture et d’écriture comme des mécanismes mentaux qui s’enclenchent chez l’individu et qui peuvent être étudiés hors de leur contexte habituel d’utilisation (Sfard, 1998; Stone, 2004). Ainsi, les chercheurs des sciences cognitives en sont venus à proposer des explications concernant le développement et le fonctionnement de ces mécanismes à partir des comportements de l’individu lors de tâches décontextualisées impliquant les habiletés sollicitées en lecture et en écriture. Au XXIe siècle, les avancées technologiques des neurosciences ont ouvert une nouvelle fenêtre pour étudier les mécanismes cognitifs de la lecture et de l’écriture. Les paradigmes neurophysiologiques (potentiels évoqués cognitifs, imagerie par résonance magnétique) permettent de recueillir des informations quant à l’activité cérébrale générée par l’exécution d’une tâche ciblée. L’activation neuronale ainsi captée permet de préciser la localisation des aires cérébrales et le décours temporel des activations impliquées dans la réalisation de la tâche. Cette avenue contemporaine permet aux chercheurs des sciences cognitives de confirmer la présence d’un fonctionnement cérébral particulier sous-jacent aux comportements, alors que celui-ci devait auparavant être inféré.

    Trois types de théories émanent du courant des sciences cognitives: les théories développementales, les théories du traitement de l’information et celles du constructivisme. Ces théories tentent de décrire le fonctionnement mental de l’individu lors de l’apprentissage ou de l’usage du langage écrit. Elles précisent aussi le rôle joué par l’environnement de l’individu qui se limite à l’exposition nécessaire au développement des mécanismes cognitifs impliqués dans le traitement du langage écrit.

    1.1.1 Les théories développementales

    Les théories développementales se basent sur des données empiriques qui permettent de tracer un portrait des comportements reliés au langage écrit selon une séquence de développement. C’est donc à partir d’observations des comportements des enfants pendant leur apprentissage de la lecture et de l’écriture que divers modèles décrivant des stades d’acquisition du langage écrit ont été proposés.

    Au début du XXe siècle, les travaux de Morphett et Washburne (1931) ont servi d’assises à la théorie de la maturation, qui stipulait que les enfants n’avaient pas les capacités mentales pour apprendre à lire et à écrire avant l’âge de 6 ans et demi. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 que Holdaway a proposé la théorie du développement de la littératie (1979), mettant ainsi terme à cinquante ans d’influence de la théorie de la maturation dans le domaine de l’éducation. La théorie du développement de la littératie de Holdaway proposait que, dès les premières années de vie, l’enfant commence à apprendre des comportements reliés à la lecture et à l’écriture en observant les adultes, en interagissant avec eux, puis en expérimentant par lui-même ces comportements. Cette théorie était le précurseur de ce qu’on appelle aujourd’hui les théories de l’éveil à l’écrit (Emergent Literacy Theories) (Clay, 1966; Whitehurst et Lonigan, 1998) et de la littératie familiale (Family Literacy Theories) (Taylor, 1983; Morrow et Neuman, 1995). Ces théories affirment que le développement de la lecture et de l’écriture fait partie prenante du développement du langage d’un enfant, et ce, dès sa naissance. Ce développement serait fortement influencé par l’environnement familial dans lequel l’enfant se retrouve.

    À travers son caractère innovateur, la théorie de Holdaway (1979) a également ouvert la porte à une foule de modèles développementaux dits « par stades ». Parmi les modèles les plus connus, on retrouve ceux de Frith (1985) et de Chall (1983). Certains de ces modèles portent sur l’acquisition de la lecture uniquement, d’autres rendent plutôt compte du développement de l’écriture alors que quelques-uns décrivent les relations entre les deux. Ces modèles par stades, développés en anglais, emploient une terminologie variée pour décrire les étapes du développement, comme l’illustre le tableau 1.1.

    Au-delà des divers modèles proposés et de leurs mécanismes sous-jacents, il appert qu’un consensus peut se dégager de ces nombreuses théories (Stahl et Murray, 1998). Apprendre à identifier et à orthographier des mots repose sur la mise en place précoce de deux types de mécanismes, soit le mécanisme logographique (utilisation des indices visuels de la forme des mots) et le mécanisme alphabétique (conversion séquentielle entre les graphèmes et les phonèmes de la langue), qui constituent en quelque sorte la fondation du développement orthographique. Bien que partageant généralement cette conceptualisation, ces théories diffèrent toutefois relativement au moment et à la séquence d’apparition de ces deux mécanismes dans le développement. Contrairement à une installation séquentielle des mécanismes logographiques et alphabétiques, Seymour (1993, 1997) propose plutôt un développement parallèle de ces derniers, faisant en sorte qu’ils contribuent conjointement au développement de l’orthographe. Cette conceptualisation repose sur l’existence d’interactions entre les mécanismes logographiques et alphabétiques qui seraient essentielles au développement des habiletés orthographiques. Ces interactions entre les éléments de nature visuelle des mécanismes logographiques et de nature phonologique des mécanismes alphabétiques seraient ainsi au cœur de l’élaboration du système orthographique.

    Les théories proposant des modèles développementaux par stades ont été critiquées parce que la majorité des enfants ne franchissent pas nécessairement tous les stades de façon obligatoire. Des théories parallèles, dont celles par vagues superposées (Overlapping Waves Theories) (Siegler, 2000; Varnhagen, McCallum et Burstow, 1997) et celles par répertoire (Repertoire Theories) (Kelman et Appel, 2004), ont été proposées afin de pallier ce problème. Dans les théories par vagues superposées, on utilise davantage le terme « phase » plutôt que « stade », laissant ainsi entrevoir plus de souplesse et de perméabilité entre les différentes étapes développementales. Selon les théories par répertoire, à chacune des phases, le jeune utiliserait plutôt un ensemble de stratégies différentes selon la familiarité et la complexité des mots qu’il rencontre et les connaissances linguistiques qu’il a acquises.

    Les modèles issus des théories développementales décrivent les étapes de l’apprentissage du langage écrit ainsi que les habiletés cognitives qui sont nécessaires pour passer d’un stade à un autre. Les chercheurs qui les ont élaborés et utilisés pour l’étude de l’acquisition du code écrit sur un plan fondamental n’ont pas établi de liens étroits entre la théorie et la pratique clinique. Ces approches ont par contre défini des cadres de référence utiles pour les intervenants et ces modèles s’avèrent pertinents pour la pratique de l’orthophonie en langage écrit. D’une part, les théories d’éveil à l’écrit et de littératie familiale servent de fondements aux activités de prévention des difficultés de lecture et d’écriture. En effet, les activités de stimulation et de dépistage visant des habiletés particulières d’éveil à l’écrit ainsi que les actions à poser afin de favoriser la collaboration de la famille et des autres milieux de vie de l’enfant sont issues de ces théories. D’autre part, en ce qui concerne les modèles développementaux par stades, ils sont utiles pour élaborer des programmes d’activités adaptés au niveau scolaire des enfants, pour déterminer des repères développementaux, pour situer les performances des enfants lors de l’évaluation orthophonique, de même que pour déterminer des objectifs de traitement et d’intervention adaptés au niveau de développement.

    1.1.2 Les théories du traitement de l’information

    Parallèlement à la description de séquences développementales de comportements reliés à l’écrit par l’intermédiaire des théories développementales, les chercheurs du domaine des sciences cognitives se sont également penchés sur le fonctionnement du cerveau humain. Les théories du traitement de l’information ont alors généré des modèles fonctionnels, c’est-à-dire qui tentent d’expliquer quelles sont les procédures cognitives mises en branle lors de la lecture et de l’écriture et comment celles-ci sont orchestrées. Dans ces modèles, l’individu est donc considéré comme un « processeur » traitant les stimuli provenant de son environnement. La vitesse et la qualité du traitement effectué par ce processeur dépendent de la nature et de la quantité des informations à traiter (Stone, 2004). Les théories du traitement de l’information ont proposé deux principaux types de modèles expliquant, entre autres, la lecture et l’écriture: les modèles d’architecture fonctionnelle et les modèles connexionnistes.

    Les modèles d’architecture fonctionnelle

    Les modèles d’architecture fonctionnelle de la lecture et de l’écriture ont pour objectif de rendre compte des différentes étapes de traitement impliquées. Dans ces modèles, les composantes de traitement sont représentées par des boîtes et les interactions uni- ou bidirectionnelles sont représentées par des flèches. Le modèle proposé se veut une représentation fidèle de la séquence des opérations cognitives effectuées par les lecteurs et les scripteurs compétents. Ces modèles ont été élaborés à partir d’études de cas chez les adultes cérébrolésés (Caramazza, 1986). Ainsi, c’est l’observation des déficits des individus aux prises avec des lésions cérébrales qui a permis de mieux comprendre le fonctionnement cognitif typique.

    Les modèles d’architecture fonctionnelle ont d’abord schématisé l’identification et l’orthographe de mots isolés, mécanismes qui sont respectivement à la base de la lecture et l’écriture. Les modèles à deux voies sont ceux qui sont prédominants aujourd’hui dans l’appréhension des processus cognitifs mis en jeu dans l’identification de mots (Marshall et Newcombe, 1973; Coltheart, 1978) et l’orthographe (Roeltgen et Heilman, 1984; Ellis et Young, 1998). Ces modèles suggèrent que le traitement en lecture et en écriture repose sur deux types de procédures: l’une dite d’assemblage, qui exploite les informations phonologiques associées aux graphèmes pour lire ou écrire les mots inconnus ou les pseudomots, et l’autre dite d’adressage, qui utilise directement les informations orthographiques emmagasinées en mémoire à long terme pour lire ou écrire les mots connus.

    Étant donné que les modèles d’architecture fonctionnelle à deux voies visent à expliquer le traitement cognitif chez le lecteur/scripteur expert, ils s’appliquent difficilement à l’enfant chez qui les connaissances et les habiletés de lecture et d’écriture sont en développement. Devant ce constat, Share (1995) a proposé l’hypothèse d’autodidaxie (Self-Teaching Hypothesis) du développement des procédures d’assemblage et d’adressage. Cette hypothèse tente de rendre compte à la fois des stades des modèles développementaux et des interrelations potentielles entre les deux procédures. Selon cette hypothèse, les habiletés phonologiques utilisées lors de la procédure d’assemblage servent de mécanisme permettant à l’enfant d’acquérir de façon autodidacte des représentations orthographiques détaillées qui sont nécessaires au développement de la procédure d’adressage. Lorsque l’enfant rencontre un mot nouveau, il doit analyser toute la séquence des lettres de ce mot. L’attention portée par le lecteur sur chacun des graphèmes lui permet graduellement de préciser la séquence des lettres qui sera emmagasinée en mémoire. C’est par l’emmagasinage en mémoire de ces représentations que se développe son lexique orthographique, sur lequel repose par ailleurs la procédure d’adressage nécessaire à l’identification rapide des mots en lecture.

    Depuis les années 1970, nombre de versions et d’améliorations des modèles à deux voies ont été, et continuent toujours, d’être proposées (Norris et Brown, 1985; Patterson et Morton, 1985; Coltheart et al., 1993; Coltheart et al., 2001). Ces nouvelles versions suggèrent des nuances concernant entre autres les caractéristiques des modules présents dans le modèle ou encore l’activation parallèle des deux voies lors de l’identification de mots. Par ailleurs, d’autres modèles ont également été développés pour rendre compte du traitement des mots morphologiquement complexes, c’est-à-dire de mots composés de plus d’un morphème. Selon certains de ces modèles (Jarvella et Meijers, 1983; MacKay, 1978), les mots complexes doivent êtres segmentés en morphèmes lors de la lecture. Selon d’autres (Bradley, 1980; Butterworth, 1983; Henderson, Wallis et Knight, 1994; Kempley et Morton, 1982; Manelis et Tharp, 1977; Rubin, Becker et Freeman, 1979), les mots morphologiquement complexes ont plutôt une représentation complète dans le lexique orthographique. D’autres modèles (Caramazza, Laudanna et Romani, 1988; Marslen-Wilson et al., 1994; Niemi, Laine et Tuominen, 1994; Taft, 1994) combinent ces deux points de vue en proposant l’utilisation de deux voies parallèles, dont l’utilisation dépend des caractéristiques des mots telles que leur fréquence ou la fréquence des morphèmes qui les constituent. Récemment, des modèles intégrant l’identification de mots morphologiquement simples et complexes ont aussi été proposés (Reichle et Perfetti, 2003).

    Outre leur apport dans l’explication du fonctionnement et de l’apprentissage typiques de l’identification de mots, les modèles à deux voies et la théorie de l’autodidaxie ont aussi contribué à une meilleure compréhension du fonctionnement déficitaire des procédures en lecture chez certains élèves. Qu’elles relèvent d’un développement insuffisant de l’une, de l’autre ou des deux procédures à la fois, les difficultés que rencontrent les enfants au contact du code écrit sont souvent observées en présence d’une diversité de symptômes qui sont associés à la présence d’un déficit dans le traitement de l’information phonologique, à des troubles sensoriels dans les domaines visuel ou auditif, ou à un déficit sur le plan moteur.

    L’origine des difficultés rencontrées par les enfants en identification de mots peut donc être abordée selon divers points de vue, à l’intérieur de multiples hypothèses explicatives. Ces hypothèses, qui tentent généralement de cerner plus particulièrement l’origine de la dyslexie, placent à l’avant-plan, selon le cas, le développement déficitaire de la procédure d’assemblage ou de la procédure d’adressage comme entrave majeure à la mise en place et à l’automatisation de l’identification de mots. Certaines explorent plus particulièrement l’impact de déficits cognitifs précis au plan phonologique ou visuel sur le développement des procédures de lecture, alors que d’autres inscrivent ces difficultés à l’intérieur d’un cadre plus large, établissant ainsi des relations avec un ensemble beaucoup plus vaste de déficits.

    Au-delà des débats sur les origines possibles et probables de la dyslexie, les diverses approches font toutefois consensus dans la communauté scientifique sur la présence d’un déficit de traitement phonologique chez la plupart des enfants et adultes qui présentent un trouble développemental du langage écrit (Stanovich, 1988; Vellutino et al., 2004; Ramus, 2003; INSERM, 2007). La théorie phonologique pose l’hypothèse que la présence d’un déficit dans le traitement phonologique, sur lequel repose un ensemble d’habiletés qui sont particulièrement mises à profit lors de la procédure d’assemblage, serait à la base des troubles spécifiques de lecture et d’écriture. Selon cette hypothèse, les déficits dans l’élaboration des représentations sonores et l’utilisation de l’information phonologique sans difficulté équivalente en modalité orale constituent le trait commun chez les enfants dyslexiques (Bradley et Bryant, 1983; Bruck, 1992; Liberman et Shankweiler, 1985; Wagner et Torgesen, 1987; Mann et Brady, 1988; Share, 1994). Ce déficit particulier les distinguerait des enfants sans difficulté et des enfants ayant d’autres types de difficultés liées à l’apprentissage (dyscalculie, TDAH) (Shankweiler et al., 1995). Selon l’hypothèse phonologique, le déficit de traitement phonologique se manifeste lors des diverses opérations qui sont impliquées dans l’analyse phonologique. Il peut ainsi être à l’origine des différentes difficultés reconnues comme étant caractéristiques des enfants dyslexiques, soit les faibles habiletés de mémoire verbale (de travail et à court terme), de conscience phonologique et d’accès lexical (se référer à Ramus [2007] pour une schématisation des diverses relations). L’impact du déficit de traitement phonologique affecte tout particulièrement le développement des habiletés de conscience phonologique. Ces habiletés facilitent l’acquisition des conversions entre les graphèmes et les phonèmes. De pauvres habiletés de conscience phonologique vont affecter d’emblée le développement de la

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