La PROTECTION DE L'ENFANCE: La parole des enfants et des parents
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L’ouvrage présente ainsi les principaux défis soulevés par le recueil et la prise en compte de la parole des enfants et des parents qui gravitent dans l’orbite du dispositif de protection de l’enfance. Il comporte une série d’études mettant en relief l’enfant ou le jeune qui s’exprime sur lui-même et sa vie, de même que le point de vue des parents, autant ceux qui bénéficient des divers services en protection de l’enfance que ceux qui participent à cette protection en accueillant un enfant en danger.
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La PROTECTION DE L'ENFANCE - Catherine Sellenet
Presses de l’Université du QuébecLe Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : 418 657-4399 Télécopieur : 418 657-2096 Courriel : puq@puq.ca Internet : www.puq.ca
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Servidis SA, Chemin des Chalets 7, 1279 Chavannes-de-Bogis, Suisse – Tél. : 022 960.95.32
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Vedette principale au titre :
La protection de l’enfance : la parole des enfants et des parents
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-7605-4253-2
1. Enfants – Protection, assistance, etc. 2. Enfants – Psychologie. 3. Parents – Psychologie. I. Lacharité, Carl, 1959- . II. Sellenet, Catherine. III. Chamberland, Claire, 1953- .
HV713.P762 2015 362.7 C2015-940060-0
Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.
Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.
Conception graphique Michèle Blondeau
Image de couverture iStock
Mise en pages Info 1000 Mots
Conversion au format EPUB Samiha Hazgui
Dépôt légal : 2e trimestre 2015
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© 2015 – Presses de l’Université du QuébecTous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Introduction
Catherine Sellenet, Carl Lacharité et Claire Chamberland
PARTIE 1.
Ce que parler veut dire pour les enfants et les parents de la protection de l’enfance
Chapitre 1. Dites-leur qu’on n’est pas des sauvages !
Catherine Sellenet
1.1. Quel statut donner à la parole des gens ?
1.1.1. La parole des gens, un réservoir d’opinions et d’anecdotes
1.1.2. La parole transparente
1.1.3. La parole comme porte d’entrée dans le monde vécu de l’interviewé
1.1.4. Pouvoir raconter et se raconter, une forme d’émancipation ?
1.2. L’univers vécu des parents en protection de l’enfance
1.2.1. Le temps de la déchirure, basculer dans la dépréciation de soi
1.2.2. Le temps de l’invisibilité
1.2.3. Le temps de l’installation dans une posture de parent d’enfant placé
1.2.4. Le temps de la reconquête
Chapitre 2. Par-delà les silences, « faire savoir » avec des familles en irrégularité de séjour : une enquête en terrain sensible
Pascale Jamoulle
2.1. L’ethnographie de la précarité et de l’exil
2.1.1. Les enjeux d’un terrain « sensible »
2.1.2. L’ajustement à ce terrain sensible
2.2. « La vie de famille » en irrégularité de séjour
2.2.1. Le travail de l’exil en grande précarité d’existence
2.2.2. La précarité des liens familiaux en irrégularité de séjour
2.3. La légitimité des enquêtes auprès des familles précaires et immigrées
2.3.1. Du sens pour la recherche
2.3.2. Du sens pour l’intervention sociale et les politiques publiques
2.3.3. Du sens citoyen
2.3.4. Du sens narratif
Chapitre 3. Les familles et la vulnérabilité : captation institutionnelle de la parole de l’enfant et du parent
Carl Lacharité
3.1. Cadrage théorique et approche méthodologique
3.2. L’inscription institutionnelle des enfants et des parents et le concept de vulnérabilité
3.3. Des actes de résistance et une pratique participative
3.3.1. Une centration sur l’expérience
3.3.2. Des descriptions dialogiques
3.3.3. Une posture réflexive
3.3.4. La construction de relais
3.3.5. Des engagements formels
3.4. Remarques conclusives
Chapitre 4. Les récits narratifs : un regard privilégié sur l’enfant et la famille
Mélanie Bélanger et Tristan Milot
4.1. La recherche sur la négligence envers l’enfant
4.2. La perspective basée sur les forces et l’empowerment
4.3. La tâche des récits narratifs
4.4. Le résultat de l’analyse du contenu des récits
Chapitre 5. Le « Lost in Translation », ou la faiblesse des supports identificatoires en contexte de disqualification
Pierrine Robin, Marie-Pierre Mackiewicz, Bénédicte Goussault et Sylvie Delcroix
5.1. Des récits pluriels et dialogiques, supports à l’identification
5.1.1. Un recueil en proximité
5.1.2. Un recueil dans l’interaction : des récits dialogiques
5.1.3. Des récits, supports à l’identification
5.2. Quels supports d’identification à l’âge adulte en contexte de disqualification ?
5.2.1. Des parcours en transit
5.2.2. Un cumul de discriminations et de stigmatisations
5.2.3. Le passage à l’âge adulte, une nouvelle forme de transition rapide et brutale
5.2.4. L’éthos de la distance
5.2.5. La solitude au cœur des liens, où le sentiment que rien n’est partageable
PARTIE 2.
La parole des enfants
Chapitre 6. Le recueil de la parole de l’enfant victime dans un cadre judiciaire : construire un dispositif dédié 83
Sarra Chaïeb, Cédric Fourcade et Gilles Séraphin
6.1. La méthode de l’étude menée dans les unités d’accueil médico-judiciaire (UAMJ)
6.2. Un dispositif émergent : les UAMJ
6.3. La prise en compte de la parole ou de la souffrance : vers l’élaboration d’un dispositif dédié
6.3.1. La pluralité et la variabilité des missions et des unités
6.3.2. Les UAMJ : une réponse à la demande judiciaire ou à la prise en compte de la souffrance de l’enfant ?
6.4. L’influence des enjeux organisationnels sur la prise en compte de la parole de l’enfant et de sa souffrance
6.4.1. Le financement
6.4.2. Le pilotage
6.5. Les conflits autour des territoires professionnels, ou « qui est le mieux habilité à recueillir la parole de l’enfant victime ? »
Chapitre 7. La parole… de l’enfant à son parent : regards et représentations croisés en accueil familial
Nathalie Chapon et Caroline Siffrein-Blanc
7.1. Une parole, ma parole…
7.2. Le basculement de la parole vers le consentement
7.3. La nécessité d’associer l’enfant aux décisions institutionnelles et parentales
7.4. La parole des enfants confiés et de leurs parents en protection de l’enfance
7.4.1. La parole des enfants confiés, est-elle audible ?
7.4.2. De la parole de l’enfant à celle du parent…
Chapitre 8. L’enfant placé : parole et objet de relation : la production d’un « livre des souvenirs »
Marie Bongard, Denis Mellier et Cécile Mandrillon
8.1. Les épreuves, les productions et la parole de Loïc
8.1.1. Quelques éléments d’anamnèse, ses épreuves
8.1.2. La parole de Loïc lors des entretiens avec la psychologue, « quand j’étais avec maman »
8.1.3. Le « livre des souvenirs » et l’accompagnement psychologique par la parole
8.1.4. Le « livre des souvenirs » comme espace de rencontre en entretien familial
8.2. L’utilisation du « livre des souvenirs »
8.2.1. Fonctions d’extériorisation et de pare-excitation
8.2.2. Un travail de représentation et de mise en mots
8.2.3. Une utilisation à deux voix…
8.2.4. … puis à trois voix : la possibilité d’aborder le passé avec son père
8.3. L’aménagement du dispositif, le soutien de la parole et la narration
8.3.1. Des objets « trouvés-créés »
8.3.2. Des objets dans un dispositif symbolisant
8.3.3. Des objets soutien d’un processus de représentation et de symbolisation
8.3.4. Des objets « parlant »
8.3.5. La narration et la discontinuité
8.3.6. Le Livre de vie et le processus narratif
Chapitre 9. La parole vivante et la parole morte : le parcours accidenté de la parole des enfants et des parents vers l’action
Paola Milani, Sara Serbati et Marco Ius
9.1. Problématique
9.2. Contexte : le Programme d’intervention pour prévenir l’institutionnalisation de l’enfant (PIPPI)
9.3. Cadre de référence : Le monde de l’enfant
9.4. Exemples de pratiques : parole morte et parole vivante
9.4.1. Première séance avec la famille de M.
9.4.2. Seconde séance avec la famille de M.
Chapitre 10. Le conflit de loyauté et l’exposition à la violence conjugale : la perspective de l’enfant
Sarah Dufour et Nicole Maillé
10.1. État des connaissances
10.2. Méthode
10.2.1. Les situations à l’étude et le recrutement
10.2.2. Les outils de collecte de données et le déroulement
10.2.3. L’analyse des données
10.3. Résultats
10.3.1. La nature du conflit de loyauté
10.3.2. Les émotions suscitées par le conflit de loyauté
10.3.3. Le sens du conflit de loyauté
10.3.4. Les conséquences du conflit de loyauté
10.3.5. Les groupes d’enfants selon leur discours sur le conflit de loyauté
10.4. Discussion
10.4.1. La déconstruction du conflit de loyauté en contexte de violence conjugale
10.4.2. La valeur d’une pluralité de points de vue sur l’expérience des enfants
10.4.3. Les forces et les limites de la recherche
10.4.4. Les implications
Chapitre 11. Les plans et les rêves de vie formulés par des jeunes suivis en protection de la jeunesse : facteurs de stabilité et de changements
Claire Malo et Josiane Lamothe
11.1. L’étude initiale
11.2. Les résultats
11.3. L’influence des services de protection sur les aspirations des jeunes
11.4. Le besoin de parole
PARTIE 3.
La parole des parents
Chapitre 12. La participation des parents en protection de l’enfance : une injonction paradoxale
Isabelle Lacroix, Anne Oui et Gilles Séraphin
12.1. La participation parentale : du cadre juridique à sa mise en œuvre
12.1.1. L’encadrement du droit
12.1.2. Les techniques de mobilisation parentale : « faire avec » les familles et « faire ensemble »
12.1.3. Des principes d’action aux pratiques
12.2. Les spécificités de la participation en protection de l’enfance : un cadre contraint
12.2.1. La recherche de participation voile la prise en compte et l’explicitation du contexte
12.2.2. Des capacités inégales des parents face à la question de la participation
Chapitre 13. Les paroles de parents sur l’accès et l’adhésion aux services de la pédiatrie sociale en communauté
Marie-Ève Clément, Annie Bérubé, Daphné Fallu et Caroline Gosselin
13.1. Objectifs de l’étude
13.2. Méthodologie
13.2.1. Le contexte de la recherche
13.2.2. Les familles
13.2.3. Le guide d’entretien
13.2.4. Les stratégies d’analyse
13.3. Résultats
13.3.1. Le choix des CPSC par les parents
13.3.2. L’adhésion des parents aux services des CPSC
13.4. Discussion
Chapitre 14. La reprise du pouvoir sur sa vie lorsqu’on perd la garde de son enfant ?
Julie Noël et Marie-Christine Saint-Jacques
14.1. Problématique et recension
14.2. Méthodologie
14.3. Résultats
14.3.1. La perception des motifs ayant mené au placement ou à l’adoption de l’enfant
14.3.2. L’adoption ou le placement d’un enfant : un événement qui suscite des sentiments douloureux et de vives réactions
14.3.3. La stigmatisation sociale
14.3.4. Leurs besoins et les ressources présentes
14.3.5. La reprise du pouvoir sur leur vie : quelques facilitateurs
14.4. Discussion
Chapitre 15. Le placement en famille d’accueil en vue d’adoption : un quatuor de parents sans voix
Geneviève Pagé et Marie-Andrée Poirier
15.1. Le programme québécois Banque mixte
15.2. La redéfinition des axes de la filiation provoquée par l’adoption
15.3. Quelques éléments méthodologiques
15.4. Le sentiment d’être plus qu’une « simple » famille d’accueil
15.5. L’absence de droits et de pouvoir de décision en tant que parents
15.6. L’expérience du morcellement de la filiation : deux profils de parentalité distincts
15.7. Discussion
Chapitre 16. L’expérience parentale des pères impliqués dans une problématique de négligence
Denise Côté et Carl Lacharité
16.1. But et question de recherche
16.2. Méthode
16.2.1. Les participants
16.2.2. L’entretien sur l’expérience paternelle (EEP)
16.2.3. Le cadre d’analyse
16.3. Présentation des résultats
16.3.1. La perception qu’ont les pères de leurs enfants et de leur relation père-enfant
16.3.2. Le réseau social des pères
16.3.3. Les obstacles dans la relation père-enfant
16.3.4. L’arbre thématique de l’expérience paternelle
16.4. Discussion
Chapitre 17. « Can You Hear Me, Major Tom ? » : les liens entre les intervenants et les pères dont les enfants sont sous les soins des services de protection de l’enfance
Annie Devault, Marie-Claude Huard-Fleury, Maxime-Florence Monette-Drévillon, Carl Lacharité, Francine de Montigny et Diane Dubeau
17.1. Les enjeux relatifs à la masculinité en contexte de services sociaux
17.2. Les liens entre les pères et les intervenants en centres jeunesse
17.3. Les caractéristiques aidantes des intervenants selon les pères
17.3.1. La considération et l’écoute
17.3.2. La confiance que les intervenants démontrent envers la contribution des pères
17.3.3. La sincérité et la transparence
17.4. Les attitudes des pères qui semblent favoriser la qualité du lien avec les intervenants
17.5. Discussion
Conclusion
Carl Lacharité, Catherine Sellenet et Claire Chamberland
Références
Notices biographiques
Dans le cadre d’un partenariat de recherche Québec-France, initié et dirigé par Carl Lacharité (Université du Québec à Trois-Rivières) et Catherine Sellenet (Université de Nantes), nous proposons de faire entendre la voix des enfants et des parents en protection de l’enfance.
En 1982, Pierre Bourdieu publiait un essai intitulé Ce que parler veut dire. Économie des échanges linguistiques, où il examinait la fonction sociale du langage et ses possibilités de violences symboliques. Si l’analyse de l’époque s’intéressait principalement à la parole dominante, Pierre Bourdieu fera aussi entendre dans La misère du monde, écrit en 1993, des témoignages de personnes qui souffrent directement ou indirectement des conditions défavorisées du système politique, social ou économique dans lesquelles elles vivent. Depuis, d’autres auteurs se sont intéressés à cette parole, dont Payet, Giuliani et Laforge (2008) qui la qualifient de « voix des acteurs faibles ». En regroupant, sous ce vocable, toutes les personnes disqualifiées, privées de reconnaissance, affaiblies par une catégorisation de l’action publique, les auteurs nous invitent à relire autrement le rapport dominant-dominé. Faibles, les parents et les enfants de la protection de l’enfance le sont, car discriminés, mais ils possèdent aussi des espaces d’autonomie, y compris celui de dire ou de ne pas dire, de répondre ou non à l’invite du chercheur qui sollicite une narration de son histoire. Le terme « faible » est emprunté à Michel de Certeau (1980), et celui d´« acteur faible » s’inscrit dans la volonté de réhabiliter les capacités et ressources d’action d’individus dominés, stigmatisés.
Rendre audibles les voix oubliées en protection de l’enfance, tel est sans doute l’objectif central de ce livre, mais il est aussi d’interroger les pratiques des chercheurs, leurs propres capacités ou incapacités à rendre compte d’un univers vécu qui n’est pas le leur, en n’oubliant pas qu’ils peuvent, à leur corps défendant, participer à la domination dénoncée. Nous avons ainsi préféré parler d’enfants et de parents, plutôt que d’acteurs, tant certains témoignages inscrits dans ce livre révèlent la faiblesse des marges de l’action. C’est sur ces marges que nous sommes allés repérer les enjeux de la recherche dans ce domaine qui est le nôtre : la protection de l’enfance. Mais nous ne méconnaissons pas, au-delà de l’humanité développée dans ces rencontres par entretiens, que la dissymétrie entre le chercheur et l’interviewé persiste, que ce dernier reste du mauvais côté de la barrière et que la notion d’acteur qui lui est octroyée n’est souvent qu’une illusion masquant la domination qui persiste. Ne parle pas qui veut ni qui peut, mais plutôt celui qui est parfois désigné pour le faire par l’institution, aussi ne sommes-nous pas dupes des enjeux qui traversent les recherches présentées dans cet ouvrage.
Ces enjeux se sont révélés multiples tant pour les témoins que pour les chercheurs. Personne ne sort totalement indemne de l’aventure de se dire, d’approcher au plus près des parcours de vie accidentés. Sept types de difficultés ont été repérés, tous présents dans les textes proposés, sans que ce nombre de sept vise une quelconque exhaustivité et fasse référence à la magie de ce chiffre. Sept serait plutôt ici la représentation du terrain miné qu’il faut parcourir pour donner corps à une recherche dont on ne sait jamais quel usage en feront les pouvoirs institutionnels et politiques qui l’ont parfois financée.
Le premier enjeu est éthique pour des chercheurs qui se réclament d’une sociologie engagée visant à modifier les pratiques des professionnels en direction des populations stigmatisées, dites aussi « vulnérables » par un phénomène d’euphémisation. Mais celles-ci le sont plus que d’autres puisque massivement elles font l’objet d’interventions le plus souvent judiciaires. Elles ont dû, plus que d’autres, se mettre à nu pour répondre de leurs actes, raconter leur vie pour obtenir tel ou tel subside, entrer dans des cases, des dénominations qui catégorisent et problématisent. En demandant à ces enfants et parents de témoigner, nous sommes conscients du risque de renforcement du stigmate, de rendre nos interlocuteurs de nouveau captifs d’une image que nous cherchons pourtant à combattre. Jusqu’où le chercheur, sous prétexte et au nom de la recherche, peut-il s’autoriser à ouvrir de nouveau certaines blessures, à pénétrer dans des histoires de vie déjà largement exposées ?
Le second enjeu est identitaire tant pour le chercheur qui peut se définir comme le bras armé des sans-voix, le dépositaire d’une parole, son protecteur, un libérateur de mots, un passeur entre deux mondes, un maïeuticien… que pour l’enfant et le parent qui témoignent de leur existence et qui ont à faire des choix, pas toujours conscients, des facettes de leur identité qu’ils voudront bien dévoiler et reconstruire dans et par le récit. Mais plus important encore, quelle écoute et quelle lecture aura le chercheur de ce qui se dévoile, ne sera-t-il intéressé que par l’identité blessée qui fascine ou par les axes de résistance, les refus, les stratégies de contournement, les silences, les zones d’ombre ? En d’autres termes, la recherche contribuera-t-elle à fixer le parent et l’enfant sous une image figée « d’enfant et de parent de la protection de l’enfance », sous une image unique « d’acteur faible », ou saura-t-elle dessiner des portraits en couleurs et des trajectoires adaptatives variées ? La notion d’acteur faible, malgré son intérêt, a été abandonnée pour cette raison. Nous préférions garder l’idée de rencontre avec des parents et des enfants de chair.
Le troisième enjeu est méthodologique, non seulement dans la sélection du type d’entretien, mais aussi dans le choix d’une approche déductive ou inductive, dans les thématiques adoptées, dans les tris jamais nommés entre ce qui est « entendable » et ce qui ne le sera pas. Le recueil de la parole des enfants pose encore d’autres problèmes liés à l’âge, au développement cognitif, au bagage linguistique. Le chercheur doit-il innover, proposer des outils plus ou moins standardisés ? Faut-il, comme le propose l’un des textes présentés, instituer des groupes de « chercheurs en herbe » constitués de jeunes, sortes d’intermédiaires entre le monde de la recherche et ceux qu’on veut rejoindre ? Mais ne crée-t-on pas ainsi un artéfact, un groupe artificiel, dont rien n’est dit des attentes personnelles, moteur de cette participation ? Qui sont ces jeunes qui coopèrent et, plus largement, tous ceux qui témoignent ? Pour eux quels sont les enjeux, les risques à s’exposer ainsi, mais aussi les avantages ?
Bien que ces recherches ne soient pas directement ancrées dans la clinique et la thérapie, nous ne pouvons méconnaître les risques liés à l’exposition de soi. Risques immédiats, mais aussi dans le temps, car l’anonymat respecté par les chercheurs n’interdit pas au lecteur de se reconnaître, de mesurer l’écart entre ce qu’il a voulu dire, cru dire, et ce qui a été entendu. Si la recherche peut permettre un renforcement narcissique, elle peut aussi déposséder celui qui s’est prêté au jeu.
Le cinquième enjeu est institutionnel et à ce titre non anodin. Les enjeux sont souvent majeurs pour l’institution qui met en jeu son image, qui attend un retour de ces témoignages, qui espère parfois la confirmation de son action. Mais les enjeux sont aussi du côté des témoins, qui ne mesurent pas toujours les répercussions de leur parole. Accéderont-ils par elle à une plus grande reconnaissance, à une meilleure visibilité, ou au contraire à une méfiance renforcée, voire à un retour au silence et à l’invisibilité, une fois le rideau de la scène participative refermé ?
En sixième lieu, les enjeux sont politiques, car le plus souvent les études sont commanditées pour les besoins de l’action. Recherches tiroirs, aussitôt oubliées parce que venant bousculer l’ordre établi, recherches instrumentalisées dont on ne ponctionnera que l’utilement « correct », recherches créatrices d’autres pratiques… Le spectre est large et imprévisible, mais pour les témoins, c’est souvent l’invisible qui surgit, l’incapacité à connaître les effets de cette parole confiée. Don sans contre-don, du moins dans ce champ politique qui reste opaque et inaccessible, d’où la nécessité pour le chercheur de penser à l’après, à la restitution peut-être, mais pas toujours, d’au moins son écho pour dire à celui qui a parlé qu’il ne l’a pas fait pour rien.
Enfin, l’idée qui anime tous les contributeurs de ce livre est que cette voix des enfants et des parents revêt une valeur inestimable, en matière de savoirs d’expérience, des savoirs qui échappent à toute personne hors de cet univers vécu. C’est à partir de ces savoirs que nous espérons alimenter la réflexion des professionnels du terrain, pour conforter, valider, alimenter, transformer ou interroger leurs pratiques. C’est notre septième enjeu, non le moindre.
Nous avons regroupé les contributions en trois parties. La première interroge les méthodes et les questions d’éthique de ce type de recherches qui proposent aux enfants et aux parents de prendre la parole. Le chapitre de Sellenet met en perspective le positionnement éthique et social du chercheur face aux parents de la protection de l’enfance qui se livrent dans le cadre d’entretiens qualitatifs. Dans le chapitre 2, Jamoulle décrit les jeux de tension, les risques éthiques et les ajustements méthodologiques liés à une enquête ethnographique auprès de familles immigrées, précaires et banlieusardes. Lacharité, dans le chapitre 3, présente une analyse de dispositif de la protection de l’enfance en tant que contexte institutionnel qui transforme plus ou moins radicalement la parole des enfants et des parents ainsi qu’une description des actes de résistance de ces derniers qui servent de fondements à une pratique professionnelle participative. Le chapitre 4 permet à Bélanger et Milot de faire état d’une méthode d’analyse des échanges verbaux entre de jeunes enfants et leur mère et d’explorer l’utilité de ces récits narratifs dans le contexte de la protection de l’enfance. Le dernier chapitre de cette partie, rédigé par un collectif d’auteurs sous la responsabilité de Robin, décrit les principaux enjeux liés à la participation de jeunes de la protection de l’enfance non seulement comme sujets de recherche, mais également comme acteurs et coconstructeurs de cette recherche.
La seconde partie, composée de six chapitres, rend compte de certaines recherches directement centrées sur la parole des enfants en protection de l’enfance. Les trois premiers chapitres sont ancrés dans le contexte français. Chaïeb, Fourcade et Séraphin décrivent les Unités d’accueil médico-judiciaire (UAMJ) en tant que dispositif permettant de soutenir la prise de parole des enfants et de formaliser le recueil de celle-ci. Chapon et Siffrein-Blanc s’interrogent sur la parole de l’enfant, son expression, sa mise en œuvre au regard de celle de son parent dans le contexte de l’accueil familial. Bongard, Mellier et Mandrillon, quant à eux, présentent une modalité clinique, le « Livre des souvenirs », qui permet au psychologue de soutenir la parole de l’enfant placé en tenant compte des formes d’adversité auxquelles il a été exposé et qui affectent sa capacité psychologique à rendre compte de son vécu expérientiel. Le chapitre suivant décrit une expérience italienne, menée par Milani, Serbati et Ius, à l’intérieur de laquelle un outil graphique, Le monde de l’enfant, est utilisé pour soutenir les enfants (et aussi leurs parents) dans l’analyse de leurs propres besoins, de la réponse que leurs parents apportent à ceux-ci et des facteurs environnementaux qui les touchent directement. Les deux derniers chapitres de cette partie présentent des travaux ancrés dans le contexte québécois. Dufour et Maillé se sont penchées sur les défis du recueil de la parole des enfants qui sont exposés à la violence conjugale et sur la contribution de leur perspective à la compréhension de la complexité relationnelle inhérente à ces situations familiales. Malo et Lamothe, de leur côté, s’attardent à faire état de la perspective qu’ont des adolescents suivis en protection de l’enfance sur les rêves qu’ils ont et les plans d’avenir qu’ils font à propos d’eux-mêmes.
Enfin, la dernière partie se centre sur la parole des parents. Elle est composée de six chapitres, dont le premier permet à Lacroix, Oui et Séraphin de présenter une analyse qui articule les dimensions juridiques de l’action publique et du travail social dans le but de rendre compte des principaux enjeux liés à la participation des parents en protection de l’enfance administrative en France. Les autres chapitres de cette partie sont tirés du contexte québécois. Dans le collectif sous la responsabilité de Clément, le dispositif de pédiatrie sociale qui vise les enfants et les familles « vulnérables » est examiné sous la perspective qu’en ont les parents qui ont été en relation avec les professionnels qui y œuvrent. Les deux autres chapitres se penchent sur la perspective des parents lorsque l’enfant est placé en famille d’accueil au Québec. Noël et Saint-Jacques abordent la perspective des mères des familles d’origine de ces enfants, et Pagé et Poirier, par un effet de miroir, font état de la perspective des parents qui accueillent ces derniers et qui font partie de ce qui est appelé la « banque mixte » des centres jeunesse. Les deux derniers chapitres de cette partie présentent les résultats d’études menées auprès d’un personnage souvent oublié de la protection de l’enfance : le père. Côté et Lacharité ont permis à ces pères de s’exprimer sur leur expérience paternelle, la relation avec leurs enfants de même que sur le soutien et les obstacles qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur rôle au regard du dispositif de protection de l’enfance. Le collectif sous la responsabilité de Devault, quant à lui, examine plus particulièrement la perspective que ces pères ont de l’organisation institutionnelle à l’intérieur de laquelle ils se retrouvent et les conditions qui favorisent l’expression et la prise en compte de leur parole à l’intérieur de celle-ci.
L’ouvrage se termine par une brève conclusion qui propose aux lecteurs certains grands débats qui demeurent d’actualité dans la prise en compte, le recueil, l’interprétation et les répercussions de la parole des enfants et des parents en protection de l’enfance. Elle les invite notamment à se poser un ensemble de questions qui demeurent en suspens.
Dans la multiple rencontre Faisons à tout sa part Afin que l’ordre se montre Parmi les propos du hasard.
Rainer Maria
Rilke (1978)
Dites-leur qu’on n’est pas des sauvages !
Être chercheur en protection de l’enfance, auprès de ces gens-là (Pétonnet, 1968), c’est entrer dans des zones critiques d’existence. C’est s’interroger sur les raisons de cette intrusion, la place du chercheur dans le processus de connaissance et la fonction des savoirs qu’il produit. C’est, enfin, non seulement travailler sur les méthodes de recueil de la parole, son analyse, mais aussi plus profondément réfléchir aux dimensions éthiques de la recherche (April, 2007). C’est donc se soucier des conditions de la rencontre avec celui qui accepte de parler, apprendre le dialogue, l’analyse de soi et d’autrui dans ce face-à-face (Malherbe, 1997).
« Dites-leur qu’on n’est pas des sauvages ! » C’est par cette apostrophe lancée en fin d’entretien par un parent que nous commencerons la réflexion proposée dans ce chapitre. À la demande de connaissances du chercheur répond la réaction singulière de l’interlocuteur de terrain : affirmer la distinction entre l’humain et le sauvage, dire combien le regard de la société peut être stigmatisant. Le message s’adresse à tous, mais aussi au chercheur qui pourrait avoir, lors de ces entretiens, la position d’un entomologiste observant une microsociété à la loupe, ou celle d’un ethnologue découvrant une contrée lointaine et primitive. La vigueur du message mérite bien qu’on s’y arrête.
Le Robert historique de la langue française note que le mot « sauvage » (« salvage » au
xii
e siècle) comporte l’idée d’étrangeté et s’applique à la fois aux humains considérés comme anormaux, extraordinaires (v. 1165), mais aussi à ceux qu’on juge rudes, grossiers, incultes, proches d’un état de nature (1165-1170). Au
xix
e siècle, un sauvage est un être humain grandi sans contact avec la civilisation (1831), ou encore un individu cruel (1847), puis grossier, un béotien (1887).
À quel sens se référait notre interlocuteur ? Voulait-il mettre l’accent sur la courtoisie bien réelle de son accueil, sa non-dangerosité ? Voulait-il dénoncer la violence du regard porté sur les parents d’enfants placés, refuser ce stigmate ? Voulait-il me charger d’un message pour les professionnels dont il venait de dénoncer l’absence, leur dire qu’il les attendait « de pied ferme » pour discuter comme nous l’avions fait ?
En tout cas, il venait ainsi nous rappeler le risque de considérer tout interlocuteur, lors de la recherche, comme un bon sauvage acceptant sagement de témoigner pour la bonne cause, pour aider le chercheur qui emportera son trésor dans la sphère universitaire. Il nous faut donc dire un peu plus quels sont nos choix.
La première partie de ce chapitre rappellera les différentes approches en recherche qualitative, leurs forces et leurs limites. Puis, nous illustrerons l’approche qualitative à partir des témoignages de parents confrontés au placement de leur enfant, avec un droit unique de visites médiatisées. Peu entendus, contraints par la mesure qui les touche, ces parents manquent de visibilité sociale. Ils sont doublement disqualifiés, d’abord par le placement, puis par une réduction de leurs droits à l’intimité lors de la rencontre. Savons-nous ce qu’ils vivent, avons-nous entendu leurs doutes, leurs envies, leurs espoirs, leurs défaites ? Était-il possible au chercheur d’accompagner l’avènement d’une langue des parents, de faire entendre ceux qui se taisent et subissent, bon gré, mal gré, ce type d’intervention ? C’est le pari que nous faisons pour alimenter la réflexion sur « ce que parler veut dire ».
1.1. Quel statut donner à la parole des gens ?
Entendre, savoir écouter, mener un entretien, rien de cela n’est simple. « Au cours de la prise de contact et du premier échange, s’amorce une entreprise où peu à peu les signes d’apprivoisement mutuel s’engrangent, se scelle un pacte autour d’une invitation à se raconter et à être écouté » (Bergier, 2000, p. 14). Mais ce pacte ne dit généralement rien du comment seront utilisés les témoignages, du statut donné à la parole de celui qui s’expose, des enjeux institutionnels.
La plupart du temps, le consentement ne porte que sur l’acquiescement à la rencontre, à l’enregistrement, mais celui qui parle sait peu de choses du devenir de cette parole, sinon qu’elle sera anonyme pour ne pas lui nuire. Mais est-ce suffisant pour que cette parole advienne et que l’interlocuteur se sente reconnu comme sujet de cette parole ?
Cela est vrai lors de l’enregistrement de cette parole, mais plus encore lors de son analyse, comme le montrent Didier Demazière et Claude Dubar (2007) dans leur livre Analyser les entretiens biographiques. L’exemple des récits d’insertion. Les auteurs repèrent trois types d’approches donnant chacune un statut différent à la parole des personnes interviewées. La présentation de ces trois approches nous semble incontournable pour prendre la mesure de la contribution de la recherche qualitative à la compréhension des populations négligées, l’un des buts qu’elle peut se donner, mais non le seul. Nous illustrerons ces trois modalités de lecture des entretiens par des exemples pris dans nos propres recherches, afin d’en faire la critique.
1.1.1. La parole des gens, un réservoir d’opinions et d’anecdotes
La première modalité de lecture repérée est dite hypothético-déductive. Dans cette configuration, la théorie préexiste la découverte, les paroles des témoins sont utilisées de façon illustrative. Le chercheur possède une théorie préalable et l’organisation de l’entretien se fait autour d’un certain nombre d’hypothèses, même si la découverte de processus et de relations causales inconnues n’est pas interdite.
« Dans cette perspective, l’entretien est passé à la moulinette et en ressort en morceaux ventilés dans une multitude de rubriques […] La parole des gens est ainsi fragmentée en fonction des catégories qui arrangent le chercheur et indépendamment de la manière dont les gens mettent en mots leurs propos » (Demazière et Dubar, 2007, p. 19). Demazière et Dubar montrent ainsi que « la parole des individus enquêtés est analysée comme un réservoir d’opinions et d’anecdotes, et non comme la trace d’une production de sens, dans l’interaction d’enquête, des expériences vécues » (p. 19). En ce sens, on peut dire :
[La parole des témoins ne] vise qu’à produire un effet de vérité, en introduisant du vécu, qui est aussi laissé à l’état brut. Le discours produit dans l’entretien n’est pas véritablement analysé, il est thématisé […] La citation vient illustrer l’analyse au sens d’une ornementation comme pourrait le faire une image […] D’outils de découverte, les fragments d’entretiens sont utilisés dans une logique d’administration de la preuve […] ou sont orientés vers la confirmation d’une hypothèse, d’une affirmation sociologique (Demazière et Dubar, 2007, p. 21).
Cette méthode, largement enseignée dans les manuels, peut être retrouvée dans nos premiers travaux sur les violences auxquelles sont confrontées certaines personnes, parmi les plus démunies. En reprenant la théorie de la honte de Vincent de Gaulejac (1996) et ce qu’il appelle les violences humiliantes, il est en effet possible au chercheur de matérialiser ce sentiment de souffrance, par le témoignage de parents dont l’enfant est placé. Perdre la face sur le plan de la parentalité, perdre le dernier statut social valorisé est une épreuve, et les deux témoignages qui suivent, recueillis par nos soins, donnent une légitimité à cette théorie de la honte.
Celui d’une maman toxicomane qui dit :
Je voulais au moins bien faire avec les enfants, réussir au moins cela même si pour le reste cela ne va pas. J’avais besoin qu’on me dise que j’avais échoué ça aussi, j’avais besoin qu’on me dise stop, mais pas qu’on me fasse honte comme cela.
Ou cette autre qui note :
J’avais peur des interprétations extérieures, des regards, le regard