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Les FONDEMENTS DE LA PSYCHOLOGIE DU COUPLE
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Les FONDEMENTS DE LA PSYCHOLOGIE DU COUPLE

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En dépit de profondes mutations s’enchaînant à un rythme accéléré, le couple demeure, en 2017, un noyau de l’organisation de la vie personnelle et sociale. En misant sur une analyse des multiples déterminants du fonctionnement conjugal, les auteurs de ce collectif proposent un tour d’horizon détaillé des réponses scientifiques contemporaines aux principales questions qui se posent en matière de psychologie du couple.

Pour ce faire, ils vont au-delà des préjugés et des dogmes. En effet, ils sont d’avis que certaines connaissances – qui sont ici remises en question, retravaillées, clarifiées et contestées à la lumière de faits – constituent un antidote de choix aux visions simplifiées, trop optimistes ou trop pessimistes, de l’organisation de la vie de couple. Cette analyse approfondie offre un éclairage scientifique sur les fondements et concepts théoriques de la relation de couple, sur son développement, sur les processus relationnels sous-jacents au fonctionnement conjugal optimal, ainsi que sur les méthodes de recherche et d’intervention auprès des couples.

En nourrissant la réflexion sur un ensemble d’enjeux relationnels complexes, cet ouvrage saura plaire à tout professionnel de la psychologie du couple.
LanguageFrançais
Release dateOct 2, 2019
ISBN9782760546820
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    Les FONDEMENTS DE LA PSYCHOLOGIE DU COUPLE - Yvan Lussier

    TCE

    FONDEMENTS DE LA PSYCHOLOGIE

    DU COUPLE

    En dépit de profondes mutations qu’il vit à un rythme accéléré, le couple demeure, en 2017, un noyau dur de l’organisation de la vie personnelle et sociale. Aux règles explicites fondées sur des conceptions religieuses ou laïques du mariage – souvent abusives, injustes et inéquitables – a succédé une série de normes moins restrictives redéfinissant les rapports amoureux selon une nouvelle grammaire dont les codes ont gagné en souplesse. Cohabitation informelle dépourvue de statut ou cohabitation discontinue, contrat d’union civile ou pacte civil de solidarité, couples de même sexe avec ou sans enfant, relations polyamoureuses, recomposition familiale, la structure du couple et de la famille s’est enrichie d’une diversité de modèles et de pratiques qui visent à répondre aux besoins pluriels de chacun et de ses proches. Cette liberté sans précédent constitue une réponse sociétale adaptée à la riche mouvance du développement relationnel. Elle contribue à apaiser les souffrances humaines d’un nombre croissant d’individus qui réclament, à juste titre, une plus grande tolérance et une ouverture à des modes alternatifs d’organisation de la vie à deux.

    La déréglementation des rapports de couple n’est cependant pas une solution miracle et elle ne freine pas la précarisation des unions. Par exemple, les médias sociaux et les nouvelles technologies numériques viennent modifier irrémédiablement le processus de choix d’un partenaire amoureux ou sexuel. Ils procurent un réservoir presque sans limite de candidats potentiels où trouver le conjoint idéal. L’abondance de choix conduit toutefois souvent à de douloureux déchirements, à des sentiments chroniques de paralysie décisionnelle, à la peur obsessionnelle de se tromper ou à des remises en question sérielles de l’engagement. À quand l’algorithme mathématique imparable qui garantira le bonheur conjugal et qui réduira à néant le risque d’échec? La prise de décision relationnelle en contexte d’incertitude doit pourtant s’inspirer de conseils simples: ralentir le rythme, combattre l’autoaveuglement, s’assurer de partager des valeurs communes, maximiser le dévouement mutuel, optimiser ses attentes, etc. (Stanley, 2015).

    De même, la libéralisation et la modernisation des parcours de vie ne s’accompagnent pas, pour l’instant, d’une diminution des taux de divorce ou de désunion, de la prévalence de la violence physique ou sexuelle au sein des relations amoureuses ni d’une amélioration de la satisfaction des partenaires ou du bien-être sexuel populationnel. Encore en 2017, les troubles conjugaux précèdent souvent ou accentuent le développement des problèmes de santé mentale ou physique, les sentiments d’aliénation, d’exclusion, de honte et d’isolement sociaux, la présence de difficultés économiques, les ennuis juridiques, etc. Le relâchement des normes relationnelles, la multiplication des options de vie acceptables et le rejet de la pensée unique en matière d’union conjugale n’ont pas freiné la montée des unions de courte durée caractérisées par la fragilité de l’attachement amoureux. S’agit-il d’une transition temporaire, d’une nécessaire période d’adaptation personnelle et sociale auxquelles succédera éventuellement une phase de stabilisation marquée par une plus grande harmonie? Il n’y a pas, pour l’instant, de réponse claire à cette question. Plusieurs continuent d’être englués, paralysés et rêvent d’une vie conjugale allégée qui ne se concrétise pas.

    En réponse à ces interrogations, nous proposons un tour d’horizon le plus complet possible des réponses scientifiques contemporaines disponibles en psychologie du couple. Au-delà des préjugés et des dogmatismes, nous présentons un ouvrage, fruit d’un effort collectif, susceptible de nourrir la réflexion sur un ensemble d’enjeux relationnels complexes. Ces connaissances, régulièrement remises en question, retravaillées, clarifiées et contestées, à la lumière des faits, constituent un antidote de choix aux visions simplifiées, trop optimistes ou trop pessimistes, de l’organisation de la vie de couple. Cet ouvrage s’adresse aux étudiants de plusieurs disciplines – psychologie, psychoéducation, travail social, sociologie, sexologie, etc. – aux chercheurs ainsi qu’aux professionnels de la santé mentale qui travaillent auprès de couples.

    Le manuel Les fondements de la psychologie du couple comporte 24 chapitres divisés en cinq parties sur divers sujets: fondements et concepts théoriques des relations conjugales, notions développementales en relation de couple, processus relationnels sous-jacents au fonctionnement conjugal, problèmes relationnels spécifiques aux relations conjugales et méthodes de recherche et d’intervention auprès des couples.

    La première partie de cet ouvrage vise à présenter certains fondements et concepts théoriques primordiaux nécessaires à la compréhension des relations conjugales. Le chapitre 1, écrit par Dugal, Bigras, Laforte, Godbout et Bélanger propose les principaux systèmes conceptuels et typologiques élaborés pour tenter de rendre compte de la nature des relations conjugales. Les auteurs font une description critique des diverses conceptualisations et modélisations conçues pour décrire la fonction, la nature et les types de relations amoureuses. Ils proposent ensuite un modèle intégrateur prenant en considération les forces de ces modèles, palliant les lacunes de chacun d’eux à la lumière de récents écrits scientifiques sur le couple. Ce modèle, qui envisage le couple comme le résultat des interactions constantes entre l’intimité, la passion, l’engagement et la sexualité entre les deux partenaires, vise à stimuler la réflexion des lecteurs et à promouvoir une compréhension contemporaine des relations conjugales.

    Reprenant la théorie de l’attachement telle qu’expliquée dans les chapitres portant sur les modèles et typologies et sur l’ajustement dyadique, Brassard, Lussier, Lafontaine, Péloquin et Sabourin approfondissent la notion de l’attachement dans les relations de couple dans le chapitre 2 de ce manuel. Ils proposent d’abord une synthèse de la contribution de cette théorie à la compréhension du développement, du maintien, de la dissolution et du fonctionnement des relations intimes et des difficultés vécues par les couples. Ils abordent ensuite le contexte du développement de cette théorie, son adaptation aux relations amoureuses adultes, les instruments mis au point pour mesurer l’attachement ainsi que la façon dont cette théorie explique plusieurs enjeux propres à la dynamique conjugale tels que le soutien et la communication entre les partenaires, la gestion de conflits, la violence conjugale, la sexualité et l’ajustement dyadique.

    Dans le chapitre 3, qui porte sur la personnalité et les relations de couple, Bouchard, Daspe, Savard, Verreault, Blais-Bergeron et Sabourin présentent le concept de personnalité sous divers angles. D’abord, ils expriment comment les manifestations normales de certains traits généraux de la personnalité, tels que le névrosisme, l’extraversion, l’ouverture à l’expérience, l’amabilité ou la propension à être consciencieux, sont associés à divers aspects de la dynamique conjugale. Ensuite, ils présentent les enjeux conjugaux auxquels sont confrontées les personnes qui souffrent d’un trouble de la personnalité. Ils expliquent, de façon précise, comment certains traits de personnalité inadaptés ou polarisés représentent une entrave importante à l’harmonie et à l’ajustement dyadique, d’ailleurs l’un des concepts théoriques les plus étudiés au sein des relations conjugales.

    Dans le chapitre 4, Bélanger, Dugal, Courchesne, Godbout et Lussier décrivent tout d’abord l’historique du développement de la notion d’«ajustement dyadique», terme ayant au fil du temps été décrit comme un synonyme de satisfaction ou d’adaptation conjugale, de stabilité maritale, de bonheur et de succès conjugal, puis ils font un survol des instruments les plus fréquemment utilisés pour mesurer cette variable. Les auteurs illustrent ensuite l’intérêt de nombreux chercheurs pour tenter de circonscrire les facteurs comportementaux, démographiques, neurobiologiques, psychologiques et sociaux associés à l’ajustement dyadique. L’un des facteurs exerçant une influence considérable sur l’ajustement dyadique est la sexualité. En effet, bien que souvent négligée par plusieurs chercheurs et intervenants, la sexualité mérite une attention particulière dans l’étude des relations amoureuses. Dans le chapitre 5, Bergeron, Léger-Bélanger et Bois tentent de pallier ce manque en offrant au lecteur un survol des éléments théoriques et méthodologiques liés à l’étude de la sexualité dans le contexte des relations amoureuses. Les auteures exposent une analyse des similitudes et des différences entre les comportements sexuels des hommes et ceux des femmes avec une attention particulière portée aux données sur la satisfaction sexuelle et l’expression du désir sexuel. Elles font également état des connaissances sur les principales dysfonctions sexuelles pouvant être vécues par les couples, leur prévalence, leur étiologie et leurs principaux traitements.

    Dans la deuxième partie de ce manuel, il est question de quelques notions développementales propres au couple. Les couples, tout comme les individus qui les composent, sont en constant changement. Que ce soit en réponse à l’âge des partenaires, aux demandes de leur environnement, à leur historique personnel, ou à l’étape à laquelle la relation se trouve (p. ex., mariage, séparation, naissance des enfants), le couple progresse et change, au même titre que les partenaires évoluent et apprennent. La deuxième partie du manuel vise donc à rendre compte de cette perspective en présentant certaines des étapes développementales des relations conjugales.

    Tout d’abord, dans le chapitre 6, Daspe, Lemelin, Lussier et Sabourin abordent le processus de formation des relations de couple en présentant les éléments qui y sont centraux, tels que l’attraction et le dévoilement de soi, ainsi que les défis pouvant se présenter au cours de ce processus. Certains contextes particuliers, tels que l’initiation d’une relation après une rupture amoureuse, la rencontre éclaire (speed dating) et les rencontres sur Internet, sont aussi discutés sous l’angle des enjeux qu’ils représentent dans la formation des relations amoureuses. Certains de ces enjeux sont reconnus comme pouvant provenir de l’influence d’événements vécus au cours du développement des partenaires amoureux. D’ailleurs, l’influence des expériences relationnelles précoces sur la formation des relations intimes et la stabilité de l’union conjugale est particulièrement observable chez les survivants de traumas interpersonnels à l’enfance. Dans le chapitre 7, Godbout, Bigras, Runtz et Briere font un survol des séquelles conjugales liées à ce type de traumas. Précisant tout d’abord les aspects définitionnels et statistiques des différents traumas interpersonnels, les auteurs synthétisent ensuite les principaux modèles conceptuels et empiriques qui permettent de comprendre les liens – directs et indirects – entre les traumas interpersonnels et la relation de couple, ainsi que les facteurs de risque et de protection qui y sont associés.

    L’arrivée des enfants et les transformations conjugales qui en découlent, représentent d’importantes étapes développementales au sein des relations de couple. Bien que la décision de fonder une famille ne soit pas propre à toutes les relations conjugales, elle demeure néanmoins vécue par une majorité de couples. Les enjeux développementaux complexes et à facettes multiples qui s’y rattachent méritent d’être abordés dans cet ouvrage. Pour ce faire, le chapitre 8, écrit par Bouchard, aborde les répercussions de la naissance d’un premier enfant sur la vie conjugale des nouveaux parents en résumant les répercussions de la transition à la parentalité notamment en ce qui a trait à la satisfaction conjugale des parents et à la stabilité de leur union. L’auteure discute ensuite du rôle de diverses variables, comme le moment et le caractère planifié ou non de la première grossesse, le statut conjugal des parents et les attentes prénatales des conjoints, sur la trajectoire relationnelle des couples faisant l’expérience de la transition parentale. Le chapitre 9 poursuit le travail amorcé par Bouchard mais porte davantage sur les défis auxquels les conjoints en situation de parentalité sont confrontés. Dans leur chapitre, Ensink, Dugal, Lebel, Biberdzic et Normandin adoptent une approche en deux temps en précisant tout d’abord les mécanismes par lesquels la satisfaction et la détresse vécues au sein du couple parental peuvent infléchir le développement des enfants puis en présentant, à l’aide de la perspective de la mentalisation, les défis auxquels sont confrontés les parents, plus particulièrement la mère, face aux besoins de l’enfant. Une réflexion concernant les familles non traditionnelles pour lesquelles la transition à la parentalité a lieu dans un contexte moins supportant où les deux parents ont moins de modèles pour les guider est aussi exposée dans ce chapitre.

    Une autre étape développementale qu’ont à traverser de nombreux couples est l’avancement en âge. L’objectif du chapitre 10 écrit par Gauvreau et Lapierre est de porter un regard scientifique sur la réalité des couples âgés en présentant les résultats les plus probants des études menées sur le fonctionnement des couples âgés: les éléments qui déterminent la satisfaction conjugale, les différents défis et changements auxquels les couples font face ainsi que les approches cliniques spécifiques à cette population. Ce chapitre traite ensuite de l’importance du sentiment amoureux et des besoins de proximité et d’intimité avec l’autre chez les couples qui avancent en âge.

    La troisième partie de ce manuel est consacrée aux processus relationnels qui permettent de moduler et de régulariser les interactions entre les partenaires amoureux. Dans le chapitre 11, Laberge, Lussier et Sabourin présentent l’influence des processus cognitifs – particulièrement l’attention sélective, les attentes, les croyances, les standards et les attributions –, sur les interactions conjugales et sur certaines interventions en psychothérapie conjugale. Pour leur part, Bélanger, Marcaurelle, Lazaridès, Gravel Crevier et Lafontaine misent, dans le chapitre 12, sur l’effet plus comportemental de la communication et de la résolution de problèmes sur la satisfaction conjugale. Dans ce chapitre, les auteurs font état des multiples variables communicationnelles qui déterminent la satisfaction conjugale ainsi que des facteurs, tels que les cognitions, la personnalité ou le style d’attachement, qui affectent la communication et la résolution de problèmes dans la relation de couple. Le chapitre 13, présenté par Naud, Lussier et Sabourin, s’intéresse à l’impact du stress et des stratégies d’adaptation sur les relations intimes. Plus spécifiquement, les auteurs y expliquent comment les stratégies d’adaptation utilisées par un couple à l’égard des différents stresseurs, tels que les difficultés psychologiques et physiques présentées précédemment, influencent leur ajustement. Les diverses conceptualisations théoriques et typologiques du stress et des stratégies d’adaptation ainsi qu’un survol des études empiriques sur le stress et les stratégies d’adaptation chez les couples – comprenant une discussion des différences hommes femmes, de la qualité de la relation conjugale et de la stabilité des unions – y sont aussi abordés. Brassard et Houde se concentrent de façon plus précise dans le chapitre 14 sur l’un de ces stresseurs: les conflits au sein du couple. Ils présentent les multiples définitions et fonctions des conflits dans le couple, puis exposent différentes façons de les mesurer. Les auteures traitent ensuite de l’évolution et des conséquences de ces conflits au cours des différentes étapes de la relation (p. ex., la fréquentation, la cohabitation, le mariage) ainsi que des caractéristiques personnelles et contextuelles pouvant les moduler.

    Enfin, dans le chapitre 15, Gabbay, Lafontaine, Péloquin, Flesch et Fitzpatrick rendent compte du processus relationnel chez les individus en relation de même sexe. En outre, malgré qu’il existe beaucoup plus de similarités que de différences entre les couples homosexuels et hétérosexuels, les couples homosexuels vivent certains enjeux qui leurs sont propres. Les auteurs abordent le contexte social à l’intérieur duquel ces couples évoluent, en portant une attention particulière à l’effet du stress minoritaire sur la satisfaction conjugale, l’engagement et la stabilité des relations entre personnes de même sexe. Les enjeux propres à ces dyades sont ensuite soulignés dans un portrait englobant la sexualité, la résolution de problèmes, la communication, la violence conjugale et la parentalité vécues chez les couples de même sexe.

    La quatrième partie de ce manuel vise à offrir aux lecteurs une meilleure compréhension des problématiques pouvant être vécues par les partenaires amoureux. Les chercheurs s’intéressant aux relations conjugales ont rapidement observé qu’il existe de nombreuses problématiques propres aux relations de couple auxquelles les conjoints doivent parfois faire face. En outre, depuis quelques décennies, de nombreux chercheurs se sont attardés à tenter d’identifier et de comprendre les difficultés d’ordre psychologique, physique et interactionnel que peuvent vivre les partenaires amoureux et leur effet sur le fonctionnement conjugal.

    Bélanger, El-Baalbaki, Gravel Crevier et Marcaurelle abordent aussi dans le chapitre 16 l’effet sur le couple des difficultés psychologiques chez les conjoints, particulièrement les problèmes de santé mentale. Soulignant l’association robuste entre la détresse conjugale et les problèmes de santé mentale, ce chapitre a pour objectif de jeter un regard critique sur ce domaine de recherche, afin de développer une compréhension fine de cette double problématique. Les auteurs s’intéressent à quatre grandes problématiques psychiatriques qui sont ressorties comme centrales dans les écrits scientifiques: les problèmes d’anxiété, de dépression, d’abus de substance et les troubles de la personnalité.

    Les problématiques d’ordre physique et leur effet sur le fonctionnement conjugal méritent aussi une attention particulière. Tout d’abord, dans le chapitre 17 portant sur le fonctionnement conjugal et les problèmes de santé, Lafontaine, Greenman, Péloquin, Nouwen et Bélanger examinent la connexion bidirectionnelle entre les relations de couple et certaines conditions médicales chroniques telles que le diabète, la douleur chronique et la maladie coronarienne. Ils y présentent les mécanismes par lesquels les changements de responsabilités, de rôles, ainsi que de relations aux autres causés par ces maladies ont un impact délétère non seulement sur la personne atteinte, mais également sur le partenaire conjugal et la relation dans son ensemble. Les auteurs font également ressortir, de façon détaillée, la façon dont la compromission de la qualité de la relation conjugale peut, à son tour, affecter la santé physique des partenaires.

    Abordant les enjeux liés au poids, à l’alimentation et à l’image corporelle au sein des relations de couple, Bégin, Côté et Gagnon-Girouard offrent, dans le chapitre 18, une compréhension spécifique et novatrice de l’influence de l’apparence physique sur le processus de formation et de stabilisation de l’union conjugale ainsi que sur le niveau d’engagement et de satisfaction sexuelle ressentie envers le conjoint. Dans leur chapitre, les auteures traitent des liens complexes et bidirectionnels entre le poids et l’image corporelle, le statut civil, la suppression des émotions au sein du couple et la satisfaction conjugale et sexuelle. Elles y abordent la fonction et les répercussions de certains comportements alimentaires dysfonctionnels sur les interactions conjugales ainsi que la façon dont les problèmes et tensions au sein du couple se répercutent sur les comportements alimentaires des partenaires et sur la qualité de l’alimentation de leurs enfants. Bégin et ses collègues soulignent l’importance de développer les connaissances sur le développement d’interactions conjugales plus positives qui contribuent, au long cours, à améliorer le rapport des partenaires à la nourriture ainsi que la relation conjugale elle-même.

    En plus des problématiques psychologiques ou physiques qui ont un effet délétère sur les relations de couple, il y a les problématiques spécifiques à l’expérience de la relation conjugale. Elles sont multiples chez les couples. Conflits, violence et infidélité n’en sont que quelques exemples. Le stress et les conflits au sein du couple sont inévitables. C’est la façon dont chacun des partenaires – tant de façon individuelle qu’en équipe – parvient à s’y adapter et à gérer les conséquences qui en résultent qui minimise ou amplifie l’importance de ces stresseurs et détermine s’ils entraînent des conséquences négatives plus ou moins importantes pour les conjoints.

    Décrite par Lussier, Lafontaine, Brassard et Sabourin comme une transgression brutale des frontières de l’intégrité physique et psychologique du partenaire amoureux, la violence conjugale demeure une réalité commune pour de nombreux couples et représente une forme extrême de conflits conjugaux engendrant de profonds bouleversements psychologiques, conjugaux et sociaux. L’objectif du chapitre 19 consiste à présenter l’état des recherches contemporaines en matière de violence conjugale. Les principales définitions et divers aspects de la violence conjugale et de ses conséquences seront présentés, suivis de statistiques sur l’ampleur de ce phénomène. Le chapitre offre ensuite une analyse des principaux modèles explicatifs de la violence au sein du couple de même que des typologies développées pour identifier les caractéristiques permettant de différencier certains sous-groupes d’hommes et de femmes usant de violence conjugale.

    Picard et Sabourin abordent dans le chapitre 20 l’une des principales causes de divorce et un motif très fréquent de consultation en thérapie conjugale: l’infidélité. Particulièrement traumatique au sein des relations de couple, l’infidélité est un phénomène qui comporte son lot de conséquences pour l’un est l’autre des partenaires amoureux. Ce chapitre se veut donc une synthèse des connaissances actuelles sur les liaisons extraconjugales, leurs multiples formes, leur prévalence, les circonstances pouvant entourer leur dévoilement et les conséquences qu’elles peuvent avoir. Trois grands modèles étiologiques sont aussi abordés pour comprendre différents facteurs explicatifs de l’infidélité et raffiner la compréhension du lecteur quant au développement et au maintien des liaisons extraconjugales. Les étapes du rétablissement suite à l’infidélité sont finalement présentées aux lecteurs.

    Pour conclure la partie sur les problématiques conjugales, le chapitre 21 rédigé par Eid et Lachance-Grzela présente les principaux enjeux liés aux ruptures amoureuses ainsi que la diversité des facteurs culturels, personnels et dyadiques associés à la séparation et au divorce. Dans ce chapitre, les auteures discutent des grandes théories élaborées pour comprendre l’instabilité et la séparation conjugales, les conséquences personnelles, familiales et économiques des ruptures ainsi que les étapes du désengagement amoureux. Le chapitre propose finalement des stratégies d’adaptation empiriquement validées pour aider les individus à surmonter la rupture amoureuse et à composer avec la perte du partenaire et l’évolution du concept de soi qui en résultent.

    Afin d’obtenir une compréhension spécifique et exhaustive des processus qui déterminent les relations conjugales, de nombreux chercheurs et cliniciens en ont fait leur objet d’étude. Or, l’étude d’un phénomène se doit d’être rigoureuse, valide et standardisée afin d’être en mesure d’examiner le construit observé de façon fiable et d’en déduire des théories et opérationnalisations empiriques qui pourront être utilisées par l’ensemble de la communauté scientifique et comprises par celle des spécialistes de l’intervention auprès de cette clientèle. La cinquième et dernière partie de cet ouvrage vise donc à présenter un état des connaissances sur les méthodes de recherche en étude des relations de couple ainsi qu’un bref aperçu de protocoles de psychothérapie de couple qui sont les plus appuyés par cette même étude des relations de couple.

    Dans le chapitre 22, portant sur les méthodes de recherche en psychologie du couple, Paradis et Fernet soulignent la pertinence de l’intégration des deux membres de la dyade conjugale dans l’étude des mécanismes conjugaux. Considérant la nature réciproque et interdépendante des mécanismes dyadiques, elles invitent les chercheurs intéressés à développer une meilleure compréhension des relations de couple à réaliser la collecte de données auprès des deux conjoints afin de bien rendre compte des mécanismes propres aux relations conjugales. De façon exhaustive, critique et méthodique, Paradis et Fernet rendent compte de la difficulté à recruter des couples ainsi que de la diversité des protocoles de recherche à devis quantitatifs et qualitatifs utilisés pour examiner les interactions conjugales et pour évaluer l’efficacité des traitements en thérapie conjugale. Les auteurs présentent ensuite l’état des connaissances sur l’analyse statistique de données dyadiques et formulent leurs recommandations quant aux considérations éthiques et perspectives déontologiques propres à la recherche sur les couples.

    Faisant suite au chapitre des méthodes de recherche en psychologie du couple, le chapitre 23 rédigé par Boucher, Godbout et Bolduc, jette un regard plus précis sur l’opérationnalisation des divers enjeux conjugaux et offre un portrait des récents progrès méthodologiques et psychométriques visant à développer une compréhension approfondie de la vie amoureuse. Ce chapitre offre tout d’abord des pistes de réflexion concernant le choix des mesures, les aspects psychométriques de ces outils ainsi qu’un aperçu général des différents types de mesure et de modalité de collecte de données pouvant être utilisés en recherche. Une analyse de questionnaires disponibles pour examiner divers phénomènes conjugaux spécifiques, dont la satisfaction conjugale, l’ajustement dyadique, les attributions envers le partenaire, les conflits conjugaux, la violence dans les relations intimes et la sexualité, est ensuite présentée. Le chapitre se termine par quelques considérations à propos de la traduction, de l’adaptation et de la création de questionnaires en psychologie du couple.

    Finalement, dans le dernier chapitre de cet ouvrage, portant sur la psychothérapie de couple, Mondor, Wright et Eid offrent un survol des protocoles cliniques les plus soutenus par la recherche empirique sur l’intervention psychologique auprès des couples. Dans la première section du chapitre, les auteurs abordent le développement, l’évolution, les fondements théoriques et postulats de base, l’efficacité ainsi que les cibles de changement et stratégies d’intervention principales de deux approches théoriques en thérapie conjugale, la thérapie conjugale cognitive-comportementale (TCCC) et intégrative (TCCI) et la thérapie conjugale axée sur l’émotion (TCE). Dans la deuxième section du chapitre, les résultats de récentes études sur l’efficacité de la thérapie conjugale pour le traitement de la détresse conjugale, d’une psychopathologie comorbide et certains cas spécifiques (p. ex., infidélité, dysfonctions sexuelles, violence conjugale) sont présentés. Pour terminer, les auteurs discutent de quatre enjeux actuels dans les recherches sur la thérapie conjugale: les mécanismes de changement, les mandats thérapeutiques, la définition du succès thérapeutique et la représentativité clinique des études.

    Cet ouvrage est un projet de grande envergure qui n’aurait pas été possible sans les efforts et la collaboration de l’ensemble de nos auteurs. Nous aimerions prendre le temps de les remercier. Ce manuel est l’un des seuls à offrir en langue française un tour d’horizon aussi complet et exhaustif des fondements théoriques et empiriques propres aux relations de couple. Palliant le manque flagrant d’écrits sur le sujet, particulièrement en français, le présent manuel vise à outiller le lecteur pour l’étude des relations de couple et à l’encourager à développer ses propres réflexions théoriques et cliniques sur le sujet.

    FONDEMENTS

    ET CONCEPTS

    THÉORIQUES

    MODÈLES ET TYPOLOGIES EN PSYCHOLOGIE DU COUPLE

    Caroline Dugal, Noémie Bigras, Stéphanie Laforte, Natacha Godbout et Claude Bélanger

    Les relations amoureuses occupent, depuis toujours, une place prépondérante dans l’organisation et la régulation dynamique des rapports humains. La recherche visant à accroître notre compréhension des relations dyadiques a, de ce fait, connu un essor considérable au cours des dernières décennies (Karney, 2015). En conséquence, diverses conceptualisations et modélisations de ces relations ont été développées. Ces conceptualisations, qui prennent la forme de modèles ou de typologies, trouvent leurs appuis dans un important corpus de données empiriques. Le présent chapitre expose les principaux systèmes conceptuels issus de ces démarches de validation.

    L’analyse des diverses fonctions psychologiques et sociales des relations amoureuses, proposée par les tenants de la perspective évolutionniste du fonctionnement conjugal et du modèle de l’expansion du soi (Aron et Aron, 1986), sera tout d’abord présentée. Ensuite, afin de mieux comprendre les dimensions essentielles des relations conjugales, nous traiterons des modèles théoriques des relations amoureuses: le modèle tripartite des relations conjugales (Sternberg, 1986, 2006), la théorie de l’attachement (Hazan et Shaver, 1987), la théorie de l’interdépendance (Thibaut et Kelley, 1959), le système de régulation du risque (Murray, Holmes et Collins, 2006), puis le modèle vulnérabilité-stress-adaptation (Karney et Bradbury, 1995). Ensuite, afin d’être en mesure de comprendre la diversité des sentiments amoureux pouvant être ressentis au sein du couple, le modèle typologique des couleurs de l’amour (Lee, 1973, 1977, 1988) et la typologie de l’amour de Berscheid (2010) seront présentés. Finalement, le modèle de l’interdépendance au sein des relations conjugales (IRC), un modèle intégrateur regroupant les caractéristiques les plus prometteuses des modèles précédents et tentant de pallier leurs lacunes, sera proposé par les auteurs du présent chapitre.

    1. FONCTIONS DES RELATIONS AMOUREUSES

    Depuis toujours, l’humain tente de trouver un sens à ses expériences et au monde dans lequel il vit. La qualité de ses relations interpersonnelles en général, et de ses relations amoureuses en particulier, a, dans ce contexte, fait l’objet de nombreuses tentatives en vue d’en faire une description complète, de les expliquer et d’en prédire les vicissitudes. En conséquence, plusieurs modèles du fonctionnement conjugal ont été mis au point. Certains modèles proposent une vision plus compréhensive ou holistique du fonctionnement conjugal, alors que d’autres misent davantage sur la nature fonctionnelle de la relation de couple, perçue et décrite comme une adaptation dont la fonction ultime est la survie de l’espèce. Deux modèles sont particulièrement représentatifs de cette perspective utilitariste: la perspective évolutionniste et le modèle de l’expansion du soi.

    1.1. Perspective évolutionniste du fonctionnement conjugal

    La perspective évolutionniste est récente et elle ne fait pas consensus chez les chercheurs qui s’intéressent aux problématiques de couple (Conroy-Beam, Goetz et Buss, 2014). En dépit de sa nature plus controversée, cette perspective apporte cependant un éclairage intéressant sur les relations de couple et sur la façon dont elles se structurent et évoluent. Cette approche trouve ses fondements dans un postulat de base qui peut se définir comme suit: le cerveau humain est conçu pour être en relation (Kenrick et al., 2010). De ce postulat découle une prémisse fondamentale, soit le fait que les interactions humaines sont influencées par des mécanismes mentaux et émotionnels qui eux sont guidés par la sélection naturelle. Selon cette conception darwinienne, les comportements sociaux reflètent l’influence de prédispositions physiques et psychologiques qui ont permis à nos ancêtres de survivre et de se reproduire (Kenrick, Neuberg et White, 2013).

    La perspective évolutionniste stipule que, sur le plan conjugal, la personne se questionne, implicitement ou explicitement, sur trois aspects centraux lors de la sélection d’un partenaire potentiel. Elle doit tout d’abord se demander le genre de relation recherchée (p. ex. à court terme ou à long terme). Elle doit ensuite clarifier les caractéristiques désirées chez le partenaire potentiel (p. ex. beauté physique, statut, etc.). La dernière question porte sur la façon dont ces caractéristiques vont combler ses désirs et ses besoins (Griskevicius, Haselton et Ackerman, 2015). Par exemple, Buss (1998), qui a étudié les stratégies associées au choix d’un partenaire, l’amour romantique et la jalousie, a mis l’accent sur la sexualité comme étant essentielle à la reproduction et aux stratégies de sélection du partenaire. Les dynamiques de l’amour romantique ne peuvent donc être comprises que si l’on tient compte de l’activation du système sexuel.

    Des différences de genre sont observées à ce chapitre quant à l’objectif final de la sexualité dans une perspective évolutionniste: pour une femme, le but est d’avoir des rapports sexuels avec un partenaire du sexe opposé, tomber enceinte et s’assurer que l’homme reste auprès d’elle pour fournir conjointement la protection et les soins aux enfants afin de favoriser leur survie et donc, la reproduction de l’espèce. Le but du système sexuel pour un homme est la fécondation d’une ou de plusieurs partenaires, avec la même finalité qui est la perpétuation de la race (Buss et Kenrick, 1998). Les théoriciens évolutionnistes suggèrent que les femmes recherchent des hommes ayant un statut élevé en mesure de fournir ressources, protection et «de bons gènes» (Gangestad et Simpson, 2000; Hanko, Master et Sabini, 2004) alors que les hommes misent davantage sur les attributs physiques des femmes, qui dénotent la jeunesse et la fertilité (Singh, 1993).

    Selon la perspective évolutionniste, la survie et le développement des enfants, donc de l’espèce, dépendent totalement de l’investissement des deux parents (Hrdy, 1999). Ainsi, en regard de tous les soins qu’exige le développement optimal d’un enfant, l’union stable entre deux partenaires serait la solution idéale (Conroy-Beam et al., 2014; Quinlan et Quinlan, 2007). Cette recherche de relations conjugales stables s’observe au sein de toutes les cultures, et les hommes et les femmes forment des unions conjugales durables pour contribuer au bien-être de leur progéniture (Geary, 1998; Griskevicius et al., 2015). Un défi adaptatif clé pour les deux partenaires résiderait dans le maintien de ces liens, avec une finalité centrée sur le développement de leur enfant (Buss, 2007; Hazan et Diamond, 2000).

    Les motifs qui poussent les partenaires à s’engager dans des relations conjugales monogames à long terme trouvent donc leurs racines dans la motivation fondamentale de l’être humain qui est d’assurer la pérennité de l’espèce. D’un point de vue évolutionniste, la femme porte l’enfant, mais elle a besoin de l’aide de son conjoint pour l’éducation, les soins et la protection de l’enfant. Le développement de liens émotionnels et amoureux entre les parents constitue un mécanisme efficace qui permet d’assurer la protection de l’enfant (Hendrick et Hendrick, 1992). Ainsi, l’amour de la femme permet d’assurer la dispensation de soins par le père de même que sa protection. Les chances de survie de la progéniture s’en trouvent ainsi augmentées. À travers la lentille utilitaire de la perspective évolutionniste, l’amour entre les deux parents constitue un avantage évolutionniste considérable.

    En conclusion, l’amour romantique comme mécanisme d’adaptation promeut la formation de liens à long terme et prédit une meilleure santé et même la survie des enfants au sein de relations familiales où l’amour des parents constitue la pierre angulaire (Fletcher et al., 2015). Fletcher et ses collaborateurs (2015) mettent ainsi en lumière le rôle pivot de l’amour romantique et des liens conjugaux dans l’évolution humaine.

    La perspective évolutionniste comporte néanmoins des limites qui doivent être soulignées. Ainsi les motivations associées à la reproduction sont-elles moins évidentes lorsque ses postulats de base ne s’appliquent pas, comme c’est le cas dans les relations hétérosexuelles où les partenaires sont infertiles, ou encore chez certains couples homosexuels (Jeffery, 2015). Alors que l’amour romantique et le maintien de liens à long terme sont de plus en plus envisagés comme des mécanismes adaptatifs favorables au bien-être de l’humain, l’approche évolutionniste aurait avantage à élargir sa conceptualisation des rapports amoureux en privilégiant tant l’aspect de la reproduction associé au système sexuel que l’aspect relationnel et émotionnel des relations intimes. L’inclusion de ces composantes pourrait mieux refléter la réalité des deux parents qui s’unissent pour assurer la survie et le bien-être d’un nourrisson que d’autres aspects de la relation (soutien, attachement, etc.).

    1.2. Modèle de l’expansion du soi

    Le modèle de l’expansion du soi (Aron et Aron, 1986, 1996; Aron, Aron et Norman, 2001) s’appuie sur deux principes: 1) les humains ont la motivation fondamentale de se développer et d’enrichir leur sens d’identité personnelle et 2) cette expansion du soi s’atteint par le biais des relations intimes de qualité. En outre, ce modèle suppose que les relations de couples constituent l’une des principales sources de croissance et de développement des humains: au sein d’une relation amoureuse, la personne découvre les qualités, des perspectives, des identités et des caractéristiques du partenaire, puis en assimile certaines à sa propre identité. Les partenaires forment, dans cette perspective, des relations intimes pour les aider dans leur croissance personnelle et leur développement. Cette bonification s’opère en incluant l’autre dans la définition même du concept de soi, en lui attribuant les caractéristiques et les ressources nécessaires (p. ex. connaissances, statut social, force physique) pour atteindre davantage d’objectifs développementaux personnels (Aron et al., 2000). Quand le conjoint est intimement lié à l’expansion du soi, les relations amoureuses s’accompagnent d’un ensemble d’affects positifs (Graham, 2008).

    Selon cette théorie, l’attrait qu’exerce un partenaire dépend des occasions de développement personnel qu’il peut offrir (Aron et al., 2013). Au contraire, lorsque les partenaires sont incapables de satisfaire leur désir d’autoexpansion à l’intérieur de leur relation, ils peuvent tenter d’aller combler ce besoin par le biais de relations alternatives, ou encore en mettant fin à cette relation qui ne satisfait pas leurs besoins fondamentaux (Tsapelas, Fisher et Aron, 2011). Ce désengagement peut aussi être observé lorsque les possibilités d’autoexpansion apportées par le partenaire dans une perspective à long terme sont pauvres ou inexistantes (Aron et al., 2013). En ce sens, lorsque la relation conjugale est perçue comme une barrière au développement de l’humain, celui-ci tend à y mettre un terme. De plus, selon ce modèle, mettre un terme à une relation conjugale aurait un effet néfaste sur le soi en raison de la perte de ressources, de perspectives, d’identité et d’expériences fournies par le partenaire. Or, lorsque la relation ne permet plus d’autoexpansion, sa terminaison met paradoxalement le soi en valeur, puisqu’elle ouvre la porte à de nouvelles possibilités (Aron et al., 2013).

    En somme, la perspective évolutionniste du fonctionnement conjugal et le modèle de l’expansion du soi tentent d’expliquer pourquoi nous formons des relations conjugales. Toutefois, ces théories ne permettent pas de saisir les composantes essentielles de la relation conjugale. Elles ne précisent pas non plus les distinctions entre la relation de couple et les autres relations interpersonnelles. Les prochains modèles présentés ont tenté de répondre à ces questions.

    2. MODÈLES THÉORIQUES DES RELATIONS AMOUREUSES

    D’un point de vue scientifique, il est crucial de déterminer les fonctions de la relation conjugale. Cependant, il est tout aussi important de comprendre comment fonctionnent ce type d’union et ses ramifications. Pour ce faire, certains théoriciens du couple ont tenté de mettre en lumière les principes fondamentaux sur lesquels repose la formation d’une union conjugale. Ils ont aussi identifié des mécanismes de régulation qui président au développement, au maintien et à la détérioration des interactions dyadiques. Les prochains modèles possèdent ces caractéristiques, tout en reposant parfois sur une analyse du fonctionnement conjugal et en tenant compte de l’histoire personnelle des partenaires. Cette vision inclusive et historique du fonctionnement conjugal permet une compréhension plus fine et une vision plus riche de la relation amoureuse.

    2.1. Modèle tripartite des relations conjugales

    Sternberg (1986, 2006) propose une conceptualisation de l’amour qui repose sur trois éléments formant les sommets d’un triangle: l’intimité, la passion et l’engagement. L’intimité fait référence à la conscience de l’existence d’un lien unique, étroit et privé entre deux partenaires amoureux. Elle se traduit par des sentiments de proximité affective et de connexion avec l’autre (Sternberg, 1986, 2006). Cette notion d’intimité inclut le désir de favoriser le bien-être du partenaire, le partage d’expériences positives avec l’autre, une haute estime pour l’être aimé, la confiance de pouvoir compter sur l’autre au quotidien, le besoin impératif et réciproque de connaître et de comprendre l’autre, la capacité de donner et recevoir du soutien émotionnel, la communication intime et la valorisation de l’être aimé dans sa vie (Sternberg et Grajek, 1984). La seconde composante, celle de la passion, est de nature motivationnelle. Elle comprend les impulsions menant à la romance, à l’attirance physique et au désir sexuel dans les relations amoureuses (Sternberg, 1986). En dépit de la place prédominante qu’occupent le désir et l’excitation sexuelle comme indicateurs de passion dans la relation amoureuse, cette composante fait référence aussi au désir d’union avec le partenaire et aux besoins d’affection, de soutien, de dévouement, d’affiliation et d’autoactualisation à l’intérieur d’une relation (Sternberg, 2006). Le pouvoir motivationnel de la passion comme moteur tant sexuel qu’émotionnel au sein des relations amoureuses transparaît aussi dans le modèle dualiste de la passion appliqué aux relations amoureuses (Ratelle et al., 2013). Selon cette approche, la passion se définit pour une personne comme une forte tendance à se livrer à une activité qui est appréciée, qu’elle trouve importante et dans laquelle elle investit temps et énergie (Vallerand et al., 2003). Selon Ratelle et ses collègues (2013), deux types distincts de passion amoureuse peuvent être distingués, soit la passion obsessionnelle et la passion harmonieuse. La passion obsessionnelle fait référence à une pression interne pouvant être ressentie dans la poursuite d’une relation amoureuse. Ce type de passion occupe une place si importante au sein de l’identité de la personne qu’elle peut éventuellement la contrôler et générer des conflits avec les autres sphères de la vie de la personne. Ce type de passion s’apparente à la vision de l’amour passionnel et romantique. Inversement, la passion harmonieuse renvoie à une tendance motivationnelle dans laquelle les gens choisissent librement de s’engager avec un partenaire amoureux. Le mode relationnel basé sur ce type de passion est en harmonie avec les autres sphères de la vie de la personne (Ratelle et al., 2013).

    Les deux premiers volets du modèle de Sternberg, soient l’intimité et la passion, s’interfécondent et exercent une influence réciproque dans les relations amoureuses. En effet, l’intimité est grandement affectée par la façon dont les partenaires répondent aux besoins d’affiliation, d’affection et sexuels de l’autre, alors que la passion peut être catalysée par l’intimité entre les conjoints. Dans de nombreuses relations, c’est la passion qui attire initialement les partenaires l’un vers l’autre, puis elle se conjugue à l’intimité pour assurer le maintien de la relation. À l’inverse, l’amitié peut se transformer en amour; dans ce cas, c’est l’intimité qui se développe au début de la relation et la passion qui apparaît après un certain temps.

    Le troisième et dernier volet de cette conception de l’amour dans le modèle de Sternberg, soit l’engagement, est de nature essentiellement cognitive. L’aspect cognitif de ce volet fait référence, dans une perspective à court terme, à la décision d’aimer l’autre et, à long terme, à la décision de s’engager à maintenir la relation (Sternberg, 1986). Au long cours, les décisions quotidiennes et les comportements exprimant le choix du partenaire s’intègrent à un système de valeur où la relation au partenaire de vie occupe une place unique. La notion d’engagement inclut donc les éléments cognitifs impliqués dans la prise de décision concernant la mise en place d’une relation amoureuse de longue durée. En outre, plusieurs événements de vie perturbateurs, prévisibles ou imprévisibles, viennent marquer la vie du couple et, dans ces circonstances difficiles, l’engagement devient temporairement le principal facteur de protection de la relation.

    Les trois composantes de l’amour, leurs interactions, de même que leurs différentes combinaisons et permutations, telles que proposées dans la classification de Sternberg, peuvent être comprises en considérant les types d’amour auxquels elles peuvent donner naissance. L’absence d’amour sous-tend des interactions informelles sans intimité ni passion ni engagement. L’«amour affection» fait référence à une relation d’amitié empreinte d’expériences émotionnelles positives comme la chaleur, l’intimité et la proximité, mais sans passion ni engagement. L’«amour-passion» se définit par opposition par une attirance intense ou un «coup de foudre» envers l’autre, en l’absence d’intimité et d’engagement. Ce type d’amour, qui s’accompagne d’excitation sexuelle, peut survenir subitement et se dissiper tout aussi rapidement. L’«amour vide» représente une relation ancrée dans l’engagement, mais sans connexion émotionnelle ni attirance entre les partenaires. Ce type d’amour peut généralement être observé dans un mariage de convenance ou à la fin d’une longue relation dans laquelle les partenaires ont vu décroître l’implication émotionnelle de chacun et n’ont plus d’attirance physique l’un pour l’autre. L’«amour romantique» définit des partenaires qui sont affectivement et physiquement liés par une grande intimité et une forte attirance physique. C’est habituellement le type d’amour dépeint dans les classiques de la littérature (p. ex. Roméo et Juliette, Tristan et Iseult). Dans la nosologie de Sternberg, l’«amour compagnon» caractérise les rapports qu’entretiennent les partenaires selon un modèle de «meilleurs amis»: une profonde amitié, qui dure plusieurs années et qui comporte de l’intimité. Ce type d’amour est aussi fréquent après plusieurs années de mariage au cours desquelles la passion et l’attirance physique se sont épuisées. À l’instar de l’«amour affection», l’«amour compagnon» implique un engagement à maintenir la relation. L’«amour vain» représente quant à lui un engagement basé sur la passion sans l’implication stabilisante de l’intimité. Contrairement à l’«amour passion», basé sur une attirance intense, mais sans intimité ni engagement, cet «amour vain» comprend un engagement entre les partenaires. Ces relations sont habituellement tumultueuses, instables et elles sont hypothéquées par des décisions impulsives avec, comme conséquence, un risque élevé de prendre fin rapidement. L’«amour accompli» est le résultat de la combinaison des trois composantes et le type de relation amoureuse «complète» que plusieurs partenaires s’efforcent d’atteindre. Selon Sternberg, ce type d’amour est toutefois analogue à un programme de perte de poids: atteindre l’objectif que l’on s’est fixé est souvent plus facile que de le maintenir.

    En somme, les trois composantes du modèle de Sternberg, l’intimité, la passion et l’engagement, occupent une place centrale dans les relations amoureuses, même si l’importance accordée à chacune d’elles varie d’une relation à l’autre et d’un moment à l’autre dans la vie d’un couple. L’intérêt de ce modèle réside donc dans sa capacité d’expliquer plusieurs types d’amour entre conjoints, ce qui permet de rendre compte d’une multitude d’expériences amoureuses. D’un point de vue empirique, ce modèle a aussi été maintes fois validé. En effet, le Triangular Love Scale (TLS) (Sternberg, 1988, 1997) a été développé afin de mesurer les trois composantes de l’amour et a permis au modèle théorique de faire ses preuves auprès de couples de la population générale (Barelds et Barelds-Dijkstra, 2007; Panayiotou, 2005), de couples homosexuels (Bauermeister et al., 2011; Hosking, 2014), et de couples d’une variété de cultures (Cassepp-Borges et Pasquali, 2012; Gao, 2001; Lange, Houran et Li, 2015). Or, puisque de fortes corrélations sont observées entre les scores aux trois dimensions, il est possible qu’un facteur général d’ordre supérieur soit indiqué pour décrire les relations conjugales: l’«amour» (Sternberg, 1997). Si cette hypothèse est confirmée, le TLS pourrait se révéler être une mesure utile de l’amour, tel qu’il est vécu au sein des relations conjugales (Graham et Christiansen, 2009). Il n’existe cependant pas, jusqu’à présent, de recherches validant la très riche typologie résultant des multiples combinaisons des trois composantes du modèle de Sternberg. D’un point de vue clinique, le modèle tripartite des relations conjugales peut aussi constituer un cadre d’analyse guidant l’évaluation et l’intervention en psychothérapie de couple (Sabourin et Lefebvre, 2008).

    En définitive, il semble qu’une conceptualisation de la relation amoureuse selon un modèle tripartite tel que proposé par Sternberg soit porteuse tant aux niveaux théorique et clinique qu’empirique. Toutefois, elle ne permet pas de considérer l’importance des expériences relationnelles antérieures dans la détermination de la nature des relations conjugales. La prochaine théorie qui sera discutée permet ce type de considération; ceci en examinant les dynamiques d’attachement au sein de la relation conjugale à partir des canevas initiaux, ou modèles opératoires internes, développés dans les relations précoces à la mère ou, par extension, aux personnes significatives de l’environnement.

    2.2. Théorie de l’attachement

    La théorie de l’attachement a été originellement développée par Ainsworth et ses collègues (1978) et Bowlby (1979) afin d’expliquer la relation mère-enfant qui a été très étudiée et qui jouit d’appuis empiriques solides. Certains chercheurs se sont appuyés sur ce modèle de l’attachement de la mère à son enfant pour proposer une conceptualisation des liens qui unissent deux partenaires amoureux. En effet, devant la constatation de similarités entre la relation mère-enfant et la relation entre partenaires adultes (p. ex. contacts visuels, contacts affectifs physiques tels que des touchers ou des caresses, désir d’être réconforté par le partenaire en situation de détresse, expression de colère, anxiété ou tristesse à la suite des séparations, joie au moment des retrouvailles), le partenaire amoureux a été proposé comme figure d’attachement à l’âge adulte (Hazan et Shaver, 1987; Shaver et Hazan, 1988) (pour un chapitre complet sur la théorie de l’attachement et le couple, voir le chapitre 2). Ce paradigme commun se fonde en outre sur l’observation empirique selon laquelle la formation de relations sécurisantes, que ce soit avec le pourvoyeur de soins chez l’enfant ou avec le partenaire amoureux chez l’adulte, dépend de plusieurs éléments communs tels que la sensibilité et la disponibilité aux demandes de proximité et d’intimité de l’autre (Mikulincer et Shaver, 2007). Les études empiriques appuient de ce fait l’importance du soutien amoureux à l’âge adulte, puisque le partenaire amoureux devient souvent la relation d’attachement principale vers laquelle la personne se tourne en situation de détresse (Kiecolt-Glaser et Newton, 2001; Slatcher, 2010).

    À la suite des premiers travaux portant sur l’attachement adulte, menés par Hazan et Shaver au milieu des années 1980, plusieurs chercheurs ont poussé plus loin leur réflexion et ont développé des instruments de mesure de l’attachement adulte au sein des relations conjugales. Ces recherches ont foisonné tant au niveau international (Brennan, Clark et Shaver, 1998; Collins et Read, 1990; Mikulincer et Shaver, 2007) qu’au Québec (Brassard et Lussier, 2009; Godbout, Lussier et Sabourin, 2006; Lafontaine et Lussier, 2003; Lafontaine et al., 2015).

    Les chercheurs qui se sont penchés sur les dynamiques d’attachement adulte ont observé quatre styles d’attachement, et deux dimensions qui les sous-tendent: l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité. L’anxiété d’abandon implique une hyperactivation du système d’attachement qui se traduit, entre autres, par des demandes exagérées d’attention et d’affection, une sensibilité aux risques/signes de rejet/abandon, un contrôle des faits et gestes du partenaire ou une dépendance excessive à l’autre perçu comme insuffisamment disponible à procurer le support et la protection requise. L’anxiété abandonnique fait référence, par ailleurs, à un modèle négatif de soi et se reflète dans la façon dont la personne se perçoit comme étant indigne d’amour et où elle craint d’être rejetée par son/sa partenaire. D’autre part, l’évitement de l’intimité implique plutôt une inhibition de la recherche de proximité. L’individu de type évitant possède un modèle négatif des autres. Cette dimension renvoie au niveau d’inconfort d’une personne dans le contexte de relations amoureuses ainsi qu’à la perception qu’elle a de son/sa partenaire comme étant peu fiable ou indisponible quand vient le temps de fournir du soutien en situation de détresse (Bartholomew et Horowitz, 1991). La personne chez qui cette dimension est présente cherche à mettre en veille le système d’attachement afin de ne pas ressentir la détresse et la frustration quand les figures d’attachement ne sont pas disponibles (Mikulincer et Goodman, 2006; Mikulincer, Shaver et Solomon, 2015).

    Les quatre styles d’attachement qui sont dérivés de la combinaison des scores à ces deux dimensions font référence à la façon dont le partenaire transige dans ses interactions dyadiques. Le style d’attachement sécurisant se caractérise par de faibles niveaux d’anxiété d’abandon et d’évitement de l’intimité. Une personne avec un style d’attachement sécurisant cumule une vision positive d’elle-même et de l’autre, elle estime avoir de la valeur et mériter l’amour de l’autre. En couple, cette personne est à l’aise avec l’intimité et l’engagement. Elle accepte de dépendre de l’autre en situation de détresse. Une personne qui a développé un style d’attachement détaché éprouve peu d’anxiété d’abandon, mais elle ressent beaucoup d’inconfort face à l’intimité. Elle préserve une image positive d’elle-même et valorise l’autonomie, mais doute des capacités de son partenaire de répondre à ses besoins ou d’offrir un soutien en période de détresse. L’individu détaché adopte des stratégies de désactivation du système d’attachement lorsqu’une menace est perçue afin de minimiser le sentiment de vulnérabilité et ses besoins de réconfort, en plus de refuser de dépendre d’autrui. Un individu qui a un style détaché est donc plus à l’aise dans des relations qui impliquent peu de dévoilement de soi et où il peut maintenir ses distances, afin de se protéger de blessures potentielles que pourrait causer un partenaire intime. A contrario, le style préoccupé se caractérise par une grande anxiété d’abandon et peu d’évitement de l’intimité. La personne affichant ce style possède une image négative d’elle-même, se croit indigne d’amour, tout en ayant une image positive des autres, ce qui la pousse à rechercher incessamment leur approbation et leur attention. En couple, cette personne est instable émotionnellement, a besoin de réassurance quant à l’amour du partenaire, en plus d’être hypersensible aux signaux de rejet et d’indisponibilité du partenaire. Enfin, le style craintif se caractérise par une forte anxiété abandonnique et un haut niveau d’évitement de l’intimité. Il possède aussi une image négative de soi et d’autrui. Le partenaire craintif se croit indigne d’amour et sans valeur. Il craint le rejet des autres, qui, à ses yeux, ne sont pas dignes de confiance. En couple, un tel conjoint désire développer une relation intime, mais redoute la souffrance que pourrait occasionner un abandon ou une proximité qui pourrait être trop difficile à supporter. Les études récentes portant sur l’attachement soulignent son enchevêtrement à deux autres systèmes fondamentaux, soit le système de caregiving et le système sexuel (Birnbaum, 2015; Péloquin, Brassard, Delisle et Bédard, 2013; Péloquin, Brassard, Lafontaine et Shaver, 2013; Péloquin et al., 2014). Ainsi, dans le contexte des relations romantiques adultes, ces trois systèmes s’entrecroisent et opèrent dans une dynamique enchevêtrée pour expliquer la qualité et le développement des relations romantiques (Birnbaum, 2010).

    La théorie de l’attachement appliquée aux relations conjugales à l’âge adulte offre donc un modèle explicatif, à la fois théorique et développemental, de l’hétérogénéité des déterminants du fonctionnement conjugal. De plus, ce modèle est intéressant parce qu’il permet également d’envisager des combinaisons plus ou moins fonctionnelles de partenaires selon le style d’attachement développé. Par exemple, les dynamiques conjugales de type demande-retrait s’observent fréquemment chez des couples où l’un des partenaires serait anxieux alors que l’autre serait évitant; cette dynamique, même si elle peut sembler complémentaire dans une perspective transversale, pourrait mettre en péril la relation conjugale dans une perspective longitudinale (Christensen, 1987; Godbout et al., 2009). Ou encore, une union pourrait être constituée de deux partenaires ayant un style d’attachement évitant (c’est-à-dire dynamique retrait-retrait) qui pourrait aussi nuire à la survie de la relation alors que les deux partenaires sont désengagés (Johnson et Greenberg, 1987). Il n’existe toutefois jusqu’à présent qu’un petit bassin d’études empiriques documentant la prévalence de ces pairages des styles d’attachement et des répercussions conjugales vécues par les individus dans chacun de ces appariements typiques (Boisvert et al., 1996; Brassard, Shaver et Lussier, 2007; Lapointe et al., 1994).

    Cette théorie offre donc une compréhension intéressante du fonctionnement conjugal, non seulement en raison de sa capacité de décrire les interactions contemporaines des conjoints, mais aussi parce que cette compréhension trouve ses racines dans les expériences antérieures avec les premières figures d’attachement de la personne. Sa force réside de ce fait dans sa capacité de bien cerner des enjeux intrapersonnels qui sont centraux au fonctionnement conjugal tout en tenant compte de l’attachement en interaction avec d’autres variables distales et proximales.

    La pertinence du système d’attachement dans l’explication de la satisfaction conjugale jouit d’un appui empirique important. En effet, en utilisant des mesures variées d’attachement (autorapportées ou entrevues), les résultats d’Alexandrov, Cowan et Cowan (2005), de Ben Ari et Lavee (2005) et de Brassard, Lussier et Shaver (2009) révèlent que les partenaires dont l’attachement est de type sécurisant rapportent une meilleure satisfaction conjugale que ceux ayant développé un attachement insécurisant. Sur la base de ces données empiriques, il est possible de concevoir l’attachement sécurisant comme une ressource psychologique profitable qui promeut la satisfaction conjugale, et ce, en dépit des expériences stressantes et des changements susceptibles de survenir dans la relation. Ces résultats de recherche ont pavé la voie à l’élaboration de modèles et d’interventions cliniques structurés basés sur les besoins d’attachement au sein du couple (voir le chapitre 24 et Lafontaine et al., 2008). Ces approches jouissent d’appuis empiriques concluants (Greenman et Johnson, 2013; Halchuk, Makinen et Johnson, 2010; Johnson et al., 2013).

    Les prochains modèles abordés se dégagent de la perspective individuelle des approches précédentes pour se positionner dans une perspective résolument dyadique des relations conjugales.

    2.3. Théorie de l’interdépendance

    La théorie de l’interdépendance (Thibaut et Kelley, 1959) relève des théories de l’échange social qui stipulent que les relations interpersonnelles sont modulées par les rapports entre les coûts et les bénéfices résultant des échanges interpersonnels que vit la personne (Nakonezny et Denton, 2008). Il s’agit de concepts centraux dans cette théorie. Les coûts sont associés à des éléments de la relation qui ont une valence négative, comme la frustration vécue à la suite d’un échange insatisfaisant. A contrario, les bénéfices sont des éléments ayant une valence positive, comme le sentiment d’être apprécié ou la qualité d’une interaction positive avec l’autre. Selon la théorie de l’échange social, l’objectif des conjoints est de maximiser les bénéfices et de minimiser les coûts associés à ses relations avec son partenaire (Sprecher, 1998).

    La théorie de l’interdépendance ajoute à la théorie de l’échange social en affirmant que l’essence même des relations interpersonnelles ne réside pas seulement dans les conséquences positives ou négatives qui découlent des interactions sociales, mais plutôt dans l’influence que chacun exerce sur l’autre (Kelley et al., 1983). Cette théorie perçoit la relation comme une propriété qui émerge de l’interaction entre deux individus qui s’interinfluencent (Holmes, 2000). Avec l’aide de collègues, John G. Holmes a approfondi divers aspects de la théorie de l’interdépendance en examinant la façon dont les coûts et les bénéfices colorent les attentes des individus dans leurs relations interpersonnelles (Holmes, 2002; Holmes et Rempel, 1989; Kelley et Holmes, 2002; Murray et Holmes, 2011). En outre, les gens établissent des liens de causalité entre diverses expériences vécues en contact avec autrui, afin de pouvoir prédire les conséquences de leurs interactions sociales (Rempel, Ross et Holmes, 2001). Les attentes d’un individu, par rapport aux intentions et motivations des autres, résultent donc des interactions passées avec eux et influencent les objectifs liés à ces relations (Holmes, 2002). Ainsi, une personne qui vit une grande souffrance et qui demande à son conjoint de l’écouter se retrouve devant plusieurs réponses possibles. Si le partenaire rejette cette demande d’écoute à de multiples reprises, cette personne risque de changer sa perception de la capacité de son conjoint de répondre à ses besoins, puis de se mobiliser pour aller chercher la réponse à ses besoins ailleurs (p. ex. auprès d’amis). En retour, cela modifiera les attentes de cette personne vis-à-vis des «bénéfices» que peut lui apporter son partenaire.

    En raison de la relation privilégiée et interdépendante qu’entretiennent deux partenaires amoureux, les besoins et objectifs de chacun ne peuvent être atteints sans un ajustement dyadique des besoins, attentes et comportements de chacun (Kelley et Thibaut, 1978). En d’autres mots, les partenaires amoureux se trouvent en situation de dépendance mutuelle. En effet, que ce soit au niveau des tâches de la vie quotidienne, des styles de personnalité ou des objectifs de vie de chaque conjoint, toute décision ou action de l’un influence, et parfois contraint, l’autre. L’interdépendance propre aux relations de couple transparaît dans la plupart des sphères de la vie conjugale, par exemple au chapitre de l’allocation des tâches ménagères, de la décision d’avoir des enfants, etc. Dans cette perspective, les besoins et les comportements de l’un engendrent inévitablement des coûts, des bénéfices, des sacrifices ou des compromis chez l’autre.

    Selon Holmes, le besoin de prédire les conséquences d’une interaction sociale afin d’en maximiser le bien-être et la satisfaction, tout en maintenant la relation à long terme, sont des enjeux propres aux relations amoureuses. Pour aborder ces enjeux, les conjoints utilisent leur sentiment de confiance en l’autre pour façonner les attributions et interprétations qu’ils font des comportements et motivations de leur partenaire (Holmes, 2004; Holmes et Rempel, 1989). En effet, la confiance d’un individu, envers la capacité et la volonté de son partenaire à agir de façon à répondre à ses besoins, influence la façon dont deux partenaires intimes attribuent un sens aux événements vécus dans leur couple (Rempel et al., 2001). Par exemple, un haut niveau de confiance permet que les événements dans un couple soient interprétés conformément aux attentes positives d’un conjoint quant à la fiabilité et la bonne volonté de son partenaire. Au contraire, un bas niveau de confiance, ou des incertitudes quant à l’intérêt véritable du partenaire envers soi ou la relation, génère une interprétation plus négative des comportements et motivations du conjoint, perçus comme étant moins bienveillants (Holmes et Rempel, 1989). En somme, le modèle de l’interdépendance considère la relation conjugale comme un système dans lequel chacun ajuste ses objectifs et ses besoins à ceux de son partenaire sous la forme d’un calcul «coûts/bénéfices» teinté par la confiance que l’individu a des bonnes intentions de son partenaire.

    En poursuivant leurs études sur l’interdépendance et la confiance entre partenaires amoureux, Holmes et ses collègues ont développé une nouvelle approche théorique visant à mieux comprendre et expliquer les relations conjugales, soit le modèle basé le système de régulation du risque (Murray, Holmes et Collins, 2006).

    2.4. Système de régulation des risques relationnels

    Selon Murray, Holmes et Collins (2006), les situations de dépendance mutuelle, centrales dans la notion d’interdépendance, sont fondamentales dans les relations de couple: ainsi les actions de l’un imposent-elles parfois des restrictions à la capacité de l’autre de satisfaire ses propres besoins et objectifs. Or, afin d’établir le type de relation amoureuse pouvant satisfaire leurs besoins essentiels d’appartenance et de connexion, les conjoints doivent prendre le risque d’une certaine interdépendance (Baumeister et Leary, 1995; Murray et al., 2006). Ce risque est assumé en diminuant l’importance qu’ils accordent à leurs propres besoins et en augmentant celle qu’ils accordent à la relation et aux besoins de leur partenaire. Cette démarche place néanmoins l’individu dans une situation de dépendance face à son partenaire, qui peut parfois être vécue difficilement. Selon la théorie de Holmes, la confiance démontrée par un individu par rapport au regard positif et à la capacité de son partenaire d’anticiper et de répondre à ses besoins (Murray et al., 2006) permet de risquer l’interdépendance et la connexion avec celui-ci. En effet, si l’individu a confiance que son partenaire partage ses valeurs fondamentales, ses objectifs tout en manifestant un souci sincère face à ses besoins, celui-ci pourra se permettre d’augmenter sa dépendance par rapport à son partenaire, renforçant par le fait même la relation amoureuse. Tout au long d’une relation amoureuse, les partenaires sont donc amenés à choisir entre la protection de

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