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Secrets d'États? 2e édition: Les principes qui guident l'administration publique et ses enjeux contemporains
Secrets d'États? 2e édition: Les principes qui guident l'administration publique et ses enjeux contemporains
Secrets d'États? 2e édition: Les principes qui guident l'administration publique et ses enjeux contemporains
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Secrets d'États? 2e édition: Les principes qui guident l'administration publique et ses enjeux contemporains

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About this ebook

L’État est au cœur de notre quotidien. Il essuie sa part de critiques : trop lourd, trop coûteux, trop présent… Mais si nous allons un peu plus en profondeur, nous pouvons nous demander ce que nous connaissons vraiment de l’État et, avant de considérer certaines de nos institutions comme étant obsolètes, ce que nous savons de leur évolution. Le présent ouvrage nous aidera à répondre à ces questions et à bien d’autres encore :

Sur quoi repose notre démocratie ? Fonctionne-t-elle toujours ?
Pouvons-nous contrôler l’État ? Pourquoi l’État n’adopte-t-il pas tout simplement la façon de faire du privé ?
Que signifie l’« état de droit » et que nous apporte-t-il ?
L’éthique est-elle un paravent, une panacée ou un point de départ ?
L’État-providence est-il une réalité du passé ou répond-il toujours à un besoin ?
Comment agissent nos États à l’ère de la transparence et des TIC ?
Les juges ont-ils supplanté les législateurs ?
En cette ère de mondialisation, peut-on toujours parler de souveraineté des États ?

Les 36 auteurs de ce livre viennent de 8 universités et départements dif­férents ou sont des acteurs de l’administration publique. Issus de disciplines diverses et riches des expériences d’Europe, d’Afrique et des Amériques, ils fournissent à cette deuxième édition des textes mis à jour sur des sujets d’actualité, un nouvel accent sur l’encadrement juridique et sur la communication gouvernementale de même que quelques chapitres classiques que nous retrouvons avec plaisir.
LanguageFrançais
Release dateDec 6, 2019
ISBN9782760548275
Secrets d'États? 2e édition: Les principes qui guident l'administration publique et ses enjeux contemporains

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    Secrets d'États? 2e édition - Nelson Michaud

    développement

    INTRODUCTION /

    Comprendre l’État et ses fonctions

    Un défi captivant

    Nelson Michaud

    Le besoin de produire et de mette à jour cet ouvrage nous a été dicté par la nécessité constante et sans cesse renouvelée de mieux connaître nos institutions politico-administratives: leur nature, leurs origines, leur avenir, le tout scruté par la fenêtre des défis qui s’imposent à elles. Au moment de finaliser le manuscrit, nous sommes témoins, aux États-Unis, d’une présidence assumée par une personne qui se targue d’être étranger au secteur public et qui considère pouvoir y gérer comme il le faisait dans le secteur privé. Quelle que soit la pérennité de ce mandat ou même de cette façon de faire, elle nous donne une bonne indication, qui peut s’inscrire dans le fil de l’histoire, que la méconnaissance de la gestion en vue du bien commun peut avoir des conséquences peu souhaitables. Le sujet nous interpelle donc plus que jamais et il est intéressant d’aller chercher les connaissances fondamentales pour comprendre ce qui distingue les composantes de l’État de celles d’autres construits sociaux, dont le marché.

    Cet ouvrage se veut donc accessible à un grand nombre. Que ce soit les personnes qui souhaitent acquérir une formation plus poussée afin de faire avancer leur carrière dans le secteur public ou que ce soit la citoyenne ou le citoyen qui sent le besoin de mieux connaître les fondements de notre démocratie, l’ensemble des chapitres produits ici par des experts, chacun dans son domaine, donne une lecture en profondeur des diverses dimensions qu’il est nécessaire de posséder si nous voulons agir en toute connaissance de cause. Cette lecture pourra remettre en perspective les nombreux on-dit qui jalonnent les connaissances que nous croyons avoir de nos États.

    En effet, pour peu que l’on consulte les médias ou que l’on participe à des conversations qui traitent de questions reliées au monde politique ou à l’administration publique, nous sommes en mesure de glaner un florilège d’idées préconçues, souvent héritées d’une tradition orale qui coupe court aux véritables fondements de notre système politico-administratif: «Le premier ministre a été élu avec une forte majorité»; «comme fonctionnaire, je peux tout faire ce que la loi ne m’interdit pas de faire, comme c’est le cas pour tout bon citoyen»; «une fois élus, les députés sont muselés par la ligne de parti et n’ont plus un mot à dire dans la formulation des politiques»; «la véritable démocratie est incarnée par la société civile et non plus par le gouvernement»; «le gouvernement responsable est celui qui sait prendre ses responsabilités». Sans compter le discrédit croissant dont le microcosme politique et le monde de l’administration publique font les frais. Devant ces constats qui offrent un portrait souvent loin de la réalité, la conception de l’État et de son fonctionnement concret peuvent apparaître comme de véritables secrets qu’il faut percer. Ce sont ces «secrets d’État» que ce recueil nous invite à découvrir.

    Cet ouvrage a ainsi pour objectif de faire le point sur ce qu’est l’État, quelles en sont les composantes, comment ces éléments se réseautent et interagissent, quels principes doivent être présents pour que l’État soit sainement démocratique et quels enjeux se posent comme défis au monde public contemporain.

    Son approche veut susciter la réflexion. Chacun des auteurs a toutefois pris soin d’aborder les questions dont il traite avec un vocabulaire clair et une analyse qui s’élabore à partir d’éléments connus ou accessibles, quelle qu’en soit la complexité. Il en résulte un portrait, probablement le plus complet qui soit à l’heure actuelle, des diverses composantes de l’État; puisqu’il est nécessaire de les démystifier, à maints égards, nous nous y consacrerons.

    Plusieurs d’entre nous avons pu le constater, peu de gens, même celles et ceux qui travaillent au quotidien dans le secteur public, possèdent une vision complète des divers aspects qui sont traités ici. Souvent – et cela est naturel –, l’organisation dans laquelle on travaille devient son cadre de référence, en dehors de toute autre considération. Pourtant de même nature, le gouvernement québécois et le gouvernement fédéral canadien présentent des différences importantes dans l’organisation de leurs activités, de leurs administrations et de leurs prestations de service. Appartenant pourtant au secteur public d’un même État, les réseaux de la santé et de l’éducation, le monde municipal, les organismes autonomes et les ministères présentent des caractéristiques propres qui leur donnent une lecture parfois différente de certaines questions. Il s’en suit habituellement des discussions passionnantes – et souvent passionnées! – sur tel ou tel aspect; mais pour que ces discussions soient fructueuses, encore faut-il partir d’une base de connaissances communes. C’est aussi ce besoin que cet ouvrage cherche à combler.

    1 /A-t-on véritablement besoin de l’État?

    Cet État que l’on souhaite ici scruter et envers lequel nous voulons acquérir une plus grande familiarité est pourtant au centre de plusieurs courants le questionnant. L’État, né aux lendemains des traités de Westphalie (1648), est beaucoup plus qu’une population vivant sur un territoire délimité et politiquement structuré. C’est aussi et surtout cette organisation sociale qui confie à certains de ses membres la responsabilité de veiller au bien commun, qui exerce un pouvoir nécessaire à l’atteinte de ce but et qui élabore et administre des politiques publiques en conformité avec cet objectif. La conception moderne de l’État retire l’autorité de droit divin exercée par une personne, le souverain, pour la confier à des institutions incarnées par des représentants de la population, élus ou mandataires. La réaction attribuée au roi de France, sept ans après la signature des traités de Westphalie, ne laisse planer aucun doute sur la résistance au changement apporté: «L’État, c’est moi!».

    Pourtant, l’élan donné à la fin de la guerre de Trente Ans n’allait plus être infléchi. L’État possède aujourd’hui des pouvoirs, il se dote de moyens, il se structure. À l’origine, l’État était modeste. Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, autant à Québec, qu’à Ottawa ou à Washington, l’administration publique logeait dans quelques édifices localisés à proximité du centre du pouvoir. La relation entre le politique et l’administratif avait un tout autre sens parce qu’elle obéissait à une toute autre dynamique. Les administrateurs publics d’alors étaient très près, physiquement, de «leur» ministre. Les échanges étaient plus denses.

    Aujourd’hui, les équipes se sont multipliées, se sont enrichies de spécialistes de tous ordres afin d’élaborer et d’administrer des programmes en réponse aux besoins exprimés par la population. Elles ont migré vers de plus larges espaces qui, s’ils offrent des conditions de travail plus acceptables, ont ajouté de la distance entre le cœur politique de l’État et ses bras administratifs opérant. Cette nécessaire diversité est arrivée en réponse à un État qui est aujourd’hui, beaucoup plus présent. À l’origine concentré autour des pouvoirs régaliens associés à la défense du territoire, à la sécurité intérieure, au droit et à la justice et au contrôle de la monnaie, il étend aujourd’hui ses compétences à plusieurs domaines dont ceux de la santé, de l’éducation ou de l’environnement, pour n’en nommer que quelques-uns.

    Dans sa dimension politique, l’État est mal aimé: rares sont les contrées où la suspicion ne prévaut pas comme sentiment premier envers lui. Au fil de l’histoire, la crainte d’un envahissement par l’État a donné naissance, par exemple, aux États-Unis d’Amérique. Et même à cela, la création de la nouvelle entité n’a pas suffi à calmer les inquiétudes: si aujourd’hui les yeux de la planète se tournent vers Washington plutôt que vers New York ou Philadelphie, d’abord choisies comme capitales, c’est parce que la population américaine y faisait un mauvais parti à ses élus. Les localiser dans un endroit éloigné, brumeux et marécageux, aménagé en nouvelle Rome par les soins d’un architecte français, Pierre-Charles L’Enfant, fut la solution trouvée pour établir les nécessaires institutions d’un État honni dès le départ. Nous n’avons qu’à regarder les armoiries qui ornent le drapeau de l’État de New York pour bien comprendre la dynamique: la figure allégorique située à la gauche du blason représente la Liberté qui foule au pied la couronne britannique – l’État rejeté. On le constate: ramener ce sentiment de méfiance vis-à-vis de l’État politique à une propagation née sur Facebook ou sur Twitter, c’est oublier que nous utilisons aujourd’hui d’autres moyens pour exprimer autrement une attitude séculaire; d’abord Hobbes et Locke, mais aussi Montesquieu, Voltaire, Franklin, Rousseau, Smith, Kant et Jefferson n’y ont-ils pas tous contribué?

    Dans sa dimension administrative, l’État n’est guère mieux perçu dans certains milieux. Les ressources exsangues de plusieurs ministères et organismes publics reçoivent assurément avec désolation les réflexions sur l’État, partagées par des commentateurs de l’actualité pour qui chaque nouveau dollar investi par l’État en vue du bien commun est un dollar de trop, dépensé inutilement. Pourtant, nous n’avons pas peur des paradoxes: autant la présence et la lourdeur bureaucratique de l’État sont dénoncées par des individus, autant le réflexe de confier à l’État tel ou tel aspect de nos vies remonte vite à la surface, poussé par des collectivités animées parfois par ces mêmes personnes.

    Où nous situons-nous véritablement? N’est-il pas exact que l’État rend des services de qualité et nécessaires? Un exemple intéressant, repris plus loin dans l’ouvrage, nous est fourni par le secteur de la santé. De l’extérieur, nous sommes vifs à y dénoncer les incohérences apparentes, le niveau de prestation considéré comme sous-optimal et ainsi de suite. Pourtant, la plupart des gens qui utilisent ces services se disent heureux de l’attention qui leur a été portée et des soins reçus. Pis, les dénonciateurs d’un système engorgé oublient trop souvent de signaler qu’il existe aussi des exemples d’un usage abusif de ce que l’on considère parfois simplement comme un acquis et un dû. L’État n’est donc pas que ce portrait donné d’une méga-organisation anonyme, digne des utopies d’Orwell ou d’Huxley. L’État ne peut être considéré distinctement de la population qui le compose.

    Que l’État soit questionné, que l’on cherche à l’organiser de la manière qui corresponde le mieux à nos sociétés est une constante dans l’histoire. Nous ne pouvons nous y objecter, bien au contraire. Mais avant d’envisager le rejet massif de ce qui existe, il faut considérer les alternatives.

    Examinons, par exemple, une dimension fondamentale de nos organisations sociales: l’État de droit, cet héritage qui se profile derrière pratiquement chacun des chapitres de cet ouvrage, qu’il soit évoqué de façon explicite ou non. On l’interpelle, on souhaite que les sociétés en émergence y adhèrent, on le place parmi les acquis de l’humanité. Considéré autant par les praticiens que par les juristes comme étant étroitement associé aux régimes démocratiques, l’État de droit fait du droit l’outil premier de régulation de l’organisation politique et sociale. Dans ce contexte, ce qui est légitime cède le pas à ce qui est légal et tous, citoyens comme gouvernements, doivent s’y conformer. Il subordonne le principe de légitimité au respect de la légalité. Il justifie ainsi le rôle croissant des juridictions dans les pays qui se réclament de ce modèle. Si on l’accepte en tant que tel, il faut aussi admettre que l’État de droit impose certaines contraintes. S’il garantit les libertés parce qu’il introduit des limites à la puissance interventionniste de l’État, l’État de droit exige en contrepartie des mécanismes qui assurent son application et sa pérennité. Ces éléments vont nettement à l’encontre d’un État minimaliste tout en garantissant que l’État serve au mieux ses citoyens.

    Il en va de même du principe de subsidiarité. Tant et aussi longtemps que l’État se limite à ses fonctions régaliennes, sa dimension peut être relativement modeste et ses actions concentrées entre les mains d’un petit nombre d’acteurs regroupés autour du centre décisionnel. Mais dès que l’État s’engage dans des domaines qui touchent de près les citoyens dans leur quotidien, la question de proximité de services, mais aussi de proximité de prise de décision et d’administration, se pose. Lorsque la proximité entre le niveau d’autorité publique qui a compétence pour intervenir et la personne est la plus grande, le principe de subsidiarité est mis en œuvre. Il s’agit alors d’identifier le niveau d’intervention le plus pertinent et de ne pas déléguer à un échelon plus élevé de la hiérarchie étatique ce qui peut être fait avec des résultats au moins comparables par un échelon inférieur, tout en gardant à l’esprit la capacité du niveau central de l’État d’intervenir en cas de difficultés éprouvées par le niveau inférieur. Cette manière de faire évite les prestations complètement dépersonnalisées lorsqu’il s’agit de services de proximité. Mais, dans sa nature même, l’application de ce principe demande justement que soient instaurés divers niveaux d’intervention. Aux tenants de l’État minimaliste, il faut alors demander ce que, des services répondant le mieux possible à la population ou de la taille théorique de l’État, il faut privilégier. Lorsqu’on ajoute dans l’équation le respect attendu des droits individuels et l’application des garanties et des mesures que cela interpelle, il devient difficile de trouver une réponse qui satisfasse pleinement chacun des paramètres. Le tout, on le constate, sera affaire de juste équilibre.

    Si nous revenons à notre question, quelles seraient donc les alternatives à ces deux seules dimensions? Pouvons-nous faire l’économie d’un État qui se soumet à ses propres lois? Devons-nous privilégier la centralisation et l’éloignement de l’autorité et des pouvoirs? Poser la question c’est y répondre. À moins que la solution ne se trouve dans cette maxime de Lénine: «Tandis que l’État existe, pas de liberté; quand régnera la liberté, il n’y aura plus d’État.» Il peut sembler étonnant qu’un raisonnement semblable existe aussi à l’autre bout du spectre idéologique. Mais est-ce là l’aspiration véritable de nos sociétés?

    Par quoi alors remplacerait-on l’État, cet agencement multiforme de composantes juridiques, politiques et administratives? Il semble difficile d’exclure l’un des deux membres de cet amalgame sans tomber soit dans la dictature administrative, soit dans la volonté inassouvie par manque de moyens. L’équilibre des forces qui s’est établi au fil des ans et des expériences humaines et que l’on connaît sous le nom d’État, semble nous présenter un outil souple, malléable au gré de l’évolution des sociétés. De surcroît, il respecte la nécessité de concentrer en une institution le «monopole de la force de coercition légitime», pour reprendre les mots de Weber, tout en s’assurant de la représentativité des volontés exprimées par la polis.

    D’ailleurs, n’est-il pas étonnant de constater qu’aux moments où l’État a été donné pour inutile, les populations se sont retournées vers lui? L’histoire récente nous en a donné deux exemples. Les peuples se sont retournés vers les États pour contraindre les anarchies terroristes au moment où celles-ci se sont infiltrées dans la brèche laissée par un monde dit unipolaire, où les populations des États avaient pris pour acquise la défense de leurs valeurs démocratiques communes. De même, c’est aux États que l’on a fait appel pour contrer les dérives d’un capitalisme outrecuidant dont les bonzes se voyaient volontiers au-dessus des contraintes imposées par un État dont on reconnaissait moins la légitimité d’intervention. De tels retours confirment le besoin d’une solution étatique éprouvée tant elle a subi l’épreuve du temps.

    2 /Héritiers d’une tradition

    Car nos institutions étatiques et politico-administratives ne sont pas le fruit d’une génération spontanée. En ce sens, autant il est important qu’elles évoluent en respect des valeurs de la société qu’elles servent, autant l’option de la tabula rasa et de la reconstruction à neuf peut s’avérer une entreprise hasardeuse. Ainsi, si nous considérons notre propre exemple, nous avançons volontiers que les «véritables» institutions du Québec datent de la Révolution tranquille, qu’elles sont fortement inspirées de la France et qu’elles sont «républicaines». C’est du moins le portrait général que plusieurs véhiculent. Or, ces institutions sont plutôt le fruit d’adaptations incrémentales à partir d’expériences qui remontent jusqu’en 1215! Cela peut surprendre? C’était «à l’époque où Jean Sans Terre, d’Angleterre, était le Roi», comme le dit la chanson. C’était l’époque des Croisades et de Richard Cœur de Lion. C’était l’époque où nous ramène la légende de Robin des Bois! Et pourtant, c’est de là que viennent les fondements des administrations publiques que nous connaissons aujourd’hui, chez nous.

    L’histoire nous rappelle que nos institutions doivent beaucoup à la Magna Carta, la Grande Charte, que les barons féodaux, excédés par les demandes d’une couronne désireuse de financer des expéditions guerrières sans succès, ont imposé au roi Jean en échange de leur loyauté. Réunis dans un pré, à Runnymede – près de Windsor – le 12 juin 1215, les barons et le roi allaient donner au monde un outil qui a traversé les siècles, marqué plusieurs générations et structuré la plupart des sociétés démocratiques contemporaines. De cette Grande Charte, rédigée par des rebelles réfugiés en France, nous tenons plusieurs éléments qui sont aujourd’hui élevés au rang des principes immuables.

    Ainsi, le fait que le gouvernement ne puisse taxer sans recevoir l’approbation des représentants de la population chez qui ces taxes seront prélevées vient directement de cette reconnaissance accordée à la voix des barons dans la Magna Carta. Cette exigence a été reformulée quelques 475 ans plus tard, par le Bill of Rigths (1689) qui confirme la souveraineté et la suprématie du Parlement sur le roi et son gouvernement. Cette dernière loi faisait partie des acquis de la Glorieuse Révolution et consacrait la séparation des pouvoirs entre l’autorité exécutive du roi et le pouvoir législatif du Parlement. Le fameux «no taxation without representation» repris 85 ans plus tard par les coloniaux américains en rupture de ban avec la couronne anglaise, y trouve son origine et si, aujourd’hui, les gouvernements doivent démissionner et appeler une élection s’ils sont défaits en Chambre sur une proposition budgétaire, c’est à ce principe que nous le devons.

    En fait, tous les éléments essentiels, propres au parlementarisme et à la fonction administrative qui s’y rattache, se trouvent dans cette Grande Charte. C’est aussi le cas du principe qui a mené au gouvernement responsable. Nous y retrouvons également celui qui veut que la voix des représentants du peuple soit entendue par le gouvernant sur tout sujet qui le touche: «ce qui touche tous doit être approuvé par tous», disait-on déjà lorsque le «parlement modèle», sous Edward Ier (1295), a été institué. C’est également de cette autorisation nécessaire, reçue des représentants du peuple, que découle le principe de droit administratif qui veut que le gouvernement – et ses administrateurs – ne puissent agir à moins d’en être explicitement autorisés par une loi.

    De la même manière, l’institution même du Parlement y trouve ses origines, tout autant que plusieurs pratiques qui y sont associées. Ainsi, la Chambre d’Assemblée canadienne porte le même nom que son institution sœur au palais de Westminster: la Chambre des communes. Cette appellation vient du fait que, dans chaque comté, on se réunissait dans le pré communal – commons, en anglais – pour identifier les représentants de la population auprès du roi, lors des pourparlers qui amèneraient à l’adoption des lois et des crédits. L’assemblée ainsi constituée s’est rapidement identifiée comme étant la maison des représentants communaux – en bref, les commons. Et, pour se rappeler ses origines, elle a adopté la couleur verte pour s’identifier. Au Québec, le vert a aussi été la couleur qui parait la Chambre des élus jusqu’en 1978, alors que le bleu lui a été préféré au moment où a débuté la télédiffusion des débats parlementaires. Il est ainsi remarquable que, même dans plusieurs des capitoles des états américains pourtant issus d’une rupture d’avec la couronne anglaise, le vert est la couleur choisie pour la Chambre des représentants.

    Le discours du trône – qui a été remplacé par le «message inaugural» au Québec – est également issu d’abord d’un besoin d’information, puis d’une pratique parlementaire. Puisque le roi ne pouvait agir sans le consentement des représentants de la population, il devait d’abord convoquer ces représentants auprès de lui. Une fois ceux-ci «en parlement rassemblés», le roi venait leur expliquer les besoins du royaume et ce qu’il attendait d’eux avant qu’ils retournent dans leurs terres: son discours fut vite identifié comme le «discours du trône» – comme on a qualifié de «discours du balcon», la célèbre salutation gaullienne; cette appellation qui a littéralement subsisté, autant en anglais qu’en français, est encore d’usage en beaucoup d’endroits aujourd’hui. Au surplus, quelle que soit l’appellation qu’on lui donne, l’utilité première de ce message est demeurée la même au fil des ans: informer les représentants élus de la population des besoins et des intentions du gouvernement et des sujets sur lesquels ils vont être appelés à se prononcer au cours de la session parlementaire pour laquelle ils ont été convoqués. Le corollaire de cette procédure veut que toute affaire non traitée au moment du retour des représentants chez eux – lors de la prorogation de la session – doit être soit être abandonnée, soit présentée de nouveau lors du prochain discours d’ouverture.

    Nous pourrions aussi donner comme exemple de l’héritage des rois anglo-normands, l’institution du Conseil des ministres, les ministres, la nature et la fonction du poste de premier ministre; tous sont aussi typiquement associés au régime parlementaire et à la pratique voulant que le roi – la couronne – agisse sur l’avis de proches conseillers à qui seront aussi confiés, beaucoup plus tard, des mandats administratifs. Il s’agit bien ici d’une pratique séculaire, car aucune loi ne définit ces responsabilités, ni la taille du Conseil des ministres ni qui le compose. Déjà, Guillaume le Conquérant (1027–1087), s’était entouré d’un Magnum Concilium, un «Grand Conseil» composé de barons ayant obtenu des terres du roi. Ce sont ces mêmes barons qui «conseilleront» Jean Sans Terre d’adopter la Magna Carta. De ce «Grand Conseil», le roi choisissait quelques sages, la curia regis (le conseil royal), pour discuter des questions les plus délicates et lui donner des avis en privé. Au XIIIe siècle, cette institution devient le bien nommé «conseil privé», une appellation qui prévaut encore de nos jours au niveau fédéral canadien puisque chaque ministre est assermenté comme «conseiller privé de la reine» et paraphe sa signature des lettres «c.p.» sa vie durant – si votre député fédéral est ou a été un ministre, remarquez le libellé suivant son nom, tel que formulé dans les instances et la correspondance officielles. Enfin, au saint des saints, se trouve le Cabinet – au Québec, le Conseil des ministres – expression en vigueur dans plusieurs États de régime parlementaire et dont l’origine remonte à la fin du XVIIe siècle alors que, devant le nombre grandissant de conseillers privés, il fallait distinguer ceux qui avaient le véritable pouvoir de conseil des autres qui, malgré leur titre inaliénable, avaient perdu de l’influence. Dans ce contexte, le premier ministre est littéralement primus inter pares – le premier parmi ses pairs, les ministres, – et il doit jouir de la confiance d’une majorité d’élus à titre de premier conseiller de la couronne.

    Si nous revenons un instant à la Magna Carta, nous constatons qu’elle a aussi balisé le système juridique dans lequel nos sociétés évoluent. Elle a d’abord établi l’État de droit dont il a été question dans la section précédente. Aussi, l’habeas corpus, ce principe qui empêche la détention arbitraire, est au cœur du document. Le libellé n’est pas étranger à ce que nous reconnaissons aujourd’hui comme étant une liberté fondamentale: «Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays».

    Ces éléments, si prégnants soient-ils, n’ont toutefois pas été les seuls à influencer l’organisation politico-administrative de nos États, que ce soit celui du Québec ou celui du Canada. On ne saurait ici minimiser ce que l’expérience américaine nous a apporté, à commencer par le régime fédéral. En effet, le Canada est né quelques années seulement après qu’eut été adoptée aux États-Unis une constitution fédérale qui répartissait les pouvoirs en deux niveaux de gouvernements. Si aujourd’hui, une majorité de la population mondiale vit dans une fédération, le concept était assez novateur au XIXe siècle. Ce type de gouvernement était d’abord vu comme étant un moyen de limiter le pouvoir de ceux qui gouvernent et venait se conjuguer à la séparation des pouvoirs, à une constitution écrite et à la judiciarisation pour obtenir un effet maximal. Si le Canada a préféré le système parlementaire à la britannique, il a fait bon usage des autres composantes, notamment de la constitution écrite qui s’ajoute à la pratique coutumière qui prévaut comme cadre constitutionnel britannique et d’une cour constitutionnelle, la Cour suprême et jadis, le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres. Le Canada contemporain et le Québec sont aussi les héritiers d’une autre tradition américaine forte, soit la Charte des droits et libertés inspirée de la protection des libertés individuelles comprises dans une acceptation universelle, alors qu’en Grande-Bretagne les droits sont davantage considérés en fonction de leur utilité pour la promotion du bonheur humain, une approche que le philosophe John Stuart Mill a traduite.

    Il est un autre héritage d’une très grande importance qui nous provient de la Grande-Bretagne et qui marque profondément notre paysage politico-administratif: c’est le système administratif de Whitehall, du nom du palais qui longe la Tamise, à quelques centaines de mètres à l’est du palais de Westminster, où se réunit le Parlement. Il nous sera donné d’explorer à satiété les divers éléments qui caractérisent ce type d’arrangement, au cœur de la deuxième section de l’ouvrage. Il est toutefois important de mentionner ici que le rôle de l’administration publique et particulièrement ses relations avec les décideurs politiques font partie de ces éléments qui ont été adaptés à notre contexte à partir de principes pratiqués ailleurs. Ces principes veulent que lorsqu’un administrateur public pose un geste, il le fasse en vertu de l’autorité, des charges et des missions accordées au ministre par la loi, et que ce dernier doit répondre de ces actes devant le Parlement. Ces principes divisent le travail entre des spécialistes – les administrateurs publics – et des «amateurs», c’est-à-dire des gens qui exercent des responsabilités sur la base de leur légitimité représentative de la population plutôt que sur leur expertise – les ministres –. Les fondements de ces principes sont intimement liés à des considérations économiques voulant que le capital ait besoin d’administrations capables, prévisibles et rationnelles qui s’inscrivent dans la durée. C’est ce qu’offrent les administrations publiques comme complément viable aux volontés politiques exprimées et articulées par les élus.

    On le constate, les institutions démocratiques en compagnie desquelles nos communautés évoluent sont le fruit d’une longue expérience où de nombreux ajustements ont permis d’en adapter le fonctionnement aux valeurs de la société qui évolue, change, se transforme. Nul doute que de nouveaux besoins se font aujourd’hui sentir et nul doute que d’autres adaptations seront nécessaires. Faut-il alors tout bousculer et redessiner de nouvelles formes d’organisations? L’adaptation serait-elle une voie plus sûre? Quelle que soit la réponse apportée à ces questions, elle devra se baser sur une très bonne connaissance de ce qui existe présentement, de ce qui a été fait pour en arriver là où nous en sommes – histoire de ne pas réinventer la proverbiale roue – et des potentiels d’adaptation au changement que recèlent ces institutions.

    3 /Ce qu’il faut explorer

    Cette compréhension plus fine des principes qui sont le socle sur lequel reposent nos institutions politico-administratives, et des enjeux contemporains auxquels elles sont confrontées, peut être en grande partie possédée à l’aide des diverses analyses qui sont colligées dans cet ouvrage. Puisque nous avons opté pour la diversité des expertises et des approches, nous ne pouvons nous référer à un cadre d’analyse ou à une approche théorique unique. L’un des buts avoués est de susciter débats et discussions afin d’alimenter la réflexion collective autour de la compréhension de nos institutions politico-administratives, dans le but d’en améliorer le fonctionnement, d’abord par le travail qui s’y fait et ensuite par d’éventuelles réformes qu’il serait nécessaire de suggérer. Pour y arriver, l’ouvrage a été divisé en trois parties.

    Dans un premier temps, puisque c’est l’État qui est au centre de nos préoccupations, il nous est apparu nécessaire d’y consacrer les premiers instants de notre étude et de pousser plus à fond la réflexion amorcée plus tôt au cœur de cette introduction. Pour explorer ce que représente l’État, trois auteurs nous offrent des appréciations différentes. Tout d’abord, Christian Dufour situe l’État comme organisation sociale dans sa continuité dynamique. Il dépeint les sources qui alimentent la gestion du pouvoir avant d’éclairer les liens qui existent entre État de droit et démocratie pour nous amener à considérer les États en fonction de leur constitution, puis en fonction des types de démocratie qu’on y trouve. Il termine son analyse en abordant la division territoriale de la souveraineté à l’intérieur des États et conclut en s’interrogeant sur le rôle de l’État aujourd’hui. Il passe ainsi le relais à Louis Côté, qui nous amène directement au cœur de l’action et des responsabilités de l’État en nous exposant divers modèles de gouverne pour mieux comprendre le passage à la gouvernance. À l’heure où «la plupart des sociétés sont à repenser les rapports entre l’État, le marché et la société civile», comme il l’écrit, il fait ressortir les spécificités caractéristiques de l’État québécois à partir des rôles économique et social qu’il joue et de la participation citoyenne qu’il admet. Ces rôles et la place de la politie s’articulent en un certain nombre de fonctions et de leurs compléments «infra» et «super». C’est ce que nous présente Gérard Bergeron dans une adaptation posthume de son analyse classique de l’État où il enrichit l’apport de Montesquieu et de Locke en subdivisant le «pouvoir exécutif» pour mettre pleinement en lumière l’apport de la fonction administrative. Il est important de noter ici que, non seulement ce chapitre conclut la première partie, mais il nous offre la clef d’interprétation de l’ensemble de l’ouvrage puisque la seconde partie sera consacrée aux fonctions de l’État, de même qu’à la superfonction – la constitution et l’environnement externe – et à l’infrafonction – la politie.

    Forts de cette compréhension que nous aurons acquise de l’État sous divers aspects, nous pourrons aborder son fonctionnement, les dynamiques qui l’animent. La seconde partie de l’ouvrage en couvre l’essentiel. Elle débute par un chapitre charnière, celui de Vincent Fauque, où l’auteur explore l’influence des courants internationaux qui s’expriment dans le cadre de la mondialisation et qui affectent ce qu’est et ce que devient l’État. Nous entrons ici dans ce que Bergeron identifie comme étant le régime qui fournit la sécuration de l’État, soit cette dimension superfonctionnelle qui inscrit l’État dans un ensemble référentiel plus grand que soi. La dimension normative qu’elle revêt nous amène à réfléchir au concept de «souveraineté», qui tend à se muter en acte stratégique, d’autant plus que l’État est engagé dans un nombre important de réseaux nécessaires à son dynamisme, mais des réseaux qui sont aussi des vecteurs de ces normes dont l’État doit désormais tenir compte.

    L’autre élément propre à la superfonction est la légitimation de l’État que lui fournit sa constitution. Il ne fait aucun doute que la naissance d’une constitution, voire sa renaissance comme dans le cas canadien, est un geste d’organisation de première importance pour l’État. Pour bien nous faire comprendre ce rôle fondamental, Guy Azebové Tetang et Pierre Noreau nous convient à une réflexion sur la nature, le rôle et l’influence d’une constitution en puisant dans des expériences tirées de partout dans le monde. Ils ramènent leurs propos, en deuxième partie de chapitre, à l’expérience du fédéralisme canadien, de ses origines jusqu’aux débats et aux défis contemporains. Au fil de leur analyse, nous sommes frappés par l’inéluctable recherche d’équilibres perfectibles qui constituent les fondements constitutionnels d’un État. Ainsi, ce chapitre explore la constitution non seulement comme assise législative, mais aussi comme «contrat social» qui structure les pouvoirs et les fonctions par lesquels l’État se gouverne tant elle est source de légalité et de légitimité pour l’ensemble des institutions et des actions propres à l’État.

    Ces institutions se traduisent notamment dans la fonction législative dont Vincent Lemieux analyse les sources: la dynamique représentative telle qu’elle s’exprime par la voix des partis politiques et au travers des modes de scrutin. La connaissance pointue qu’il a des systèmes nous fait comprendre que là aussi nous sommes en présence d’outils recherchés, affinés au fil de la pratique démocratique et qu’avant de modifier profondément nos façons de faire, il est important de bien comprendre les alternatives qui existent. Ici, la complexité des modes de scrutin proportionnels peut servir d’exemple pour qui croit qu’il s’agit d’une réponse évidente et simple aux aléas du mode uninominal à un tour que nous connaissons et qui est appliqué tant au Québec qu’au Canada.

    Les deux chapitres suivants nous amènent au cœur de la fonction législative en considérant ses acteurs et les institutions à l’intérieur desquelles ils évoluent. En premier lieu, André Grenier nous guide le long des corridors menant aux Chambres des élus: l’Assemblée nationale et la Chambre des communes. Le rôle du Parlement comme instance de contrôle nous apparaît alors comme une pierre d’angle de nos démocraties et les fonctions des représentants de la population qui y siègent en sont l’expression concrète. Il en découle naturellement une nécessaire considération du concept de «responsabilité» qui se joue au quotidien devant ces chambres d’assemblée. L’exploration de la pratique parlementaire qui est ici partagée permet de démystifier plusieurs aspects de ce qui nous apparaît trop souvent sous une forme caricaturale. Nous serons alors mieux en mesure de comprendre ce que signifient les divers rôles joués par les députés, comment ces rôles ont évolué dans le temps et comment ils répondent aux exigences d’un monde en mutation. Pour sa part, Louis Massicotte, dans un chapitre d’une grande actualité, nous présente une institution législative méconnue et souvent mal aimée: le Sénat canadien. Sa contribution nous permet certes de mieux comprendre quels en sont les origines et les attributs, mais elle est surtout éclairante sur les perspectives d’avenir à l’égard de l’institution.

    D’autres fonctions de la gouverne sont explorées au cours des chapitres qui suivent. Pour Gilbert Charland, la fonction gouvernementale constitue «la véritable instance décisionnelle» dans nos systèmes politico-administratifs et le premier ministre y est «l’acteur prédominant». Au-delà de ces constats, notre santé démocratique exige de comprendre comment s’organise une telle concentration de pouvoir, ce que ce chapitre nous permet de faire en disséquant la nature et la composition de ces institutions et en empruntant le parcours que prennent les éléments à la base des décisions que ce centre névralgique a pour mission de formuler.

    Par ailleurs, pour pousser plus loin notre compréhension de l’État agissant, il nous faut être en mesure d’apprécier les moyens dont il dispose. Au premier chef, nous devons considérer l’apport budgétaire. Car sans ressources financières, l’État est impotent. Or, nous avons vu comment tout ce qui touche à ces questions est ancré profondément dans l’histoire de nos institutions. Étudier cette dimension de la fonction gouvernementale, c’est se rendre au cœur de nos démocraties. En s’appuyant sur le cas québécois, qui peut largement servir d’illustration pour les processus similaires à l’œuvre dans d’autres gouvernements semblables, Paul-Émile Arsenault a puisé dans ses connaissances et dans sa pratique aux plus hauts niveaux de l’État pour nous faire saisir tout ce que cette dimension peut représenter. Son chapitre nous amène à considérer le mode de financement de l’État et l’allocation qui est faite des ressources ainsi obtenues. Il situe bien son importance et jette un regard sur le cadre institutionnel et légal qui le régit tout autant que sur le rôle qu’y jouent ses principaux acteurs et sur la dynamique qui l’anime.

    Bien que dans une optique différente, il est tout autant de première importance d’examiner un autre extrant propre à la fonction gouvernementale: les politiques publiques. C’est ce à quoi le chapitre proposé par Kaddour Mehiriz, Jean Turgeon et Gilbert Charland nous convie. Nous entrons ici au cœur de l’action exercée par la fonction gouvernementale, soit tout ce que le gouvernement décide de faire ou de ne pas faire. Plusieurs questions se posent: Comment et pourquoi l’État intervient-il dans la société? Quels sont les processus par lesquels l’État élabore, décide et met en œuvre ses politiques? Quels acteurs y participent? Quels sont les moyens utilisés pour atteindre les objectifs poursuivis par l’État? Les auteurs nous démontrent que, pour bien comprendre les politiques publiques, plusieurs outils s’offrent à nous. Un certain nombre d’entre eux sont disséqués pour nous faire bien saisir l’apport de chacun dans une démarche qui vise à mieux comprendre l’État à travers ses actions.

    Force est de constater qu’arrivés à ce point, nous jouxtons les préoccupations propres à a fonction administrative, soit celle qui est le plus près du quotidien des administrateurs publics. En raison de cette importance pour qui pratique la gestion du bien commun au quotidien, les sept prochains chapitres de l’ouvrage en permettront une exploration plus détaillée.

    La donnée première qu’il est important de saisir nous amène à acquérir une meilleure compréhension de l’organisation de cette fonction administrative. Par son chapitre introductif à cette fonction de la gouverne, Pierre Bernier, un praticien émérite, nous y invite. Abondant en détails fonctionnels, son texte nous dépeint la délimitation de l’ensemble des paramètres utiles à la compréhension de la fonction administrative dans toute sa complexité. Neuf auteurs se partagent les six chapitres suivants; ils traitent d’une multitude d’aspects nécessaires à l’intelligence fine de ce qu’est la fonction administrative, de ce qu’elle représente et de ce qu’elle apporte.

    Nous devons le chapitre qui suit à Michèle Charbonneau, qui nous présente une analyse richement appuyée sur les connaissances que nous avons du monde de la gestion. La fonction première de l’administration publique étant d’administrer, il nous est en effet apparu fondamental de dresser le portrait des principales tendances managériales qui animent ce secteur d’activité humaine à nul autre pareil. Car, pour bien saisir les divers aspects qui suivent, nous ne pouvons faire l’économie de la toile de fond devant laquelle ils se profilent. Cette toile étant elle-même chatoyante, les diverses teintes qu’elle nous présente feront ressortir diversement les aspects des questions qui seront abordées par la suite. Et, si ce ne sont pas tous les chapitres qui apportent les innombrables combinaisons de lectures possibles des phénomènes étudiés, le présent chapitre offrira en continu la référence nécessaire pour saisir la complexité des diverses expressions d’un enjeu donné. Son positionnement vis-à-vis du nouveau management public inspire maintes interrogations que les chapitres suivants parcourent.

    Une fois ces dimensions posées, l’exploration des foyers d’action de l’administration publique nous interpelle. Pour ce faire, deux chapitres traitent des organismes gouvernementaux et trois nous familiarisent avec chacun des grands réseaux de l’administration décentralisée.

    Ainsi, nous convenons avec Rémy Trudel que les organismes centraux méritent une attention particulière. Il nous propose donc un survol du ministère du Conseil exécutif et du Conseil privé, du Bureau du premier ministre, du Conseil du Trésor et du ministère des Finances. Il nous aide à mieux saisir quel est leur rôle d’organismes «manomètres» chargés d’exercer un certain nombre de contrôles. Sa présentation favorise une meilleure compréhension des exigences que ces organisations posent à l’ensemble de l’appareil politico-administratif, ce qui teinte la perception que nous en avons, y compris celle des défis auxquels ces acteurs sont confrontés.

    Chez Luc Bernier et Luc Farinas, nous trouvons plutôt un exposé nous faisant voyager dans le monde des organismes autonomes. Naturellement situés à une plus grande distance du gouvernement, l’essence tout comme le rôle de ces «îlots d’autonomie» s’articulent en fonction de la manière dont on veut rendre l’appareil d’État plus efficace. Cette façon de voir le gouvernement a varié en fonction d’un certain nombre de paramètres (concentration/déconcentration, centralisation/décentralisation) au fil du temps et selon que l’on se trouve à Québec ou à Ottawa; tous ces facteurs sont pris en considération dans l’importante étude de ce que les auteurs définissent comme étant des instruments de réalisation des politiques publiques.

    Pour leur part, les réseaux de la santé et de l’éducation, vers lesquels une importante partie du budget de l’État est consacrée, soulèvent des questions que nous pourrons analyser grâce à l’éclairage fourni par les contributions respectives de Renée Lamontagne et Marie-Claude Prémont et de Jean Bernatchez. De son côté, le monde municipal, ce niveau de gouvernement auquel nous avons quotidiennement affaire mais qui évolue dans un cadre présentant des limites intrinsèques, peut intriguer; la lumière sur ses défis nous est fournie par Serge Belley, Gérard Divay et Marie-Claude Prémont. L’explication originale qu’ils offrent de la naissance des partis politiques municipaux illustre bien les dimensions méconnues et parfois non conventionnelles d’un secteur qui mérite un regard neuf.

    Rendus à ce point, nous sentons que la distinction établie par Bergeron des deux fonctions appartenant au pouvoir exécutif de Montesquieu et de Locke, ne peut se résoudre par une séparation complète des deux secteurs. Ensemble, ils forment un tout sans quoi l’État ne pourrait véritablement fonctionner. Les échanges qui existent entre ces deux éléments deviennent, dès lors, un sujet de première importance pour notre compréhension du fonctionnement de l’État. Pour les analyser adéquatement, nous avons privilégié deux dimensions. La première est purement juridique: qui fait quoi en fonction de quoi? Gaston Pelletier, membre émérite du Barreau en raison de sa contribution au droit administratif, s’appuie sur la maxime delagatus non potest delegare, pour nous faire comprendre le lien structurel qui est à la base de l’imputabilité. Son chapitre est d’une très grande accessibilité et nous amène à intégrer l’essence de ce que signifie la convention constitutionnelle du gouvernement responsable.

    Assurément, cette mécanique horlogère ne peut faire fi de la dimension humaine dans les relations qui existent entre les différents acteurs qui se rencontrent à la confluence des deux fonctions, soit au cœur même du pouvoir exécutif. Qui de mieux que Claude Morin, qui a été universitaire, grand mandarin de l’État et ministre du côté politique, pour nous faire saisir, dans le langage direct et le style vivant qu’on lui connaît, les fines et subtiles nuances de ces relations. Son chapitre répond à une question qui interpelle constamment les décideurs publics: comment concilier désirs, buts, objectifs, voire, dans certains cas, travail au quotidien des élus et de leurs équipes avec ceux des administrateurs publics nommés et leurs ministères? Morin nous propose une grille comparative qui nous fait ainsi toucher du doigt les différences qui caractérisent les uns et les autres, tout en nous faisant comprendre où se situent les points de divergence qu’il faut concilier tout autant que les points de convergence qu’il faut savoir utiliser.

    La quatrième fonction de la gouverne, la fonction juridictionnelle, peut sembler plus discrète. Elle occupe néanmoins une place cruciale, surtout lorsque l’on considère que l’ensemble de notre organisation politico-administrative est, comme nous l’avons établi plus tôt, une incarnation de l’État de droit. En premier lieu, la compréhension des principes et de l’organisation de cette fonction doit nous être familière. Grâce au chapitre de Valérie Bouchard, nous pouvons entrer dans le vif de ce qu’est cette fonction, à commencer par la conception que nous avons du droit, de sa structuration, de ses sources. Et puisque nous fonctionnons dans un État de tradition juridique mixte où droit civil (privé) et common law (publique) se côtoient, il est important d’établir la contribution de chaque tradition. Enfin, l’organisation des outils interprétatifs du droit, tout autant que la construction du rendu des décisions, nous offrent des outils grâce auxquels nous pouvons mieux saisir le cheminement et les résultats des processus menant à une meilleure appréciation de nos lois. «Primauté du droit», «égalité devant la loi», «impartialité» et «indépendance» sont des concepts qui prennent ici tout leur sens.

    En suivant cette ligne de pensée, nous arrivons à conclure que l’application du droit à l’administration publique, autant par sa nature que pour les répercussions qu’elle a sur le quotidien des administrateurs publics – même s’ils ne le réalisent pas toujours – exige qu’une attention particulière lui soit accordée. Le chapitre consacré à cet aspect nous permettra de mieux discerner les fondements de l’action publique, de sa légitimité et de ses limites. Des actes administratifs aux modalités d’application du pouvoir discrétionnaire, du pouvoir réglementaire jusqu’à l’émission de directives, des permis ou des contrats publics, nous serons en mesure de saisir la portée, les balises et les exigences légales de l’action publique.

    Enfin, il ne serait pas possible d’explorer les diverses composantes de l’État sans nous arrêter sur ce qui est à la fois sa base et sa raison d’être: la population qui le compose et celle qu’il dessert, ce que Bergeron nomme la politie. Éric Montigny nous amène dans le domaine de la participation citoyenne au processus démocratique qui doit, selon lui, s’engager sous forme de dialogue. Il amorce sa lecture du phénomène en analysant les différentes composantes de la participation citoyenne tout en ayant pour objectif de donner aux lecteurs la possibilité de distinguer les différents mécanismes permettant à la volonté populaire de s’exprimer. Il dissèque par la suite les diverses forces politiques et les problèmes que rencontrent les formes traditionnelles d’expression politique. Dans cette veine, il ajoute, par la suite, une analyse de l’ancrage sociétal de l’État québécois avant de nous offrir des pistes de réflexion face à quelques défis auxquels sont confrontés les sociétés démocratiques contemporaines en matière de représentation et de participation citoyenne.

    Il est, par ailleurs, d’une grande importance de considérer ici un groupe particulier de notre politie, soit les populations autochtones. Le contexte récent concrétise une longue histoire; il nous a amplement démontré que ce segment de nos populations vit son lot de défis. Dans ce contexte et pour sa part, l’administration publique doit composer avec les choix qui ont été faits il y a plusieurs décennies afin de répondre à leurs besoins. Jean-François Savard s’est penché sur cette question et la réflexion qu’il nous livre est basée sur une définition politico-juridique à l’intérieur de laquelle s’inscrivent un certain nombre d’enjeux: revendications territoriales, autonomie gouvernementale, établissement de structures nécessaires à la gestion des relations, conséquences des revendications, de la pratique et de la tradition sur les enjeux sectoriels, etc. Il conclut son analyse en évoquant à la fois l’universalité fédérale et provinciale des questions d’intérêt pour les Autochtones et la spécificité dans la réponse que chaque gouvernement leur apporte.

    À ce point de l’ouvrage, malgré notre fréquentation quotidienne avec les institutions étatiques, force est de constater que l’État et ses fonctions constituent un ensemble d’une plus grande complexité qu’il n’y paraît à première vue. Nous n’en n’aurons toutefois une compréhension complète que si nous ajoutons à cette lecture, les éléments qui contextualisent le fonctionnement de l’État. C’est ce à quoi se consacre la troisième partie de l’ouvrage en prenant particulièrement en considération les dimensions informationnelles et normatives qui influencent nos administrations publiques.

    Tout d’abord, en nous plongeant au cœur du seuil d’activation entre les fonctions gouvernementales et la politie, il est utile de considérer une dimension omniprésente de nos jours, soit celle des communications entre l’État et les administrés/citoyens, voire l’influence des communications sur la pratique de nos administrations publiques. Cet ouvrage présente un quatuor de chapitres qui offrent une lecture à 360o de la question, lecture que l’on trouve à peu d’autres endroits hormis dans quelques ouvrages spécialisés sur la question.

    Nous débutons avec Paul-André Comeau qui consacre son analyse aux médias dits traditionnels et dont l’influence est toujours présente au sein de nos administrations. Après avoir bien campé ce qui définit le monde particulier des médias, il apporte un éclairage qui s’inspire d’un dialogue entre médias et journalistes d’un côté et les diverses fonctions de la gouverne de l’autre, dépeignant concrètement les échanges appelés par Bergeron dans le modèle qui sert d’armature à notre réflexion.

    Cette édition de l’ouvrage répond par ailleurs à un souhait exprimé dans la précédente, soit d’enrichir la dimension qui couvre la production d’information à l’ère des médias sociaux. Loin d’être arrêtée, la question évolue sans cesse; mais l’expérience de la dernière décennie nous permet de dégager certaines lignes de force dont la prise en compte devient nécessaire pour tout administrateur public. Déjà, nous pouvions nous demander si les événements du début de 2011 sur la rive sud de la Méditerranée seraient précurseurs d’une nouvelle forme de démocratie. À l’heure des WikiLeaks, des théories du complot, des tweets présidentiels spontanés qui tiennent lieu de communiqués réfléchis et de tous autres phénomènes où le doute sur l’information propagée publiquement prend le pas sur la confiance envers nos dirigeants, discuter de gestion de l’information, de sa diffusion et de gouvernement en ligne, constitue un passage nécessaire dans notre compréhension des États contemporains.

    En somme, nous devons d’abord nous demander: quelles réactions nos institutions séculaires peuvent-elles offrir à cette nouvelle donne, elle-même en mutation constante? Cette question anime la réflexion et l’analyse de Daniel J. Caron dans son exploration des éléments en lien avec la production d’information à l’intérieur de nos administrations publiques, cet incontournable vecteur des rapports entre la gouverne et la politie. Données ouvertes, gouvernement ouvert sont assurément aujourd’hui des paramètres dont il est impossible d’ignorer l’existence, mais leur incidence sur l’administration publique demeure une dimension relativement peu explorée de façon systématique, tant plusieurs questions que ce phénomène nous pose nous laissent en quête de réponses. Pour Caron, la production d’information publique et l’utilisation qui en est faite demandent d’amener notre réflexion à la convergence des besoins de l’État et de ceux des citoyens.

    En complément, Martial Pasquier et Vincent Mabillard traitent de la question sous l’angle de la diffusion de l’information en termes de communication publique. Leur démarche témoigne de la richesse qu’apporte une lecture comparative nourrie de l’expérience européenne. Ils nous font prendre conscience que si l’utilisation des médias sociaux ne bouleverse pas les fonctions et les règles de la communication publique, elle amène néanmoins son lot de défis associés à la bidirectionnalité des échanges et à l’attente de réponse, voire à l’accessibilité de l’information que des fossés générationnels ou géographiques peuvent entraver, soit autant de préoccupations que l’administrateur public contemporain doit avoir à l’esprit.

    Enfin, Christian Boudreau aborde un aspect actuel de la relation gouvernants-gouvernés par son analyse du gouvernement en ligne. Il cherche à saisir l’influence d’un rouage qu’il voit comme essentiel dans la prestation de services de l’État, soit les technologies de l’information et des communications. Il structure son analyse selon quatre axes: informationnel, interactionnel, transactionnel et intégré. Il conclut en insistant sur l’importance que revêtent les enjeux organisationnels face à cette nouvelle pratique. Chacun de ces chapitres nous fait donc pénétrer dans une dimension de l’action gouvernementale souvent prise pour acquise, mais qui apporte son lot croissant de questionnements qui exigent des réponses: peut-être ces dimensions sont-elles aujourd’hui inévitables, mais pour cette raison même, elles doivent être d’autant plus réfléchies.

    Pour conclure cette troisième section de l’ouvrage, deux chapitres abordent les nécessaires dimensions normatives contextuelles que sont les contrôles et l’éthique, tant l’État ne peut agir à son gré, quoiqu’en disent et en pensent ses détracteurs. Pour Marie-Soleil Tremblay, les préoccupations de contrôle s’inscrivent dans la suite logique des valeurs exprimées par la rigueur du processus budgétaire. Les autres mesures de contrôle se veulent alors complémentaires et visent à assurer la conformité aux objectifs fixés dans l’utilisation des ressources, tout en garantissant au mieux l’imputabilité des administrateurs publics, élus comme délégués. Les principaux contrôles auxquels sont confrontées nos administrations sont d’abord analysés dans leurs dimensions historiques avant qu’en soient dressés les principaux types. Une révision d’un ensemble de contrôles autant dans leur nature, dans leur rôle que dans leurs répercussions amènent l’auteure à conclure que «bien que les contrôles formels et juridiques soient toujours dominants, plusieurs facteurs peuvent déterminer l’efficacité de ceux-ci», y compris les défis de compressions imposées à l’État. Les organisations publiques sont donc appelées à revoir leurs méthodes de contrôle afin de mieux profiter des avancées apportées par l’innovation nécessaire en réponse à ces défis contemporains.

    L’histoire tient aussi une bonne part chez Jacques A. Plamondon. Il nous fait réaliser combien les questions liées à l’éthique ne sont pas une préoccupation uniquement contemporaine. Il souligne ainsi combien il est nécessaire de considérer les interrogations que nous avons aujourd’hui dans leurs pleines dimensions en les alimentant de la réflexion de plusieurs penseurs. Invoquant un nécessaire pragmatisme en réponse aux questions complexes auxquelles nos sociétés individualistes sont confrontées, il interpelle notre univers complexe en exigeant que «la réflexion en matière de choix délibéré et de comportement éthique puise à toutes les sources de la sagesse des nations». Son chapitre nous en offre assurément l’occasion.

    4 /Pour lancer le débat et ensuite…

    On le constate, la diversité des questions abordées dans cet ouvrage ne manquera pas d’alimenter moult débats. Elles traitent toutes, à divers égards et à différents niveaux, de l’humain dans son milieu et des relations de pouvoir qu’il y entretient, c’est-à-dire du politique. Pour qui s’intéresse à la gestion publique, ces questions ne peuvent être laissées à d’autres. En fait, j’utiliserai ici, en guise d’invitation, les paroles que Condorcet publiait dans le Journal d’instruction sociale en 1793 et que je laisse à la réflexion des étudiants, au début de chaque nouveau cours:

    Nous ne demandons pas que les hommes [et les femmes] pensent comme nous; mais nous désirons qu’ils [et elles] apprennent à penser par eux [et elles]-mêmes. Ce n’est pas un catéchisme politique que nous voulons enseigner; ce sont des discussions que nous soumettons à ceux [et celles] qu’elles intéressent et qui doivent les juger.

    Pour favoriser toute réponse à cet appel, les auteurs qui ont contribué à cet ouvrage vous offrent, à la fin de chaque chapitre, une série de questions ou d’énoncés qui ont justement pour objet de lancer ces débats caractéristiques de toute vie intellectuelle dynamique. Pour nourrir cette démarche, l’apport d’une expérience de l’administration publique au quotidien, comme praticien ou comme citoyen, peut s’avérer un atout de premier plan. Il ne faut pas hésiter à y trouver l’inspiration pour d’autres questions, vos questions, celles-là même qui permettront de pousser plus loin la réflexion à laquelle chacun des chapitres nous convie.

    D’ailleurs, l’ouvrage ne se veut pas une somme absolue des connaissances. Chaque auteur aborde la question qui lui a été confiée à partir de grilles d’analyses et de préoccupations qui lui sont propres. Certains approchent leur sujet d’abord dans une perspective québécoise, d’autres dans une approche mixte ou comparative. D’autres contributeurs auraient assurément traité la question différemment et seraient peut-être même arrivés, dans certains cas, à des conclusions différentes. L’important ici, ce n’est pas la quête d’une vérité absolue, faussement rassurante. Il s’agit plutôt, pour chaque lecteur, de s’inspirer de ces grands principes qui jalonnent les raisonnements pour aller plus loin. En ce sens, ces textes constituent tous et ensemble une invitation à ouvrir autant de fenêtres sur divers aspects de nos systèmes politico-administratifs, d’interroger les pratiques qui s’y déroulent, de comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés «là»; et d’établir, à partir de cette base, d’autres lectures, de la pratique et de réflexions personnelles, ce que pourrait être l’univers dans lequel les générations de demain vivront. Car, pour paraphraser le philosophe américain J.F. Clarke, nous pourrions affirmer que le politicien et l’administrateur se soucient de leur carrière alors que l’homme ou la femme d’État pense à la prochaine génération. Si la lecture de cet ouvrage vous donne le goût de suivre cette dernière voie, une bonne partie du pari collectif des auteurs ici réunis aura été tenu.

    PARTIE 1 /

    L’ÉTAT

    CHAPITRE 1 /

    Les différents types d’État

    Christian Dufour

    État: ce qui existe, ce qui est. Le sens premier du mot se rattache à la stabilité, presque à l’immobilité dans le présent. Écrit avec un E majuscule, État rappelle au premier chef une permanence institutionnelle ancrée dans l’histoire. On pense spontanément à l’Égypte des pharaons il y a cinq millénaires, à l’Athènes de Périclès, à l’Empire romain des premiers siècles de notre ère, comme au Québec d’hier et d’aujourd’hui.

    Une des plus célèbres définitions de l’État, par le sociologue allemand Max Weber, est que c’est l’institution monopolisant de façon légitime l’usage de la contrainte, encadrant en quelque sorte la loi de la jungle. En tant qu’institution, l’État comporte un élément fondamental de stabilité: sa nature même est de durer.

    Mais il ne saurait durer dans l’immobilité. Loin d’être figé dans sa permanence, l’État a toujours changé, il change et il changera encore. Tout sauf statique et uniforme, c’est un organisme vivant d’une grande variété de formes et d’usages, à travers l’histoire des hommes et la géographie de peuples. C’est que l’État est à l’image de son objet essentiellement mobile pour le meilleur ou pour le pire: la gestion du pouvoir issu de la force, des convictions, de la tradition, de l’expertise et de la volonté du peuple.

    États multiformes: du monstre froid axé sur son intérêt de Hobbes à l’État-providence appliquant Keynes; de l’État tyrannique ou autoritaire à l’État de droit démocratique. États où les fonctions législative, gouvernementale, administrative et judiciaire sont plus ou moins séparées, dont la constitution est plus ou moins écrite. État décentralisé ou déconcentré, fédéral ou unitaire, confédération d’États.

    De ce que l’État sera demain, nous ne savons pas grand-chose sinon l’essentiel, rappelé par le roi Louis XIV sur son lit de mort: «Je m’en vais, mais l’État durera toujours». En ce début de millénaire, dans ce qui apparaît comme la tourmente de la mondialisation, en dépit de ses faiblesses et de ses lacunes, l’État apparaît comme un précieux facteur d’ordre, de modération et de stabilité¹.

    1 /Les sources générales du pouvoir

    Partout et depuis toujours, le politique implique la gestion des intérêts individuels et collectifs des uns, en relation avec ceux des autres. Affirmation de la différence entre gouvernants et gouvernés, on peut considérer au départ le politique comme un prolongement et un encadrement de la loi de la jungle, de cette compétition pour la vie qui affecte l’être humain comme les autres organismes vivants.

    Dans ce contexte, la première forme d’organisation sociale est la loi du plus fort. Si par définition cette dernière n’est pas juste, elle s’avère claire et, jusqu’à un certain point, naturelle. Cette forme d’organisation sociale donne le pouvoir à ceux qui sont capables de le prendre et de le garder, souvent à des fins de domination et d’exploitation. Dans une optique moins négative, la loi du plus fort a l’avantage de donner le pouvoir à ceux qui sont les plus à même de défendre les membres du groupe contre les attaques extérieures, voire de les faire profiter de la conquête de populations ou de territoires voisins.

    À partir de la loi du plus fort, on peut identifier cinq grandes sources générales du pouvoir: la force, la conviction, la tradition, l’expertise et la volonté du peuple. Si ces sources du pouvoir ont eu tendance à se complexifier et à se raffiner à travers les âges, il est important de noter qu’elles se sont développées par sédimentation, de façon cumulative: à des degrés divers, elles ont toujours existé et elles existent encore toutes aujourd’hui, dans les différentes sociétés du monde, des plus primitives aux plus avancées. Notons que ces sources ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises, générant un pouvoir politique pouvant servir au meilleur comme au pire.

    1.1 /La force (physique/ressources matérielles/nombre)

    La force dans ses aspects bruts est ce qui se rapproche de la façon la plus évidente de la loi de la jungle. On pense tout d’abord à la force physique, permettant par exemple la domination de l’homme sur la femme dans les sociétés primitives. S’y rattache la possibilité d’imposer sa volonté résultant du contrôle de forces militaires et policières, pouvoir encore très présent dans les sociétés modernes démocratiques.

    À cette force brute, on peut rattacher le pouvoir résultant du contrôle de ressources matérielles et financières, y compris le pouvoir de l’argent. Il y a enfin la force du nombre, importante dans les systèmes démocratiques les plus sophistiqués, où l’emporte en général la formation politique ayant recueilli l’appui du plus grand nombre de citoyens.

    1.2 /La conviction (croyance/idéologie/charisme)

    Cette source de pouvoir se rattache à des éléments de nature psychologique, davantage liés à ce qui fait la nature spécifique des êtres humains. On pense au sorcier de village convainquant les membres de sa tribu que sa relation privilégiée avec le divin lui permet de mettre fin à

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