Regards sur l'économie des collectivités autochtones du Québec
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Marc-Urbain Proulx
Marc-Urbain Proulx est professeur en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial. Il a été sous-ministre associé aux Régions du gouvernement du Québec de 2012 à 2014.
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Book preview
Regards sur l'économie des collectivités autochtones du Québec - Marc-Urbain Proulx
Québec
Préface
Pierre Noreau
Directeur du projet Peuples autochtones et gouvernance
Centre de recherche en droit public, Université de Montréal
À sa façon, la réalité autochtone pose des questions universelles. Le type de questions que partagent les membres de toutes les sociétés. Quelle que soit ses dimensions en effet, chaque collectivité est confrontée aux impératifs de sa propre existence et de sa relation avec les autres sociétés. La sociologie classique définissait schématiquement les conditions de la vie collective : construire ou maintenir un système de références partagé, définir des normes favorisant la pacification des rapports entres les individus et les regroupements d’individus, établir et stabiliser une procédure d’encadrement des débats publics et les conditions de définition d’orientations collectives légitimes et finalement développer et entretenir une activité productive suffisante pour permettre à la collectivité d’acquérir les ressources nécessaires à son action et à son équilibre relatif : c’est l’activité économique.
Mais cette activité n’est jamais totalement autarcique. Aussi loin qu’il remonte dans l’histoire des sociétés humaines, l’observateur est toujours surpris de constater que c’est souvent dans l’activité économique qu’on trouve la source la plus constante des interactions entre les sociétés. C’est que l’activité économique est structurée autour d’un type particulier de relation : l’échange. Elle crée des attentes et des anticipations, elle offre l’exemple d’un mode particulier d’ajustement mutuel. Au-delà de l’image simplifiée de l’offre et de la demande, il faut se rappeler que nous sommes toujours à la fois (ou tour à tour) demandeur et proposeur de quelque chose. Les sociétés sont le produit de cet échange. Pour chaque société, l’économie constitue un puissant moyen d’action sur elle-même. Elle détermine ses relations avec les autres sociétés et traduit toutes les formes possibles de cette relation : la dépendance ou la domination, l’égalité ou la disproportion des moyens ou des ressources, la compétition ou la complémentarité des intérêts. Mais quoi qu’il en soit, elle démontre le caractère interdépendant de nos collectivités.
Au sein de chaque société particulière, l’activité économique révèle en filigrane une certaine vision du monde. On renvoie ici à la relation particulière qu’entretient chaque société avec l’univers qui l’entoure. On pense notamment à son rapport à la nature, quel que soit le statut qu’elle occupe dans le système de référence de ces sociétés. Dans ce sens, l’activité économique est toujours traversée de références culturelles. Mais la vie économique, parce qu’elle est basée sur l’échange, favorise inévitablement aussi l’ajustement mutuel de ces références. Comme toute activité traversée par le poids des références culturelles, l’activité économique n’est pas seulement un lieu de reproduction, mais également un espace de création. C’est également un lieu d’altérité, c’est-à-dire un lieu de rencontre et de recomposition continue des rapports entre les acteurs, chacun apportant et joignant ses priorités, ses vues et ses références à celles des autres. Ainsi, un monde mitoyen se crée-t-il toujours entre sociétés qui ont vocation à cohabiter et à interagir sur le plan économique.
C’est le grand mérite de l’ouvrage, que nous offre aujourd’hui Marc-Urbain Proulx et son équipe, de témoigner de cette interaction des références. L’analyse économique s’exprime à l’aide d’un langage particulier. Elle a ses concepts, ses modèles et ses postulats particuliers. Elle force l’analyse de certaines dimensions que les autres disciplines laissent trop souvent de côté pour offrir du monde autochtone une image particulière. L’ étude menée par le professeur Proulx est bien davantage que la toute première étude réalisée sur la réalité de l’économie autochtone. Elle offre, au-delà de la description d’une réalité méconnue jusqu’ici, l’analyse originale et organisée de données tirées d’études spécifiques menées par l’équipe Proulx. Ces données nouvelles sont elles-mêmes mises en lien avec celles d’autres études, souvent menées dans un cadre plus large où la réalité économique autochtone se trouve noyée. Ce faisant, le professeur Proulx démontre l’importance de bénéficier de données avérées. Les sociétés autochtones sont complexes et restent encore méconnues, sous de très nombreuses dimensions. Au plan des données économiques, c’est une lacune que vient combler l’ouvrage. Plus encore, il offre au public informé (notamment aux décideurs, autochtones et non autochtones) comme au grand public une méthode susceptible de fournir des outils pour analyser et mieux comprendre cette réalité économique. Il met en évidence et schématise la diversité des formes de l’activité économique; l’existence de modèles très diversifiés de développement et la souplesse de ces approches de l’initiative économique.
Le projet du professeur Proulx a été mené dans le cadre d’une équipe plus vaste, réunie sous le thème Peuples autochtones et gouvernance et financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Abordé dans sa définition la plus abstraite, le thème de la gouvernance favorise l’étude des processus par lesquels les membres d’une société donnée sont amenés à définir les grandes orientations de leur collectivité. On pense immédiatement au processus politique ou à la question des mécanismes de la décision collective, mais c’est alors la question de la gouvernance dans la perspective de la science politique. Abordée autrement, dans ses dimensions juridiques, le thème de la gouvernance est largement affaire de juridiction ou de compétences constitutionnalisées. La question de l’étendue des pouvoirs autochtones et l’étude de l’étendue des droits ancestraux se trouvent alors au centre du questionnement. Dans une perspective plus anthropologique, la question de la référence culturelle se superpose à toutes les autres et les englobe parfois. Le grand avantage de l’analyse économique est de mettre en évidence la place de la recherche empirique et détaillée dans l’étude des sociétés. On y constate que le monde ne se réduit pas à la construction de grands équilibres mais qu’elle est également faite de milliers d’interactions et d’initiatives microscopiques, parfois individuelles qui, «par le bas» construisent également la société autochtone, comme toutes les sociétés humaines.
C’est une difficulté souvent rencontrée de la recherche autochtone d’aborder la question de l’avenir des Premières Nations et des communauté à la lumière de grands principes qui, bien qu’ils doivent être défendus, définis plus clairement et constamment réaffirmés, font oublier la réalité très concrète des collectivités, leur réalité sociale et économique. L’ouvrage que le professeur Marc-Urbain Proulx nous offre aujourd’hui, rappelle ces réalités concrètes et, je dirais, «mesurables». Elle donne du moins la mesure d’une situation jusque-là méconnue même si, comme toute étude fondatrice, elle permet de sonder tout ce qui nous échappe encore et appelle d’autres travaux, d’autres études empiriques et d’autres observations.
Je replace cette étude dans le contexte de l’université québécoise et de la recherche universitaire. Il s’agit d’une étude issue d’une petite équipe œuvrant au sein de l’Université du Québec à Chicoutimi, une composante importante du réseau de l’Université du Québec. Le pari constamment relevé par les différentes universités rattachées au réseau de l’UQ, a toujours été celui de la pertinence sociale de la recherche et de la nécessité de son encrage dans la réalité des collectivités. C’est cette aspiration que l’ouvrage publié aujourd’hui par les Presses de l’Université du Québec matérialise et exemplifie. Elle démontre la possibilité de rattacher certaines réalités très particulières à des processus plus globaux. Le monde autochtone offre dans ce sens un extraordinaire exemple de l’expérience humaine en même temps qu’il offre la possibilité