Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

La pensée fédéraliste contemporaine au Québec: Perspectives historiques
La pensée fédéraliste contemporaine au Québec: Perspectives historiques
La pensée fédéraliste contemporaine au Québec: Perspectives historiques
Ebook790 pages10 hours

La pensée fédéraliste contemporaine au Québec: Perspectives historiques

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Aujourd’hui, on a marqué l’histoire. Aujourd’hui, il y a beaucoup de Québécois qui ont mis de côté un débat qui nous a divisés depuis 50 ans. » En prononçant ces paroles après la confirmation de sa victoire aux élections québécoises de 2018, François Legault se réjouissait de la relégation de la question nationale à l’arrière-plan du débat public au Québec. Devant cette impression d’assister à la fin d’une époque, l’historien est tenté de revisiter l’histoire constitutionnelle pour trouver un nouveau sens à la polarisation entre l’indépendantisme et le fédéralisme qui a constitué la pierre angulaire de l’espace politique des dernières décennies.

La pensée fédéraliste contemporaine au Québec : perspectives historiques lance cet ambitieux chantier de recherche en étudiant le penchant fédéraliste de 1950 à aujourd’hui. Quels sont les acteurs québécois qui ont déployé une forme ou une autre de fédéralisme ? Quelles sont les variantes des perspectives, des interventions, des valeurs et des représentations proposées par ces acteurs ? Quel rapport ces derniers entretiennent-ils avec le nationalisme québécois de la Révolution tranquille et de ses lendemains immédiats ? Les auteurs de cet ouvrage interdisciplinaire apportent des réponses à ces questions et plus encore tout au long des 19 chapitres qui le composent. Ce livre, qui offre un portrait actuel de notre paysage politique, intéressera donc autant le grand public que les spécialistes du domaine.
LanguageFrançais
Release dateApr 16, 2020
ISBN9782760552937
La pensée fédéraliste contemporaine au Québec: Perspectives historiques
Author

Savard Stéphane

Stéphane Savard est professeur agrégé au Département d’histoire de l’UQAM et codirecteur de l’axe «Histoire politique et constitutionnelle» du Centre d’analyse politique – Constitution et fédéralisme (CAP-CF). Il est aussi membre régulier du CRIDAQ et directeur du Bulletin d’histoire politique.

Related to La pensée fédéraliste contemporaine au Québec

Related ebooks

Politics For You

View More

Related articles

Reviews for La pensée fédéraliste contemporaine au Québec

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    La pensée fédéraliste contemporaine au Québec - Savard Stéphane

    INTRODUCTION

    PRÉSENTATION

    REGARDS HISTORIQUES SUR LA PENSÉE FÉDÉRALISTE AU QUÉBEC

    Acteurs, enjeux et perspectives

    Antoine Brousseau Desaulniers et Stéphane Savard

    Le fait marquant des élections québécoises d’octobre 2018 est sans conteste l’extinction depuis longtemps annoncée de la question nationale comme pierre angulaire du débat politique. Autant la teneur des débats au cours de la campagne – la question de la laïcité des institutions publiques monopolisant les questions identitaires, par exemple – que le bris de l’alternance du pouvoir entre le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) au profit de la Coalition avenir Québec (CAQ) illustrent ce fait avec éloquence. Les toutes premières paroles prononcées par François Legault le soir de sa victoire : « Aujourd’hui, on a marqué l’histoire. Aujourd’hui, il y a beaucoup de Québécois qui ont mis de côté un débat qui nous a divisés depuis 50 ans¹ » sont pour nous révélatrices. Le résultat du vote confirme l’impression de délitement de la question nationale au Québec qui dure depuis plusieurs années sur la scène politique². Au vu de ce constat, on peut penser que c’est la culture politique québécoise elle-même qui a connu un changement de paradigme³.

    Il est donc tentant pour les historiens que nous sommes de regarder vers le passé pour mieux comprendre l’ancien modèle et ses glissements subtils vers le nouveau. À l’orée des années 1960, un nationalisme québécois revendicateur structure un changement de culture politique au Québec. Les réformes de la Révolution tranquille ont pour moteur une conception de la nation centrée sur le territoire du Québec et sur l’épanouissement de sa population par le développement de son État⁴. Cette idée que partagent les responsables politiques québécois a permis d’établir une certaine continuité quant à leur volonté de bâtir un État québécois fort et, dès le milieu des années 1960, leur détermination à l’égard des revendications constitutionnelles auprès du reste du Canada. À partir de ce moment, tous les gouvernements – libéraux, unionistes ou péquistes – ont, d’une façon ou d’une autre, fait du repartage des pouvoirs constitutionnels une condition essentielle au rapatriement de la Constitution. Du statut particulier de Lesage en 1965-1966 à la société distincte de Bourassa lors des négociations du lac Meech et de Charlottetown, en passant par la souveraineté-association de Lévesque autour du référendum de 1980, l’idée de revoir les termes d’une nouvelle entente au sein d’un État, ou entre deux États, a influencé les actions et les interventions des responsables politiques au pouvoir. Elle a toutefois heurté de plein fouet la position constitutionnelle centralisatrice d’un Pierre Elliott Trudeau et d’un Jean Chrétien qui, dans leur exercice du pouvoir ou après avoir quitté la vie politique, ont su modifier de façon durable l’ordre symbolique canadien en faveur d’un État national relativement unitaire⁵.

    Il faut cependant reconnaître que le nationalisme territorial a aussi été le théâtre de divergences de position sur la question constitutionnelle, allant de l’indépendance du Québec à son maintien dans la fédération canadienne sous la condition d’un changement constitutionnel qui reconnaîtrait la spécificité de la nation québécoise en lui octroyant plus de pouvoirs. Depuis la fin des années 1960, le débat s’est cristallisé sur deux positions fédératrices. D’abord, celle du souverainisme, voire de l’indépendantisme, mise de l’avant par le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) de 1960 à 1968 et par le Parti québécois, qui considère le lien fédéral comme une entrave au développement du Québec. Puis, celle du fédéralisme réformiste de l’Union nationale (UN) et du PLQ, qui soutient qu’un renouvellement de la Constitution canadienne pourrait donner un rôle plus important à l’État québécois et au peuple fondateur que sont les Canadiens français. Faut-il rappeler la conception d’égalité ou d’indépendance sous l’UN de Daniel Johnson père, celle de souveraineté culturelle sous le PLQ de Robert Bourassa ou de fédéralisme décentralisé sous Claude Ryan ? Quoi qu’il en soit, les tenants de ces idéologies antagonistes ont en commun qu’ils voient en elles l’aboutissement et peut-être la destination finale de la Révolution tranquille.

    Or, les deux positions battent de l’aile sur le plan politique depuis une quinzaine d’années. Du côté souverainiste, l’entrée en scène et la croissance de Québec solidaire (QS) a favorisé l’éclatement de la coalition que le PQ prétendait incarner dès sa fondation. Tandis que l’un fait de l’indépendance une composante parmi d’autres de son programme de gauche, l’autre n’en finit plus de remettre à plus tard la réalisation de sa raison d’être. Du côté fédéraliste, Daniel Johnson père, Robert Bourassa, Claude Ryan et Daniel Johnson fils ont tous dû s’opposer aux visées centralisatrices d’Ottawa et revendiquer un fédéralisme québécois. Or, face à l’intransigeance d’Ottawa, les revendications ont progressivement cessé sous le PLQ après la victoire du NON au référendum de 1995, mais particulièrement à la fin du gouvernement Charest dans les années 2010. La Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes annoncée en juin 2017 a remis à l’ordre du jour, d’une certaine manière, les revendications historiques du Québec⁶. Toutefois, le document a eu peu d’effet dans le reste du Canada, en dépit de l’activisme de l’ex-ministre Jean-Marc Fournier. Du côté du gouvernement élu en 2018, rien n’indique que le premier ministre Legault connaîtra le succès dans les dossiers qu’il a choisi de mener sur la scène intergouvernementale. Au moment d’écrire ces lignes, il semble en effet peiner à faire valoir sa vision de l’immigration⁷, de la politique énergétique⁸ ou de la péréquation⁹ auprès du reste du Canada. Reste à voir comment la CAQ adaptera sa stratégie aux impasses appréhendées.

    Ces changements des dernières années justifient l’intérêt d’actualiser notre compréhension des enjeux constitutionnels et du fédéralisme. Un constat s’impose a priori : les deux grandes options offertes aux citoyens du Québec lors des référendums de 1980 et 1995 occultent la richesse de l’histoire de la pensée constitutionnelle des acteurs politiques québécois. Au fil des quatre dernières décennies, une multitude de chercheurs dans toutes les disciplines – science politique, histoire, sociologie, sciences juridiques, etc. – ont étudié ces options ; malgré tout, la variété de la pensée fédéraliste québécoise semble constituer l’angle mort de la littérature scientifique à ce sujet.

    1. ENJEUX CONSTITUTIONNELS ET FÉDÉRALISME : LES COURANTS DOMINANTS

    Au cours des 40 dernières années, les chercheurs se sont intéressés aux acteurs historiques impliqués dans le débat constitutionnel et ont scruté la pensée de plusieurs importants responsables politiques du Québec à cet égard¹⁰. D’autres, surtout des politologues, ont passé sous la loupe le rôle et les réalisations de Pierre Elliott Trudeau¹¹. Ces études, combinées avec celles sur les positions constitutionnelles des partis politiques¹², constituent le socle de connaissances de ce que nous appelons les « grandes options constitutionnelles officielles ». Toutefois, elles ne rendent pas entièrement compte de la diversité du monde de la pensée en matière constitutionnelle, hormis quelques « troisièmes voies » proposées par des intellectuels, dont André Laurendeau¹³. Plusieurs ont aussi comme caractéristiques d’être centrées sur une histoire politique événementielle et biographique des « grands personnages », surtout des hommes.

    Des auteurs ont voulu dépasser ces problèmes en s’intéressant aux positions constitutionnelles véhiculées par différents groupes ou acteurs de la société civile¹⁴. Relevons les travaux en histoire intellectuelle qui cherchent à situer la pensée des acteurs historiques dans les contextes culturel, social, intellectuel et identitaire afin de prendre la mesure de ces idées à l’époque où elles ont été produites¹⁵. Les commissions d’enquête portant sur les enjeux constitutionnels¹⁶, les réseaux intellectuels indépendantistes ainsi que les tensions idéologiques ayant mené au renouvellement du nationalisme québécois dans les années 1950 et 1960¹⁷ ont été, et demeurent, des objets de recherche prisés des historiens. Les tenants d’une nouvelle histoire politique¹⁸ se sont plus récemment lancés à la recherche des valeurs et des représentations qui, au regard des enjeux constitutionnels, traduisent les changements de culture politique des communautés québécoises et canadiennes¹⁹. Ces études ont, dans une certaine mesure, réussi à recouvrer des bribes de la pensée constitutionnelle laissées pour compte par rapport à celles axées sur les « grands personnages ».

    Un deuxième ensemble d’études offre une perspective sur ce qu’il convient de nommer le « duel constitutionnel ». En effet, elles envisagent la question comme celle de l’affrontement entre le Québec et le reste du Canada qui, par le truchement de son gouvernement central, imposerait un ordre symbolique et institutionnel éloigné des intérêts du Québec. Les enquêtes qui en découlent prennent parfois la forme d’analyses du fédéralisme canadien sur le long terme et révèlent les positions constitutionnelles du Québec à travers les époques et les conflits qui les ont traversés²⁰. Certaines ont plutôt porté sur des événements particuliers de l’histoire constitutionnelle canadienne, et les événements plus récents – le rapatriement constitutionnel de 1982²¹, l’échec des accords du lac Meech et de Charlottetown²² et le référendum de 1995²³ – ont reçu une attention beaucoup plus soutenue des chercheurs. En contrepartie, les études des périodes antérieures à ces événements se sont faites rares depuis les années 2000²⁴.

    Enfin, un troisième groupe de travaux se caractérise par le tournant théorique et normatif entrepris par les spécialistes québécois du fédéralisme. Dans une certaine mesure, ce changement de perspective des années 2000 s’est fait aux dépens des analyses historiques et institutionnalistes ; ses tenants proposent la vision d’un Canada multinational qui favoriserait l’établissement de politiques équitables donnant à tous les groupes de la fédération les mêmes possibilités d’accomplissement. Cette égalité serait possible si le droit des peuples à l’autodétermination et leurs demandes de reconnaissance et de préservation de leur culture étaient respectés²⁵. Alors que le modèle soulève l’enthousiasme de certains²⁶, d’autres doutent que le Canada puisse se recentrer sur ces fondements²⁷. Dans tous les cas, notons que l’émergence de cette perspective constitue un développement de la pensée constitutionnelle québécoise qui s’est déployée dans le champ universitaire tout en laissant sa marque dans le monde politique.

    2. POUR UNE HISTOIRE DE LA PENSÉE FÉDÉRALISTE AU QUÉBEC

    Envisagés comme un tout, ces trois principaux courants historiographiques présentent des angles d’étude intéressants. On peut affirmer sans se tromper que l’option souverainiste a attiré la majorité de ceux qui ont étudié les débats constitutionnels canadiens, ce qui est particulièrement vrai en histoire. La pensée fédéraliste a été laissée pour compte, à l’exception de quelques travaux clés de sociologues et de politologues qui ont d’ailleurs contribué à rendre compte de sa complexité, sans jamais toutefois proposer une étude globalisante de ses acteurs historiques.

    L’objectif principal de cet ouvrage est donc d’apporter des perspectives historiques sur la pensée fédéraliste québécoise de 1950 à nos jours, d’en analyser les ramifications et de dresser un portrait des acteurs qui l’ont déployée : responsables politiques, groupes de pression, intellectuels et universitaires. Il s’attarde aussi, et surtout, aux variantes des perspectives, des interventions, des valeurs et des représentations qu’en ont faites ces acteurs. Ce recueil n’a toutefois pas la prétention d’offrir une compréhension unie et synthétique de ces thématiques. De même, plusieurs acteurs historiques que d’aucuns qualifieraient de « cruciaux » – comme Robert Bourassa et Claude Ryan – ont une présence plus ou moins effacée. Enfin, il laisse voir en filigrane les acteurs québécois tels que Pierre Elliott Trudeau, Jean Chrétien ou Stéphane Dion, dont les actions en tant que responsables politiques canadiens ont contribué à définir et orienter le fédéralisme canadien centralisateur.

    Quoi qu’il en soit, le livre compense ces limites en faisant sortir de l’ombre des perspectives fédéralistes québécoises qui ont jusque-là suscité peu d’intérêt de la part des chercheurs. Ces choix ouvrent la voie à des regards historiques nuancés portant sur la pensée fédéraliste québécoise, contribuant alors à son décloisonnement de l’opposition rigide entre souverainistes et fédéralistes. Ainsi, nous espérons rendre limpides les tensions entre le fédéralisme et le nationalisme, entre l’aménagement de la diversité au sein d’une communauté politique et la conception de la nation dont les fondements se rattachent au Canada, au Canada français ou au Québec.

    Ce livre n’est surtout pas l’œuvre de militants, loin de là! Nous ne sommes ni nostalgiques d’un fédéralisme québécois affirmé ni désireux de nous faire porte-parole d’une nouvelle pensée fédéraliste québécoise. En tant qu’historiens, nous reconnaissons que la question nationale, cruciale pendant la Révolution tranquille et ses lendemains immédiats, n’interpellait pas uniquement les souverainistes. Les fédéralistes aussi avaient quelque chose à dire sur l’avenir du Québec et des Canadiens français devenus Québécois²⁸. Il fut un temps où la pensée fédéraliste québécoise fleurissait et se faisait revendicatrice, s’opposant de manière virulente au souverainisme en rêvant à de meilleurs lendemains – peut-être naïvement, diront certains. Cette histoire mérite d’être défrichée, ne serait-ce que parce que cette pensée a rejoint des centaines de milliers – voire des millions de personnes – et qu’elle a contribué, reconnaissons-le, à deux victoires référendaires. Que l’on s’en félicite ou non, elle fait partie de notre histoire.

    3. PRÉSENTATION DES TEXTES

    C’est armés de la résolution de poser un regard historique sur la pensée fédéraliste québécoise que nous avons invité des universitaires en provenance de 10 institutions d’enseignement à contribuer à la recherche de cette facette importante de l’histoire du Québec en général et des relations fédérales-provinciales en particulier. Notre ouvrage s’inscrit dans la continuité de journées d’étude tenues à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en novembre 2018 où les auteurs ont présenté leurs réflexions préliminaires sur la question. Chacun des textes consignés dans ce livre est une version beaucoup plus fouillée des thèses présentées lors de cet événement.

    Outre cette introduction, le livre s’ouvre avec André Burelle, ancien conseiller constitutionnel des gouvernements de Pierre Elliott Trudeau et de Brian Mulroney, qui fait part de ses réflexions sur son expérience sur le front des débats constitutionnels des 40 dernières années. À la lumière de sa vision personnaliste communautarienne – diamétralement opposée à l’individualisme néolibéral instauré par l’État central –, il donne le ton à cet ouvrage divisé en cinq principales parties qui traitent différents aspects de la problématique à l’étude.

    La première partie se penche sur la politique en étudiant la pensée et les discours des responsables qui croisent le fer à l’Assemblée nationale du Québec et dans l’arène politique. Antoine Brousseau Desaulniers ouvre le jeu et analyse les représentations symboliques et identitaires véhiculées par les députés du PLQ et de l’UN au cours des années 1960 et leurs subtiles transformations. Jessica Riggi porte son attention sur le Parti égalité (PÉ) et éclaire les positions trudeauistes au tournant des années 1980 et 1990. François Rocher se concentre sur la vision du fédéralisme de Benoît Pelletier, juriste et ministre des Affaires intergouvernementales au sein du gouvernement libéral de Jean Charest dans les années 2000. Frédéric Boily, enfin, interroge les liens entre le nationalisme et le fédéralisme mis en avant par l’Action démocratique du Québec (ADQ) et la CAQ et explique comment cette synthèse devient une proposition de « troisième voie » constitutionnelle entre indépendantisme et fédéralisme.

    La deuxième partie fouille cette idée de troisième voie, et plus particulièrement celle mise en avant par les intellectuels, hommes et femmes, qui l’ont pensée. Jean-Philippe Carlos utilise le cas de figure de François-Albert Angers pour montrer le cheminement des intellectuels traditionalistes du fédéralisme autonomiste vers le souverainisme à la fin des années 1960. Valérie Lapointe-Gagnon rend compte de la pensée de Solange Chaput-Rolland, et plus précisément de ses efforts pour sensibiliser les membres de la Commission de l’unité canadienne (ou Pepin-Robarts, du nom de ses commissaires) à sa vision particulière du fédéralisme canadien. Bernard Gagnon, enfin, fait l’exégèse des écrits de Charles Taylor afin de décortiquer les différents regards qu’il a portés sur le fédéralisme canadien au gré des péripéties constitutionnelles depuis les années 1960.

    La troisième partie élargit la perspective en examinant les groupes de la société civile et certaines personnalités publiques. Stéphane Savard étudie des groupes de pression fédéralistes après la victoire électorale du PQ en 1976 dont les interventions dans les audiences publiques des commissions parlementaires et de la commission Pepin-Robarts lui permettent de brosser un portrait de la pensée fédéraliste « en action ». Chantal Maillé expose les différentes significations qu’on a prêtées au phénomène des Yvettes lors de la campagne référendaire de 1980 et après, et en cerne l’impulsion fédéraliste tout en en démontant les conceptions naïves. Jean-Charles St-Louis conclut cette partie avec une analyse des œuvres artistiques et sociologiques de Richard Desjardins et de Nicole Laurin ; il y débusque des fragments de pensée fédéraliste pluraliste et en démontre les manifestations en des lieux insoupçonnés.

    La quatrième partie retourne du côté des intellectuels et des universitaires en s’attardant à ceux regroupés en écoles – que ce soit au sens fort (comme réunion de chercheurs partageant des idées et un programme) ou faible (comme catégorie culturelle) du terme. Ainsi, Serge Miville retrace l’évolution de la pensée constitutionnelle de Michel Brunet, « crieur » de l’école historique de Montréal, par ses interventions publiques et son opposition à Pierre Elliott Trudeau. François-Olivier Dorais ausculte les idées de l’« école » de Laval à travers le récit historiographique des historiens Marcel Trudel, Fernand Ouellet et Jean Hamelin, en particulier celui de Canada : unité et diversité, publié en 1968. Félix Mathieu s’intéresse à l’école québécoise de la diversité et en brosse un portrait – principales caractéristiques, institutions, activités – qui dément l’idée selon laquelle la pensée fédéraliste se serait essoufflée depuis les années 1990.

    La dernière partie de l’ouvrage traite de considérations juridiques. Stéphane Paquin fait le bilan de la doctrine Gérin-Lajoie sur les relations internationales du Québec et en expose les fondements juridiques, le contexte d’énonciation et la réaction d’Ottawa à son égard tout en montrant l’importance qu’elle revêt, encore aujourd’hui, aux yeux des gouvernements. Amélie Binette ausculte les tenants et aboutissants des conventions constitutionnelles et explique comment, en dépit de leur flexibilité, elles offrent bien peu de garanties au Québec face au gouvernement central. Patrick Taillon appuie cette thèse et met en évidence la revendication toujours vivante d’un droit de veto pour le Québec, même si cette proposition inacceptable pour le reste du Canada a été déboutée par la Cour suprême du Canada et qu’elle nuit probablement à la réalisation d’autres exigences constitutionnelles québécoises. Enfin, Alain-G. Gagnon et Alex Schwartz montent en épingle les insuffisances du fédéralisme depuis le rapatriement de la Constitution en les jugeant à l’aune de critères normatifs – soit les buts du fédéralisme et les moyens de mettre en pratique un fédéralisme pluraliste ; ils en concluent que le Canada n’a pas su être à la hauteur de ces attentes.

    Pour faire suite à ce diagnostic pessimiste quant aux possibilités de changer la Constitution par voie juridique, André Burelle en rajoute dans un texte d’envoi où il décrit le manque d’envergure de la pensée des responsables politiques chargés des dossiers constitutionnels – déjà présent à la suite de l’avortement de la commission Laurendeau-Dunton. En effet, autant les fédéralistes québécois et canadiens que les souverainistes sont restés enfermés dans les mêmes schémas inamovibles des relations intergouvernementales, alors que le fédéralisme canadien, au moins depuis les années 1970, subit les pressions de la mondialisation et du néolibéralisme. André Burelle conclut cet ouvrage avec une invitation lancée aux chercheurs et aux responsables politiques pour trouver des solutions qui tiennent compte de la trajectoire actuelle des sociétés occidentales.

    1. Romain Schué, « Aujourd’hui, on a marqué l’histoire, clame François Legault, élu premier ministre », Ici Radio-Canada, 1er octobre 2018, , consulté le 12 décembre 2019.

    2. Une telle observation a déjà été faite par Stéphane Savard dans un éditorial du Bulletin d’histoire politique : Stéphane Savard, « L’affaiblissement de la question nationale au Québec », éditorial, Bulletin d’histoire politique, 25, 2, 2017, p. 7-13. Le regretté Michel Sarra-Bournet a fait un constat similaire dans un texte posthume : Michel Sarra-Bournet, « Les élections provinciales du 1er octobre 2018 », Bulletin d’histoire politique, 27, 2, 2019, p. 5-9.

    3. Nous entendons par « culture politique » l’ensemble des représentations et des valeurs qui soude un groupe humain sur le plan politique. La culture politique est sensible aux luttes de pouvoir qui débouchent sur l’aspiration à telle ou telle forme de régime politique ou d’organisation socioéconomique, de même que sur la définition du bien commun. Voir Jean-François Sirinelli, « De la demeure à l’agora : pour une histoire culturelle du politique », dans Serge Bernstein et Pierre Milza (dir.), Axes et méthodes de l’histoire politique, Paris, Presses universitaires de France (PUF), 1998, p. 391; Réal Bélanger, « Pour un retour à l’histoire politique », Revue d’histoire de l’Amérique française, 52, 2, 1997, p. 236.

    4. Voir Louis Balthazar, Nouveau bilan du nationalisme au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2013 ; Michael D. Behiels, Prelude to Quebec’s Quiet Revolution. Liberalism versus Neo-Nationalism, 1945-1960, Kingston et Montréal, McGill-Queen’s University Press (MQUP), 1985 ; Denis Monière, Pour comprendre le nationalisme au Québec et ailleurs, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal (PUM), 2001, p. 113-114.

    5. À ce sujet, voir Kenneth McRoberts, Un pays à refaire : l’échec des politiques constitutionnelles canadiennes, Montréal, Boréal, 1999.

    6. Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, Québécois : notre façon d’être Canadiens. Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, Québec, Gouvernement du Québec, 2017.

    7. Voir Marco Bélair-Cirino et Mylène Crête, « Ottawa juge insuffisant l’effort du Québec en immigration », Le Devoir, 8 juin 2019.

    8. Comme le souligne François Legault en s’opposant à l’idée d’un corridor énergétique pancanadien, « la position du Québec est toujours la même, c’est-à-dire qu’on est ouverts à exporter de l’hydro-électricité en Ontario, on est ouverts à avoir un projet d’oléoduc de gaz avec, entre autres le projet de GNL, mais, non, on n’est pas d’accord avec un oléoduc de pétrole ». Voir Patrick Bellerose, « Kenney veut imposer un pipeline au Québec », Le Journal de Montréal, 10 juillet 2019.

    9. Au sujet de son interprétation historique du principe de la péréquation et de son opposition avec son homologue de l’Alberta, Jason Kenney, voir Hugo Pilon-Larose, « Péréquation : Legault réplique à Kenney », La Presse, 18 août 2019.

    10. Jules Duchastel, « L’autonomie provinciale et la défense de l’État libéral », dans Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet (dir.), Duplessis. Entre la Grande Noirceur et la société libérale, Montréal, Québec Amérique, 1997, p. 245-264; Gérard Boismenu, « Lapensée constitutionnelle de Jean Lesage », dans Robert Comeau et Gilles Bourque (dir.), Jean Lesage et l’éveil d’une nation. Les débuts de la Révolution tranquille, Québec, Presses de l’Université du Québec (PUQ), 1989, p. 77-107 ; Jacques-Yvan Morin, « Jean Lesage et le rapatriement de la Constitution », dans Comeau et Bourque (dir.), op. cit., p. 116-136 ; Alain-G. Gagnon, « Égalité ou indépendance : un tournant dans la pensée constitutionnelle au Québec », dans Robert Comeau et al. (dir.), Daniel Johnson. Rêve d’égalité et projet d’indépendance, Québec, PUQ, 1991, p. 173-181; François Rocher, « Pour un réaménagement du régime constitutionnel : Québec d’abord ! », dans Comeau et al. (dir.), op. cit., p. 211-236; François-Pierre Gingras, « La vision constitutionnelle de René Lévesque », dans Yves Bélanger et Michel Lévesque (dir.), René Lévesque. L’homme, la nation, la démocratie, Québec, PUQ, 1992, p. 447-452 ; Caroline Labelle, Claude Morin et la question constitutionnelle (1961-1981), Mémoire de maîtrise (histoire), Montréal, UQAM, 2008 ; Michel Sarra-Bournet, « De Victoria à Charlottetown : le bon sens géopolitique de Robert Bourassa », dans Guy Lachapelle et Robert Comeau (dir.), Robert Bourassa : un bâtisseur tranquille, Québec, Presses de l’Université Laval (PUL), 2003, p. 238-247; Jean-Charles Panneton, Georges-Émile Lapalme. Précurseur de la Révolution tranquille, Montréal, VLB éditeur, 2000 ; Paul Lacoste, « André Laurendeau et la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme », dans Robert Comeau et Lucille Beaudry (dir.), André Laurendeau. Un intellectuel d’ici, Québec, PUQ, 1990, p. 207-213 ; Jean-François Nadeau, Bourgault, Montréal, Lux, 2007 ; Michael Gauvreau, The Hand of God. Claude Ryan and the Fate of Canadian Liberalism, 1925-1971, Montréal et Toronto, McGill-Queen’s University Press, 2017.

    11. James P. Bickerton, Stephen Brooks et Alain-G. Gagnon, Six penseurs en quête de liberté, d’égalité et de communauté, Québec, PUL, 2003 ; André Burelle, Pierre Elliott Trudeau, l’intellectuel et le politique, Montréal, Fides, 2005 ; Guy Laforest, Trudeau et la fin d’un rêve canadien, Québec, Septentrion, 1992 ; McRoberts, op. cit.

    12. Voir Bruno Bouchard, Trente ans d’imposture. Le Parti libéral du Québec et le débat constitutionnel, Montréal, VLB éditeur, 1999 ; Jean-Charles Panneton, Le gouvernement Lévesque. Tome 1 : De la genèse du PQ au 15 novembre 1976, Québec, Septentrion, 2016 ; Janie Normand, « La scission de la droite traditionaliste : le Regroupement national (1964) », Bulletin d’histoire politique, 22, 3, 2014, p. 23-33 ; Paul-André Comeau, Le Bloc populaire 1942-1948, Montréal, Québec Amérique, 1982 ; Réjean Pelletier, « Le RIN et son programme d’action en 1966 : indépendance et révolution nationale », Bulletin d’histoire politique, 22, 3, 2014, p. 60-71.

    13. Voir Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada : une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, Montréal, Boréal, 2018.

    14. Diane Lamoureux, L’amère patrie. Féminisme et nationalisme dans le Québec contemporain, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2001 ; Chantal Maillé, Cherchez la femme. Trente ans de débats constitutionnels au Québec, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2002 ; Micheline Dumont, « Les femmes entrent en politique », dans Lorraine Archambault et Anita Caron (dir.), Thérèse Casgrain. Une femme tenace et engagée, Québec, PUQ, 1993, p. 195-202 ; Linda Cardinal, « Les mouvements sociaux et la Charte canadienne des droits et libertés », International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes, 7-8, 1993, p. 135-151 ; Michael D. Behiels, Canada’s Francophone Minority Communities, Montréal et Toronto, MQUP, 2005 ; Ralph P. Güntzel, « Pour un pays à la mesure des aspirations des travailleurs québécois : l’aile socialiste du mouvement syndical québécois et l’indépendantisme (1972-1982) », dans Michel Sarra-Bournet et Jocelyn Saint-Pierre (dir.), Les nationalismes au Québec du XIXe au XXIe siècle, Québec, PUL, 2001, p. 153-166 ; Flavie Trudel, L’engagement des femmes en politique au Québec : histoire de la Fédération des femmes du Québec de 1966 à nos jours, Thèse de doctorat (histoire), Montréal, UQAM, 2009.

    15. Comme le font les sociologues Gilles Bourque et Jules Duchastel au sujet des discours des premiers ministres lors des conférences constitutionnelles canadiennes dans L’identité fragmentée. Nation et citoyenneté dans les débats constitutionnels canadiens, 1941-1992, Montréal, Fides, 1996.

    16. Gérard Boismenu, « Politique constitutionnelle et fédéralisme canadien : la vision de la Commission Tremblay », Bulletin d’histoire politique, 16, 1, automne 2007, p. 22-23 ; Alain-G. Gagnon et Daniel Latouche, Allaire, Bélanger, Campeau et les autres. Les Québécois s’interrogent sur leur avenir, Montréal, Québec Amérique, 1991 ; Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada…, op. cit., 2018 ; Dominique Foisy-Geoffroy, « Le rapport de la Commission Tremblay (1953-1956), testament politique de la pensée traditionaliste canadienne-française », Revue d’histoire de l’Amérique française, 60, 3, hiver 2007, p. 257-294 ; Valérie Lapointe-Gagnon, « De ménagère à commissaire : la trajectoire de Gertrude Laing, 1905-1971 », The Canadian Historical Review, 92, 2, juin 2017, p. 201-229.

    17. Behiels, Prelude to Quebec’s Quiet Revolution…, op. cit. ; Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière (dir.), Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois. Tome 1 (1838-1968), Montréal, VLB éditeur, 2010; Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière (dir.), Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois. Tome 2 (1968-2012), Montréal, VLB éditeur, 2012 ; François-Olivier Dorais, « Fernand Ouellet et Marcel Trudel : deux historiens face à la crise du séparatisme », Bulletin d’histoire politique, 25, 3, printemps 2017, p. 124-144; Jean Lamarre, Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet (1944-1969), Québec, Septentrion, 1993.

    18. Nous entendons par là une histoire qui s’intéresse aux phénomènes relevant du politique plutôt que de la politique, c’est-à-dire à la question de la décentralisation et de la répartition de l’autorité et du pouvoir au sein d’un groupe humain donné et l’étude des tensions, des antagonismes et des conflits qui en découlent. Voir Bélanger, op. cit., p. 223-225.

    19. Antoine Brousseau Desaulniers, « Les usages du passé comme marqueurs des transformations de la culture politique québécoise en regard des débats constitutionnels (1960-1971) », Politique et sociétés, 37, 3, 2018, p. 3-24 ; Jessica Riggi, « Lutte de représentations et question constitutionnelle à l’Assemblée nationale, 1985-1991. Le passé en tant qu’arme rhétorique », Bulletin d’histoire politique, 25, 2, 2017, p. 59-77; Valérie Lapointe-Gagnon, « Une commission aux voix discordantes : la commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton et l’exercice de pression des Ukrainiens et des séparatistes québécois », dans Stéphane Savard et Jérôme Boivin (dir.), De la représentation à la manifestation. Groupes de pression et enjeux politiques au Québec, XIXe et XXe siècles, Québec, Septentrion, 2014, p. 292-313 ; Jules Racine-Saint-Jacques, « Représentations et usages parlementaires du rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels (1953 à 1962) », Bulletin d’histoire politique, 23, 3, 2015, p. 60-81.

    20. Léon Dion, Le duel constitutionnel Québec-Canada, Montréal, Boréal, 1995 ; McRoberts, op. cit. ; Eugénie Brouillet, La Négation de la nation. L’identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, Québec, Septentrion, 2005 ; Jacques-Yvan Morin et José Woerhling, Les constitutions du Canada et du Québec du régime français à nos jours, Montréal, Les Éditions Thémis, 1992 ; Gil Rémillard, Le fédéralisme canadien. Tome 2 : Le rapatriement de la Constitution, Montréal, Québec Amérique, 1985.

    21. Frédéric Bastien, La bataille de Londres. Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Montréal, Boréal, 2013 ; Simon Langlois, « Le choc de deux sociétés globales », dans Louis Balthazar, Guy Laforest et Vincent Lemieux (dir.), Le Québec et la restructuration du Canada, 1980-1992 : enjeux et perspectives, Québec, Septentrion, 1991.

    22. André Blais et Jean Crête, « Pourquoi l’opinion publique au Canada anglais a-t-elle rejeté l’accord du lac Meech ? », dans Raymond Hudon et Réjean Pelletier (dir.), L’Engagement intellectuel : mélanges en l’honneur de Léon Dion, Québec, PUL, 1991, p. 385-400 ; Kenneth McRoberts et Patrick J. Monahan (dir.), The Charlottetown Accord, the Referendum, and the Future of Canada, Toronto, University of Toronto Press (UTP), 1993 ; François Rocher et Gérard Boismenu, « L’Accord du lac Meech et le système politique canadien », Politique, 16, 1989, p. 59-86 ; José Woerhling, « La reconnaissance du Québec comme société distincte et la dualité linguistique du Canada : conséquences juridiques et constitutionnelles », Canadian Public Policy/Analyse de politiques, 14, 1988, p. S43-S62.

    23. Valérie Lapointe-Gagnon, De fiel et de miel : les représentations de la stratégie de gestion de la crise post-référendaire présentes dans la presse canadienne, 1995-1999, Mémoire de maîtrise (histoire), Québec, Université Laval, 2008 ; Kenneth McRoberts (dir.), Beyond Quebec : Taking Stock of Canada, Montréal et Kingston, MQUP, 1995.

    24. Jean-Louis Roy, Le choix d’un pays. Le débat constitutionnel Québec-Canada : 1960-1976, Ottawa, Éditions Leméac, 1978 ; Daniel Turp, « Révolution tranquille et évolution constitutionnelle : d’échecs et d’hésitations », dans Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier (dir.), La Révolution tranquille, 40 ans plus tard : un bilan, Montréal, VLB éditeur, 2000, p. 63-70 ; Gil Rémillard, « Historique du rapatriement », Les Cahiers de droit, 25, 1, 1984, p. 15-97.

    25. Alain-G. Gagnon, « Conjuguer communauté, autonomie et habilitation. La dure naissance d’une école de la diversité dans le monde occidental », dans Michel Seymour et Guy Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 110-112.

    26. James Tully, « Introduction », dans Alain-G. Gagnon et James Tully (dir.), Multinational Democracies, Cambridge, Cambridge University Press (CUP), 2001, p. 1-34 ; André Lecours, « Multinationalisme et accommodement : une analyse du succès canadien », dans Jean-François Caron (dir.), Les conditions de l’unité et de la sécession dans les sociétés multinationales, Québec, PUL, 2016, p. 167-189 ; Charles Blattberg, « Fédéralisme et multinationalisme », dans Michel Seymour et Guy Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 229-247 ; Richard Simeon and Daniel-Patrick Conway, « Federalism and the Management of Conflict in Multinational Societies », dans Tully et Gagnon (dir.), op. cit., p. 338-364.

    27. Michel Seymour, « L’autodétermination interne du Québec dans la fédération canadienne », dans Michel Seymour et Guy Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable ?, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 295-318. Voir aussi Michel Seymour, « La proie pour l’ombre. Les illusions d’une réforme de la fédération canadienne », dans Alain-G. Gagnon (dir.), Le fédéralisme canadien contemporain : fondements, traditions, institutions, Montréal, PUM, 2006, p. 211-236 ; Michel Seymour, Le pari de la démesure. L’intransigeance canadienne face au Québec, Montréal, Hexagone, 2001 ; François Rocher, « La dynamique Québec-Canada ou le refus de l’idéal fédéral », dans Gagnon (dir.), Le fédéralisme canadien contemporain…, op. cit., p. 93-146 ; Réjean Pelletier, « L’asymétrie dans une fédération multinationale : le cas canadien », dans Linda Cardinal (dir.), Le fédéralisme asymétrique et les minorités linguistiques et nationales, Sudbury, Prise de parole, 2008, p. 33-50 ; Marc Chevrier, « Par-delà le fédéralisme multinational, l’empire », dans Seymour et Laforest (dir.), op. cit., p. 73-95.

    28. Il semble que ce soit de moins en moins le cas depuis les années 2010 ; en se limitant à simplement tourner en dérision la position adverse à des fins électorales, plusieurs acteurs « fédéralistes » ont cessé de débattre de cet enjeu fondamental, provoquant ainsi la fin d’une saine compétition au sujet de la question nationale.

    CHAPITRE 1

    RÉFLEXIONS D’UN VIEUX ROUTIER DU DÉBAT CONSTITUTIONNEL CANADIEN

    André Burelle

    Comme chacun le sait, sans doute, je suis un philosophe qui a quitté le monde des collèges classiques et des cégeps pour devenir, par amitié, plume française et conseiller politique du premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Si riche que fût cette expérience, elle n’a pas été un jardin de roses. Et en profond désaccord avec le rapatriement constitutionnel imposé au Québec contre la volonté de son Assemblée nationale, j’ai accepté, en 1984, un poste de haut fonctionnaire au Bureau des relations fédérales-provinciales (BRFP) pour tenter de réparer les pots cassés. Comme j’étais mêlé de près à la négociation de l’accord du lac Meech, on m’a nommé par la suite secrétaire adjoint au Conseil privé, avec mission de piloter un groupe de recherche du BRFP, basé à Montréal, pour préparer un projet de réforme partenariale de la fédération canadienne en réponse au rapport Bélanger-Campeau.

    C’est donc en vieux routier du débat constitutionnel canadien que j’esquisse ici quelques réflexions sur les difficultés de marier le souhaitable et le possible, lorsqu’on est appelé à conseiller en matière de réforme du fédéralisme deux premiers ministres du Canada aussi dissemblables que Pierre Elliott Trudeau et Brian Mulroney appelés, qui plus est, à gouverner la fédération canadienne dans des conjonctures politiques nationales et internationales très différentes.

    1. QUI DÉSIRE ÊTRE JEUNE EN SA VIEILLESSE DOIT ÊTRE VIEUX EN SA JEUNESSE (PROVERBE ALLEMAND)

    Aux jeunes et moins jeunes chercheurs universitaires qui liront ce texte, je pose donc, avec le recul de l’âge, les questions qui m’ont taraudé durant mes longues années de conseiller des grands à Ottawa.

    Comment peut-on, comme intellectuel et comme chercheur, proposer en toute probité à nos décideurs politiques des « idées praticables » qui marient « sans compromission » le souhaitable à l’art du possible ?

    Comment, face à un monde politique fébrile, dont l’horizon se résume souvent au dernier sondage, peut-on amener les élus du peuple à penser à long terme les bons coups comme les inévitables compromis exigés par l’art de gouverner ?

    Plus profondément encore, comment un intellectuel ou un universitaire soucieux de servir son pays peut-il proposer à un leader politique, capable de l’incarner et de lui donner vie, ce que le philosophe français Jacques Maritain appelait un « idéal historique concret » ? J’entends par là une vision globale de la fédération canadienne qui table sur les forces porteuses de notre époque, mais demeure enracinée dans l’histoire et l’éthos d’un Canada à la fois ouvert sur le monde et soucieux de respecter le droit à la différence de ses régions et de ses peuples fondateurs ?

    Pour dissiper tout malentendu, disons, dès le départ, qu’à mes yeux de philosophe, l’université doit demeurer, par vocation et pour son honneur, un lieu où sont examinés avec la plus totale liberté de conscience les tenants et aboutissants même contradictoires de la pensée humaine, aussi bien en sciences pures et en sciences humaines qu’en philosophie et en littérature. Cela dit, si cette obligation d’ouverture universelle et inconditionnelle au savoir humain est un devoir sacré pour l’institution universitaire, elle ne vaut pas nécessairement pour un chercheur qui doit suivre librement son étoile intérieure vers ce qui lui paraît la vérité la plus adéquate dans un domaine complexe et dans une situation donnée. Rappelons-nous en ce sens le sage conseil d’Aristote à ceux qui cherchent à comprendre la façon dont se gouvernent les humains : « Il ne faut pas seulement examiner la meilleure organisation politique, mais aussi celle qui est possible¹. »

    Pour ma part, j’ose affirmer, à titre de vieux routier du débat constitutionnel canadien, que pour éviter de s’empêtrer soi-même, et d’empêtrer nos gouvernants, dans des contradictions morales et intellectuelles intenables, un chercheur universitaire, désireux de contribuer à une réforme en profondeur de sa mère patrie, doit impérativement entretenir au départ une conception de l’être humain et de la vie politique compatible avec l’éthos et l’histoire du pays qu’il prétend réformer.

    En clair, on est libre de se faire fabricant d’utopies en milieu universitaire, mais dans le monde réel de la politique, on ne conseille pas le premier ministre d’un pays comme le Canada, fondé sur le refus du melting pot et du survival of the fittest (la survie du plus apte), comme on conseille le président des États-Unis. Car le rêve canadien n’est pas le rêve américain ou français, et ce qu’on apprend sur les campus ou dans les livres de nos voisins du sud ou de nos cousins français, ne peut être appliqué à la fédération canadienne sans être repensé sur des bases sui generis.

    Si donc, dans vos recherches sur le fédéralisme, vous voulez proposer à nos élus québécois et canadiens des idées à la fois réalisables et créatrices, vous devrez apprendre à vous distancer, s’il le faut, des penseurs à la mode. Il vous faudra pratiquer ce que nos compatriotes anglophones appellent le « out-of-the-box thinking », pour inventer une modernité et une gestion de la fédération canadienne respectueuses de l’enracinement historique et de la complexité existentielle non seulement du Québec, mais du Canada et de la planète².

    2. UNE DOUBLE CRISE DU CONTRAT SOCIAL ET POLITIQUE CANADIEN

    Dès qu’on adopte cette posture, comme se sont efforcés de le faire les chercheurs du BRFP que j’ai dirigé à Montréal, on s’aperçoit que le Canada est aux prises depuis des décennies avec deux crises majeures du « contrat social et politique³ » qui fonde le vouloir collectif de ses citoyens et de ses communautés fondatrices. Et dans l’un et l’autre cas, ces crises découlent de tentatives pour imposer au pays des carcans idéologiques qui nient le génie propre du projet canadien.

    La première de ces crises, confirmée par l’échec de l’accord du lac Meech, est la remise en question, par les chartistes à la Trudeau, du refus du melting pot qui était et demeure au cœur même du pacte confédératif canadien. La lecture strictement individualiste de la Charte canadienne des droits et libertés, que Pierre Elliott Trudeau a malhonnêtement vendue au pays dans son combat contre Meech, a réussi, en effet, à démoniser la notion même de « droits collectifs ». Elle a aussi mené au refus de reconnaître le caractère distinct de la société québécoise au sein de la fédération canadienne. Qui plus est, cette absolutisation des droits des individus au mépris des droits communautaires, reconnus dès l’origine aux peuples fondateurs du Canada, continue à miner l’éthos du pays en réduisant à un ethnicisme, voire à un racisme honteux, la juste défense du droit à la différence culturelle et linguistique du Québec au sein de la fédération canadienne. Et la chose est pire encore dans le cas des peuples autochtones, à qui l’on reproche de pratiquer un droit du sang et un enfermement communautaire auxquels les oblige la Loi sur les Indiens que le parlement fédéral lui-même leur a imposée.

    La deuxième crise qui mine la fédération canadienne touche les grands programmes sociaux dont s’est doté le Canada depuis l’après-guerre. Et les coups de boutoir contre le refus canadien du survival of the fittest à l’américaine proviennent cette fois des inconditionnels du libre-échange et des tenants d’un néolibéralisme pour qui less government is better government (un gouvernement moins interventionniste est un meilleur gouvernement). Cet antiétatisme, élevé au rang de dogme par l’École de Chicago, a donné naissance à la lutte tous azimuts au surendettement menée par nos gouvernements pour sauver leur cote de crédit sur les marchés financiers. Et même si les coupes budgétaires décrétées par le fédéral et les provinces pour assainir nos finances publiques étaient fondées dans bien des cas, elles sont venues accentuer la crise d’un État-providence déjà malmené par une mondialisation qui désarme les gouvernements et place le Canada en concurrence directe avec des pays où règnent le chacun pour soi et l’injustice sociale systémique. Résultat : même si le refus du darwinisme social à l’américaine n’est pas mort au Canada, le triomphe de l’individualisme néolibéral et la privatisation sournoise des soins de santé, au Québec comme ailleurs, ont miné l’éthos canadien de l’entraide entre citoyens et entre régions riches et pauvres d’un même pays.

    Et, facteur aggravant, les deux crises que je viens de décrire se nourrissent l’une l’autre. Car depuis l’après-guerre, tous les grands programmes sociaux pancanadiens ont été mis en place grâce au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dans les champs de compétence réservés dès l’origine aux provinces pour assurer leur droit à la différence culturelle et régionale. Résultat : non seulement le fédéral joue dans les plates-bandes provinciales, mais la légitimité des normes « nationales » que le pays s’est données dans le domaine de la santé s’érode lorsqu’Ottawa coupe les vivres aux provinces tout en exigeant qu’elles respectent des normes décrétées par le parlement canadien.

    3. LE MAL CANADIEN, EMBLÉMATIQUE D’UN MAL MONDIAL

    Tel est, fondé sur les tendances lourdes qui travaillent la fédération canadienne, le diagnostic du « mal canadien » qui a inspiré les grands axes des recherches du BRFP à Montréal à l’époque de Meech⁴. Du coup, nous nous sommes rendu compte que la double crise canadienne sur laquelle nous venions de mettre le doigt nous renvoyait au défi politique le plus crucial de notre époque. C’est celui de marier efficacement et en toute justice le droit à la différence culturelle et linguistique des peuples et les mises en commun économiques, sociales et politiques auxquelles ces peuples doivent consentir pour régler les problèmes de plus en plus supranationaux de la planète. Et nous avons rapidement découvert que ce n’est pas n’importe quelle conception du vivre ensemble des humains et n’importe quel type de fédéralisme qui, au Canada comme sur la scène internationale, peuvent marier harmonieusement deux éléments : le besoin d’intimité culturelle des personnes et des communautés et la nécessité de penser globalement et de remédier localement aux problèmes les plus pressants du pays et de la planète.

    Comment faire siens le refus du melting pot et l’« union sans fusion » des peuples fondateurs, célébrée par les Cartier, McGee et Laurier, lorsqu’il vous est demandé de condamner l’idée même de « nation culturelle » sous peine d’être traité d’ethniciste, voire de raciste indécrottable par les bien-pensants universitaires québécois aussi bien que canadiens ? Comment comprendre et justifier la loi 101 lorsqu’on réduit les droits linguistiques et culturels à de simples droits individuels, en ignorant sciemment que la langue et la culture sont des créations collectives, qui exigent pour perdurer une communauté territoriale qui vit, travaille, nomme et célèbre le monde dans un idiome commun ? Et lorsque la doxa néolibérale d’un Milton Friedman règne sans partage dans le monde des affaires et envahit nos campus universitaires, comment peut-on défendre l’indispensable intervention des gouvernements qui a permis l’émergence et le maintien des grandes solidarités socioéconomiques dont le Québec et le Canada se sont dotés depuis l’après-guerre ?

    On ne guérit pas l’individualisme de la modernité et du capitalisme sauvage en sacralisant encore davantage les droits des individus et en taisant leurs responsabilités envers le bien commun des communautés qui les nourrissent matériellement et spirituellement. Et c’est en retournant aux écrits de George-Étienne Cartier et aux sources de la Révolution tranquille, en même temps qu’aux origines de la Communauté économique européenne, que mes collègues du BRFP ont fait la découverte du « fédéralisme pour petites nations », prêché par les personnalistes Emmanuel Mounier, Jacques Maritain et Denis de Rougemont.

    Pour ma part, j’ai fait, comme philosophe, le tour des grands penseurs politiques depuis Platon, Aristote, Hobbes, Locke, Montesquieu, Hegel et Marx, sans parler des Taylor, Kymlicka, Rawls et Habermas. Aucun courant de pensée ne m’est apparu capable de répondre aussi adéquatement que le personnalisme communautaire au génie multinational du fédéralisme canadien en même temps qu’au défi politique le plus urgent de notre époque : arriver à gérer dans le respect du droit à la différence des personnes et des communautés, les problèmes supranationaux les plus pressants de la planète.

    Mais c’est en autodidacte que j’ai fait cette découverte, car le personnalisme n’était pas enseigné à l’Université de Montréal où, étudiant désargenté, j’ai fait toutes mes études en philosophie. Et après m’être immergé moi-même, à 20 ans, dans la marmite du personnalisme communautaire, je l’ai enseigné au Collège André-Grasset tout au long des années 1960. Ce faisant, je me suis retrouvé sans l’avoir cherché en compagnie de la vaste majorité des « retours d’Europe » qui ont pensé et façonné la Révolution tranquille. André Laurendeau, Claude Ryan, Fernand Dumont, Guy Rocher, tous furent à leurs heures des tenants du personnalisme de Mounier. Sans compter Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau, qui créèrent la revue Cité libre avec l’ambition expresse d’en faire un équivalent de la revue Esprit en terre québécoise et canadienne⁵. Et comme les pères de la communauté européenne appartenaient presque tous à la mouvance personnaliste communautaire de la revue Esprit, je fus rapidement initié au « fédéralisme pour petites nations » si cher à Mounier et à son proche collaborateur Denis de Rougemont.

    4. LE FÉDÉRALISME POUR PETITES NATIONS DE MOUNIER ET DE ROUGEMONT

    Pour ceux qui ne connaîtraient pas la pensée des Mounier, Maritain et de Rougemont, j’ai résumé en une vingtaine de pages le personnalisme communautaire dans l’introduction du livre Pierre Elliott Trudeau, l’intellectuel et le politique⁶. Je me contenterai ici d’en citer les passages les plus importants.

    Personne vs individu

    Pour Maritain, Mounier et le mouvement Esprit, la grande misère de l’individualisme libéral républicain, celle qui est à la racine des dérives de la modernité, c’est d’avoir réduit l’homme au rang de simple individu interchangeable et de s’être senti obligé, pour fonder les droits égaux et universels de cet individu, de le dépouiller de tout ce qui le singularise. Au point d’en faire « une simple abstraction juridique sans attache, sans étoffe, sans entourage, sans poésie ».

    À l’individu abstrait et désincarné des juristes et des économistes, Mounier et ses collaborateurs opposent la personne comme être de relations : relations cognitives et amoureuses avec soi, avec le prochain et avec le cosmos. Car, pour eux, « l’acte fondamental de la personne ce n’est pas de se séparer, c’est de communier ».

    Universel concret vs universel abstrait

    Dénonçant la « fausse universalité » républicaine et marchande, le personnalisme proclame jusqu’à plus soif que l’humanité n’est pas un simple regroupement d’individus abstraits, désincarnés et déterritorialisés. Elle est une communauté plus large et plus lointaine de personnes enracinées dans des communautés de proximité, qui sont pour elles autant de lieux d’apprentissage du prochain et de la responsabilité personnelle. Autant de chemins concrets vers une véritable universalité qui ne sacrifie ni la personne à la communauté ni la communauté à la personne.

    Et c’est ici que le personnalisme débouche sur le fédéralisme, seul capable de garantir à ses yeux la pérennité et l’autonomie des communautés à l’échelle humaine au sein des grands ensembles politiques dont l’homme a besoin pour gérer les problèmes planétaires de notre époque.

    Fédéralisme personnaliste communautaire, un régime pour petites nations

    Comme l’écrit Mounier, « la démocratie personnaliste est un régime pour petites nations. Les grandes nations ne peuvent la réaliser qu’en dissociant le pouvoir afin d’arrêter les pouvoirs les uns par les autres ». Et rejetant le sacro-saint principe de l’État-nation qui a mis l’Europe à feu et à sang, Mounier et Maritain soutiennent que seul un régime d’inspiration fédérale peut réconcilier le pluralisme communautaire – indispensable à l’enracinement et la responsabilisation des personnes – avec le besoin d’une autorité capable d’assurer une gestion juste et efficace d’un bien commun qui transcende désormais les frontières nationales.

    Enracinement communautaire des personnes et gestion à la fois juste et efficace d’un bien commun de plus en plus planétaire, tels sont donc, aux yeux des personnalistes, les deux impératifs contradictoires que notre époque doit réconcilier, et cette réconciliation commande l’adoption de ce que Denis de Rougemont appelle une solution fédérale.

    « Je propose, écrit de Rougemont, d’appeler problème fédéraliste une situation dans laquelle s’affrontent deux réalités humaines antinomiques, mais également valables et vitales, de telle sorte que la solution ne puisse être cherchée ni dans la réduction de l’un des termes, ni dans la subordination de l’un à l’autre, mais seulement dans une création qui englobe, satisfasse et transcende les exigences de l’un et de l’autre. J’appellerai donc solution fédérale toute solution qui prend pour règle de respecter les deux termes antinomiques en conflit, tout en les composant de telle manière que la résultante de leur tension soit positive. »

    Principes fondateurs du fédéralisme personnaliste communautaire

    En fait, pour de Rougemont, construire une véritable fédération, c’est traduire en termes politiques et institutionnels la philosophie personnaliste qu’il n’a cessé de défendre depuis ses premières contributions à la revue Esprit. Et tirant leçon de l’expérience séculaire helvétique, il a formulé à plusieurs reprises les six principes cardinaux qui doivent présider à l’édification d’une authentique fédération multinationale⁷.

    Reformulés et réduits à l’essentiel, ces six principes d’un fédéralisme personnaliste et communautaire peuvent être ramenés à quatre :

    l’équivalence plutôt que l’identité de droit et de traitement comme fondement de l’égalité des citoyens et des communautés fédérées, car traiter de façon identique des êtres non identiques, c’est nier leur différence et renoncer du même coup à l’union sans fusion des communautés fédérées ;

    la subsidiarité comme principe de division des pouvoirs, car pour maintenir l’exercice du pouvoir aussi près que possible des personnes et des communautés de proximité, il ne faut confier au gouvernement central d’une fédération que les affaires qui ne peuvent être gérées en toute justice et efficacité à l’échelle locale ;

    la non-subordination comme principe de division de la souveraineté, car pour assurer la cohabitation pacifique et créatrice de deux ordres de gouvernement au sein d’une même fédération, il faut qu’en droit et en fait aucun des deux ne soit soumis à l’autre dans l’exercice des pouvoirs souverains que lui confie la Constitution ;

    la codécision, comme principe de gestion de l’interdépendance des partenaires d’une fédération, car pour respecter le principe de non-subordination, c’est conjointement que doivent se décider les contraintes que chacun doit accepter de s’imposer dans l’exercice de ses pouvoirs souverains pour solutionner les problèmes qui chevauchent leurs sphères de compétences respectives.

    5. UN RÉÉQUILIBRAGE GAGNANT-GAGNANT DE LA FÉDÉRATION EN RÉPONSE À BÉLANGER-CAMPEAU

    C’est en s’inspirant de ces quatre grands principes que le groupe de recherche que je dirigeais au BRFP a proposé au gouvernement Mulroney un rééquilibrage partenarial de la fédération canadienne fondée sur la logique de négociation suivante :

    la reconnaissance constitutionnelle du droit à la différence nationale du Québec et des peuples autochtones, ainsi que celle du droit à la différence régionale et à la souveraineté locale de toutes les provinces, accompagnée de la décentralisation des pouvoirs et des ressources fiscales nécessaires à l’exercice de ces droits ;

    en échange d’un pacte sur l’union économique et sociale canadienne par lequel tous les partenaires de la fédération, y compris le Québec et d’éventuels gouvernements autochtones, s’engageraient, par codécision à l’européenne au sein d’un Conseil des premiers ministres, à s’imposer dans l’exercice de leurs pouvoirs souverains les objectifs communs et les normes minimales nécessaires au maintien et au renforcement de l’union canadienne confrontée aux pressions techno-économiques de la mondialisation et de la concurrence internationale.

    Je ne peux vous décrire ici tous les enjeux de la négociation gagnant-gagnant que nous proposions à l’époque au gouvernement Mulroney et que j’ai tenté de décrire plus en détail dans mon livre Le mal canadien. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à partir du moment où les revendications des peuples autochtones vinrent monopoliser les discussions échevelées qui menèrent à l’accord de Charlottetown, toute discussion rationnelle sur les moyens de consolider l’union économique et sociale canadienne face aux forces dissolvantes de la mondialisation était devenue impossible. Et après l’échec du référendum pancanadien de 1992, mes supérieurs m’ont accordé un congé sabbatique pour écrire un livre destiné à sauver de l’oubli un projet de rééquilibrage donnant donnant de la fédération qui avait fait son chemin jusqu’au sommet de la hiérarchie fédérale, où il fut examiné en comités ministériels par les membres les plus influents du gouvernement Mulroney.

    C’est donc pour garder ouvert l’avenir d’une réforme jugée porteuse que Le mal canadien fut publié en mars 1995. Dès l’été 1994, j’avais remis copie de mon manuscrit à Michel Bélanger et à cinq autres leaders fédéralistes du Québec. Mon but avoué était de les convaincre d’inscrire dans le Manifeste du camp du NON, lors du référendum annoncé par le gouvernement Parizeau, les grands axes du rééquilibrage de la fédération canadienne exposé dans mon livre. Mais à l’automne de 1994, j’arrivais trop tard. Le gouvernement fédéral avait déjà imposé au camp du NON sa stratégie inflexible de ne rien mettre sur la table. M. Chrétien était en effet convaincu qu’en forçant le Québec à choisir entre la souveraineté pure et dure de Parizeau et le statu quo canadien hérité de Pierre Elliott Trudeau, les Québécois choisiraient de demeurer au sein du « meilleur

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1