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Manuel de réadaptation psychiatrique: 2e édition
Manuel de réadaptation psychiatrique: 2e édition
Manuel de réadaptation psychiatrique: 2e édition
Ebook1,037 pages12 hours

Manuel de réadaptation psychiatrique: 2e édition

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About this ebook

Cette deuxième édition, par des chapitres inédits ou renouvelés et de nouveaux collaborateurs, représente un recueil des interventions de pointe élaborées afin de favoriser le rétablissement des personnes vivant avec un problème de santé mentale important. Des auteurs du Québec, du Canada, des États-Unis et de l’Europe y partagent leur expertise.
LanguageFrançais
Release dateNov 12, 2012
ISBN9782760534278
Manuel de réadaptation psychiatrique: 2e édition
Author

Tania Lecomte

Tania Lecomte est docteure en psychologie, professeure titulaire au département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, où elle dirige le laboratoire l’ESPOIR. Elle est aussi responsable du Réseau canadien de recherche sur la schizophrénie et les psychoses. Tania est une sommité dans la recherche et le développement de traitements psychologiques et psychosociaux.

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    Manuel de réadaptation psychiatrique - Tania Lecomte

    Canada

    Avant-propos

    Tania Lecomte, Ph. D.

    Université de Montréal

    Claude Leclerc, inf., Ph. D.

    Université du Québec à Trois-Rivières

    Le manque de soin fait plus de mal que le manque de science.

    Benjamin FRANKLIN

    Inventeur et homme politique américain

    Extrait de Almanach du pauvre Richard

    Depuis la publication de la première édition du Manuel de réadaptation psychiatrique en 2004, l’évolution des connaissances, des habiletés et des croyances s’est poursuivie à un rythme accéléré. L’association entre des termes tels que schizophrénie et rétablissement ne semble plus être une fantaisie ou un espoir démesuré, mais bien une philosophie qui guide la pratique de nombreux intervenants du domaine de la santé mentale. Cette seconde édition se veut un recueil des interventions de pointe élaborées afin de favoriser le rétablissement des personnes vivant avec un problème de santé mentale important. Nous incluons dans cette catégorie les personnes souffrant de symptômes psychotiques et des difficultés associées, soit les troubles qui se retrouvent sous les diagnostics de schizophrénie, trouble schizo-affectif, trouble bipolaire ou autres psychoses.

    Alors qu’on croyait réussir à contrôler tous les symptômes liés à ces troubles mentaux en se centrant sur le traitement par la médication, force est d’admettre que même les nouvelles molécules ne permettent pas d’assurer seules le rétablissement. Il faut donc poursuivre les recherches et découvrir les ingrédients qui favorisent le rétablissement des personnes souffrant de symptômes psychotiques. Des recherches récentes indiquent que plusieurs facteurs environnementaux augmentent le risque chez une personne de développer un trouble mental de type schizophrénique (Van Os et al., 2005), notamment le fait de vivre dans un milieu urbain, de fumer du cannabis (surtout à l’adolescence), d’avoir subi des préjudices (racisme) en raison de sa situation minoritaire dans la communauté, d’avoir été victime d’abus physique ou sexuel dans l’enfance, voire de harcèlement (« racket » ou « bullying ») à l’école primaire (Arsenault, Bowes et Shakoor, 2010). Toutes ces informations nous incitent à concevoir les troubles mentaux graves et leur évolution comme une problématique non seulement génétique, mais également multifactorielle avec une importante contribution psychosociale. Ces résultats soulignent l’importance d’avoir une conception globale de ces troubles et l’urgence d’envisager des traitements qui ne se limitent pas à la médication, mais qui incluent divers types d’interventions psychosociales.

    Plusieurs ouvrages abordent les traitements des troubles mentaux graves, ou les psychoses, en adoptant une perspective biologique, pharmacologique voire génétique. Certains ouvrages intègrent ces diverses perspectives et tentent d’offrir un portrait global de l’étiologie et des soins offerts à cette clientèle. Nous avons choisi de nous concentrer sur la perspective psychosociale des soins, c’est-à-dire sur les interventions offertes par des intervenants en santé mentale qui ne sont pas simplement liés aux soins physiques ou à la prise de médicaments. Au cours des dernières années, un nombre croissant de nouvelles interventions psychosociales ont donné des résultats probants et permis d’améliorer à différents niveaux la qualité de vie des personnes concernées. Ce livre se veut un recueil de ces nouvelles interventions jugées efficaces, qu’elles soient liées à une clientèle aux prises avec des symptômes ou à des situations particulières (troubles concomitants, violence, itinérance, premiers épisodes, etc.) ou à une sphère de réadaptation (réintégration au travail, implication de la famille, réadaptation cognitive, thérapie cognitive comportementale, gestion des symptômes, etc.). De plus, ce livre se veut avant-gardiste plutôt qu’historique, car nous avons constaté qu’il est relativement facile de trouver des ouvrages résumant l’histoire de la psychiatrie et de la réadaptation psychiatrique tandis qu’il est plus difficile de trouver des livres présentant des approches de pointe avec une perspective de projection dans le futur.

    Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera des chapitres centrés sur une approche thérapeutique ou sur un mode d’intervention et d’autres portant sur des aspects utiles pour le clinicien, soit les instruments psychométriques et leur importance dans le domaine, les facteurs à considérer lors du développement de nouvelles modalités d’intervention, ou encore le contexte de supervision clinique. Les auteurs ayant participé à la rédaction de ce livre exercent diverses professions (psychiatres, infirmières, psychologues, ergothérapeutes, conseillers d’orientation, chercheurs en santé mentale, pairs aidants, etc.), certains œuvrant principalement dans le domaine clinique et d’autres dans le milieu de la recherche. Le choix de ces auteurs repose sur leur expertise dans leur domaine respectif et sur leur volonté de s’interroger sur ce domaine et d’offrir un chapitre utile à tout individu œuvrant, ou désirant œuvrer, auprès de personnes présentant des troubles mentaux graves. Les auteurs proviennent donc du Canada, des États-Unis, de la Suisse et du Royaume-Uni. Il aurait pu être intéressant d’inclure des auteurs français ou belges et, ce faisant, de dresser un portrait des pratiques dans la francophonie, mais le but de ce livre n’est pas tant de décrire la situation francophone que de présenter en langue française les interventions de pointe dans le domaine qui ont essentiellement été publiées en langue anglaise. Provenant de milieux bilingues et ayant acquis une expertise dans le domaine de la réadaptation psychosociale, nous avons eu l’occasion de nous familiariser avec les interventions de ce livre ainsi que d’établir des collaborations avec plusieurs de ces auteurs. Nous espérons que ce livre permettra aux lecteurs de découvrir ou de redécouvrir ce domaine qui évolue sans cesse et qui est, selon nous, des plus passionnants.

    Bonne lecture !

    Bibliographie

    Arseneault, L., Bowes, L. et Shakoor, S. (2010). Bullying victimization in youths and mental health problems : « Much ado about nothing » ? Psychological Medicine, 40, 717-729.

    Van Os, J., Krabbendam, L., Myin-Germeys, I. et Delespaul, P. (2005). The schizophrenia envirome. Current Opinion in Psychiatry, 18 (2), 141-145.

    NOTE AU LECTEUR

    Dans cet ouvrage, nous avons choisi d’utiliser les termes « client » ou « personne » pour l’essentiel des chapitres plutôt que patient, bénéficiaire ou utilisateur de services. Certains de ces derniers termes désignent davantage une personne recevant des soins médicaux à l’hôpital alors que cet ouvrage porte sur des interventions de réadaptation, pour la plupart offertes dans la collectivité. Quant au terme « utilisateur de services », il a été jugé trop long. De la même manière, nous nous sommes gardés d’employer toute étiquette pouvant amener le lecteur à confondre l’affectation et l’identité de la personne (p. ex. « schizophrène », « malade », « psychotique »).

    Interventions de pointe en réadaptation psychiatrique

    Tania Lecomte, Ph. D.

    Université de Montréal

    Claude Leclerc, inf., Ph. D.

    Université du Québec à Trois-Rivières

    RÉSUMÉ

    Ce chapitre présente un bref historique de la réadaptation psychiatrique jusqu’à sa forme actuelle. Nous présentons aussi le concept d’« interventions de pointe en réadaptation psychosociale » destinées aux personnes présentant un trouble mental grave en nous intéressant plus particulièrement au processus de mise en place d’une nouvelle intervention. Ce processus vise à planifier l’efficacité de l’intervention tout en considérant ses diverses étapes : la conception de l’intervention, l’évaluation de son efficacité par la recherche et la diffusion des résultats. De plus, les auteurs de ce chapitre discutent des limites actuelles des recherches menées sur les interventions psychosociales tout en examinant la philosophie actuelle de la réadaptation.

    ABSTRACT

    This chapter presents psychiatric rehabilitation in its current form, with a brief stroll through its history. We also introduce the concept of state-of-the-art interventions in the psychosocial rehabilitation of people presenting with a serious mental illness. Specifically, this chapter addresses the different steps necessary prior to setting up a new intervention : from the conceptualization of the intervention, to its efficacy assessment and the dissemination of its results. Furthermore, the authors reflect upon the limits of the current studies on psychosocial interventions and take a closer look at the philosophy transcending the field.

    1. Historique de la réadaptation

    La réadaptation psychiatrique est le processus par lequel une personne se réintègre socialement dans la communauté à la suite d’un diagnostic de trouble mental, voire d’une hospitalisation psychiatrique. Quoiqu’elle soit surtout considérée comme un processus, certains perçoivent la réadaptation davantage en termes d’interventions ou de programmes permettant cette intégration sociale. La réadaptation psychiatrique a réellement pris de l’ampleur dans les années 1980 lors de la période de désinstitutionnalisation massive aux États-Unis. Elle fut initialement conçue pour les personnes ayant été institutionnalisées et ayant perdu plusieurs acquis importants, afin de leur permettre d’acquérir les habiletés dont elles avaient besoin pour retourner à une vie communautaire satisfaisante. Selon les pionniers de l’époque (en 1986), William A. Anthony et Robert P. Liberman, le but de la réadaptation psychiatrique était de s’assurer que la personne avec un trouble psychiatrique puisse avoir les habiletés physiques, émotionnelles, sociales et intellectuelles nécessaires afin de vivre, apprendre et travailler dans la communauté tout en requérant le moins de soutien possible des intervenants en santé mentale. Les méthodes préconisées étaient essentiellement l’enseignement d’habiletés et le développement de ressources communautaires afin de pallier les déficits et de renforcer le fonctionnement social de la personne.

    Il va sans dire que les principes sous-jacents à la réadaptation psychiatrique, soit des interventions ciblant des aspects psychosociaux et non médicamenteux, se retrouvent à différentes époques de l’histoire de la psychiatrie. Par exemple, la thérapie morale du XIXe siècle s’intéressait déjà à l’amélioration de la vie sociale des personnes présentant des troubles mentaux graves en leur offrant plus d’activités sociales structurées et en leur trouvant des emplois. De manière similaire, dans les années 1960, les centres communautaires en santé mentale visaient à offrir des services psychosociaux complets, touchant à plusieurs sphères de la vie humaine, aux personnes éprouvant des difficultés psychiatriques.

    Aujourd’hui, la réadaptation psychiatrique est également offerte aux personnes n’ayant pas vécu d’hospitalisation prolongée, afin de maintenir leurs acquis ou de favoriser le développement d’habiletés nécessaires à une gestion efficace de leur santé mentale et à la prévention des rechutes. Le vocabulaire lié à la réadaptation a aussi beaucoup changé au cours des années. Par exemple, durant les années 1980, il était courant de parler d’étapes de la réadaptation en employant les termes suivants : 1) pathologie : causes neurodéveloppementales du trouble ; 2) déficits : altérations ou pertes d’activités psychiques, voire les symptômes psychotiques et cognitifs ; 3) invalidité : incapacité à accomplir certaines activités par manque d’habiletés ; 4) handicap : désavantage social, tel que l’absence d’emploi ou l’itinérance. Or, ces termes ne sont pratiquement plus rencontrés dans la littérature ou dans la pratique contemporaine de la réadaptation.

    Le vocabulaire et les connaissances en réadaptation psychiatrique ont rapidement évolué depuis les dernières décennies, et cette évolution est en grande partie liée aux pressions exercées par les personnes souffrant de troubles mentaux (consumer survivors) et par celles de leurs proches. Cette vision est devenue de plus en plus influente en remettant en question la pratique actuelle en santé mentale et en promettant de la réformer (Sakheim et al., 2010). D’abord, on a vu apparaître des concepts tels que l’« autodétermination » (empowerment), ou en Europe la « réhabilitation », faisant référence aux gestes visant à redonner à la personne sa dignité et son pouvoir d’agir. Plus récemment, le concept de « rétablissement » associé aux troubles mentaux graves s’est répandu et domine en quelque sorte la réadaptation psychosociale. Alors qu’encore tout récemment cette conception semblait irréaliste, le rétablissement est maintenant intégré dans le discours de la réadaptation psychiatrique et dans la réalité des intervenants. Ce principe du rétablissement a été articulé éloquemment par Patricia Deegan (1988), une chef de file internationale du mouvement des utilisateurs de services¹, quand elle a dit : « Le concept de rétablissement est enraciné dans la simple prise de conscience profonde que les gens qui ont été diagnostiqués avec une maladie mentale sont des êtres humains. » Bien que le prochain chapitre de ce livre soit consacré au concept de « rétablissement », il est important de signaler qu’il a favorisé une prise de conscience et de là, le développement d’approches et de technologies permettant d’offrir aux cliniciens l’accès à la personne qui se trouve derrière l’étiquette et de mettre sur pied des services et des soutiens adaptés aux besoins, préférences, intérêts et forces de chaque individu. Dans une perspective de « soins centrés sur la personne », le client participe activement en désignant et en choisissant les interventions, les traitements et les soutiens qu’il juge les plus utiles. Or, les interventions les plus utiles sont celles qui ont démontré leur efficacité et qui sont donc basées sur des résultats probants (ou interventions de pointe). Même si le modèle du « rétablissement » peut sembler s’opposer aux pratiques basées sur les résultats probants, ces deux modèles peuvent s’intégrer afin d’offrir un continuum d’interventions objectivement démontrées comme efficaces tout en étant en lien avec les besoins de l’individu. Ainsi, il devient possible d’obtenir des services variant d’une prise en charge médicale plus importante en période de crise à une prise en charge personnelle active en période d’insertion sociale et communautaire (Frese et al., 2001). Ainsi, le concept de « chronicité à vie » de même que certaines étiquettes diagnostiques perdent progressivement du poids et l’essentiel du traitement mise dorénavant sur le potentiel de rétablissement de la personne. Les nouveaux modèles explicatifs de la psychose incluent encore une composante médicale, mais sont plus normalisants et donnent davantage d’espoir et de pouvoir de changement au client. Or, le modèle vulnérabilité-stress-compétence reste toujours pertinent à ce jour.

    2. Le modèle vulnérabilité-stress-compétence

    Le modèle vulnérabilité-stress-compétence (voir figure 1.1) est particulièrement important dans l’histoire et la réalité actuelle de la réadaptation psychosociale, car il redonne à la personne le pouvoir de gérer elle-même ses symptômes. Ce modèle décrit le processus par lequel une vulnérabilité, qu’elle soit de nature génétique, développementale ou autre, lorsque mise en interaction avec des facteurs de stress importants ou quotidiens déclenche une réponse symptomatique chez les personnes présentant un trouble mental. Toutefois, chez les personnes disposant de divers facteurs de protection efficaces, la rechute symptomatique peut être évitée et la vie sociale et communautaire peut ainsi rester intacte. Ce modèle est applicable à de nombreuses conditions, qu’elles soient de type physique (p. ex. diabète) ou de type psychologique (p. ex. anxiété), et offre ainsi une perspective normalisante de l’expérience de la maladie. De surcroît, l’accent mis sur les facteurs de protection confère à l’individu un pouvoir sur ses symptômes et implique qu’il n’est plus victime de sa maladie mais plutôt un agent de son propre rétablissement. Parmi les facteurs de protection, nous retrouvons des facteurs personnels tels que l’estime de soi de la personne ou la confiance en son habileté à surmonter ses difficultés, ou encore ses habiletés d’adaptation et de gestion du stress pouvant être utilisées aux moments opportuns. Parmi les facteurs de protection en lien avec le réseau social, nous retrouvons les habiletés sociales, permettant à la personne d’aller chercher de l’aide au besoin, ainsi qu’un réseau social et familial pouvant offrir du soutien et de l’aide. Il s’agit évidemment d’un modèle biopsychosocial, il est donc normal d’y retrouver la composante médication, qui est un facteur de protection pour plusieurs personnes. Le modèle vulnérabilité-stress-compétence est en quelque sorte un modèle de base utilisé en réadaptation psychiatrique au sein de plusieurs interventions de pointe, notamment dans la thérapie cognitive comportementale (TCC) pour la psychose, dans l’entraînement aux habiletés sociales, dans la psychoéducation familiale et dans les programmes pour traiter les troubles concomitants.

    3. Les interventions de pointe

    Les interventions de pointe pour les personnes présentant un trouble mental grave, voire une psychose, sont aussi diverses que les personnes faisant partie de ce groupe. En fait, les catégories diagnostiques qui devraient réunir sous la même étiquette des personnes aux profils semblables offrent plutôt des regroupements variables où deux personnes souffrant apparemment de schizophrénie présentent des symptômes, des niveaux de fonctionnement et des handicaps totalement différents. D’ailleurs, malgré les tentatives de simplifier la psychose ou de la catégoriser, les personnes qui en souffrent présentent des portraits multifactoriels, avec des symptômes étiologiquement liés ou non à un bagage génétique, à un désordre du développement ou à une histoire de vie criblée de traumatismes, etc. Devant des êtres multidimensionnels, aux histoires variées, l’intervenant doit offrir des interventions qui puissent répondre à différents niveaux de besoins et de buts personnels. Alors que le réglage de la posologie médicamenteuse peut prendre du temps et impliquer beaucoup de tentatives avant de trouver une dose adéquate, il est fortement conseillé d’offrir des interventions psychosociales de pointe le plus rapidement possible tout en ciblant bien le but ou le besoin nommé par le client.

    Or, avant d’aborder les différents chapitres de ce livre portant entre autres sur ces interventions de pointe, il convient de s’interroger sur la signification du terme « interventions de pointe ». Le choix des interventions incluses dans ce livre n’est pas fondé sur des préférences personnelles ou sur les orientations théoriques des directeurs de ce collectif, mais plutôt sur des résultats empiriques significatifs étayant l’efficacité thérapeutique des approches décrites. Ainsi, nous considérons comme des « interventions de pointe » les pratiques basées sur des résultats probants (evidence-based). Une intervention basée sur les résultats probants peut être définie comme une intervention ayant été étudiée dans plusieurs contextes où se trouvent systématiquement des résultats positifs et significatifs chez les participants (Drake et al., 2001). L’amélioration doit être liée aux cibles cliniques de l’intervention. Ainsi, une intervention ayant comme but d’apprendre à gérer le stress doit produire ce résultat, soit une meilleure gestion du stress et une diminution du stress vécu. À titre d’exemple, le programme de soutien à l’emploi Individual Placement and Support (décrit dans le chapitre 9) a pour but de permettre une insertion professionnelle rapide et de soutenir la personne dans son processus d’emploi. Ce programme porte aujourd’hui l’étiquette d’intervention de pointe, voire de « meilleure pratique », car toutes les études ayant implanté ce programme obtiennent des résultats significatifs similaires : davantage d’emplois et de soutien au travail pour les personnes participant à ce programme que pour celles qui reçoivent des services d’emploi traditionnels (Crowther et al., 2003). Pour certains experts, tels que les groupes Cochrane (<http://www.cochrane.org/>), seules les études « aléatoires avec groupe témoin » (voir définition plus loin) permettent de démontrer la validité et l’efficacité d’une intervention. L’intervention se veut encore plus solide si une étude aléatoire multisites corrobore les résultats obtenus antérieurement et si deux groupes de comparaison sont utilisés, soit un groupe recevant l’intervention régulière et un groupe recevant une intervention « rivale » (Borkovec, 1993 ; Kraemer, 2000). Bien que la méthode rigoureuse d’évaluation de l’efficacité d’une intervention comporte certaines limites, l’utilisation d’interventions n’ayant pas subi une évaluation rigoureuse peut entraîner des effets néfastes ou inattendus pouvant affecter la santé ou l’état des participants.

    4. De la conceptualisation à l’évaluation et à la diffusion

    Il peut arriver qu’un clinicien ou qu’un intervenant en santé mentale se retrouve confronté à des demandes de clients pour lesquels il ne possède pas d’outils ou d’interventions spécifiques. Lorsque la demande semble être présente chez plusieurs et vise le rétablissement, le clinicien souhaite trouver une nouvelle intervention qui puisse répondre à cette demande, souvent en développant rapidement un protocole d’intervention basé sur ses propres connaissances et en l’offrant tout de suite à sa clientèle. Une autre manière très pertinente de vérifier les besoins des clients est d’utiliser un outil d’évaluation exhaustif, tel le CASIG (voir le chapitre 18) qui cible les buts et besoins des clients en réadaptation et qui mesure de surcroît les besoins perçus de soutien pour atteindre ces buts. Les intervenants en santé mentale peuvent se questionner sur la pertinence d’utiliser une intervention empiriquement validée en recherche alors qu’il semble moins compliqué d’inventer ou d’intégrer certains ingrédients jugés efficaces selon leur expérience clinique. Certes, l’expérience clinique n’est pas négligeable et plusieurs cliniciens en santé mentale élaborent des interventions innovatrices ayant un potentiel favorable et thérapeutique. Toutefois, en l’absence de méthodes d’évaluation, il est impossible d’établir la valeur thérapeutique réelle de ces interventions. Or, la conjoncture actuelle du système de santé, et plus particulièrement celle des services de santé mentale, exige des preuves démontrant l’efficacité des services et des interventions offertes. Une intervention dont la pertinence ne peut être appuyée par des résultats probants ne sera pas diffusée et pourra même être écartée au profit d’une intervention dont les effets sont reconnus ou qui est tout simplement moins coûteuse à implanter. La meilleure façon d’assurer le maintien des interventions les plus efficaces et d’éliminer les interventions dénuées d’apport thérapeutique demeure l’évaluation rigoureuse au moyen d’outils de mesures validés (voir le chapitre 18). Voici, au tableau 1.1, une description des étapes à suivre lors de la création, de l’évaluation et de la diffusion d’une nouvelle intervention.

    Conceptualisation  : La première étape à suivre lorsque l’idée d’une nouvelle intervention germe au sein d’une équipe de cliniciens ou de chercheurs consiste à déterminer la cible de l’intervention (avoir trop de cibles ou une cible trop vague donne rarement des résultats intéressants). Par la suite, il est essentiel d’aller vérifier auprès d’autre équipes ou dans la littérature spécialisée si cette idée n’a pas déjà été explorée. L’Internet et les bibliothèques universitaires donnent accès à des banques d’information sur les publications existant dans plusieurs domaines dont les troubles mentaux graves. Des banques bibliographiques telles que Pubmed (site gratuit : <http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi>), Medline et PsychInfo, permettent de recueillir des informations relatives aux recherches réalisées dans un domaine donné. Lors de cette recension des écrits, il est conseillé d’entreprendre des recherches au-delà du domaine ciblé afin d’envisager de possibles adaptations provenant de domaines connexes. À titre d’exemple, l’intervention de groupe visant l’augmentation de l’estime de soi décrite dans le chapitre 5 est inspirée d’un programme scolaire d’estime de soi pour adolescents (Reasoner, 1992). De même, le soutien en emploi (chapitre 9) fut d’abord utilisé auprès de personnes souffrant de déficience intellectuelle. Plusieurs interventions visant la remédiation cognitive des personnes souffrant de schizophrénie (voir le chapitre 7) proviennent des recherches effectuées auprès des personnes ayant vécu des accidents cérébro-crâniens. Il en est de même pour la thérapie cognitive comportementale appliquée à la psychose, laquelle est fortement inspirée de celle utilisée pour le traitement de la dépression.

    À cause de la barrière linguistique, cette recherche d’information devient parfois complexe. Malgré le fait que certains auteurs publient dans plusieurs langues, la majorité des travaux existent seulement en langue anglaise. Lorsque le contenu d’un article présente une intervention qui semble rejoindre les intérêts d’un clinicien ou d’un chercheur et qu’il désire en savoir davantage pour évaluer sa pertinence dans un contexte clinique particulier, il est possible de prendre contact avec les auteurs (par courriel ou par téléphone) afin d’obtenir plus d’informations. La plupart des auteurs œuvrant dans le domaine de la réadaptation ou des interventions psychologiques auprès de personnes souffrant de psychose répondent favorablement à de telles requêtes et transmettent volontiers les informations désirées. D’ailleurs, ces auteurs peuvent aussi connaître des chercheurs ou cliniciens partageant leur champ d’intérêt dans la francophonie et parfois, bien que rarement, offrir des fonds pour traduire leur intervention en français. Bien que les publications soient en langue anglaise, la majorité des interventions provenant du Québec existent en français et en anglais. Il existe aussi un site francophone en réadaptation psychiatrique qui propose certaines traductions françaises de manuels d’intervention américains (<http://www.rehab-infoweb.net/materiel. htm>).

    Cette deuxième étape de vérification permet non seulement d’identifier l’existence d’interventions similaires, mais aussi d’approfondir les connaissances théoriques dans les domaines ciblés ou connexes. Dans le cas où l’idée d’intervention est innovatrice, de nouvelles sources d’informations sont à présent disponibles pour la développer ou la soutenir.

    La troisième étape consiste à aller un peu plus loin en recueillant de l’information auprès des personnes clés, par exemple des personnes visées par l’intervention, des cliniciens d’expérience ou encore des chercheurs chevronnés dans le domaine. Des groupes de discussion, des consultations et des échanges seront très utiles afin de conceptualiser une intervention correspondant le plus possible aux besoins réels des personnes concernées. L’étape 4 consiste, quant à elle, à colliger toutes ces informations (provenant de la revue de littérature, des entrevues qualitatives et des informations obtenues auprès d’experts), à hiérarchiser les thèmes et à rassembler ceux qui sont liés et qui peuvent servir de base à une intervention cohérente.

    La cinquième étape concerne l’écriture détaillée d’un manuel d’intervention. Nous recommandons de décrire de façon très précise les étapes à suivre et la progression attendue de l’intervention quelle que soit sa forme (individuelle ou de groupe) en détaillant les fondements théoriques et cliniques qui soutiennent chaque étape. Ainsi, l’application éventuelle de l’intervention par des intervenants n’ayant pas participé à l’élaboration de l’intervention ou œuvrant dans d’autres cliniques, par exemple, en sera facilitée. Il n’est pas nécessaire de reprendre textuellement les termes utilisés lors de la rencontre, mais plutôt de fournir suffisamment de détails sur les directives à suivre. Les participants à une intervention de groupe, par exemple, apprécient grandement d’avoir eux aussi accès au manuel d’intervention, d’abord pour connaître les thèmes qui seront abordés et de quelle façon, mais aussi pour y écrire des notes personnelles qu’ils pourront consulter au besoin (Lecomte et Leclerc, 2010).

    Une fois l’intervention mise sur pied, voire documentée sous forme de manuel d’intervention, il est important de retourner consulter les intervenants et experts dans le domaine afin de peaufiner le manuel d’intervention selon les commentaires et questionnements suscités. La sixième étape vise l’application et l’évaluation d’une version « pilote » de l’intervention². Il s’agit de choisir quels instruments de mesure validés (voir le chapitre 18 pour en savoir plus) sont les plus appropriés aux orientations de l’intervention. N’oublions pas que l’efficacité d’une intervention est démontrée par les résultats obtenus grâce aux outils de mesure. Il est donc conseillé d’administrer aux sujets participant à l’intervention (minimum six participants pour une étude pilote d’une nouvelle intervention, par exemple) ces instruments de mesure avant le début de la nouvelle intervention, de même qu’à la fin de celle-ci. Dans la mesure du possible, il est même suggéré d’entreprendre des mesures répétées afin de créer un profil individuel pour chaque participant et ainsi mieux comprendre les répercussions de l’intervention. Ce processus permet d’évaluer la pertinence de l’intervention, à savoir si elle offre des avantages cliniques ou non, et d’améliorer certains aspects si nécessaire. Il s’agit aussi de vérifier la faisabilité de l’intervention et son taux d’acceptation par la clientèle cible. Il est important de recueillir les opinions et perceptions des participants à l’intervention. Selon les résultats obtenus lors du projet pilote, grâce aux outils de mesure choisis et aux témoignages recueillis auprès des participants, il devient possible de déterminer le potentiel thérapeutique de l’intervention et si celle-ci vaut la peine d’être poursuivie.

    Si le potentiel thérapeutique de l’intervention et les résultats obtenus du pilote sont favorables, la meilleure façon de procéder est d’offrir l’intervention à un groupe de personnes choisies au hasard parmi la population ciblée et de comparer les résultats de cette intervention à ceux obtenus avec un groupe de personnes provenant de la même population et ne recevant pas la nouvelle intervention. Cette méthode permettra de démontrer que les différences entre les deux groupes proviennent de l’intervention. Il s’agit de la méthode de l’étude aléatoire avec groupe témoin (Borkovec, 1993 ; étape 7).

    Cette méthode rigoureuse propose de considérer une population (un groupe de personnes ayant des caractéristiques semblables et pouvant bénéficier de l’intervention) et de la diviser en deux sous-groupes de manière aléatoire. Le premier sous-groupe recevant l’intervention est nommé groupe expérimental et l’autre sous-groupe dont les membres ne reçoivent pas l’intervention est nommé groupe témoin. Il existe plusieurs types de groupe témoin : le groupe « traitement habituel », qui reçoit seulement le traitement régulier ; le groupe « liste d’attente », qui attend de recevoir l’intervention ; un groupe où est contrôlé le temps passé avec le thérapeute en offrant du temps d’interaction de même durée que l’intervention au groupe témoin mais sans le contexte thérapeutique (parler de films ou de météo par exemple) ; et, finalement, le groupe « rival » recevant une autre intervention que celle dont nous voulons évaluer les effets mais qui possède la même cible thérapeutique. Les personnes dans chaque groupe doivent posséder des caractéristiques semblables, soit cliniques ou sociodémographiques, et être évaluées avec les mêmes instruments de mesure validés. Il est suggéré de s’associer à un chercheur expert en essai aléatoire pour cette étape, car elle est très exigeante, notamment sur le plan méthodologique (type d’évaluateurs, méthode de randomisation, choix d’analyse des données, etc.). Lorsque nous voulons évaluer les effets d’une nouvelle intervention, il est aussi pertinent de poser quelques questions ouvertes plus « qualitatives » sur l’expérience vécue par les participants lors de l’intervention, en sus des questionnaires validés. Ces questions « ouvertes » donnent accès à l’expérience du client lors de l’intervention, et aux ingrédients qui ont été perçus comme les plus ou les moins efficaces.

    L’étape 8 n’est généralement pas conduite par la même équipe que les étapes antérieures et vise à reproduire les résultats obtenus. Plus une intervention est reprise par d’autres équipes et obtient des résultats positifs similaires, plus l’intervention sera considérée comme valide et basée sur des résultats probants. La dernière étape proposée dans le tableau (l’étape 9 ou l’analyse du processus) n’est pas nécessaire pour qu’une intervention soit jugée valide et efficace, mais elle permet de mieux comprendre les processus en jeu ; elle permet de voir quels aspects de l’intervention apportent quels bienfaits et comment les effets s’accumulent ou non pendant l’intervention. Une fois l’intervention jugée efficace, un échantillon représentatif non aléatoire recevra l’intervention ainsi que plusieurs mesures, plus détaillées et plus fréquentes que celles utilisées lors de l’essai aléatoire, afin de mieux comprendre les processus liés aux effets attendus. À part les deux dernières, toutes les étapes mentionnées sont essentielles afin de démontrer l’efficacité d’une intervention dans le cadre d’un service clinique. Si le but est de diffuser, voire de vendre le manuel d’intervention, l’étude aléatoire doit comprendre un minimum de 30 sujets par sous-groupe et présenter des résultats positifs et cliniquement significatifs sur au moins une des variables principales visées (p. ex. diminution des symptômes).

    L’essai aléatoire est de loin l’étape la plus difficile afin de déterminer si l’intervention est jugée valide et si elle peut devenir une intervention de pointe. Une fois les preuves établies, une autre étape cruciale consiste à publier les résultats dans des revues scientifiques appropriées et de les communiquer dans des congrès nationaux ou internationaux. La diffusion des résultats de l’étude permet à d’autres chercheurs et cliniciens de connaître et peut-être d’utiliser l’intervention. Certains créent aussi des sites Web afin de diffuser leurs résultats de recherche, de publiciser leurs manuels d’interventions et d’en faciliter la diffusion et la vente (en voici des exemples : <http://www.psychrehab.com/> ;  ; ).

    5. Limites actuelles des recherches en intervention

    Nous venons de décrire les étapes reconnues scientifiquement qui sont essentielles à l’évaluation de l’efficacité d’une intervention. Malgré sa rigueur, cette approche comprend tout de même des failles importantes. D’une part, les études aléatoires avec groupe témoin vérifiant l’efficacité d’une intervention psychosociale sont très coûteuses et obtiennent rarement des résultats significatifs éblouissants. Ce type de méthodologie est issue des recherches médicales où la seule différence entre deux groupes est que l’un prend un médicament X et l’autre un placebo, par exemple. Toutefois, même en recherche pharmaceutique, on commence à comprendre que le médicament X peut agir différemment selon la génétique, la constitution et les habitudes de vie de la personne, et que l’utilisation optimale du médicament va dépendre aussi du soutien social que la personne reçoit (Haynes, McDonald et Garg, 2002). Or, lorsqu’il s’agit de comparer l’efficacité d’une intervention psychologique, par exemple la thérapie cognitive comportementale, à celle d’une autre intervention (thérapie de soutien ou humaniste), plusieurs facteurs interagissent et seulement certains d’entre eux peuvent être mesurés. Les études tentent d’évaluer les interventions en éliminant l’influence de facteurs communs (ou des variables dites « non spécifiques ») comme les différences entre thérapeutes ou entre les clients afin de seulement comparer l’« essentiel » de l’intervention, soit certaines techniques. Cependant, bien souvent, ces études trouvent peu de différences significatives entre les groupes comparés (voir l’étude de Sensky et al., 2000, ou celle de Lewis et al., 2002). Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. D’une part, des années de recherche en intervention auprès de personnes non psychotiques ont démontré que les techniques ne comptent que pour un faible pourcentage du changement alors que la relation thérapeutique, les variables du client et du thérapeute expliquent la plus grande proportion du changement mais sont rarement mesurées (Lecomte, 1987 ; Bergin et Garfield, 1994). Un examen approfondi des résultats de recherches découlant d’interventions auprès de personnes souffrant de psychoses révèle le rôle dominant des facteurs communs tels que l’alliance thérapeutique (Frank et Gunderson, 1990 ; Svensson et Hansson, 1999), les caractéristiques essentielles du thérapeute et du client, l’apprentissage de comportements adaptatifs ou de coping ainsi qu’une nouvelle compréhension de son vécu (Lecomte et Lecomte, 1999, 2002 ; Beauchamp et al., 2011). En outre, les méthodes de recherche actuelles semblent plus sévères lorsqu’il s’agit de démontrer l’efficacité d’une intervention psychosociale, car il est exigé que les effets soient significativement supérieurs à une autre intervention semblable. En recherche pharmaceutique, il suffit que le médicament soit supérieur au placebo ou au traitement dit « habituel ». La supériorité d’une intervention sur une autre est difficile à démontrer, même dans le domaine de la recherche médicale.

    La recherche d’efficacité des interventions auprès des personnes souffrant de psychoses semble suivre un parcours semblable à celui de la recherche relative à la psychothérapie des personnes non psychotiques, mais avec un certain décalage (Lecomte et Lecomte, 1999). Dans un premier temps, les chercheurs tentent de démontrer l’efficacité et la supériorité de leur approche. Cette étape implique des efforts d’opérationnalisation visant l’articulation d’approches thérapeutiques spécifiques pour mieux en démontrer l’efficacité. Ensuite, des études comparatives aléatoires sont élaborées pour finalement obtenir des résultats complexes à interpréter, voire souvent similaires entre les approches comparées. Selon Lecomte et Lecomte (1999), les interventions psychologiques auprès de personnes atteintes de troubles sévères cherchent à mettre en place des traitements précis, basés sur des techniques, s’adressant à des problèmes spécifiques tout en s’appuyant sur le mythe de l’uniformité du thérapeute et parfois même du client (Kiesler, 1966). Cette approche implique donc que le thérapeute et le client soient théoriquement interchangeables. Or, les personnes souffrant de psychose possèdent des profils variés, souvent avec des étiologies variés (certains ayant vécu des traumatismes importants dans l’enfance par exemple) et les thérapeutes leur offrant des services proviennent aussi de cultures professionnelles et personnelles diverses. De plus en plus, les recherches tentent d’établir quel traitement semble le plus efficace pour une personne ayant un problème donné et sous quelles conditions. Quoique ces questions soient des plus valables, il est, hélas, toujours impossible d’y répondre car la nature même du changement thérapeutique reste à élucider. Une amélioration de 20% des symptômes pourrait-elle être considérée comme significative pour une personne ne répondant pas aux médicaments depuis des années alors qu’une amélioration de 70% serait attendue après un premier épisode psychotique ? Doit-on mesurer l’effet des interventions sur la qualité de vie, sachant que ce concept diffère selon les exigences de chacun ? Quelles variables et quel niveau d’effet d’une intervention devraient être considérés lors de l’évaluation du changement ? Au-delà des allégeances théoriques, les résultats de recherche sur les processus et les résultats thérapeutiques nous invitent à reconnaître le caractère contextuel, interactif et dynamique de la psychothérapie où s’entremêlent les variables du client, du thérapeute et des techniques (Lecomte et Lecomte, 1999, 2002). Certains auteurs, tels que Lysaker et al. (2010), proposent même d’analyser plutôt le discours narratif de la personne afin de vraiment avoir accès à l’étendue et à la richesse de l’expérience individuelle et des changements vécus. La nouvelle philosophie en réadaptation psychosociale basée sur le rétablissement semble d’ailleurs davantage tenir compte des variables personnelles et interpersonnelles. Cette orientation influence déjà la méthodologie et le contenu des recherches futures qui traitent de l’efficacité des interventions.

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    1  Terme utilisé par les personnes vivant avec un trouble mental grave dans la communauté pour se désigner eux-mêmes et leurs pairs.

    2  Nous supposons que le chef clinique ainsi que le comité d’éthique concernés ont donné leur approbation pour l’application de la nouvelle intervention.

    Une approche contemporaine orientée vers le rétablissement des personnes vivant avec la schizophrénie

    Sylvie Noiseux†, Ph. D.

    Université de Montréal

    Denise St-Cyr Tribble, Ph. D.

    Université de Sherbrooke

    Dr Raymond Morissette, M.D., psychiatre

    Hôpital Louis-H. Lafontaine

    Dr Yvan Pelletier, M.D., psychiatre

    Hôpital Sacré-Cœur

    Ellen Corin, Ph. D.

    Université McGill

    Claude Leclerc, inf., Ph. D.

    Université du Québec à Trois-Rivières

    Danielle Fleury, directrice des soins infirmiers

    Centre hospitalier de l’Université de Montréal

    Pierre-Luc St-Hilaire, coordonnateur

    Équipe du rétablissement en santé mentale

    En hommage au travail assidu de Dr Raymond Morissette, médecin psychiatre œuvrant à l’Institut de santé mentale de l’Université de Montréal (Hôpital Louis-H. Lafontaine) pour son engagement depuis 47 ans au rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux, qui continue à croire en leur potentiel et à les accompagner dans leur recherche d’un mieux-être.

    RÉSUMÉ

    Ce chapitre s’intéresse au rétablissement et aux approches qui en découlent, accordant une attention particulière au rétablissement de personnes vivant avec la schizophrénie. Ensuite, le chapitre traite des interventions sur mesure en santé mentale et présente l’état des connaissances sur le rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux. L’analyse et la mesure du rétablissement sont discutées. Finalement, une approche contemporaine orientée vers le rétablissement de la personne qui vit avec la schizophrénie est proposée, issue des besoins spécifiques des personnes et tenant compte de leurs attitudes, de leurs valeurs et de leur propre vision de l’univers pour planifier les interventions.

    ABSTRACT

    Recovery and recovery-oriented interventions are discussed in this chapter, with a special interest for the recovery of persons diagnosed with schizophrenia. Tailored interventions in mental health are addressed as well as current knowledge regarding the recovery of people with mental illness. Measurement of recovery is discussed. Finally, a contemporary approach of recovery from schizophrenia is presented, beginning with the individual and specific needs of the person, taking into consideration their own attitudes, values and their own view of the universe, in order to plan interventions.

    Dans le présent chapitre, une approche contemporaine du rétablissement de personnes vivant avec la schizophrénie (PVS) se réfère à des interventions dites sur mesure (tailored) pouvant faciliter ou accompagner leur rétablissement. De l’avis de Kreuter et Skinner (2000), les interventions sur mesure sont des stratégies de changement basées sur des caractéristiques individuelles découlant d’une évaluation destinée à une personne. Dans nos travaux de recherche et de clinique, les interventions sur mesure prennent en compte non seulement les perceptions des PVS qui se considèrent dans un processus de rétablissement ou qui ont le sentiment d’avoir émergé de l’ombre dans une démarche de croissance à travers la maladie, mais également la perception de leurs proches et de leurs intervenants.

    1. L’approche du rétablissement

    L’approche du rétablissement que nous privilégions, sans être de nature hégémonique, est novatrice et invite à distinguer les termes suivants : santé mentale, problèmes liés à la santé mentale et troubles mentaux (Noiseux et al., 2010). De plus, elle évoque la nécessité de distinguer ce qu’est le rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux, mais aussi comment ce processus s’inscrit par rapport à la réadaptation psychiatrique. Que ce soit dans les écrits ou dans la pratique clinique, le terme santé mentale est le plus souvent directement associé soit à la « psychiatrie », soit à la distinction par rapport à la santé physique, ce qui contribue à alimenter l’idée d’une santé scindée en deux parties distinctes et, de surcroît, à créer une stigmatisation ou des croyances erronées qui ne cadrent plus avec la manière dont on conçoit aujourd’hui la « santé mentale ». L’Organisation mondiale de la santé (2007) définit la « santé mentale » comme un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions « normales » de la vie, accomplir un travail et contribuer à sa vie et à sa communauté. C’est donc dire que la « santé mentale » est essentielle à la santé globale et que, de ce fait, elle est associée à une bonne santé physique. Dans le même ordre d’idées, un « problème de santé mentale » peut s’avérer être une altération ou une perturbation temporaire de la santé mentale liée notamment à un traumatisme, à une épreuve de la vie ou, encore, à des circonstances interpersonnelles, socioculturelles, spirituelles et environnementales qui affectent le bien-être mental de la personne (AANN’S, 2001). Dans ces circonstances, il importe d’observer les changements de la personne par rapport à ses habitudes de vie et d’intervenir en étroite relation avec elle afin d’éviter que son état de santé ne dégénère en « trouble mental » ou en « maladie mentale ». Ces derniers termes font référence à des types cliniques de comportements et d’émotions associés à un certain degré de détresse, de souffrance ou d’incapacité dans une ou plusieurs sphères de la vie, telles le travail, les relations sociales ou la capacité de vivre de façon autonome (Association des psychiatres du Canada, 2009, citée dans Comité sénatoriel permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 2004). Il existe différents types de troubles mentaux, comme l’anxiété, la dépression, la schizophrénie et la bipolarité, des troubles souvent associés à un diagnostic médical officiel (APA, 1994). La plupart des troubles mentaux ne sont pas attribuables à une seule cause. Ils semblent plutôt résulter d’une interaction complexe entre des facteurs sociaux, économiques, psychologiques, biologiques et génétiques (Topor et al., 2011). Pour sa part, le rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux a été conçu au départ comme une réponse humaine, de nature biopsychosociale, à une situation de maladie (AANN’S, 2001). Cette conception du rétablissement s’est trouvée précisée à travers l’étude de Noiseux (2004) portant sur une explication théorique du rétablissement de personnes vivant avec la schizophrénie. Les résultats de cette étude montrent que le rétablissement de ces personnes est : « Un processus non linéaire caractérisé par des mouvements qui résident dans le rôle d’acteur que la personne adopte pour se reconstruire un sens de soi afin de ressentir un mieux-être dans toutes ses dimensions biopsychosociales » (Noiseux, 2004, p. 118-119). En ce sens, le rétablissement est considéré comme un concept intégrateur au cœur de la réadaptation psychiatrique. Cette vision contemporaine des troubles mentaux tient compte non seulement des symptômes de la maladie et de leurs effets dévastateurs, mais aussi et surtout du cheminement constructif et particulier que poursuit, par exemple, une personne qui vit avec la schizophrénie, tout en considérant le rôle des proches et celui de l’intervenant significatif dans son rétablissement. En d’autres mots, le rétablissement dans le cas de troubles mentaux telle la schizophrénie intègre les notions de « traitement », de « réhabilitation » et de « réadaptation psychiatrique ».

    Au Canada, aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons, le rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux est devenu le principe directeur du réseau de la santé mentale qui guide ou donne lieu à la mise en œuvre de soins et de services facilitant ce processus (Commission de la santé mentale du Canada, 2009). Il existe donc actuellement une volonté politique non équivoque en faveur du rétablissement et même un véritable engouement pour cette approche. Cependant, le rétablissement revêt de multiples significations selon les contextes et les cultures, ce qui peut contribuer à créer une grande confusion, tant chez les personnes atteintes et leurs proches que chez les cliniciens, les décideurs et les chercheurs (Noiseux et al., 2009). La signification du processus de rétablissement risque de perdre toute spécificité et d’être abordée de façon réductrice dans la mise en œuvre des services. Les résultats obtenus par des recherches qualitatives ont permis de relever des indicateurs empiriques qui caractérisent l’interaction entre les dimensions individuelles, environnementales et organisationnelles qui influencent le rétablissement (Noiseux, 2004 ; Noiseux et al., 2009 ; Noiseux et al., 2010). Ces indicateurs sont transférables d’une personne à une autre mais comportent des variations en fonction de caractéristiques individuelles, du type de problème de santé mentale et des acteurs concernés par le rétablissement (personnes atteintes, proches, intervenants, chercheurs). L’émergence d’une théorisation du rétablissement, incluant la notion même de variation, confirme l’importance d’étendre ce travail au développement de pratiques cliniques novatrices qui s’inscrivent dans une orientation d’interventions sur mesure (tailored intervention) adaptées à chaque individu afin de l’accompagner et de l’épauler dans son propre rétablissement.

    2. Le rétablissement de personnes vivant avec la schizophrénie

    Le rétablissement de PVS s’inscrit dans une orientation d’intervention guidée par des principes éthiques ; un mouvement qui s’inscrit dans une reconnaissance du droit des individus considérés ici comme des acteurs clés dans les interventions qui les concernent (Corin et al., 2007). Ce mouvement amène à repenser et à reformuler les pratiques à partir du point de vue des personnes quant à leur façon de se rétablir et à prendre en compte leurs besoins et leurs valeurs pour planifier les interventions. Plusieurs revues scientifiques réservent actuellement une place à des récits de vie qui témoignent de l’expérience des personnes, des obstacles qu’elles ont rencontrés et de ce qui les a aidées. En parallèle, sur le plan de la recherche, les études de suivi à long terme de personnes souffrant de troubles mentaux font ressortir des évolutions plus diversifiées qu’on ne le pensait. Cela a conduit à recentrer l’attention sur la nécessité de s’intéresser à ce que les personnes mettent en place dans ce contexte. On peut dire que ce courant de recherche et d’intervention s’inscrit au carrefour de deux grands courants : l’un met l’accent sur le pouvoir d’agir (empowerment) et l’autre, sur le rétablissement (recovery). Le premier vise à reconnaître les droits des personnes et leur potentiel à apprendre et à utiliser les outils nécessaires pour vivre de la façon la plus autonome possible et pour assurer ou améliorer leur qualité de vie (St-Cyr Tribble et al., 2008). Le second considère en outre le sens que la personne donne à sa vie et les projets qu’elle désire réaliser (Lesage et Morissette, 2002).

    Indissociables, ces deux courants visent à repenser les interventions à partir de ce qu’en disent les personnes concernées et à favoriser des pratiques qui contribuent à donner forme et sens à leur expérience singulière (Peters, 2003). L’idée de rétablissement, que l’on retrouve dans le plan d’action en santé mentale au Québec (MSSS, 2005-2010), attire l’attention sur la nécessité d’élargir les objectifs visés par ce programme et de soutenir les personnes dans leurs propres projets et stratégies. La participation de PVS et de proches aux exercices de planification des services de santé mentale incarne ce souci de donner une place centrale aux utilisateurs. Toutefois, il ne suffit pas d’inclure ces personnes dans les espaces publics de discussion sur l’organisation des soins et services en santé mentale pour qu’elles soient entendues et y participent de manière significative (Clément et Bolduc, 2009). La notion de rétablissement demeure un principe général et on dispose de relativement peu d’indications sur la façon de l’opérationnaliser. Le fait de situer les interventions sous le signe du rétablissement équivaut à un changement de paradigme qui vient effacer les repères traditionnels et modifier la vision et les stratégies de l’intervention, la formulation des objectifs et les critères d’évaluation (Marshall et al., 2007). Il s’agit pour les PVS, les proches, les intervenants et les chercheurs de moduler leur conception des troubles mentaux et de la personne qui les vit et de soutenir cette dernière dans sa démarche afin qu’elle puisse donner sens à sa réalité (Noiseux et al., 2010). Il s’agit aussi de mettre l’accent sur les forces et le pouvoir d’agir des personnes ainsi que sur la singularité de leur parcours, elles qui étaient jadis, et sont encore aujourd’hui, l’objet de beaucoup de stigmatisation (Tranulis et al., 2008). La notion de rétablissement de PVS peut ainsi contribuer à rendre visibles et à conceptualiser des approches novatrices des troubles mentaux et, par conséquent, des pratiques cliniques. L’idée de développer une approche contemporaine qui fait référence ici à des interventions sur mesure est le prolongement direct de travaux, tant sur le plan de la recherche que sur celui de la pratique clinique (Noiseux et al., 2010). Il s’agit ici d’opérationnaliser les implications des variations observées entre les perceptions des acteurs directement concernés par le rétablissement (PVS, proches, intervenants) et, ultimement, les perceptions qui sont liées au fait d’avoir un diagnostic de schizophrénie.

    3. Des interventions sur mesure en santé mentale

    Plusieurs études documentent le bien-fondé des interventions sur mesure se centrant sur les besoins des individus et de leurs proches (Byng et al., 2004 ; Carey et al., 2001 ; Catani, Schauer et Neuner, 2008 ; Colom et al., 2004 ; Rao, 2006 ; Wan, Moulton et Abel, 2008 ; Wilhelm et al., 2007). Ces études présentent des expériences pertinentes mais ne fournissent pas d’explications sur la manière de développer, d’opérationnaliser et d’implanter les interventions, ni sur la façon dont elles influencent l’évolution des rapports avec l’entourage et la manière dont les proches contribuent au rétablissement. Certains auteurs vont plus loin en proposant de prendre en compte le contexte de vie de la personne dans l’intervention sur mesure, soit son réseau social et son milieu de travail. De fait, le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists, qui coordonne le développement des lignes directrices concernant les pratiques cliniques reliées au traitement de la schizophrénie, en arrive à la conclusion suivante dans son rapport de 2005 : « Interventions should be carefully tailored to phase and stage of illness, and to gender and cultural background. » Malgré ces lignes directrices, force est de constater que jusqu’à présent l’ensemble des études n’a pas permis de proposer des interventions sur mesure associées spécifiquement au processus de rétablissement de personnes vivant avec des troubles mentaux graves, telle la schizophrénie. Ce constat justifie la pertinence de l’approche contemporaine proposée qui tient compte des besoins particuliers de la PVS et de leurs variations au cours du rétablissement, tout en incluant ses proches et ses intervenants directement concernés.

    Dans le prolongement de l’étude de Noiseux (2004), nous avons poursuivi nos travaux de théorisation du rétablissement chez des personnes présentant des diagnostics différents, soit des troubles schizophréniques, affectifs, anxieux, de personnalité limite. Au total, 108 participants répartis dans quatre groupes de comparaison représentant respectivement les quatre diagnostics à l’étude ont participé à des entrevues semi-structurées. Chacun des quatre groupes de comparaison (n = 36) était formé de 12 trios. Cette étude multicentrique, subventionnée par les IRSC (2006-2009), a été réalisée dans trois sites : Montréal, Québec, Mauricie. Le processus d’analyse croisée des trios révèle des résultats démontrant des convergences et des divergences entre les visions du rétablissement énoncées par les trois acteurs (PVS, un de leurs proches significatifs, un de leurs intervenants significatifs) et selon le problème de santé mentale (Noiseux et al., 2010). Les résultats obtenus par cette étude relèvent des comportements communs ou des indicateurs empiriques qui caractérisent le rétablissement de PVS, comme dans la première étude de Noiseux (2004). Les personnes avec d’autres types de diagnostics (troubles anxieux, affectifs, de personnalité limite) semblent vivre un rétablissement dont le processus semble être plus diffus. Est-ce à dire que le rétablissement est spécifique aux personnes vivant avec la schizophrénie ? Il semble difficile de répondre à cette question actuellement. Toutefois, le constat de telles différences nous a amenés à proposer une étude limitée à un seul diagnostic, soit la schizophrénie, afin de développer, implanter et évaluer des interventions sur mesure. Il s’agit là d’une limitation temporaire et nous comptons évaluer par la suite la portée de nos résultats en élargissant nos travaux à des personnes ayant reçu d’autres diagnostics.

    4. État des connaissances sur le rétablissement des personnes vivant avec des troubles mentaux

    Il ressort des écrits recensés cinq types de

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