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Les troubles psychologiques: Comprendre et accompagner les personnes qui en sont touchées
Les troubles psychologiques: Comprendre et accompagner les personnes qui en sont touchées
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Ebook668 pages8 hours

Les troubles psychologiques: Comprendre et accompagner les personnes qui en sont touchées

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Les troubles psychologiques, que plusieurs appellent encore maladies mentales, sont l’objet de préjugés -tenaces, même s’ils touchent une personne sur cinq. Ce livre vise à les démystifier, à expliquer clairement leur nature et leurs causes, et à montrer qu’une guérison, sinon l’atténuation des symptômes, est possible.
LanguageFrançais
Release dateApr 30, 2013
ISBN9782760537255
Les troubles psychologiques: Comprendre et accompagner les personnes qui en sont touchées

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    Book preview

    Les troubles psychologiques - Emmanuel Habimana

    Canada

    Ont contribué à cet ouvrage :

    Présentation par ordre alphabétique

    ALLARD Pascale, M. Ps. ;

    Psychologue clinicienne et chargée de cours à lʼUniversité du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

    BLOUIN Nathalie Dr, D. Ps. ;

    Psychologue au CSSS de Portneuf.

    CAZABON Charlotte, M.A. ;

    Psychoclinicienne, Ottawa.

    CHAM Patricia Dr, D. Ps. ;

    Psychologue à lʼéquipe de santé mentale - jeunes, au CSSS de Gatineau.

    CHARBONNEAU Marie-Claude Dr, D. Ps. ;

    Psychologue au Service aux étudiants de lʼUniversité du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

    CHASSÉ Émilie Dr, D. Ps. ;

    Psychologue en pédopsychiatrie au CSSS Manicouagan.

    CONSTANT Caroline Dr, D. Ps. ;

    Neuropsychologue à la Clinique de psychologie et de neuropsychologie de Sherbrooke.

    DESPINS Caroline Dr, D. Ps. ;

    Psychologue clinicienne au CSSSNL et en pratique privée.

    DIONNE Frédérick Dr, Ph. D. ;

    Psychologue au Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) et en pratique privée à la Clinique médicale de Bernières.

    FAFARD Annie Dr, D. Ps. ;

    Psychologue jeunesse au CSSS Haute Côte-Nord.

    HABIMANA Emmanuel Dr, Ph. D. ;

    Professeur titulaire et Directeur des études de premier cycle au Département de psychologie à lʼUniversité du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

    KABAYIZA Callixte Dr, D. Ps. ;

    Psychologue en pratique privée.

    LAMONTAGNE Marc-André, M. Ps. ;

    Psychologue en pratique privée et à la Clinique des troubles du comportement sexuel de lʼInstitut universitaire en santé mentale de Québec.

    LEFEBVRE Alexandra Dr, D. Ps. ;

    Psychologue à la Clinique de psychothérapie brève.

    LEFEBVRE Mélanie, M. Ps. ;

    Psychologue à la Commission scolaire des Hauts-Cantons.

    Mc NEIL Geneviève Dr, D. Ps. ;

    Psychologue au CSSS de Papineau.

    POTHIER Catherine Dr, Ph. D. ;

    Neuropsychologue/psychologue en centre de réadaptation et en pratique privée.

    ROUSSIN Julie Dr, D. Ps. ;

    Psychologue en pratique privée et enseignante dans le réseau collégial.

    SAURIOL Sylvie ;

    Étudiante finissante au doctorat en psychologie et chargée de cours à lʼUniversité du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

    SOUCY Myriam Dr , Ph. D. ;

    Neuropsychologue à la Clinique de psychologie et de neuropsychologie de Sherbrooke.

    Introduction

    Les récentes études estiment que 20 % de la population canadienne est touchée par un trouble mental, soit un Canadien sur cinq¹. En réalité, les personnes affectées par la maladie mentale dépassent de loin ce pourcentage puisqu’un trouble mental qui touche un proche nous affecte également. Ceci explique peut-être pourquoi, de nos jours, les questions relatives à la santé mentale sont si souvent traitées dans les journaux, les réseaux sociaux et Internet, de même qu’à la radio et la télévision. Il est courant que des personnalités publiques donnent des témoignages relatifs aux troubles mentaux qui les affligent ou qui affligent un membre de leurs familles.

    Bien que ces témoignages contribuent à démystifier la maladie mentale, des préjugés demeurent tenaces, quel que soit le niveau d’instruction, la classe sociale ou l’origine ethnique du sujet. C’est pourquoi plusieurs vivent dans la honte et le secret les difficultés psychologiques qui les touchent ou qui touchent leurs proches. Si certains s’engagent d’emblée dans une démarche thérapeutique, d’autres, hélas, hésitent et restent des années à souffrir en silence.

    Plusieurs ouvrages traitant des troubles psychologiques sont aujourd’hui disponibles sur le marché. Certains, destinés à un public spécialisé, sont difficiles à comprendre, alors que d’autres, quoique plus accessibles, ne couvrent qu’un nombre limité de troubles. Ce livre a pour objectif principal de palier à ces lacunes, en apportant un éclairage sur la nature des troubles psychologiques rencontrés couramment. Si les auteurs ont sciemment utilisé un langage simple pour rendre ce livre accessible, c’est avec rigueur qu’ils ont documenté leurs propos, ce qui lui confère son caractère scientifique. La description des troubles qu’il aborde ici se fonde sur le DSM-IV, l’ouvrage de référence publié par l’Association de psychiatrie américaine (APA) qui présente la classification des différents troubles mentaux.

    Les données portant sur les causes, les facteurs de risque et les traitements proviennent des études récentes publiées par de nombreux chercheurs et cliniciens nord-américains et européens. En parcourant les différents chapitres, le lecteur trouvera des cas illustratifs qui lui permettront de mieux comprendre la nature de chaque trouble et d’en reconnaître les manifestations et l’évolution.

    Le présent ouvrage poursuit quatre objectifs, à savoir la connaissance, la compréhension, la prévention des troubles psychologiques ainsi que l’intervention adéquate. Face à tout nouveau phénomène, il est dans la nature humaine de tenter d’obtenir une explication claire et d’y donner un sens. La maladie mentale ne fait pas exception et c’est pourquoi, lorsqu’elle y est confrontée, la personne concernée cherche très vite à en comprendre les causes et les origines. C’est en regard à cette réalité que nous offrons systématiquement aux lecteurs une synthèse des différentes causes des troubles mentaux. Nous verrons qu’elles sont parfois inconnues, de temps à autres nombreuses, rarement inexistantes, souvent complexes et que les explications offertes évoluent non seulement avec l’histoire, mais aussi en fonction du contexte culturel.

    Les théories explicatives des maladies mentales donnent lieu à diverses approches d’intervention. Loin de s’exclure, celles-ci sont souvent complémentaires. Une médication, par exemple, atténue en général assez rapidement les symptômes, ce qui permet d’entreprendre ou de poursuivre une psychothérapie. De même, une approche dite comportementale ou cognitive permet, dès les premiers mois, non seulement de soulager, mais dans certains cas de faire disparaître les symptômes incommodants. La personne peut alors reprendre graduellement ses activités normales, mais aussi entreprendre au besoin une thérapie psychodynamique qui lui permettra de mieux comprendre l’origine de ses problèmes. Cette séquence n’est qu’un exemple parmi tant d’autres et non une règle : la personne pourrait tout aussi bien commencer par une thérapie psychodynamique, et sur les conseils de son thérapeute, prendre un peu de médication ou faire parallèlement une thérapie comportementale. Elle pourrait aussi être hospitalisée, médicamentée puis joindre une thérapie de groupe. Vous constaterez en lisant ce livre que les approches d’intervention sont variées, d’où l’importance de changer d’option si la première ne convient pas.

    Toutefois, comme nous le soulignions plus haut, plusieurs hésitent à consulter des spécialistes de la santé mentale. Les raisons en sont complexes et souvent, de nature tout à fait personnelle. C’est à l’intention de ces personnes, ainsi qu’à celle de leur famille et amis, que nous proposons dans chaque chapitre une section intitulée « Comment aider une personne aux prises avec un tel problème ». Cette information ne remplace pas plus une thérapie qu’elle ne donne des recettes permettant l’autoguérison. En revanche, elle donne des conseils pratiques, qui visent à encourager la personne touchée par la maladie mentale, d’entreprendre une démarche auprès d’un professionnel, au lieu de continuer à vivre avec une souffrance. Cette section donne également quelques pistes au niveau de la prévention, même si, actuellement, ces mesures sont insuffisantes dans certains cas. De plus, elle offre des suggestions qui permettront de prévenir ou d’atténuer les rechutes, et aussi d’encourager la personne souffrante et son entourage à garder espoir.

    Nous croyons que l’originalité de ce livre réside dans l’objectif que s’était fixé les auteurs, à savoir démystifier la maladie mentale, expliquer clairement sa nature et ses causes, donner espoir à la personne touchée ainsi qu’à sa famille et rappeler qu’une guérison, sinon l’atténuation des symptômes, est possible. Encore faut-il d’abord connaître le problème, le voir avec lucidité et enfin, accepter de se faire aider.


    1 Stewart, P., Lips, T. Lakaski, C. & Upshall, P. (2002). « Rapport sur les maladies mentales au Canada » Ottawa : Santé Canada

    Chapitre 1

    Évolution et particularités

    socioculturelles relatives au normal

    et au pathologique

    Dr Emmanuel HABIMANA, Ph. D.

    Charlotte CAZABON, M.A.

    Introduction

    Le premier traité de psychiatrie ne date pas d’hier : il remonte à 1896. Emil Kraepelin¹, par l’observation systématique de ses patients, y décrit 32 troubles mentaux dont les principaux sont : la démence précoce (que Eugen Bleuler appellera en 1911 la schizophrénie), la psychose maniaco-dépressive, la paranoïa, les troubles délirants, les troubles mentaux organiques et plusieurs troubles appelés « névroses »². Depuis la classification pionnière de Kraepelin, on a assisté à une variété de classifications des troubles, notamment en France, en Allemagne et aux États-Unis. Mais les grandes entités restent presque identiques et ce, dans le respect du regroupement opéré par Kraepelin, qui ressort comme un repère incontournable.

    C’est en 1952 que l’American Psychiatric Association³ publie son Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders⁴ dans la continuité de la classification établie par Kraepelin. Depuis, le DSM sert de référence aux chercheurs et aux cliniciens du monde entier. C’est dire combien Kraepelin, le père de la psychiatrie moderne, a une influence internationale et toujours prépondérante.

    Malgré ce consensus apparent en ce qui a trait à la façon de classifier les troubles mentaux, des incertitudes subsistent quant à ce qu’on peut véritablement qualifier de trouble psychologique. En effet, en 40 ans, le nombre des troubles mentaux a augmenté de près de 400 %, passant de 106 en 1952 dans le DSM I à plus de 400 troubles dans le DSM IV-TR⁵. Plus étonnant encore, en moins d’un quart de siècle, le DSM a subi quatre révisions majeures : le DSM III en 1980, puis le DSM III-R en 1987, le DSM IV en 1994 et finalement le DSM IV-TR en 2000. Cette dernière édition est d’ailleurs en cours de révision et la sortie du DSM V est prévue en mai 2013.

    Chaque édition aborde un nombre de troubles de plus en plus élevé : des troubles apparaissent, d’autres disparaissent sans qu’il y ait nécessairementde bases scientifiques pour expliquer, justifier ou valider de telles démarches. Et durant cette période, combien de personnes considérées comme malades ont-elles été médicamentées, hospitalisées, stigmatisées, voire privées de certains droits ?

    L’homosexualité en est un bon exemple : jusqu’en 1973, elle est considérée comme une maladie, voire un crime. Parmi les traitements proposés pour soigner cette « perversion », comme on l’appelait à l’époque, se trouvent les privations de nourriture, l’hypnose, les cures de désintoxication, les vomitifs, diverses immobilisations physiques, l’enfermement, l’injection d’hormones mâles pour retrouver la masculinité, les électrochocs, la castration et la lobotomie⁶. Durant la Seconde Guerre mondiale, plus de 300 000 homosexuels sont internés dans des camps de concentration nazis et restent emprisonnés, même après la Libération. Encore aujourd’hui, l’homosexualité est passible de peine capitale dans certains pays.

    Mais ces révisions du DSM et leurs répercussions ne touchent pas que l’homosexualité comme le démontrent les deux exemples qui suivent. Il n’y a pas si longtemps, un jeune qui n’obéissait pas à ses parents et aux adultes ou qui contestait les ordres reçus était qualifié d’indiscipliné, ou de rebelle. Aujourd’hui, ce même jeune reçoit presque systématiquement le diagnostic de trouble oppositionnel. De la même façon, si un enfant dérange plus que le reste de la classe, il peut recevoir un diagnostic de trouble d’hyperactivité. De fait, de 3 à 5 % des garçons et jusqu’à 10 % des enfants des milieux défavorisés doivent, dès l’école primaire, prendre du RitalinMD pour « contrôler » leur hyperactivité⁷. La prescription des psychostimulants augmente considérablement en Amérique du Nord alors qu’en France, et dans les pays scandinaves, les conditions de prescription sont strictes et parfois interdites à l’extérieur d’un cadre hospitalier. En fait, un enfant peut avoir quelques symptômes sans pour autant avoir le trouble d’hyperactivité. Ceci est d’ailleurs vrai pour d’autres troubles comme la dépression ou l’anxiété.

    Ces exemples nous éclairent sur trois réalités différentes en ce qui a trait à la maladie mentale et sur ses classifications :

    les considérations entourant un trouble peuvent évoluer à travers l’histoire, c’est-à-dire qu’un comportement peut être considéré comme pathologique à un moment donné, puis comme normal ultérieurement et vice-versa et ce, au sein d’une même culture ;

    une manifestation peut être considérée comme normale dans une culture (c’est le cas actuellement de l’homosexualité dans la plupart des pays occidentaux) et pathologique dans d’autres cultures ;

    l’exemple de l’hyperactivité cité plus haut montre bien que même si un trouble est reconnu dans des cultures présentant des similarités (et c’est le cas du Québec et de la France), le diagnostic et le traitement de ce trouble peuvent varier en fonction des différences culturelles⁸. Par conséquent, si on peut observer des différences aussi importantes entre le Québec et la France pour un trouble donné, on peut imaginer les perceptions fort différentes entre l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Asie ou l’Afrique par rapport à une multitude de comportements et de manifestations psychologiques. On doit donc se garder de juger les autres sociétés en fonction de nos schèmes de référence, car, ce qu’on croit normal dans sa propre société peut être perçu comme anormal, voire bizarre ou pathologique dans une autre culture. Cela va de l’éducation des enfants à la consommation de l’alcool ou des drogues aux pratiques et aux tolérances sexuelles.

    Dans ce chapitre, nous allons explorer en profondeur ces dimensions, questionner le concept de la normalité, comprendre les critères éventuels qui peuvent déterminer ce qui est normal ou pathologique et ainsi définir ce qu’est un trouble mental. De plus, nous constaterons que ceux qui nous ont précédés ont dû tenir compte de considérations multiples, tant au niveau religieux, social, politique que culturel.

    D’hier à aujourd’hui : histoire de la psychopathologie

    Quatre périodes ont marqué l’histoire de la psychopathologie en Occident : l’époque de la démonologie, de la somatogenèse, de la sorcellerie et enfin la période moderne caractérisée par les théories d’interaction entre les modèles biopsychosociaux.

    DÉMONOLOGIE ET TROUBLES MENTAUX

    Les anciens Babyloniens croyaient qu’un démon spécifique était assigné à chaque maladie, croyance que l’on retrouve également chez les Chinois, les Égyptiens, les Grecs et les Hébreux de l’époque. Ces différents peuples pensaient que toute déviance était attribuable à la possession par les mauvais esprits. Le traitement consistait à exorciser les démons au moyen de prières et de rites particuliers : fumigations, boissons amères, flagellation. Dans certains cas, on affamait le malade afin que son corps affaibli devienne inhabitable par les démons⁹.

    HIPPOCRATE ET LA SOMATOGENÈSE

    Au Ve siècle avant Jésus Christ, Hippocrate (460-377) sépare la médecine de la magie et des superstitions et rejette la thèse des maladies envoyées par les esprits. Il considérait le cerveau comme l’organe de la conscience, de la vie intellectuelle et des émotions. Selon lui, lorsque les comportements étaient déviants ou quand la pensée était erronée, c’était un signe que le cerveau était malade. Il est par conséquent le père de la somatogenèse, théorie selon laquelle on observe des perturbations de la pensée ou du comportement lorsque le soma (c’est-à-dire le corps) est malade. Il est aussi considéré comme le père de la médecine.

    Encore aujourd’hui, tous les nouveaux médecins doivent prêter serment, ce qui représente un rite de passage du statut d’étudiant à celui de médecin. Ce serment, appelé le serment d'Hippocrate est une déclaration qui engage officiellement le jeune médecin à respecter le code déontologique de la profession médicale. On doit à Hippocrate la première classification des maladies mentales qu’il regroupe en trois catégories à savoir la manie, la mélancolie et la fièvre nerveuse. Selon lui, la maladie mentale découle de causes naturelles et peut être guérie comme toute autre maladie telle que le rhume ou la constipation. Pour la mélancolie, par exemple, il prescrivait la tranquillité et la sobriété, une saine alimentation, de même que l’abstinence sexuelle. Ce régime devait donner de la force au cerveau malade et au corps. De plus, il reconnaissait que l’environnement et le stress émotionnel pouvaient causer des dommages au corps et à l’esprit, ce qui fut confirmé des centaines d’années plus tard par d’autres penseurs et chercheurs.

    Comme il croyait aux causes naturelles et non surnaturelles de la maladie, il se fiait à ses observations et devint ainsi un excellent clinicien. À partir de ses enseignements, la maladie mentale devient une discipline médicale et échappa pour un temps à la mainmise de prêtres ou de guérisseurs.

    RETOUR À LA DÉMONOLOGIE ET À LA SORCELLERIE

    La pensée d’Hippocrate est acceptée par d’autres Grecs célèbres, notamment par Platon, Aristote et plus particulièrement par Galien (131-200). Hippocrate est aussi admiré par les Romains, qui adoptent sa vision de la médecine. La mort de Claude Galien marque le retour à la démonologie qui se manifesta graduellement avec le déclin de l’empire romain. La décadence de Rome fit de l’Église catholique romaine la principale force unificatrice de l’Europe, notamment auprès des monarchies régnantes.

    Durant toute la période du Moyen Âge (476-1450) qui dura près de mille ans, les Églises eurent de nouveau l’influence, notamment dans l’enseignement, la culture et les soins de santé. Appelés au chevet du malade, les moines avaient recours à la prière, aux reliques, aux potions magiques ainsi qu’à l’exorcisme pour chasser les mauvais esprits. Quand l’exorcisme échouait, une autre méthode utilisée consistait à rendre le corps du possédé inhabitable par les forces du mal. On pouvait entre autres suspendre le « possédé » au-dessus d’une fosse remplie de serpents venimeux afin d’effrayer les mauvais esprits. Cette pratique produisait parfois de bons résultats car certains malades voyaient leurs symptômes régresser, ce qui renforçait l’hypothèse de la possession qu’avançaient les guérisseurs¹⁰.

    Si, antérieurement, les personnes ayant des croyances religieuses considéraient Dieu comme le seul être puissant, elles en arrivent graduellement à considérer le diable comme l’égal, mais l’opposé de Dieu. Ainsi, selon les croyances de l’époque, certains recouraient à des pactes avec Satan afin d’obtenir sa puissance. L’Église se sentit donc menacée et dès 1252 institua l’Inquisition. Les hérétiques étaient traînés devant les tribunaux ecclésiastiques où des confessions publiques étaient orchestrées. Au nom de l’Église et de sa Sainteté le Pape, les inquisiteurs étaient autorisés à utiliser la torture pour obtenir des confessions et des dénonciations d’autres hérétiques.

    En 1484, le Pape Innocent VIII exhorta le clergé européen à remuer, s’il le fallait, toutes les pierres à la recherche des sorciers. À la demande du Pape, un guide le « Malleus Maleficarum » ou le « Marteau des sorcières » fut élaboré par deux Dominicains pour mieux chasser les sorciers. Parmi les signes permettant de détecter les sorciers, on mentionnait l’insensibilité de certaines régions du corps, qui devait être la marque de la griffe du diable laissée lors du pacte avec celui-ci. Or, la perte de sensibilité (tactile, kinesthésique, visuelle, auditive) est un symptôme fréquent dans les troubles somatoformes, aussi connus sous le terme « hystérie ». L’hystérie étant considérée comme un trouble que l’on retrouvait essentiellement chez les femmes, elles furent nombreuses à avoir été accusées d’être sorcières et de faire commerce avec le diable dès qu’elles souffraient d’un trouble somatoforme. Mais le signe le plus évident de possession diabolique était la perte de la raison. Le bûcher était alors la seule méthode efficace pour libérer le (la) possédé(e) du diable qui avait emprise sur le sujet. Certes le corps (mortel issu de la poussière) était sacrifié, mais l’âme (immortelle) avait ainsi la chance d’être sauvée.

    LE DÉVELOPPEMENT DES MODÈLES BIOPSYCHOSOCIAUX

    À la fin du 15e siècle, alors que la lèpre décline, les malades mentaux, les mendiants et les itinérants sont placés dans les anciennes léproseries. On assiste alors à la naissance des asiles. Bien que le malade ne soit plus accusé d’avoir fait commerce avec le diable, sa place reste marginale dans la société. Dans ces asiles, aussi appelés « maisons des fous », les malades étaient enchaînés sur des lits de fortune, mangeaient par terre et croupissaient dans leurs excréments. Certains asiles étaient comme des zoos humains et le public pouvait acheter des tickets pour observer cette déchéance humaine.

    C’est dans la première ville colonisée d’Amérique du Nord, Québec (1608), que s’ouvrit en 1639 le premier asile, l’Hôtel Dieu. Cette institution psychiatrique, fondée par la Duchesse d'Aiguillon (1604-1675), une nièce du Cardinal Richelieu, prenait en charge les malades mentaux alors que dans l’Amérique de l’époque, ils étaient encore laissés pour compte.

    Mais ce n’est qu’au 18e et au 19e siècle, notamment avec Jean-Baptiste Pussin (1745-1811) et Philippe Pinel (1745-1826) que le sort des malades mentaux s’améliore. Ils pensaient que si les malades étaient traités avec dignité et gentillesse, il n’y avait aucun besoin de les enchaîner et que leur condition pouvait s’améliorer. À La Bicêtre, dans la banlieue parisienne, Pinel transforma l’hôpital en un lieu humain, avec des chambres propres et bien aérées. Mais ce qui définit avant tout son approche est le fait qu’il passait des heures à parler avec les malades, convaincu que l’accueil, l’ouverture et l’empathie pouvaient les aider à améliorer leur état. Cette manière philosophique et humaniste de soigner les malades reçut le nom de « traitement moral ».

    Un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, le traitement moral fut à l’honneur. Mais, très vite, les ressources matérielles et humaines firent défaut, le nombre de malades augmente et les conditions de ces derniers se détériorèrent de nouveau jusqu’au milieu du 20e siècle¹¹. Néanmoins, le mouvement amorcé par Pinel eut un impact positif, aussi bien auprès des cliniciens que des chercheurs. Emil Kraepelin, notamment, montra la voie de ce qui allait désormais être le modèle médical en affirmant que les comportements anormaux étaient dus aux dysfonctionnements biologiques et non déclenchés par les forces du mal.

    Parallèlement au modèle médical, différents modèles psychologiques évoluent. Jean-Martin Charcot (1825-1893) développa l’hypnose, une technique permettant de traiter l’hystérie alors qu’un de ses célèbres disciples, Sigmund Freud (1856-1939) inventa la psychanalyse. Freud est de loin le penseur qui a le plus influencé les sciences humaines modernes, que ce soit la psychologie, la psychiatrie, l’ethnologie ou l’anthropologie. Même l’histoire, la sociologie, les sciences politiques et la peinture se sont inspirées de la psychanalyse freudienne pour mieux comprendre l’être humain.

    Pendant ce temps, d’autres courants voient le jour, à savoir les théories biologiques, l’approche psychologique et le modèle socioculturel. Alors que les théories biologiques situent l’origine des troubles dans la transmission génétique ou dans les dysfonctionnements hormonaux (le syndrome prémenstruel, la dépression reliée à la ménopause ou à l’andropause, etc.), la psychanalyse met l’accent sur les forces et les faiblesses du moi ou sur le rôle des parents (une mère envahissante ou un père absent ou abusif, etc.) pour expliquer la genèse des troubles psychologiques. Le modèle socioculturel, quant à lui, situe l’origine des troubles psychologiques dans la désorganisation sociale. Ainsi, divers facteurs sociaux comme la pauvreté, la mauvaise distribution des richesses, le chômage, les mauvaises conditions de travail, la compétition professionnelle, l’exclusion sociale, la discrimination raciale, sexuelle ou religieuse, l’oppression politique, l’isolement dans les grandes villes, l’individualisme, le divorce et plusieurs autres facteurs sont, selon les auteurs d’orientation sociale, à l’origine des troubles mentaux ou des déviances sociales.

    Chacune de ces théories a ses limites mais, puisqu’elles se complètent plus qu’elles ne se contredisent, on a l’habitude de les regrouper pour parler de modèle bio-psycho-social. Cette approche a l’avantage de démontrer qu’il y a très souvent une interaction entre les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Ainsi, selon ce modèle, la probabilité qu’un individu soit aux prises avec un trouble mental augmente considérablement s’il a une prédisposition biologique, s’il présente une vulnérabilité psychologique et si, en plus, il manque de soutien social.

    Malgré cette évolution des pensées, les croyances préscientifiques et les superstitions subsistent, non seulement dans les pays du Tiers monde, mais aussi en Occident : que l’on pense à l’astrologie ou à l’exorcisme, toujours pratiqué par certains prêtres catholiques pour chasser les démons chez les personnes qui, en apparence, souffrent plus de schizophrénie que de possession !

    Au Québec, par exemple, les astrologues ont bonne cote. Non seulement apparaissent-ils régulièrement à la télévision, mais aussi leurs ouvrages se vendent bien en librairie au même titre que ceux de psychologie populaire. Par ailleurs, des personnes pourtant fort éduquées se font régulièrement tirer les cartes et les diseuses de bonne aventure offrent régulièrement leurs opinions et leurs prévisions à la télévision. De plus, l’horoscope se retrouve quotidiennement dans les journaux, à côté des nouvelles boursières.

    Ce survol historique permet de démontrer tous les tâtonnements, toute l’ambiguïté, tous les débats qu’ont eus les sages, les philosophes, l’Église et les scientifiques avant d’arriver à expliquer le phénomène du dysfonctionnement psychologique tel que nous le connaissons aujourd’hui. En revanche, la prolifération des diagnostics et les multiples révisions des manuels de classification est une preuve qu’encore aujourd’hui, on ne peut toujours pas se prononcer avec certitude sur ce qui est normal, déviant ou pathologique.

    Le normal et le pathologique en psychologie

    CONTEXTE SOCIAL, CULTUREL ET EXPRESSION DE LA MALADIE

    Évaluer, autant le bien-être psychologique que la maladie mentale, exige non seulement des connaissances mais aussi de la souplesse et des nuances. En effet, comme on le verra dans les différents chapitres qui suivent, ce qui est considéré comme « symptômes psychopathologiques » peut se retrouver chez un individu tout à fait normal alors que certaines manifestations couramment associées à la psychose peuvent être normales dans des contextes particuliers. En état de fatigue extrême, par exemple, on peut avoir des visions ou entendre des sons étranges sans que l’on puisse pour autant parler de psychose. Plus fréquents encore sont les états dépressifs ou anxieux ressentis lorsqu’on est triste ou préoccupé par des situations particulières. On peut même aller jusqu’à dire que selon le contexte, la normalité peut être définie par le fait de ressentir ces états morbides alors qu’il serait anormal de ne pas les ressentir. À la suite de la mort d’un être cher, par exemple, ce qui est normal est de vivre cette perte en acceptant la tristesse, l’affaissement et la souffrance qu’elle occasionne. Inversement, ce serait considéré comme bizarre, voire anormal si la perte d’un être aimé laissait indifférent.

    Contrairement à la croyance populaire, l’anxiété peut être souvent bénéfique. Dans certaines circonstances, ne pas la ressentir pourrait même être fort inquiétant. Par exemple, lorsqu’un étudiant ne se fait pas de soucis pour ses examens, il n’est pas rare qu’il échoue. L’anxiété modérée pousse en effet à la prudence, à l’épargne, à la performance alors que le manque d’anxiété peut conduire à l’imprudence et aux accidents, au gaspillage ou aux échecs. En revanche, si des états anxieux ou dépressifs peuvent être normaux lorsque les circonstances le justifient, il en est autrement lorsque ces états persistent longtemps ou s’ils surviennent sans aucune raison apparente. Bon nombre d’entre nous connaissons des gens qui ne peuvent pas prendre le métro, les ascenseurs ou qui ont une peur anormale des souris ou des araignées. Ce sont certes des troubles anxieux mineurs, mais qui peuvent, chez certaines personnes, diminuer leur capacité à jouir de la vie. Par contre, chez d’autres, ces mêmes peurs ne semblent en rien affecter leur fonctionnement.

    Ces différents exemples montrent bien comment il est difficile de déterminer avec précision et certitude s’il y a présence d’un trouble véritable ou encore, d’avoir un consensus sur le concept de « normalité ». À ce sujet, il existe deux courants. Pour les uns, qu’on peut qualifier de relativistes ou de culturalistes, les symptômes d'un désordre varient d'une culture à une autre. Mais pour d’autres, qu’on qualifie d’absolutistes ou d’universalistes, les troubles mentaux sont causés par les mêmes facteurs biologiques, quelle que soit la culture. Ce deuxième courant est appuyé par un argument non négligeable : le fait qu’une médication particulière atténue les symptômes chez les sujets présentant un même trouble. Par exemple, les neuroleptiques diminuent les délires et les hallucinations chez les patients souffrant de schizophrénie, peu importe l’endroit où ils vivent sur la planète. Le même phénomène s’observe avec les antidépresseurs dans le traitement des troubles dépressifs. Ces médicaments sont effectivement utilisés dans tous les hôpitaux psychiatriques du monde pour soulager les états dépressifs.

    Par contre, selon l’origine ethnique, les symptômes pour un même trouble peuvent se présenter de façon différente ou les troubles peuvent évoluer différemment. En Occident, par exemple, la dépression s’accompagne souvent de symptômes d’indignité, de culpabilité et de faible estime de soi alors qu’en Afrique et en Asie, elle s’accompagne plutôt de maux de ventre, de fatigue, de céphalées et de diverses somatisations. Pour ce qui est de l’évolution des troubles, la schizophrénie évolue fréquemment vers la chronicité en Occident alors qu’en Afrique, du fait d’une prise en charge sociale constante et d’une solidarité familiale plus soutenue, elle est généralement brève¹². Même la médication produit des réactions différentes sur l’organisme d’un individu et ce, en fonction de son origine ethnique¹³. Toutefois, indépendamment de la culture, il existe des critères généraux sur lesquels on peut s’appuyer pour juger si une manifestation est normale ou pas.

    Critères pour déterminer ce qui constitue la psychopathologie

    Plusieurs critères permettent d’évaluer si un comportement est anormal ou non. La présence d’un grand nombre de ces critères augmente la probabilité d’un fonctionnement anormal alors que si le nombre est restreint, la prudence s’impose¹⁴.

    LE COMPORTEMENT EST SOCIALEMENT INACCEPTABLE OU TRANSGRESSE LES NORMES SOCIALES

    Cet indice est le critère par excellence pour définir l’anormalité. Par contre, il présente une difficulté : chaque culture a ses propres critères pour déterminer ses normes sociales, sans compter qu’un comportement, quoique prohibé par la dite société, peut être encouragé dans certains contextes. Par exemple, il est interdit de tuer mais on admire les militaires qui ont infligé le plus de pertes humaines à l’ennemi. On produit, on fait la promotion et on regarde des films qui comportent des dizaines de meurtres et ce, pour se détendre. Dans certains sports comme la boxe ou la lutte, on encourage les lutteurs à s’entre-tuer, en autant que les coups portés à l’adversaire respectent les règles de ce sport. Une personne issue d’une culture qui prône d’autres valeurs trouverait ces situations étranges, voire contradictoires, alors qu’elles sont tout à fait normales pour la personne qui vit dans une telle société. En fait, tous les membres d’une culture ou d’une sous culture doivent adopter consciemment ou inconsciemment les valeurs de cette dernière sans quoi, ils risqueraient d’être exclus ou marginalisés par leur communauté.

    Mais chaque société propose à ses membres des « modèles d’inconduite ». Cette notion, avancée dans les années 30 par l’anthropologue américain Ralph Linton, fut reprise plus tard par Devereux¹⁵. Selon ces auteurs, les sociétés sanctionnent les déviances, mais lorsque le nombre de personnes déviantes est trop élevé ou si un sous-groupe déviant fait trop de pression pour se rebeller contre les directives et les attentes sociales, les sociétés sont forcées de tolérer certains comportements mais, à certaines conditions. Il faut comprendre qu’aucune société n’encourage ouvertement ses sujets à la déviance, mais en même temps, c’est comme si elle leur disait : « Si tu n’es pas capable de respecter les normes sociales, transgresse-les de cette façon, mais non de telle ou telle autre façon ! ». On n’a qu’à penser aux modèles d’inconduite que la famille, l’école ou les médias offrent aujourd’hui aux adolescents : de la consommation de substances aux conduites sexuelles en passant par l’habillement, la société tolère de plus en plus ce qui était inacceptable il n’y a encore pas si longtemps.

    En revanche, elle maintient certaines balises. Par exemple, plusieurs parents acceptent désormais que leurs adolescents aient entre eux des rapports sexuels plus précocement mais ils interdisent de tels rapports entre adolescents et adultes. Et si une grossesse devait survenir, les parents peuvent accompagner leurs adolescentes dans les cliniques d’avortement, acte qui, jusqu’à tout récemment (et encore dans maints pays), était un crime. Par contre, pour la majorité des parents, tout comme pour l’école et la société en général, l’avortement ne serait pas aussi bien toléré après le premier trimestre (voire illégal dans plusieurs pays d’Europe après la 12e ou la 14e semaine d’aménorrhée) mais il reste une dernière alternative en cas d’échec de la contraception (ou en l’absence de cette dernière) et non une incitation sociale à interrompre une grossesse.

    Ces exemples permettent d’illustrer que la société limite et encadre certaines formes de déviances et amnistie tous ceux qui s’écartent des normes sociales en autant qu’ils restent à l’intérieur des déviances tolérables. Ainsi, les troubles à caractère sexuel (comme ceux que l’on retrouve au chapitre 8) et les pratiques sexuelles en général, ne peuvent être abordés à l’extérieur de leur contexte social, culturel et religieux. D’ailleurs, que proposent les sociétés qui adoptent et prescrivent la monogamie à ceux et celles qui ne peuvent pas contenir leurs pulsions sexuelles ? Si un individu est incapable de rester chaste, fidèle ou monogame, plusieurs possibilités s’offrent à lui : il y a la drague (tout en respectant la marge entre la séduction et le harcèlement sexuel), les unions maritales en série (mariage et remariage à répétition) ou les relations extra maritales. Nonobstant la monogamie que prône l’Occident, le pourcentage de personnes mariées qui avouent avoir ou avoir eu des relations extraconjugales est assez élevé : certaines études estiment qu’entre 50 et 66 % des hommes mariés ont eu au moins une aventure, alors que les estimations varient de 33 et 50 % des femmes mariées¹⁶.

    Un autre exemple est la prostitution. Bien qu’elle soit théoriquement défendue par la société, des lois la protègent puisque des permis sont donnés aux agences d’escorte et des débats sont régulièrement ouverts afin de déterminer si la prostitution devrait ou non être libéralisée, légalisée ou tout simplement bannie. Graduellement, la société continue d’élargir les formes de « modèles d’inconduite » (dont font partie les exutoires). Ainsi, aujourd’hui, on trouve de plus en plus de films et de jeux électroniques pornographiques, d’établissements de danseurs et danseuses nus ou d’endroits où l’on peut pratiquer l’échangisme (légal au Canada depuis 2005). Mais au-delà de cette permissivité, la pornographie dite « hard » continue d’être considérée comme une perversion sexuelle alors que la pornographie infantile est quant à elle criminalisée. Comme on peut le constater, ces exceptions sont des balises implicites qu’offre la société occidentale à l’intérieur de ces déviances tolérables. Lorsque l’individu les dépasse, il se retrouve dans la marginalité, l’illégalité, la pathologie ou la criminalité. Ces exemples permettent de mieux comprendre pourquoi certaines sociétés peuvent criminaliser la plupart des exutoires sexuels pourtant permis, voire banalisés en Occident. Toutefois, avec la mondialisation et le tourisme, la prostitution, et d’autres formes d’exutoires, gagnent tranquillement les villes du monde entier, même s’ils demeurent encore quasi inexistants dans certains milieux ruraux éloignés.

    D’autres exemples à citer sont ceux reliés à la nudité et à la violence. Aujourd’hui, aussi bien dans les films de guerre et d’actions que dans les mégas productions cinématographiques occidentales, on retrouve maintes scènes de nudité et de violence. Les premiers films qui ont osé présenter de telles scènes étaient fortement désavoués et censurés. Mais très vite, il a fallu lâcher du lest et abandonner la censure puisque non seulement cette dernière faisait-elle indirectement de la publicité mais, paradoxalement, plus de gens cherchaient à voir ces films, souvent dans des salles clandestines. De plus, puisque les études se contredisent sur les rapports entre le visionnement de films et la déviance comportementale ou sexuelle, la censure n’a plus de raison d’être.

    En ce qui concerne les films de guerre ou d’actions, on a aussi graduellement revu à la baisse la censure à un point tel qu’aujourd’hui, nous sommes inondés de films violents et ce, à toute heure de la journée. De nouveau, malgré les liens que certains font entre la violence à la télévision et la violence dans nos grandes villes, on peut aussi voir dans ces productions un exutoire plutôt qu’une incitation à la violence.

    Il peut paraître invraisemblable, voire choquant et indécent que la société semble proposer elle-même de telles formes de déviances. En réalité, la société sévit contre toutes les formes de déviance mais lorsqu’elle est dépassée, elle se voit contrainte de faire preuve de souplesse et de tolérance, sans quoi, elle serait obligée de surveiller constamment ses membres et de traîner chaque fois devant les tribunaux les plus récalcitrants. Dans un pays comme le Canada où la vie privée et les droits individuels sont sacrés, on peut comprendre que pour l’intérêt de l’ordre public, il est préférable d’avoir une certaine ouverture d’esprit, en autant que cette tolérance ne vienne pas perturber l’ordre public. La société compte ainsi sur la sagesse et la maturité de ses citoyens en souhaitant que les individus usent, ou plutôt « abusent » de ces déviances avec discernement. Elle espère aussi que ces déviances se fassent dans la discrétion et la modération, tout en protégeant les membres les plus pudiques ou plus réservés, particulièrement les enfants.

    Trois explications permettent de clarifier cette contradiction sociale que sont les exutoires. Tout d’abord, une société accepte une déviance ou un exutoire dans la mesure où il n’affecte pas directement la santé des personnes qui s’y adonnent de façon modérée. Dans ce sens, l’exutoire a pour fonction de laisser s’exprimer des fantasmes sociaux, à l’instar d’une caricature, plutôt que d’extérioriser une réalité sociale. Par exemple, si on peut aujourd’hui permettre à nos enfants de « tuer » autant d’ennemis dans les jeux vidéo et de les amener voir des monstres s’entredéchirer au cinéma, c’est parce que nous vivons dans une société pacifique où la violence est le propre d’un petit groupe de marginaux. Ces jeux de violence servent donc à évacuer nos fantasmes de violence, sans pour autant qu’il y ait de passage à l’acte. Mais si l’on censure la violence sexuelle et la pornographie infantile, c’est parce qu’elles demeurent de tristes réalités dans notre société et affectent depuis longtemps la santé de ceux et celles qui en sont victimes. Selon les déclarations, près d’une femme sur quatre est encore aujourd’hui victime d’abus sexuel et la pornographie infantile, fortement exploitée par des réseaux clandestins de pédophilie, demeure l’un des grands fléaux des sociétés industrialisées.

    Deuxièmement, l’exutoire ne doit pas viser ou léser les droits d’un groupe particulier, notamment d’un groupe minoritaire qui a vécu beaucoup de discrimination au cours de l’histoire ou qui éprouve présentement des difficultés d’insertion sociale. C’est ainsi qu’en Occident, tout écrit qui ridiculiserait ou qui humilierait les Juifs, par exemple, est automatiquement censuré parce que la société garde en mémoire la persécution qu’a vécue ce peuple. De la même façon, les productions artistiques qui cibleraient de façon irrespectueuse les handicapés, les malades mentaux ou tout autre groupe fragilisé seraient vues comme de mauvais goût. Les humoristes qui ne respectent pas cette règle tacite en paient d’ailleurs les frais : les critiques sont sévères à leur endroit et très tôt, la population délaisse leurs spectacles.

    Troisièmement, la société exclut de ses exutoires tout ce qui touche au sacré.

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