Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Accroître le transfert des apprentissages: Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences
Accroître le transfert des apprentissages: Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences
Accroître le transfert des apprentissages: Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences
Ebook679 pages7 hours

Accroître le transfert des apprentissages: Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Depuis plusieurs années déjà, on observe au sein des organisations une tendance à investir dans le développement et le perfectionnement de leur main-d’œuvre. Plusieurs raisons justifient cette décision : mondialisation de l’économie et compétitivité accrue, vieillissement de la population et rareté de la main-d’œuvre qualifiée, introduction de nouvelles technologies et innovations, besoin d’une plus grande flexibilité organisationnelle, etc. Or de nombreuses études démontrent que les investissements en formation sont souvent loin d’engendrer les bénéfices escomptés.

Au nombre des reproches se trouve le faible taux de transfert des apprentissages. Seule une petite portion des connaissances enseignées en formation est réinvestie par les apprenants à leur retour au travail. Ce problème amène les chercheurs et autres spécialistes du sujet à vouloir trouver des réponses aux questions suivantes : Qu’est-ce qui explique le faible taux de transfert ? Quels sont les principaux obstacles au transfert ? Comment peut-on contourner ou réduire leur effet sur le transfert ? Quel est le rôle des divers acteurs dans le processus de transfert ? Quelles actions peuvent maximiser les chances que les apprenants appliquent ce qu’ils ont appris ?

Bien qu’à l’heure actuelle la littérature sur le sujet ne procure que des réponses partielles à ces questions, il n’en demeure pas moins que l’avancement des connaissances dans ce champ d’études a fait des bonds considérables au cours des dernières années. Cet ouvrage offre plusieurs éléments de réponse à ces interrogations en présentant de nouvelles connaissances, pratiques et expériences dont la mise en application pourrait permettre d’accroître les probabilités de réalisation du transfert. Il met l’accent sur trois dimensions reconnues pour avoir une influence sur le transfert des nouveaux apprentissages : les caractéristiques des apprenants, de la formation et de l’environnement de travail.
LanguageFrançais
Release dateMar 27, 2020
ISBN9782760546219
Accroître le transfert des apprentissages: Vers de nouvelles connaissances, pratiques et expériences

Related to Accroître le transfert des apprentissages

Related ebooks

Human Resources & Personnel Management For You

View More

Related articles

Reviews for Accroître le transfert des apprentissages

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Accroître le transfert des apprentissages - Denys Denis

    INTRODUCTION

    La question du transfert des apprentissages est inscrite depuis fort longtemps à l’agenda de chercheurs aussi bien en psychologie, en éducation, en gestion qu’en ergonomie. Pour plusieurs, le transfert permet de tester et de valider les modèles théoriques de l’apprentissage et ceux du rendement humain dans les organisations. C’est dans cet esprit interdisciplinaire – marqué par une volonté d’étudier le transfert des apprentissages sous divers angles à la fois distincts et complémentaires – que s’inscrit le présent ouvrage. Constitué de onze chapitres regroupant la pensée d’un peu plus d’une vingtaine d’auteurs experts en la matière, ce livre aborde les principaux facteurs définis comme jouant un rôle déterminant dans le processus de transfert des apprentissages. Au chapitre introductif – qui positionne le problème et les grands courants de pensée en transfert – viennent se greffer trois ensembles de chapitres couvrant chacun un déterminant connu pour son influence sur la qualité du transfert des apprentissages: l’apprenant, la formation et le formateur ainsi que le contexte ou l’environnement de travail. Un dernier ensemble de chapitres aborde la question essentielle de l’évaluation du transfert.

    Le chapitre introductif de l’ouvrage, et qui sert de prélude aux autres chapitres, a été rédigé par Péters, Vierset, Lafrenière-Carrier, Denis et Lauzier. Il propose un examen parallèle des deux approches du transfert qui s’inscrivent dans deux paradigmes différents, à savoir celui de l’expertise et celui de l’incertitude. De par leur discours, les auteurs abordent les éléments clés qui caractérisent le transfert selon chacun des paradigmes discutés, et ce, tant en pratique qu’en recherche. Les auteurs proposent, entre autres, une zone d’intersection (voire d’enrichissement mutuel) par l’intermédiaire de la notion de réflexivité.

    Une première grappe de chapitres aborde la question du transfert en considérant l’apprenant comme un acteur central du processus par lequel le transfert s’opère. À cet égard, le chapitre de Roussel met en lumière le caractère adaptatif, différencié et multidimensionnel du transfert. L’auteur souligne le rôle primordial de l’apprenant dans la démarche de transfert, notamment à cause des choix qu’il effectue, ces choix étant tributaires de l’utilité perçue des apprentissages réalisés et de leur caractère applicable. Cette perspective est aussi mise en relief dans le chapitre écrit par Bosset et Bourgeois, qui aborde la notion de soutien organisationnel perçu à la formation, ainsi que les mécanismes par lesquels les apprenants réagissent à ce soutien. Leur analyse, qui met en évidence plusieurs cas de figure, permet de reconnaître que les modes de régulation mobilisés par les apprenants médiatisent la relation entre le soutien perçu et la motivation à transférer des apprenants.

    Une seconde grappe de chapitres aborde la question du transfert des apprentissages sous l’angle des caractéristiques de la formation ou de celles du formateur. À ce titre, le chapitre de Jacot, Raemdonck et Frenay s’inscrit dans un contexte de formation dite obligatoire. Les auteures s’intéressent à la mesure dans laquelle la valeur accordée à la formation varie en fonction de la perception de l’obligation d’y participer. Elles proposent, entre autres, que la valeur perçue de la formation et les croyances cognitives qu’entretient l’apprenant à son égard peuvent avoir une incidence sur l’intention de transférer les acquis de la formation une fois celle-ci terminée. Le chapitre de Ouellet souligne quant à lui le rôle de premier plan que peut jouer le formateur dans le processus de transfert. À travers sa réflexion, l’auteure nous amène à remettre en question la possibilité qu’ont les formateurs en milieu de travail d’assumer pleinement ce rôle. S’inscrivant dans une perspective ergonomique, ce chapitre propose une réflexion sur les défis relevés et les difficultés rencontrées par les formateurs dans la mise en œuvre d’activités de formation favorisant le transfert des apprentissages. Le chapitre de Lauzier, Lafrenière-Carrier, Denis et Gonella vient clore ce second volet en traitant de l’utilisation, au profit du transfert, d’une technique bien connue dans le domaine de l’abus de substances (drogues et alcools), soit la prévention des rechutes. Selon l’analyse de ces auteurs, l’application de cette technique en formation n’a produit que des résultats mitigés. Or, ce chapitre propose une révision systématique des études passées, et ce, afin de dresser un portrait clair des applications possibles de la prévention des rechutes comme une des solutions potentielles au problème du transfert des apprentissages.

    Un troisième ensemble de chapitres s’intéresse à l’étude des facteurs environnementaux susceptibles d’influencer le transfert des apprentissages par les apprenants une fois la formation terminée. Le rôle accordé au soutien du supérieur immédiat est abordé dans deux de ces chapitres. Un premier, proposé par Annabi et Lauzier, s’intéresse au soutien du supérieur immédiat au travers d’une analyse des déterminants ou conditions d’influence susceptibles d’accroître l’implication de cet acteur dans le processus de transfert. L’analyse conduite par les auteurs montre que les caractéristiques du supérieur immédiat, le contexte organisationnel dans lequel il opère, la nature de sa relation avec ses subordonnés ainsi que celle avec son supérieur hiérarchique influencent la qualité du soutien qu’il peut offrir. Un second chapitre, écrit par Schoeb, Courcy et Lauzier, présente les résultats d’une méta-analyse visant à documenter la force des liens unissant le soutien du supérieur immédiat aux indices motivationnels et comportementaux des apprenants une fois la formation terminée. Le chapitre de Denis vient clore cette série en proposant une réflexion fondée sur la théorie de la personne en activité pour approfondir le problème du transfert des apprentissages. À partir de cette perspective, l’auteur propose une compréhension plus approfondie des dynamiques de production en milieu de travail et de la manière dont l’activité de travail tend à les résoudre, laquelle pourrait faciliter le transfert résultant de la formation.

    Enfin, une dernière section regroupe des chapitres qui abordent la question du transfert des apprentissages sous l’angle de l’évaluation de la formation. Le premier chapitre de Bouteiller, Cossette et Bleau relate l’histoire du modèle d’évaluation de la formation à quatre niveaux de Donald Kirkpatrick. Les auteurs proposent une lecture de l’évolution historique de ce modèle et de la place qu’y occupe le transfert des apprentissages. Le dernier chapitre de l’ouvrage, écrit par Lauzier, Annabi, Mercier et Des Rochers, s’inscrit dans une perspective quelque peu différente en rappelant le degré auquel les gestionnaires et les autres acteurs de la formation sont souvent démunis le moment venu d’estimer le transfert des apprentissages. Afin de les assister dans leur démarche, les auteurs proposent des guides d’application pratiques destinés à l’établissement d’une stratégie d’évaluation dite indirecte du transfert des apprentissages, en évaluant la présence – chez les apprenants – de conditions bien reconnues pour faciliter le transfert.

    Au vu de ces différents angles et regards, nous nourrissons l’espoir que ces quelques lectures permettront une meilleure compréhension de la problématique du transfert des apprentissages, en dépit de la complexité inhérente qu’elle recèle et des débats d’idées qu’elle suscite. Nous avons la conviction qu’une approche favorisant la collaboration et le foisonnement des diverses perspectives disciplinaires sur le transfert pourra contribuer à mieux en définir les exigences et, ce faisant, à y trouver des solutions pratiques à même d’assurer aux dispositifs de formation de remplir pleinement leur rôle au sein des organisations modernes.

    Analyse comparative et enrichissement entre les conceptions d’«expertise» et d’«incertitude» liées au transfert des apprentissages

    Stéphanie Péters, Viviane Vierset, Benjamin Lafrenière-Carrier, Denys Denis et Martin Lauzier

    L’objectif de ce chapitre est de comparer deux conceptions du transfert en prenant soin de considérer les paradigmes desquels elles découlent, à savoir celui de «l’expertise» et celui de «l’incertitude» (Saint-Arnaud, 2001)¹. La première conception est principalement relayée dans la littérature anglo-saxonne, l’autre dans la littérature francophone. Cela étant, ces façons de concevoir le transfert – tout comme les courants littéraires qui les nourrissent – se croisent peu (voire pas du tout) et font rarement référence l’une à l’autre. Il suffit, par exemple, de consulter les références bibliographiques d’articles appartenant à chacun de ces courants pour le constater. À cet égard, on remarquera entre autres l’absence ou l’omission de citer des publications associant des auteurs de chaque approche.

    Bien plus qu’une barrière linguistique, il s’agit ici de différences importantes sur les plans épistémologique et méthodologique qui contribuent à éloigner ces deux façons de concevoir le transfert des apprentissages. Un rapprochement est-il possible? C’est l’objectif ambitieux que se donne le présent chapitre, soit celui d’exposer les préceptes relatifs aux courants d’études qui animent chacune des conceptions, pour ensuite préciser les zones de rapprochement ainsi que les sources d’enrichissement mutuel dont pourrait bénéficier chacune d’elles. Le tout s’inscrit dans l’idée de permettre une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents au transfert des apprentissages.

    Les deux conceptions seront d’abord illustrées à travers des travaux menés par les auteurs du présent chapitre, ainsi que par ceux réalisés par d’autres chercheurs s’inscrivant dans ces mêmes courants de pensée. Celles-ci sont présentées dans les deux premières sections du texte, de façon à comparer les éléments clés qui les caractérisent, un processus qui culmine par la présentation d’une synthèse offrant une comparaison sur plusieurs aspects fondamentaux. Ensuite, un enrichissement mutuel des deux conceptions est proposé par l’entremise du concept de la réflexivité (Donnay et Charlier, 2008; Pallascio et Lafortune, 2000; Perrenoud, 2005; Schön, 1994), comme façon d’enrichir les pratiques associées au transfert des apprentissages. L’acte réflexif est une forme de dialogue intérieur qu’une personne établit entre son action et sa compréhension, entre autres en portant attention aux facteurs à l’origine de ses comportements. La réflexivité concerne la mise en conscience du processus d’apprentissage et du système de représentation de l’apprenant. Ce passage par la pratique réflexive permet de conscientiser les apprenants aux facteurs personnels et contextuels qui vont influencer (voire conditionner) leurs capacités à transférer. C’est par l’entremise de ce concept que nous proposons d’examiner les efforts déployés par chacune des conceptions à la compréhension des mécanismes sous-jacents au transfert des apprentissages.

    TRANSFERT-EXPERTISE: LE TRANSFERT ENVISAGÉ COMME PORTEUR D’UNE EXPERTISE DÉFINIE

    La conception du transfert selon la logique de l’expertise s’illustre, entre autres, dans la perspective des travaux pionniers menés par Baldwin et Ford (1988), travaux qui depuis leur parution connaissent de nombreux échos dans la littérature sur le sujet (voir Aguinis et Kraiger, 2009; Baldwin, Ford et Blume, 2009; Burke et Hutchins, 2007; Ford et Weissbein, 1997; Grossman et Salas, 2011). Selon cette conception, qui fait figure d’autorité depuis plus de 25 ans, il y a transfert «lorsque les comportements appris en formation sont généralisés au contexte de travail puis maintenus, à l’occasion du travail, pendant une certaine période de temps» (Baldwin et Ford, 1988, p. 63, traduction libre). Encore aujourd’hui, cette définition sert de référence pour un très grand nombre d’auteurs s’intéressant au sujet (Baldwin et al., 2009; Grohmann, Beller et Kauffeld, 2014; Grossman et Salas, 2011; Huang, Ford et Ryan, 2016; Quesada-Pallarès et Gegenfurtner, 2015)² et a inscrit toute une génération de spécialistes de la formation dans une conception cognitive de l’apprentissage et du transfert. Ainsi, toute connaissance représente «un développement acquis dans un contexte spécifique qui peut par la suite être transféré à des tâches dans des contextes différents» (Vagan, 2011, p. 43, traduction libre). Le transfert des apprentissages est un concept théorique qui correspond à l’application d’une unité de connaissance d’un cadre à un autre. À cet égard, certains auteurs (Holton et Baldwin, 2003; Rivard et Lauzier, 2013; Roussel, 2011; Saks et Haccoun, 2013) suggèrent de préciser la notion de transfert selon qu’il est appliqué tel quel à une situation de travail ressemblant fortement à la formation suivie (transfert proximal), en contraste avec les situations où il demande plus d’adaptation, voire d’appropriation de la part de l’apprenant, en raison notamment de différences qui existent entre les contextes de formation et de travail (transfert distal). L’encadré intitulé «Exemple d’un projet de recherche selon la logique du transfert-expertise» résume un projet de recherche s’insérant dans cette conception du transfert et, de ce fait, sert donc de point de référence pour cette première façon de concevoir le transfert des apprentissages.

    Exemple d’un projet de recherche selon la logique du transfert-expertise

    L’ÉTUDE MENÉE PAR PÉTERS (2012) s’inscrit dans la problématique de l’efficacité des formations professionnelles. Elle répond à un besoin croissant des organisations de s’assurer que leurs investissements dans la formation du personnel sont justifiés par un transfert des apprentissages en situation de travail.

    L’objectif de cette étude était de modéliser les répercussions de diverses variables dans le processus de transfert des apprentissages à travers une question comprenant quatre volets: Comment et dans quelle mesure a) la satisfaction; b) l’apprentissage; c) les facteurs liés à la formation; et d) les attitudes au travail ont des répercussions sur le transfert des apprentissages?

    Des données longitudinales ont été récoltées par l’intermédiaire de questionnaires auprès de deux populations de recherche différentes, à savoir: 1) des étudiants de master ayant suivi une formation sur la gestion du stress professionnel (N = 119), et 2) des employés d’une mutualité inscrits dans un plan de formation de leur entreprise (N = 118). Le transfert a été mesuré en termes d’application des acquis de formation, ainsi qu’en termes de performance au travail. Des équations structurelles ont été réalisées pour modéliser les données, ainsi que des tests de médiation en ayant recours à une stratégie de rééchantillonnage (bootstrap).

    Au plan des résultats, quatre constats sont mis en relief. Premièrement, les résultats permettent de reconnaître la contribution des différentes dimensions de la satisfaction: l’une (incluant les dimensions «utilité perçue» et «difficulté perçue» de la formation) conduit au transfert, l’autre (incluant la dimension «amusement perçu» lors de la formation) conduit à l’apprentissage. Ces deux processus sont distincts dans la mesure où l’apprentissage (selon les mesures préconisées dans la présente étude) n’a aucun effet sur le processus de transfert. Deuxièmement, trois variables de l’environnement de travail ont un effet direct sur le transfert, à savoir: a) le coaching de la performance après formation; b) le soutien des collègues vis-à-vis des formations; et c) l’ouverture aux changements portés par la formation (pour laquelle un effet négatif est observé). Troisièmement, les résultats de la présente étude ont aussi permis de relever l’effet majeur de l’architecture pédagogique des formations sur le transfert. Plus les apprenants perçoivent lors de la formation un encouragement et un soutien à l’exploitation des acquis d’apprentissage, plus ils consacreront de l’énergie au transfert. Quatrièmement, concernant les attitudes au travail, les résultats indiquent que tant la satisfaction au travail que l’implication au travail influencent le processus de transfert des apprentissages, dans des proportions similaires, mais de manière opposée (positivement pour le premier, négativement pour le second).

    Ces résultats encouragent à mettre davantage l’accent sur des principes et des techniques pédagogiques pertinentes pour accompagner la personne formée dans l’exploitation de ses apprentissages. Force est d’admettre toutefois que ces outils pédagogiques restent encore trop peu détaillés et étudiés dans la littérature à l’heure actuelle. Par ailleurs, ces résultats soulignent toute l’importance du soutien social dans l’accompagnement au transfert, tant de la part des collègues que de la hiérarchie. Là encore, la littérature reste vague quant à la manière d’envisager et de déployer ce soutien. Enfin, une attention particulière doit être accordée aux changements dont sont porteuses les formations (changements en matière d’outils et de méthodes de travail, et plus largement de philosophie de travail). Les craintes occasionnées par ces changements (par exemple, la perte de l’équilibre trouvé dans son travail, et donc de son implication dans le travail) risquent en effet de nuire à l’utilisation de nouveaux apprentissages, perçus comme menaçants.

    Les motivations sous-jacentes à la conception du transfert-expertise

    Les experts évoluant au sein de l’approche du transfert-expertise justifient généralement la pertinence de s’intéresser à la problématique du transfert des apprentissages à l’aide des mêmes arguments: l’activité de formation doit, aujourd’hui plus que jamais, répondre à des exigences de rentabilité économique et sociale sans précédent (Aguinis et Kraiger, 2009; Blume, Ford, Baldwin et Huang, 2010; Holton et Baldwin, 2003; Salas, Tannenbaum, Kraiger et Smith-Jentsch, 2012). À cet égard, les responsables de formation, et les formateurs eux-mêmes, veillent à présenter leurs interventions comme des investissements, c’est-à-dire des dépenses dont on attend un rendement, voire une plus-value. Ils doivent de plus en plus souvent en rendre compte auprès de leurs dirigeants et de leurs mandataires (Rivard et Lauzier, 2013; Roussel, 2011; Saks et Haccoun, 2013; Salas et al., 2012). La question du transfert des apprentissages, en termes de mobilisation de ces acquis en situation de travail, est donc au cœur de cette conception et de la pensée des acteurs qui l’adoptent. Elle se confond d’ailleurs souvent avec celle de l’amélioration de la performance au travail des personnes formées, pour laquelle certains auteurs proposent des formules permettant de l’exprimer en unité de mesure financière (Dunberry et Péchard, 2007; Phillips, 1983). Un autre argument généralement mis de l’avant par les tenants de cette conception porte sur les taux de transfert observés au moyen de pourcentages. À titre d’exemple, certains auteurs estiment à 20% (Ford et Weissbein, 1997), 40% (Watkins, 1995) ou 62% (Saks et Belcourt, 2006) des acquis de formation réellement exploités par les participants une fois de retour au travail. Selon les plus récentes estimations (Hall et Costman, 2005; Saks et Belcourt, 2006; Watkins, 1995), le temps serait le principal ennemi du transfert, les taux diminuant progressivement au fur et à mesure que passent les semaines et les mois. Or, lorsque l’on considère le coût de cette absence de transfert, généralement considéré par les entreprises comme un gaspillage³, il n’est pas étonnant que la problématique fasse l’objet d’autant d’attention de la part des chercheurs. C’est donc dire que les personnes œuvrant sur la question du transfert, selon la logique de l’expertise, tentent généralement de répondre à des questions telles que a) Quelle est l’efficacité de la formation? b) Comment peut-on l’améliorer ou accroître la mise en application des acquis de formation une fois celle-ci terminée?

    Le couple apprentissage-transfert selon la conception du transfert-expertise

    Pour les tenants de cette conception, l’apprentissage précède le transfert: ce sont deux entités distinctes dans le temps dont la première est nécessaire, mais non suffisante à la seconde (Grossman et Salas, 2011; Huang et al., 2016; Quinones, 1995). Les modèles d’évaluation proposés dans la littérature (par exemple, Holton, 1996; Kirkpatrick, 1998) reposent d’ailleurs sur une distinction nette entre les deux niveaux d’efficacité des formations que sont l’apprentissage et le transfert.

    La force du lien entre apprentissage et transfert varie quant à elle largement d’une étude à l’autre. Par exemple, Blume et ses collaborateurs (2010) observent un lien corrélationnel méta-analytique entre l’apprentissage et le transfert de 0,20, mais avec un écart-type atteignant 0,17. Pour leur part, Gegenfurtner, Veermans, Festner et Gruber (2009) indiquent que la corrélation entre l’apprentissage et la motivation à transférer varie entre 0,08 et 0,40. Les résultats présentés dans l’encadré précédent servant d’exemple sont plus «radicaux» que ceux trouvés dans d’autres études, puisqu’ils expriment une absence de lien entre l’apprentissage et le transfert.

    Compte tenu de la maturité acquise par cette conception du transfert-expertise, il est étonnant de constater que la conceptualisation du lien entre l’apprentissage et le transfert demeure aussi peu étudiée (Péters, 2012). C’est ainsi essentiellement la dimension «application» des apprentissages qui est appréciée, et tout se passe comme si le transfert était davantage défini par sa mesure que par son contenu. En d’autres termes, c’est une définition opérationnelle du transfert qui est proposée où le transfert supplante l’apprentissage en termes d’importance ou de valeur, ce qui conditionne largement les pratiques professionnelles des acteurs de la formation en ce sens.

    La recherche selon la conception du transfert-expertise

    Pour atteindre les objectifs mentionnés précédemment, le raisonnement mis en place dans les études associées à la conception du transfert-expertise vise à mettre en évidence des relations «causales» entre des variables. Dans ce cadre, le transfert est une variable dépendante qui peut être expliquée (voire prédite) par une série de variables indépendantes qui l’affectent positivement ou négativement. Ces déterminants du transfert sont classiquement répertoriés en trois catégories, lesquelles sont bien représentées au sein du modèle de Baldwin et Ford (1988), à savoir: a) les caractéristiques de l’apprenant (c’est-à-dire habileté cognitive, motivation, sentiment d’efficacité personnelle, style d’orientation des buts, etc.); b) les caractéristiques de la formation ou celle du formateur (c’est-à-dire outils pédagogiques, framing, exposition à l’erreur, etc.); et c) les caractéristiques de l’environnement de travail (c’est-à-dire soutien des collègues et du superviseur immédiat, charge de travail, soutien organisationnel perçu, etc.). La liste de ces variables est très étoffée et arrive maintenant à saturation (Cheng et Hampson, 2008). L’objectif de l’approche est quant à lui toujours le même, soit de relever des relations causales objectives entre ces déterminants et le transfert. Force est d’admettre toutefois que cette façon d’étudier la question prête le flanc à certaines critiques du fait que les relations causales sont souvent contrastées, voire parfois même contradictoires; l’amplitude de l’effet d’une variable sur une autre varie fortement d’une étude à l’autre, en passant même parfois par des résultats non significatifs⁴. Et là aussi, malgré la maturité de cette conception, la question de la conceptualisation de ces facteurs est très peu mobilisée pour faire avancer les connaissances et les pratiques de formation sur le sujet. Ainsi:

    >La motivation des apprenants a essentiellement été étudiée comme un construit unique (voire monolithique), alors que l’on sait que la motivation peut revêtir différentes dimensions (Beier et Kanfer, 2009). En outre, peu de cadres conceptuels mettent en évidence les leviers de cette motivation (par exemple, Colquitt, LePine et Noe, 2000; Gegentfurtner et al., 2009; Kontoghiorghes, 2004).

    >Les dimensions qui constituent le climat de transfert varient selon les auteurs (Holton, Bates et Ruona, 2000; Rouiller et Goldstein, 1993), et leurs définitions ne sont que très rarement énoncées. La seule constante concernant le climat de transfert est le rôle majeur et quasi systématique que joue le soutien social, celui des collègues et surtout celui du supérieur immédiat (Burke et Baldwin, 1999; Cromwell et Kolb, 2004; Govaerts et Dochy, 2014; Péters et al., 2014). Mais là aussi, les études ne spécifient pas en quoi consiste ou comment s’exerce ce soutien.

    >Les stratégies pédagogiques (le design pédagogique) précises mises en place par les formateurs pour favoriser le transfert des apprentissages sont peu évoquées. Tout au plus pouvons-nous relever différentes techniques pédagogiques telles que l’établissement d’objectifs (Gist, Bavetta et Stevens, 1990; Rahyuda, Syed et Soltani, 2014), le façonnement comportemental (Lauzier, 2012; Lauzier et Haccoun, 2014), l’utilisation de l’erreur pendant la formation (Keith, 2011; Lorenzet, Salas et Tannenbaum, 2005; Russ-Eft, 2002), les mécanismes d’autorégulation (Morin et Latham, 2000), la prévention des rechutes (Burke et Baldwin, 1999; Hutchins et Burke, 2006; Machin, 2002), le coaching (Olivero, Bane et Kopelman, 1997) et les activités de suivi (Dunlavey, 2009).

    Ce sont donc les principes d’une démarche hypothético-déductive qui caractérisent les travaux réalisés sous le couvert de la conception transfert-expertise. Les perspectives de travail encouragées par les acteurs les plus influents au sein de cette approche, c’est-à-dire l’application des conditions gagnantes sur le plan des stratégies pédagogiques et du climat de transfert (par exemple, Baldwin et al., 2009; Grossman et Salas, 2011; Machin, 2002; Salas et al., 2012; Russ-Eft, 2002), maintiennent d’ailleurs cette orientation. Une autre caractéristique généralement partagée de ces études est l’utilisation de méthodes quantitatives⁵. On constate une utilisation massive de questionnaires, et plus singulièrement un recours à des mesures autorapportées. Par ailleurs, des traitements statistiques de plus en plus complexes sont réalisés pour trouver réponse aux différentes questions de recherche: les analyses linéaires de corrélation ou de régression ont laissé la place à des modèles plus complexes, dont l’ajout de variables médiatrices ou modératrices et des techniques de modélisation plus sophistiquées telles que des analyses multiniveaux.

    Enfin, dans ce type de démarche, il faut souligner que l’expert (que ce soit le chercheur ou le formateur/responsable de formation) tient dans ce cas une place prépondérante: c’est lui qui définit les critères d’appréciation et de mesure de l’apprentissage ou du transfert. La personne formée est en quelque sorte désincarnée, et assimilée à un sujet sinon à un objet de formation. La relation pédagogique peut être alors qualifiée d’asymétrique, reprenant l’image classique du maître et de l’élève où le premier «déverse» ses connaissances et sa vision des choses à l’attention du second, dont le rôle est principalement d’exécuter tel qu’il lui est indiqué.

    Les forces et les limites de la conception du transfert-expertise

    Une lecture rapide des études appartenant à cette approche inviterait à conclure que les formations sont peu efficaces, puisqu’elles permettent certes d’apprendre, mais que la suite ne va pas nécessairement de soi! C’est ce type de lecture qui permet à certains d’avancer que seul un faible pourcentage de ce qui a été appris en formation est réellement mobilisé par la suite, justifiant par là la nécessité de poursuivre les investigations sur le sujet dans l’optique d’améliorer les pratiques de formation au profit du transfert. C’est ce type de lecture aussi qui place les responsables de formation dans un certain inconfort quand il s’agit de justifier le rendement de l’investissement de leur travail. Le transfert des apprentissages est d’ailleurs une dimension très peu évaluée dans la pratique (Dunberry et Péchard, 2007), d’une part par les difficultés inhérentes à sa mesure, et d’autre part, par crainte d’obtenir des résultats relevant un taux de transfert insatisfaisant (Faisandier et Soyer, 2007). Cette mesure du transfert, qui se veut objective et qui dépeint un portrait alarmant du transfert des apprentissages au sein des organisations, doit toutefois être nuancée puisqu’elle n’est pas exempte d’imperfections.

    Les connaissances cumulées dans les rangs de la conception transfert-expertise permettent toutefois d’apporter des nuances dans la lecture du cas illustré précédemment. Ainsi, une absence de transfert observé n’indique pas que la personne en formation n’a rien appris ou n’a rien exploité, mais bien que la «quantité» (variation) de transfert (telle que mesurée dans les études) n’est pas influencée par la «quantité» (variation) d’apprentissages (telle que mesurée dans les études). Autrement dit, une personne ayant appris peu de choses (objectivement ou subjectivement) peut avoir le sentiment de transférer quantité d’apprentissages, voire d’être performante au travail à la suite de la mobilisation de ces apprentissages. À l’inverse, une personne ayant appris énormément (objectivement ou subjectivement) peut avoir le sentiment de transférer peu d’apprentissages, ou de ne pas être performante au travail à la suite de la mobilisation de ces apprentissages. En réalité, ces résultats ne permettent pas d’affirmer que les formations ne sont pas efficaces, ni même que l’acquisition de nouveaux apprentissages est inutile, mais plutôt, et avec beaucoup de modestie, que l’on ne comprend pas ce qu’il se passe entre l’acquisition d’un apprentissage en formation et le retour au travail: qu’est-ce que les personnes font (ou non) de ce qu’elles ont appris en formation?; comment et pourquoi ces apprentissages sont-ils (ou non) mobilisés?; comment ces apprentissages sont-ils ajustés et transformés (ou non) lors des expériences vécues? Nous nous heurtons à ce que certains appellent la «boîte noire» (Bouteiller et Cossette, 2007), cette «chose» qui se passe entre un engagement dans une activité de formation et le retour sur le lieu de travail. Il s’agit là d’un défi majeur pour les futures recherches, au sein même de cette conception, comme l’indiquent Baldwin et al. (2009, p. 63, traduction libre): «nous en savons encore très peu sur ce que les apprenants font, pensent et ressentent […] une fois de retour au travail».

    TRANSFERT-INCERTITUDE: LE TRANSFERT ENVISAGÉ COMME PORTEUR D’INCERTITUDES À DÉFINIR

    Le terme latin transfere signifie «transporter». Pour ce qui concerne le domaine de la psychopédagogie, Develay (1996) rappelle que trans signifie «aller au-delà». Il suggère alors que transférer c’est «porter au-delà». Transférer un apprentissage consisterait alors pour l’apprenant à aller au-delà de ce qu’il a déjà acquis. Cette définition soutient les propos de Presseau (2003, p. 108), qui dit que «transférer c’est faire en sorte que les apprentissages puissent être réutilisés dans de nouveaux contextes, que ce soit pour construire de nouvelles connaissances, développer de nouvelles compétences ou accomplir des tâches inédites». Avec cette idée d’aller au-delà, de chercher plus loin que ce que l’on sait déjà et de s’ouvrir à des perspectives innovantes, il est proposé de sortir de ce qui est prescrit et de ce qui semble a priori évident pour pouvoir fournir une réponse adéquate à une situation problématique inédite.

    Si la notion de transfert reste donc dans ce cadre associée à l’utilisation des apprentissages, la forme que prend la mobilisation de ces apprentissages, qui génèrent à la fois de nouveaux apprentissages et une certaine forme d’application lorsque positionnés en contexte, est fort différente. Sur le sujet, Perrenoud (2005, p. 46) propose la métaphore de la mobilisation de ressources pour définir le processus de transfert:

    […] mobiliser ce n’est pas seulement utiliser ou appliquer, c’est aussi adapter, différencier, intégrer, généraliser ou spécifier, combiner, orchestrer, coordonner, bref conduire un ensemble d’opérations mentales complexes, qui, en les connectant aux situations, transforment les connaissances plutôt qu’elles ne les déplacent.

    Frenay (1994, p. 73) propose également une définition du terme transfert en référence à la notion de mobilisation: «Le transfert renvoie à la capacité qu’a un apprenant de résoudre de nouvelles situations en mobilisant les connaissances acquises antérieurement dans des situations différentes». Les actions concrètes qui traduisent le transfert varient donc fortement d’une situation à l’autre, et le transfert peut même sortir du cadre comportemental.

    Les motivations sous-jacentes à la conception du transfert-incertitude

    L’objectif de cette approche est de faciliter la mobilisation des outils socio-cognitifs-affectifs de l’apprenant (ressources internes) dans le moment même de l’action effectuée (dans le moment de la contextualisation de l’apprentissage) pour les organiser avec les savoirs émergeant au cours de cette action vécue en temps réel (Vierset, 2015) et fournir une réponse adéquate à un problème inédit⁶. À cette fin, un raisonnement compréhensif et inductif (apprentissage par problèmes ou par projets, jeux de rôles, analyse d’incidents critiques, etc.), inspiré de la pédagogie active, est mobilisé dans les formations à visée professionnalisante.

    Dans ce cadre, la formation représente une occasion pour les apprenants de vivre (voire de gérer) une activité «authentique» dans un contexte «authentique» d’apprentissage. Si cette façon de fonctionner facilite l’accès à la mobilisation et à la transformation des connaissances, le processus d’appropriation des connaissances dépendra également du traitement que l’apprenant fera des informations reçues et des perceptions qu’il aura de la tâche à réaliser. Selon Basque (2004, p. 56):

    Les contextualistes soutiennent trois propositions: la cognition est fondamentalement sociale [interactive et s’inscrit dans une matrice socioculturelle qui structure les activités de l’acteur]; elle est répartie [entre l’acteur et la situation telle qu’il se la représente]; le savoir est dynamiquement construit au fil d’ajustements continus du sujet [de l’acteur] en activité.

    Le savoir de l’apprenant se construirait donc en fonction des différents paramètres contextuels relatifs à une situation déterminée, ainsi qu’en fonction de l’interprétation qui émerge au sein des schèmes mentaux de l’apprenant lors de l’exercice proposé. C’est à ce niveau que se construit la recherche du transfert-incertitude, qui vise à comprendre comment offrir de meilleures formations, et surtout des conditions de travail favorisant davantage le développement et le transfert d’apprentissages. De la même façon que pour la section précédente, l’encadré intitulé «Exemple d’un projet de recherche utilisant l’approche du transfert-incertitude» résume un projet de recherche qui peut servir d’exemple et de point de référence pour la suite de cette section.

    Exemple d’un projet de recherche utilisant l’approche du transfert-incertitude

    L’ÉTUDE MENÉE PAR VIERSET (2015) visait à déterminer les effets d’un dispositif professionnalisant intégrant l’exercice du transfert des apprentissages par la pratique réflexive. Ce dispositif est inscrit dans le parcours des stages hospitaliers des étudiants en médecine (troisième année de master en stage à temps plein).

    Cette recherche avait pour principal intérêt de répondre à la question suivante: Comment faciliter l’apprentissage du transfert chez les stagiaires en médecine? Elle visait également à fournir des éléments de réponse aux grappes de sous-questions suivantes: a) Comment donner l’occasion aux stagiaires en médecine de vivre des situations d’apprentissage professionnel authentiques?; Le dispositif installé permet-il cela?; b) Comment inscrire une posture réflexive activant chez l’étudiant le processus de transfert?; Le dispositif installé facilite-t-il ce transfert des apprentissages des stagiaires?; c) Comment sensibiliser les superviseurs de stage à un accompagnement réflexif facilitant la mobilisation des acquis des stagiaires sur les terrains de pratique clinique?; Le dispositif réflexif installé facilite-t-il ce soutien au transfert des apprentissages des stagiaires?

    Afin d’étudier ces quelques questions, une méthodologie mixte alliant à la fois des méthodes propres aux approches qualitatives et quantitatives fut privilégiée. Plus spécifiquement, celle-ci prévoyait: a) l’usage d’un questionnaire standardisé proposé à chaque stagiaire de la même année académique (N = 112 stagiaires sur le site hospitalier) pour connaître la fréquence et la diversité des actions-situations cliniques qu’il a vécues; ainsi que b) le recours à la méthode d’analyse en groupe (Van Campenhoudt, Chaumont et Franssen, 2005) pour approfondir avec deux groupes de stagiaires (2 groupes de 8 stagiaires) les résultats des graphes obtenus par le questionnaire. L’analyse des résultats s’est effectuée en respect des principes de l’approche de la méthodologie de la théorisation enracinée (Guillemette et Luckerhoff, 2012), et ce, afin de déceler les traces réflexives dans les carnets de route clinique (log book) rédigés par les stagiaires au cours de leur stage (15 carnets ont été analysés). Cette même approche a aussi été utilisée pour déterminer, lors de huit entretiens individuels avec des médecins supervisant les situations cliniques authentiques, les différentes postures qu’ils adoptent avec le stagiaire en apprentissage.

    Au plan des résultats, trois constats sont mis en relief. Premièrement, la fréquence et la diversité des actions-situations cliniques se révèlent très positives, ce qui signifie que le stagiaire a l’occasion de s’exercer au transfert et au développement de ses capacités cliniques (raisonnement, communication, gestion administrative, gestion technique, etc.) au sein du terrain clinique hospitalier. Deuxièmement, les traces formulées par les stagiaires révèlent quatre axes de réflexivité (engagement personnel/subjectivation des savoirs/prise de position personnelle/projection dans le futur professionnel) avec des seuils de progression relevés lors de la recherche. Cela permet de proposer une modélisation des postures réflexives adoptées par les stagiaires de troisième master en médecine. Troisièmement, les entretiens individuels avec les médecins supervisant les stagiaires révèlent trois types de postures adoptées. Celles-ci passent: a) d’une rigueur autocratique – partenariat de service; b) au développement de l’émancipation et de l’autonomie du stagiaire – partenariat de réciprocité; c) en passant par l’adoption d’une posture réflexive facilitatrice du transfert des apprentissages – partenariat associatif. Cela permet de proposer une modélisation des postures d’accompagnement adoptées par les médecins supervisant les stagiaires.

    Le bénéfice global de cette étude se concrétise par les liens qu’on peut établir entre la théorie et la pratique grâce à l’adoption d’une posture réflexive facilitatrice du transfert des apprentissages. D’une part, l’apprenant s’exerce à transférer, ce qu’il n’avait pas appris auparavant. D’autre part, le superviseur s’exerce à accompagner les apprenants sur leur chemin du transfert, ce qu’il apprend encore bien trop rarement. Or, c’est par un accompagnement inductif, réflexif et compréhensif, poussant l’enseignant ou le superviseur à ne plus être le seul à décider de ce qui va émerger dans son futur professionnel, que l’apprenant va pouvoir créer et préciser son positionnement face à une situation inédite. C’est pourquoi la relation pédagogique adéquate pour faciliter l’apprentissage du transfert, qui ne fait encore qu’émerger dans nos institutions d’enseignement supérieur, est la posture de partenariat.

    Le couple apprentissage-transfert selon la conception du transfert-incertitude

    Puisqu’ils ne sont pas chronologiquement organisés et qu’ils sont très près l’un de l’autre, les concepts d’apprentissage et de transfert tendent à se confondre et à partager beaucoup au sein du transfert-incertitude. Pour Vygotski (1934), les cognitions émergent dans et par l’action sociale. Ainsi, au quotidien, par les interactions avec les objets et les interactions sociales, de nouvelles connaissances socio-cognitives-affectives sont intégrées dans les structures cognitives de l’apprenant. Celles-ci sont nommées «schèmes mentaux» par Piaget (1977) qui les distingue comme des ensembles organisés d’opérations et de mouvements mentaux qui constituent une façon d’appréhender et d’interpréter le monde d’une manière qui est propre à chaque individu. Ces schèmes s’ancrent dans l’esprit, lorsque l’expérience les conforte, ou se modifient lorsqu’ils sont contredits par les faits. Lorsque de nouvelles connaissances se combinent avec les connaissances antérieures déjà ancrées, elles provoquent des changements de nos schèmes mentaux. Dans ce cadre, le transfert engendre de nouveaux apprentissages qui peuvent à leur tour faire l’objet d’une application contextualisée.

    Basque (2004, p. 53) rappelle à ce sujet que «ce que nous appelons une représentation ne se trouve pas exclusivement dans la tête d’un individu; il s’agit plutôt d’un phénomène partagé entre l’individu et la situation (physique et sociale) dans laquelle il se trouve». En effet, l’apprenant, face à une situation nouvelle (qu’il soit en contexte d’apprentissage ou de transfert), va s’impliquer physiquement, cognitivement, socialement et affectivement. Cette approche contextuelle de la cognition reprécise la notion d’interaction sujet-environnement (voir le constructivisme de Piaget) et la notion d’interaction socioculturelle (voir le socioconstructivisme de Vygotski). Elle met l’accent sur l’activité

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1