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Actualités de la protection juridictionnelle dans et par l'Union européenne
Actualités de la protection juridictionnelle dans et par l'Union européenne
Actualités de la protection juridictionnelle dans et par l'Union européenne
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Actualités de la protection juridictionnelle dans et par l'Union européenne

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Pilier d’une Union de droit, le droit à une protection juridictionnelle effective évolue à la fois par le droit de l’Union et, dans l’Union, sous l’impulsion de la Convention européenne des droits de l’homme et des traditions constitutionnelles des États membres. Au sein de l’Union, la protection des droits que les particuliers tirent du droit de l’Union a ceci de spécifique qu’elle est assurée à la fois par la Cour de justice de l’Union européenne et par le juge national. Le présent ouvrage analyse, à destination des praticiens, les dernières évolutions de ce principe pluriel dans et par l’Union européenne.

Une première partie examine, d’une part, l’application du droit de l’Union par le juge du pouvoir judiciaire et, d’autre part, les voies de recours à disposition des particuliers devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Une seconde partie décortique deux thèmes actuels et parfois méconnus.
Le premier explore les possibilités qu’offre le médiateur européen et fera le point sur ses décisions en droit de la concurrence ; le second porte sur les possibilités qu’offre le droit européen en matière de contentieux de la régulation économique et de gels d’avoirs.
LanguageFrançais
Release dateMar 16, 2017
ISBN9782804497118
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    Actualités de la protection juridictionnelle dans et par l'Union européenne - Nicolas Cariat

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web via www.larciergroup.com

    © Groupe Larcier s.a., 2017

    Éditions Larcier

    Rue Haute, 139 – Loft 6 – 1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN 9782804497118

    Sommaire

    Avant-propos

    Louise Fromont et Arnaud Van Waeyenberge

    L’invocation du droit de l’Union européenne devant les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire belge : potentialités et limites

    Nicolas Cariat et Jérémie Van Meerbeeck

    Accès des particuliers à la justice dans l’Union européenne : vers une « Union de droit »

    Louise Fromont et Arnaud Van Waeyenberge

    Le Médiateur européen dans les enquêtes en matière de droit de la concurrence

    Martín Martínez Navarro

    La protection juridictionnelle offerte par le droit de l’Union européenne en matière de gel d’avoirs : une œuvre inachevée ?

    Anthony Rizzo

    De l’usage de l’article 6 CEDH face aux autorités administratives indépendantes dotées d’un pouvoir de sanction

    Nicolas Joncheray

    Table des matières

    Avant-propos

    Perelman, l’École de Bruxelles et la protection juridictionnelle effective au sein de l’Union européenne

    Louise Fromont

    Aspirante F.R.S.-F.N.R.S.

    Centre de droit européen et Centre Perelman de philosophie du droit de l’Université libre de Bruxelles (ULB)

    et

    Arnaud Van Waeyenberge

    Professeur à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris) et membre du Centre Perelman de philosophie du droit de l’Université libre de Bruxelles (ULB)

    Cet ouvrage dédié aux actualités de la protection juridictionnelle dans et par l’Union européenne s’inscrit dans le cadre du 50e anniversaire de la création du Centre Perelman. Depuis un demi-siècle, les recherches réalisées en son sein approfondissent et renouvellent l’approche pragmatique de l’École de Bruxelles (1) dont une des lignes de force est d’analyser le droit à partir de l’étude des cas pratiques dans le contexte social de leur application afin d’observer comment le droit est réellement produit (2). Plus particulièrement, Chaïm Perelman privilégia l’étude des cas à travers l’analyse de la jurisprudence des cours et tribunaux. En effet, à partir de 1967, le Centre de philosophie du droit accueille des professeurs et des praticiens du droit belges et étrangers afin de se consacrer à l’étude des raisonnements non formels, au départ de la motivation des décisions de justice (3).

    Cet ouvrage, fruit d’une collaboration entre la Faculté de droit et de criminologie de l’Université libre de Bruxelles, l’Université Saint-Louis et le Barreau de Bruxelles sous l’étendard UB³, s’inscrit dans cette perspective et propose une analyse critique de la façon dont le juge national ou européen conçoit la protection juridictionnelle effective lorsqu’il met en œuvre le droit de l’Union européenne. Ce principe, véritable pilier d’une Union de droit, évolue à la fois par le droit de l’Union et, dans l’Union, sous l’impulsion de la Convention européenne des droits de l’homme et des traditions constitutionnelles des États membres. La jurisprudence récente a d’ailleurs récemment connu, sur cette question, de nombreuses évolutions et méritait donc qu’on lui consacre une analyse plus approfondie.

    Plus particulièrement, le présent ouvrage se divise en deux parties. Sans prétendre à l’exhaustivité, la première partie, plus généraliste, vise à fournir un aperçu général des possibilités qui s’offrent aux particuliers souhaitant invoquer le droit de l’Union. À cette fin, le présent ouvrage analyse l’application du droit de l’Union par le juge judiciaire ainsi que les voies de recours à disposition des particuliers devant la Cour de justice de l’Union européenne. La seconde partie décortique trois thèmes actuels et trop souvent méconnus, que sont le Médiateur européen, le contentieux en matière économique et en matière de gels d’avoirs.

    En ouverture de ce présent ouvrage, Nicolas Cariat et Jérémie Van Meerbeeck nous livrent une analyse à la fois détaillée et didactique de la jurisprudence des cours et tribunaux relative au droit de l’Union. Ils mettent en exergue toutes les potentialités que peut apporter le droit de l’Union dans un litige national tout en soulignant les limites et les conditions inhérentes à son invocation et à son application. Dans ce cadre, ils identifient, dans un premier temps, les situations dans lesquelles un litige peut être rattaché au droit de l’Union. Ils s’interrogent, ensuite, sur l’interprétation à donner au droit de l’Union, lorsque celui-ci est applicable à un litige soumis au juge national. À cette occasion, ils procèdent à une analyse du renvoi préjudiciel organisé par le droit de l’Union. Enfin, les auteurs analysent l’impact que le droit de l’Union peut avoir sur le litige, ce qui implique une analyse des principes d’interprétation conforme, de primauté et d’effet direct du droit de l’Union.

    Dans leur contribution, Louise Fromont et Arnaud Van Waeyenberge étudient la protection juridictionnelle dont jouissent, au niveau de l’Union, les particuliers confrontés à un acte ou à un comportement illégal des institutions de l’Union. Deux recours, complémentaires l’un de l’autre, sont analysés. Une première partie analyse le recours en annulation, qui a connu des développements récents dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Une seconde partie se penche sur le recours en indemnité. Elle répond aux questions complexes que ce litige suscite, notamment par rapport aux juridictions compétentes pour en connaître ou sur la responsabilité sans faute de l’Union. Cette contribution fournit une fiche pratique aux patriciens qui souhaiteraient intenter de tels recours.

    La seconde partie de l’ouvrage commence par la contribution de Martín Martínez-Navarro, consacrée au rôle du Médiateur européen dans les enquêtes en matière de droit de la concurrence. Cette contribution met en lumière le rôle complémentaire à la Cour de justice de l’Union européenne que joue le médiateur européen en matière de protection juridictionnelle. Elle procède à une analyse approfondie des décisions et recommandations adoptées par le médiateur européen en matière de concurrence. Dans ce cadre, elle examine le contrôle qu’opère le Médiateur de l’appréciation au fond des décisions de la Commission en matière de concurrence. Elle embraye ensuite sur le contrôle des aspects procéduraux par le Médiateur des affaires de concurrence.

    Anthony Rizzo nous plonge, quant à lui, dans un domaine éminemment complexe et sensible : la lutte contre le terrorisme et plus particulièrement les mesures de gels d’avoirs adoptées en vue de lutter contre ce phénomène. Ces mesures ne sont pas sans poser des questions en terme de protection juridictionnelle des entités ou personnes qu’elles visent. Après avoir exposé le processus d’adoption des mesures de gels d’avoirs, adoptées par les Nations Unies et mises en œuvre par l’Union européenne, Anthony Rizzo analyse la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière. Il termine son examen par des propositions d’évolution de la position de la Cour de justice.

    Last but not least, Nicolas Joncheray attire notre attention sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de droit administratif répressif. Il souligne l’insuffisance des garanties procédurales offertes par l’article 6 de la CEDH aux opérateurs économiques confrontés à des sanctions administratives punitives. Dans un premier temps, il dessine les contours de la notion de sanction administrative, afin d’identifier les difficultés engendrées par cette définition et par les spécificités de l’ordre juridique européen. Cette analyse poussée et critique l’amène à formuler quelques pistes de nature à faire évoluer le droit au procès équitable en droit administratif répressif.

    À travers ces différentes contributions, nous espérons que le lecteur trouvera un éclairage critique de ce principe pluriel qu’est la protection juridictionnelle des particuliers au sein de l’Union européenne et matière à alimenter ses réflexions et sa pratique.

    (1) Pour une analyse de celle-ci, voy.,

    B. Frydman

    , « Perelman et les juristes de l’École de Bruxelles », in

    B. Frydman

    et M

    . Meyer

    (dir.), Chaïm Perelman (1912- 2012) : de la Nouvelle Rhétorique à la logique juridique, Paris, PUF, 2012, pp. 229-246 ; B. 

    Frydman

    et G. 

    Lewkowicz

    (dir.), Le droit selon l’École de Bruxelles, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, à paraître en 2017 et G. 

    Lewkowicz

    et A. 

    Van Waeyenberge

    , « L’école de Bruxelles : origines, méthodes et chantiers », La méthodologie et l’épistémologie juridiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2016, pp. 363-372.

    (2) Comme l’écrit Chaïm Perelman « le droit […], ne prend forme qu’à travers des conflits et des controverses à tous les niveaux, et ne peut plus fournir l’image rassurante d’un ordre stable, garanti par un pouvoir impartial », C. 

    Perelman

    , Éthique et Droit, Bruxelles, éd. de l’Université de Bruxelles, 1990, p. 553.

    (3) À cet égard Chaim Perelman écrivait ceci : « si le XIXe siècle a été, en droit, le siècle du formalisme, allant de pair avec une conception étatique et légaliste du droit et des règles de droit, le XXe siècle, sous l’influence de considérations sociologiques et méthodologiques, conduit au réalisme, au pluralisme juridique, à l’acceptation du rôle croissant des principes généraux du droit, à une conception plus topique que formaliste du raisonnement juridique. Ce qui entraîne la reconnaissance du rôle du juge dans l’élaboration du droit (et) la prééminence de l’efficacité de la règle de droit sur sa validité formelle », C. 

    Perelman

    , Éthique et droit, op. cit., p. 740.

    L’invocation du droit de l’Union européenne devant les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire belge : potentialités et limites

    Nicolas Cariat

    Avocat au barreau de Bruxelles

    Professeur invité à l’Université Saint-Louis-Bruxelles

    Chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain

    et

    Jérémie Van Meerbeeck

    Juge au tribunal de première instance francophone de Bruxelles

    Professeur invité à l’Université Saint-Louis-Bruxelles

    Introduction

    Section 1. L’application (d’office) du droit de l’Union par les juridictions judiciaires

    Section 2. L’interprétation du droit de l’Union par les juridictions judiciaires

    Section 3. Les effets potentiels du droit de l’Union sur le litige

    Conclusion

    Introduction

    Dans son roman D’autres vies que la mienne (1) (paru en 2009), l’auteur français Emmanuel Carrère

    raconte l’histoire (vraie) de deux juges du Tribunal d’instance de Vienne, décidés par idéal à rééquilibrer le droit français du crédit à la consommation. Les nombreuses affaires dont ils avaient à connaître en cette matière les amenaient au constat que les règles en vigueur étaient insuffisamment protectrices du consommateur et notoirement propices à entraîner l’endettement très important de foyers déjà précarisés. Frustrés par la législation en vigueur et par la jurisprudence de la Cour de cassation française, qui les empêchaient de soulever d’office, à l’encontre des organismes de crédit, des moyens tirés d’une violation du droit de la consommation non-soulevés par les consommateurs (alors que ces derniers étaient très souvent mal défendus, ou pas défendus), ces juges ont trouvé leur planche de salut dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour de justice »).

    Après la lecture de l’arrêt Oceano Grupo (2), rendu en 2000 par la Cour de justice, les juges français, pleins d’espoir renouvelé, ont décidé d’adresser une question préjudicielle à la juridiction de Luxembourg. La réponse attendue par le Tribunal d’instance de Vienne est arrivée en 2002 avec l’arrêt Cofidis : « La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s’oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l’expiration d’un délai de forclusion de relever, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d’une clause insérée dans ledit contrat » (3). Le sentiment de jubilation est intense : « Non seulement la C.J.[U].E. dit le contraire de la Cour de cassation, mais elle a le pas sur elle, le droit [de l’Union] ayant une valeur supérieure au droit national. Étienne ne connaissait rien au droit [de l’Union], mais le trouvait déjà formidable » (4). Ce recours au droit de l’Union européenne (5) a par la suite ouvert la porte à une attitude plus active des juges du fond et entraîné une modification législative, qui ont concouru à un rééquilibrage bienvenu des droits et obligations des parties aux contrats de crédit à la consommation, au bénéfice des emprunteurs.

    Disponible donc pour servir les croisades de magistrats idéalistes, le droit de l’Union européenne est plus communément invoqué par les parties à un litige, afin d’obtenir l’application d’une solution juridique différente de celle qui découlerait de l’invocation du seul droit national. Dans les deux cas, la possibilité presque exorbitante (bien que non-contestable) d’obtenir l’inapplication ou une application différente des normes et jurisprudences nationales permet d’ouvrir un champ renouvelé des possibles juridiques, tant sur le plan substantiel que procédural, et laisse entrevoir les potentialités les plus évidentes et les plus décisives du droit de l’Union. Ainsi, sur le plan substantiel, la circonstance qu’une situation entre dans le champ d’application du droit de l’Union a pour conséquence de soumettre l’État membre au respect des principes généraux (6) et des droits fondamentaux (7) garantis par cet ordre juridique, mais également d’imposer au juge national d’interpréter le droit interne en conformité avec le droit de l’Union (8), et de laisser inappliquée toute norme interne qui lui est contraire (9). Sur le plan procédural, le rattachement au droit de l’Union entraîne également de nombreuses obligations dans le chef du juge national (10). Les règles nationales qui régissent l’organisation judiciaire et la procédure sont soumises aux exigences façonnées par la Cour de justice, au titre, notamment, de l’article 267 TFUE (relatif au renvoi préjudiciel) (11), des principes d’équivalence et d’effectivité (12), du respect des droits fondamentaux (13), ou encore de l’effet utile du droit de l’Union (14).

    Si nul ne songerait plus à contester la plus-value potentielle découlant de l’invocation du droit de l’Union dans la quasi-totalité des matières dont connaissent quotidiennement les juridictions belges, ses larges potentialités et son efficacité demeurent encore entravées par la méconnaissance dont il fait malheureusement l’objet dans les prétoires (et ce, des deux côtés de la barre).

    Une prise de conscience semble néanmoins s’opérer et l’on ne peut que se féliciter de l’intérêt grandissant de la doctrine pour ces thématiques, matérialisé par des études visant à convaincre les praticiens que le droit de l’Union ne doit plus rester une affaire de spécialistes et leur fournissant les clés de compréhension nécessaires à son invocation utile (15). Il n’est pas non plus inutile d’évoquer, à cet égard, l’arrêt de la Cour de cassation française du 15 mai 2015, dans lequel celle-ci a condamné une société d’avocats à payer une indemnité de 59.000 € en faveur de son client, considérant qu’en « omettant d’invoquer un moyen susceptible d’être accueilli comme s’inscrivant dans l’évolution prévisible de la jurisprudence » et tiré du droit de l’Union, cette société avait « engagé sa responsabilité professionnelle » (16).

    La présente contribution expose, de manière forcément succincte mais avec une visée didactique, la jurisprudence de la Cour de justice et celle des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire relative au droit de l’Union, en suivant l’ordre des questions qui se posent au praticien amené à invoquer les normes issues de ce corpus juridique devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Les potentialités du droit de l’Union, mais également les limites et les conditions inhérentes à son invocation et à son application sont, à chaque stade, mises en lumière.

    La première question soulevée touche à la possibilité-même d’invoquer le droit de l’Union dans le cadre d’un litige particulier. Avant de s’interroger sur les effets potentiels que pourrait produire son application, il importe en effet, au premier chef, de déterminer si le litige en cause peut être rattaché au droit de l’Union ou, en d’autres termes, s’il relève du champ d’application du droit de l’Union (Section 1). Dans l’hypothèse où le droit de l’Union a bel et bien vocation à s’appliquer à la question soumise au juge, il convient encore de s’interroger sur l’interprétation à lui donner (Section 2) et sur les effets qui peuvent lui être reconnus (Section 3).

    Section 1.

    L’application (d’office) du droit de l’Union par les juridictions judiciaires

    Même si, en raison de la pertinence pratique grandissante du droit de l’Union pour l’ensemble des branches du droit, peu de situations semblent susceptibles d’échapper par nature à son emprise, le champ d’application de cet ordre juridique demeure limité.

    Contrairement à l’ordre juridique étatique (qui est théoriquement total, ou omniprésent) ou à certains instruments internationaux (comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui lie de manière générale les Hautes-Parties contractantes dans toute l’étendue de leur juridiction (17)), le droit de l’Union est d’« application partielle » (18) et « n’a pas un caractère d’omniprésence » (19). Son champ d’application ne couvre en effet que les situations dont le traitement juridique implique sa prise en compte, dès lors que, en raison de leur configuration particulière, elles peuvent être rattachées à une des normes du droit de l’Union, primaire ou dérivé (20).

    Le rattachement exige que la situation concrète puisse être reliée à l’hypothèse d’une norme du droit de l’Union, et donc à « l’une quelconque des situations envisagées par le droit [de l’Union] » (21) ou, en d’autres termes, à « l’une des situations envisagées par le droit [de l’Union] » (22). La présence d’un facteur de rattachement est nécessaire mais suffisante. L’abondance ne nuit pas : quand la Cour considère le rattachement évident ou établi, elle n’identifie pas toujours précisément la norme à travers laquelle il s’opère (23).

    De plus, même si le rattachement est établi sur le fondement d’une norme particulière, l’enjeu est l’application du droit de l’Union dans sa globalité. Lorsque pareil rattachement est établi, la conséquence est bien plus profonde et fondamentale que l’application dans le litige en cause de la seule norme particulière à travers laquelle il est opéré. L’ordre juridique de l’Union est alors applicable, dans toutes ses dimensions, tant substantielles que procédurales. Au contraire, à défaut de rattachement, l’ordre juridique de l’Union est sans pertinence pour le traitement juridique de la situation en cause (24).

    Les conséquences substantielles et procédurales de l’application du droit de l’Union sont d’ailleurs parfois la conséquence indirecte recherchée par les justiciables, bien plus que l’application en l’espèce de la norme particulière à travers laquelle s’effectue le rattachement (25). On l’a vu, l’application de ce corpus juridique hiérarchiquement supérieur permet potentiellement de faire échec à la solution prévue par le seul droit interne, dans le cadre d’un litige particulier.

    Le fait que l’invocation utile du droit de l’Union suppose de déterminer à titre préalable si cet ordre juridique est (ou non) applicable à une situation particulière et donc susceptible d’être invoqué dans le cadre de son traitement juridique à l’occasion d’un litige devant une juridiction nationale constitue sans aucun doute la limite la plus certaine à son invocation devant les juridictions belges.

    La jurisprudence montre que les juridictions belges, y compris suprêmes, ont globalement assimilé le caractère limité du champ d’application de l’ordre juridique de l’Union et le fait que son applicabilité suppose l’établissement d’un lien de rattachement entre une de ses normes et la situation particulière dont elles sont saisies (26). Mais le fait que de nombreuses juridictions oublient à l’occasion de procéder à cet examen (27) ou procèdent à celui-ci de manière méthodologiquement erronée (28), suffit à démontrer que la problématique demeure méconnue ou mal comprise de nombreux praticiens. On peut également, pour s’en convaincre, constater que la Cour de justice se déclare très régulièrement incompétente afin de répondre aux questions préjudicielles qui lui sont adressées par les juridictions belges, après avoir tranché que les situations en cause échappent au champ d’application du droit de l’Union (29).

    Afin de dissiper les doutes et les malentendus qui continuent à entourer la problématique, et afin de fournir aux praticiens les éléments nécessaires à leur compréhension, il s’agit non seulement de préciser les critères et les méthodes qui permettent (ou non) d’établir le rattachement d’une situation particulière au droit de l’Union (§ 1) mais également de préciser la manière dont cette question est tranchée par les juridictions (§ 2).

    § 1. Méthodes et critères permettant d’établir (ou non) le rattachement d’une situation particulière avec le droit de l’Union

    Le rattachement d’une situation particulière avec le droit de l’Union peut être effectué soit sur la base du droit dérivé, soit sur celle du droit primaire. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, il est d’abord nécessaire, dans chaque cas, d’examiner l’éventuelle pertinence d’une norme de droit dérivé, susceptible de contenir des règles détaillées et spécifiques (a). Ce n’est qu’à défaut qu’il convient de vérifier si la situation examinée peut par ailleurs être rattachée à l’une des interdictions générales contenues dans le droit primaire (b).

    a) Le rattachement d’une situation au droit de l’Union par le biais du droit dérivé

    Alors que, de manière générale, les normes juridiques définissent ou non leur propre champ d’application, le droit de l’Union dérivé est marqué par une tendance unilatéraliste. De nombreux actes de droit dérivé contiennent ainsi une longue liste de dispositions qui définissent, positivement et négativement, leur domaine d’applicabilité, « fixé de manière implicite ou explicite dans l’acte lui-même, en fonction de ses objectifs et de son contenu matériel » (30). Outre ces dispositions explicites, le champ d’application doit également être identifié au moyen des définitions et des notions contenues dans le texte, ainsi que de son économie. La tendance unilatéraliste du droit dérivé est incontestablement de nature à faciliter le travail de rattachement du juge, qui ne se trouve ainsi contraint de reconstituer le champ d’application d’un acte de droit dérivé que lorsque celui-ci n’est pas précisé (31). Mais elle ne le dispense jamais d’un travail d’interprétation : critères implicites et explicites « nécessitent souvent la même démarche interprétative » (32). De plus, le champ d’application de la norme doit également être retrouvé « dans la formulation des règles substantielles » (33) et il existe une relation étroite entre le domaine d’un acte et son contenu, qui relativise largement en pratique la distinction théoriquement très nette entre l’hypothèse et le dispositif de la norme (34).

    La détermination du champ d’application d’une norme de droit dérivé peut également être indirectement influencée par d’autres normes. Elle peut s’opérer par renvoi au champ d’application du droit de l’Union, voire aux compétences de l’Union. On peut citer la directive 95/46/CE (35), qui ne s’applique pas aux traitements de données à caractère personnel « qui ne relèvent pas du champ d’application du droit communautaire » (36). Les directives 2000/43/CE et 2000/78/CE (37) prévoient leur application « dans les limites des compétences conférées à la Communauté » (38). Il arrive en outre que deux actes de droit dérivé soient mutuellement exclusifs l’un de l’autre concernant leur application (39).

    Les difficultés pratiques et théoriques engendrées par l’examen de l’applicabilité d’une norme de droit dérivé à une situation particulière s’avèrent redoutables. Il est très clair que les normes adoptées spécifiquement afin de satisfaire aux exigences explicites d’un acte de droit dérivé relèvent du champ d’application du droit de l’Union (40). Mais le questionnement s’avère bien souvent plus délicat, lorsque se pose la question de l’applicabilité du droit de l’Union à une situation qui n’est pas régie de manière évidente par un acte de droit dérivé ou par une norme interne visant à mettre en œuvre le droit de l’Union. La mission du juge n’est, à cet égard, guère facilitée lorsque les parties en litige sont en désaccord sur la question de l’applicabilité du droit de l’Union à la situation qui les oppose, au vu notamment de l’incidence certaine de cette question sur la conduite et l’issue de la procédure interne.

    Il ne fait aucun doute que le rattachement sur la base du droit dérivé peut être effectué par le biais d’un règlement, d’une directive (ou d’une décision-cadre, là où de tels actes subsistent (41)).

    La Cour de justice a confirmé à plusieurs reprises qu’une situation relève du droit de l’Union lorsque les autorités étatiques adoptent et appliquent des normes internes qui mettent en œuvre un règlement (42).

    Le même constat vaut lorsque les autorités étatiques adoptent une décision fondée sur le règlement lui-même, même quand la marge d’appréciation dont elles disposent est large. Il en va ainsi lorsque les autorités exécutives adoptent, sur la base du règlement 343/2003 (43), une décision de renvoi d’un demandeur d’asile vers un autre État membre (44). Relèvent également du champ d’application du droit de l’Union les décisions nationales qui attribuent des aides financières prévues par un règlement, tel que le règlement 1698/2005 (45), les décisions par lesquelles un État membre se prononce sur la levée partielle du gel de fonds décidé sur la base de mesures restrictives européennes (46) ainsi que les normes et décisions adoptées par une autorité conjointe à deux États membres, dans la mesure où l’instauration de cette autorité leur était imposée par des règlements de l’Union (47), afin d’assurer la gestion opérationnelle d’un programme visant à promouvoir la coopération transfrontalière (48).

    Les juridictions nationales agissent également dans le champ d’application du droit de l’Union lorsqu’elles appliquent un règlement, tel que le règlement 44/2001 (49), destiné à assurer le caractère exécutoire de décisions juridictionnelles rendues dans un autre État membre (50).

    L’application concrète de ces critères apparemment très clairs n’est néanmoins pas toujours aisée et la jurisprudence de la Cour de justice oscille parfois entre des interprétations plus ou moins extensives. Ainsi, dans l’affaire Soukupová, la Cour a considéré que le renvoi au droit national dans un règlement emporte la soumission de toutes les normes internes concernées au droit de l’Union (51). À l’inverse, dans l’arrêt Zakaria, le règlement 562/2006 (52) et l’obligation qu’il consacre de prévoir une voie de recours contre les décisions de refus d’entrée sur le territoire Schengen n’ont pas suffi à établir avec certitude la pertinence du droit de l’Union pour le traitement par les autorités nationales des infractions commises durant la procédure d’adoption de la décision relative à l’entrée (53).

    Le droit de l’Union est également applicable lorsque les autorités adoptent et appliquent une législation nationale qui transpose une directive (54). La difficulté générale de déterminer ce qui relève du champ d’application d’une norme de droit dérivé se trouve ici particulièrement exacerbée (55). Elle peut être expliquée par le fait que les directives fixent de manière générale et abstraite des objectifs à atteindre, en laissant aux États membres le choix (plus ou moins étendu) des modalités de leur mise en œuvre. De plus, aucun critère d’intention n’est requis : toutes les normes nationales qui peuvent être rattachées aux dispositions d’une directive relèvent de son champ d’application après l’expiration de son délai de transposition (56), sans égards pour le fait qu’elles lui soient antérieures ou qu’elles n’aient pas été spécifiquement adoptées afin d’assurer sa transposition (57).

    Dans certains arrêts, la Cour de justice a considéré que relevaient du champ d’application du droit de l’Union toutes les normes internes qui contribuent à l’effectivité des règles posées par une directive du droit de l’Union, sans correspondre en tant que telles à une exigence expresse posée par celui-ci. Dans l’affaire Åkerberg Fransson, la Cour a considéré que les mesures administratives et pénales destinées à prévenir et à sanctionner la fraude fiscale en matière de TVA constituent une mise en œuvre de la directive 2006/112 (58), ainsi que de l’article 325 TFUE et relevaient donc du droit de l’Union (59), alors que ces dispositions imposent uniquement aux États membres, de manière générale, d’adopter les mesures aptes « à garantir la perception de l’intégralité de la TVA » (60) et de « combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » (61). Il semble que, selon cette interprétation, les normes internes peuvent relever du champ d’application du droit de l’Union, même si elles ne visent que partiellement à mettre en œuvre celui-ci, et poursuivent concomitamment d’autres finalités. Aucun critère d’intention du législateur national ou de postériorité de son intervention par rapport à l’obligation de transposition de la directive n’est en outre pertinent (62). Dans l’arrêt Kamberaj (63), la loi provinciale de Bolzano relative à l’aide au logement, générale et antérieure à la directive 2003/109 (64), a été considérée comme relevant de son champ d’application. De même, dans l’arrêt IBV, les normes générales adoptées afin de soutenir la cogénération et les sources d’énergie alternatives, ont été considérées comme relevant du droit de l’Union, dès lors qu’elles s’inscrivent « dans un cadre tel que celui établi » (65) par les directives 2001/77 (66) et 2004/8 (67). Dans ces arrêts, la Cour de justice a interprété l’exigence de rattachement de manière souple, en prenant en compte le chevauchement entre la norme de droit dérivé et le droit interne (68), ou encore la contribution de la norme interne à la mise en œuvre du droit de l’Union (69).

    D’autres occurrences jurisprudentielles témoignent à l’inverse d’une volonté de mettre en place un cadre méthodologique permettant de délimiter de manière plus précise et plus restrictive les situations qui doivent être considérées comme relevant de la mise en œuvre du droit de l’Union. Dans l’arrêt Iida, la situation du requérant a été considérée comme étrangère au droit de l’Union en raison de l’inapplicabilité des articles 20 TFUE et 21 TFUE, d’une part, ainsi que des directives 2004/38 (70) et 2003/109 (71), d’autre part. Concernant cette dernière, l’analyse était relativement restrictive et formelle, car l’inapplicabilité de la directive découlait du fait que M. Iida avait retiré sa demande visant à bénéficier du statut de résident de longue durée, auquel il pouvait légitimement prétendre (72).

    L’arrêt Ymeraga constitue un autre exemple de cette tendance. Les autorités luxembourgeoises avaient refusé d’accorder un droit de séjour aux parents et aux deux frères d’un citoyen kosovar ayant obtenu la nationalité luxembourgeoise par naturalisation. La Cour a considéré que ce refus ne relevait pas du champ d’application du droit de l’Union puisque la situation ne pouvait être rattachée ni aux directives 2003/86 (73) et 2004/38, d’une part, ni à l’article 20 TFUE, d’autre part. Ce constat valait malgré le fait que la loi luxembourgeoise du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration « vis[ait] à mettre en œuvre le droit de l’Union » (74), en assurant notamment la transposition des deux directives précitées (75).

    L’arrêt Siragusa, rendu par une chambre à trois juges et sans conclusions de l’avocat général, aurait pu donner lieu à une énième ordonnance par laquelle la Cour se déclare manifestement incompétente afin d’appliquer le droit de l’Union à une situation qui ne présente aucun point de rattachement avec le droit de l’Union. Le requérant entendait contester, en invoquant le droit de l’Union, une décision administrative qui lui ordonnait de démanteler les travaux effectués dans sa résidence principale, réalisés sans permis de construire, en violation d’une loi relative à la protection du paysage. Selon lui, la matière pouvait être rattachée au droit de l’Union, dès lors que la protection du paysage fait partie de la protection de l’environnement. La Cour a saisi l’occasion de préciser la portée du champ d’application de la Charte (et donc, du droit de l’Union). Selon elle, cette notion « impose l’existence d’un lien de rattachement d’un certain degré, dépassant le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre » (76). Selon la formule déjà énoncée dans les arrêts Iida et Ymeraga, il convient « de vérifier, parmi d’autres éléments, si elle a pour but de mettre en œuvre une disposition du droit de l’Union, le caractère de cette réglementation et si celle-ci ne poursuit pas des objectifs autres que ceux couverts par le droit de l’Union, même si elle est susceptible d’affecter indirectement ce dernier, ainsi que s’il existe une réglementation du droit de l’Union spécifique en la matière ou susceptible de l’affecter » (77). La grande nouveauté provient du fait que la Cour approfondit et justifie son raisonnement, en constatant que la législation italienne ne répond pas à des « obligations spécifiques » imposées par le droit de l’Union (78), poursuit des « objectifs » (79) différents de ceux des normes de droit dérivé en vigueur et ne vise pas à leur mise en œuvre (80).

    Dans l’arrêt Julian Hernández e.a., la Cour a ajouté que le « seul fait qu’une mesure nationale relève d’un domaine dans lequel l’Union dispose de compétences ne saurait la placer dans le champ d’application du droit de l’Union […] » (81). Elle a également mobilisé un raisonnement similaire à celui de son arrêt Siragusa, bien que différent et moins élaboré, dans l’arrêt Torralbo Marcos, en constatant que la législation espagnole relative à l’imposition de taxes de procédures judiciaires échappait au champ d’application du droit de l’Union, car elle n’avait « pas pour but » (82) de mettre en œuvre le droit de l’Union, et car celui-ci ne comporte « aucune réglementation spécifique en la matière ou susceptible d’affecter cette réglementation nationale » (83). La Cour, réunie en grande chambre, semble encore avoir interprété de manière exigeante la nécessité d’un lien de rattachement entre le droit national et le droit dérivé dans l’arrêt Dano. Sans reprendre les critères cités ci-dessus, la Cour a considéré qu’elle ne pouvait examiner la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation allemande qui prévoyait les conditions d’octroi de prestations sociales non contributives à des ressortissants d’autres États membres, à défaut d’élément de rattachement de la législation nationale avec le règlement 883/2004 (84) et la directive 2004/38 (85). La Cour a en effet jugé que l’article 70 du règlement 883/2004 ne fait que définir la notion de « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » et qu’il appartient au législateur de chaque État membre de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit à ces prestations (86). La Cour a également jugé que Mme Dano et son fils ne pouvaient prétendre au principe d’égalité de traitement consacré à l’article 24 de la directive 2004/38, puisque, ne disposant pas de ressources suffisantes au sens de l’article 7, § 1er, b), de la même directive, ils ne pouvaient en tirer

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