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Droit administratif et contentieux
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Droit administratif et contentieux

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Au cours des trois dernières années, plusieurs révisions de la Constitution ont modifié ou permis l’extension des compétences du Conseil d’État. C’est ainsi que, par l’effet combiné des nouveaux articles 144, alinéa 2, de la Constitution et 11bis des lois coordonnées du 12 juillet 1973, il peut à présent connaître des demandes « d’indemnité réparatrice » pour les dommages causés par les actes dont il a constaté l’illégalité. La compétence du juge ordinaire reste cependant ouverte. Mais electa una via… La question du choix du juge se pose donc une nouvelle fois dans le contentieux administratif belge. Ici sous l’angle de l’opportunité. Cette question continue aussi de se poser dans sa formulation plus classique : jusqu’où s’étend la compétence du Conseil d’État, quand cesse-t-il d’être compétent pour connaître des demandes d’annulation des actes administratifs portées devant lui ?

La loi du 20 janvier 2014 a modifié sous bien des aspects la compétence du Conseil d’État. Notons la réforme du référé administratif, la reconnaissance du contrôle de l’intérêt au moyen, l’indemnité de procédure ou l’allégement de la preuve du mandat ad litem de l’avocat ainsi que le perfectionnement ou l’introduction d’instruments destinés à étendre les moyens d’action du Conseil d’État et à sortir de la logique binaire annulation/rejet. Plusieurs aspects de cette réforme ont déjà été soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle, tandis que la jurisprudence commence à se développer.

Enfin, le moyen pris de la violation de la loi du 29 juillet 1991 semble empiriquement le plus fréquent dans les requêtes. La motivation formelle des actes administratifs constitue un tel enjeu de droit matériel et contentieux qu’elle devait une nouvelle fois retenir l’attention.

Un ouvrage de la CUP consacré à ces sujets s’imposait.
LanguageFrançais
Release dateJan 14, 2016
ISBN9782804486938
Droit administratif et contentieux

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    Droit administratif et contentieux - Éditions Larcier

    Droit administratif et contentieuxDroit administratif et contentieux

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications sprl (Limal) pour le © Groupe Larcier s.a.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larciergroup.com

    © Goupe Larcier s.a., 2015

    Éditions Larcier

    Espace Jacqmotte

    Rue Haute, 139 – LOFT 6 – B-1000 Bruxelles

    EAN 978-2-8044-8693-8

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    Titres parus dans le cadre

    de la Commission Université-Palais (CUP)

    Pour les titres parus antérieurement à 2010 et leur état de disponibilité, voyez le site de la Commission Université-Palais (http://local.droit.ulg.ac.be/sa/CUP/), sous l’onglet « Éditions ».

    Sommaire

    1 – Le choix du juge

    Le choix du juge quant à l’objectif véritable du recours

    Stéphane Rixhon

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    La réparation du dommage causé par l’illégalité d’un acte administratif et l’indemnité réparatrice : à quel saint se vouer ?

    Alexandre Pirson

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    Martin Vrancken

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    Le choix du juge en matière de contentieux administratif – Questions choisies

    Aurélie Kettels

    assistante à l’U.Lg.

    avocate

    2 – Variations sur la réforme du Conseil d’État : du mandat ad litem aux dépens,en passant par quelques accessoires autour du pouvoir d’annuler

    David Renders

    professeur à l’U.C.L.

    avocat

    Benoit Gors

    maître de conférences invité et assistant à l’U.C.L.

    avocat

    Andrzej Trybulowski

    aspirant du F.R.S.-FNRS

    doctorant à l’U.C.L.

    Louis Vansnick

    maître de conférences invité et assistant à l’U.C.L.

    avocat

    3 – L’urgence et les nouvelles conditions du référé administratif devant le Conseil d’État

    Michel Delnoy

    professeur à l’U.Lg.

    avocat

    Martin Lauwers

    maître de conférences à l’U.Lg., avocat

    Renard Smal

    maître de conférences à l’U.Lg., avocat

    4 – La motivation formelle des actes administratifs – Questions choisies

    Judith Merodio

    avocate

    Renaud Simar

    avocat, assistant à l’U. St-Louis Bruxelles

    Nathalie Van Damme

    avocate, collaboratrice scientifique à l’U.Lg.

    1

    Le choix du juge

    Sommaire

    Le choix du juge quant à l’objectif véritable du recours

    Stéphane Rixhon

    Introduction

    Section 1

    La répartition des contentieux

    Section 2

    L’objet véritable du recours

    En guise de conclusion

    La réparation du dommage causé par l’illégalité d’un acte administratif et l’indemnité réparatrice : à quel saint se vouer ?

    Alexandre Pirson et Martin Vrancken

    Introduction

    Section 1

    Une révision paradoxale de la Constitution

    Section 2

    Le champ d’application de la réforme

    Section 3

    L’introduction et l’instruction de la demande

    Section 4

    Le principe electa una via

    Section 5

    Les conditions de fond

    Section 6

    L’indemnité réparatrice proprement dite

    Conclusion

    Le choix du juge en matière de contentieux administratif – Questions choisies

    Aurélie Kettels

    Introduction

    Section 1

    L’inapplicabilité de la théorie de l’objet véritable aux actes réglementaires : une évidence à appréhender avec une certaine prudence

    Section 2

    La théorie de l’objet véritable et les actes individuels

    Conclusions

    Le choix du juge quant à l’objectif véritable du recours

    Stéphane Rixhon

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    Introduction

    La théorie de l’objet véritable du recours permet de répartir le contentieux entre le Conseil d’État et les juridictions judiciaires. La présente contribution s’intéresse principalement aux arrêts récents de la Cour de cassation sur ce point.

    La première partie du travail rappelle les règles principales de la répartition du contentieux entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État. La deuxième partie traite de la question de l’objet véritable du recours.

    Section 1

    La répartition des contentieux

    Nous commençons par rappeler les règles qui régissent la répartition du contentieux (A), avant d’analyser deux questions particulières à ce sujet (B).

    A. Les règles principales

    La répartition des pouvoirs entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État tient essentiellement en deux principes.

    Premièrement, la Constitution attribue aux cours et tribunaux judiciaires la compétence de connaître des contestations qui ont pour objet les droits subjectifs¹. Ceux-ci sont soit de nature civile, soit de nature politique².

    La Cour de cassation définit le droit subjectif comme : l’« obligation juridique déterminée qu’une règle du droit objectif impose directement à un tiers et à l’exécution de laquelle [le titulaire du droit subjectif] a un intérêt. Pour qu’une partie puisse se prévaloir d’un tel droit à l’égard de l’autorité administrative, il faut que la compétence de cette autorité soit liée »³.

    Deuxièmement, en parallèle de ce contentieux « subjectif », le législateur a confié au Conseil d’État le soin de statuer par voie d’arrêt sur les recours en annulation portés contre les actes unilatéraux des autorités administratives⁴. Le pouvoir conféré au Conseil d’État ne déroge pas à celui des cours et tribunaux⁵ mais vise uniquement à accorder un surcroît de protection au justiciable qui constaterait qu’une violation du droit (objectif) lèse ses intérêts légitimes⁶.

    La Cour de cassation se prononce sur les conflits d’attributions entre juridictions⁷, de telle sorte qu’elle est maîtresse, en dernier ressort, des questions en lien avec la répartition du contentieux entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État⁸.

    B. Les situations où la question de l’objet véritable ne se pose pas

    La question de l’objet véritable du recours, entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État, ne se pose pas systématiquement. Ainsi, lorsque le législateur apporte des dérogations aux deux principes énoncés précédemment⁹, l’objet véritable du recours n’a pas à être examiné (1). Même si aucune dérogation n’est apportée à ces deux principes, la question de l’objet véritable ne se pose jamais si l’acte querellé est de nature réglementaire (2).

    1. Les dérogations à la répartition du contentieux

    Les juridictions judiciaires connaissent du contentieux relatif aux droits subjectifs, qu’ils soient civils ou politiques. Le législateur peut toutefois confier à des juridictions spécifiques les litiges relatifs aux droits subjectifs politiques¹⁰.

    À titre d’exemple, l’article 16 des lois coordonnées sur le Conseil d’État attribue au Conseil d’État la compétence de connaître des recours contre les élections communales¹¹.

    Parallèlement, le législateur a confié, d’une manière générale, la compétence d’annuler les actes administratifs au Conseil d’État. Le législateur peut toutefois écarter la haute juridiction s’il confie à un autre juge la compétence de connaître des recours ayant le même objet, ou lorsque l’accès aux juridictions ordinaires est susceptible d’offrir au justiciable le même résultat que le recours en annulation¹².

    Par exemple, la loi du 15 septembre 2006 attribue le contentieux de la migration à un Conseil du contentieux des étrangers¹³, privant le Conseil d’État de sa compétence résiduelle en matière d’annulation des actes individuels en la matière¹⁴. Un deuxième exemple peut être trouvé dans la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 (sic) relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges¹⁵. ­Celle-ci confie à la cour d’appel de Bruxelles la compétence de connaître des recours en annulation portés contre les actes de l’I.B.P.T.¹⁶, nonobstant le fait que l’objet du recours soit l’annulation de l’acte en question.

    L’aménagement des compétences peut également revêtir un caractère implicite. Ainsi, l’assemblée générale du Conseil d’État¹⁷, suivie par les chambres réunies de la Cour de cassation¹⁸, a considéré que l’article 580, 1°, du Code judiciaire confie la compétence aux tribunaux du travail¹⁹ d’annuler les actes unilatéraux de l’O.N.S.S. Ces décisions reconnaissent que le législateur peut écarter largement et implicitement la compétence du Conseil d’État²⁰.

    2. L’annulation erga omnes des règlements

    La Cour de cassation indique de longue date que si l’acte attaqué devant le Conseil d’État est de nature réglementaire et non individuelle, la question de l’objet véritable ne se pose pas et le Conseil d’État est toujours compétent²¹.

    En parallèle, les juridictions judiciaires peuvent toujours écarter un règlement illégal sur la base de l’article 159 de la Constitution²².

    Le législateur reste compétent pour modifier cette situation et peut, par exemple, rendre le Conseil d’État incompétent pour annuler certains actes réglementaires²³. La Cour constitutionnelle a reconnu la validité de cette pratique, puisque le justiciable reste en droit d’invoquer l’illégalité d’un règlement par voie incidente devant les juridictions judiciaires²⁴.

    Section 2

    L’objet véritable du recours

    La question de l’objet véritable du recours se pose dès que la légalité d’un acte unilatéral de caractère individuel est soumise au contrôle du juge. Celui-ci doit déterminer si l’objet du litige concerne des droits subjectifs (A). Cette notion en mobilise une autre, à savoir celle de la nature de la compétence exercée par l’Autorité, liée ou discrétionnaire (B).

    A. La détermination de l’objet du litige

    1. L’objet véritable et non l’objet formel du recours

    Le Conseil d’État n’est pas systématiquement compétent lorsque le requérant recherche l’annulation d’un acte administratif individuel. Encore faut-il que la demande d’annulation de l’acte administratif ne soit pas formée en vue de mettre fin à la violation d’un droit subjectif²⁵.

    La doctrine évoque à ce sujet l’objet « formel » du recours et l’objet « véritable » du recours²⁶. L’idée qui ressort de la jurisprudence est que la compétence du Conseil d’État doit être « écartée dès que le recours amènerait à juger une contestation portant sur un droit subjectif »²⁷, même si l’objet de la requête vise formellement l’annulation d’un acte administratif.

    Les droits subjectifs politiques sont pourtant encore assimilés très souvent à de simples intérêts et non à de véritables droits par le Conseil d’État²⁸. Celui-ci a dès lors tendance à se déclarer compétent pour trancher un contentieux qui devrait, nous semble-t-il, revenir au juge judiciaire.

    Par exemple, le Conseil d’État se considère compétent pour connaître de l’annulation des actes réglant le statut administratif des fonctionnaires, même « si la compétence [de l’autorité administrative] est effectivement liée, et si le requérant répond aux conditions fixées par la disposition réglementaire [en cause, et donc que] la seule décision légale que pourrait prendre [l’autorité] à l’égard [du fonctionnaire], serait de le promouvoir au grade [demandé] ». Le Conseil d’État indique que l’Autorité serait obligée en droit, au besoin sous astreinte, de promouvoir le fonctionnaire²⁹. La Cour de cassation paraît avoir condamné une telle jurisprudence³⁰. Les faits ayant conduits la Cour de cassation à se prononcer sont les suivants : une institutrice avait été mise en disponibilité et avait critiqué la décision devant le Conseil d’État qui s’était déclaré compétent. En effet, pour le Conseil d’État, si la réunion des conditions contenues dans l’arrêté royal entraîne de plein droit la mise en disponibilité du membre du personnel, la modification de sa situation administrative requiert malgré tout une décision administrative³¹. La Cour de cassation casse l’arrêt du Conseil d’État. Selon elle, la compétence de l’autorité était liée et, s’agissant de trancher un contentieux de droits subjectifs, seul le juge judiciaire était compétent³².

    2. L’objet direct et non l’objet indirect

    La Cour de cassation reconnaît de longue date que le recours devant le juge administratif est ouvert, même si l’une des conséquences de l’annulation de l’acte revient, indirectement³³, à permettre au requérant de revendiquer un droit subjectif³⁴.

    3. La causa petendi et le petitum

    Traditionnellement, le Conseil d’État se déclare compétent même si l’objet du recours porte sur une question relative à des droits subjectifs (le petitum), tant que l’acte administratif attaqué l’est par des moyens de pure légalité (la causa petendi), comme l’incompétence de l’auteur de l’acte³⁵.

    B. L’importance de la nature liée ou discrétionnaire de la compétence

    Nous avons vu que la notion-clé en matière d’objet véritable du recours est la présence, ou l’absence d’un droit subjectif. Pour rappel, l’administré ne peut revendiquer de droit subjectif vis-à-vis de l’administration que si la compétence de cette dernière est liée³⁶.

    Dès lors, la question de la nature de la compétence de l’auteur de l’acte – liée ou discrétionnaire – paraît guider celle de l’objet véritable du recours, autant devant la Cour de cassation que devant le Conseil d’État. Tantôt la compétence est discrétionnaire, ce qui justifie le pouvoir du Conseil d’État, tantôt le recours vise un acte adopté sur la base d’une compétence complètement liée, et les juridictions judiciaires sont compétentes³⁷.

    Doctrine et jurisprudence n’arrivent toutefois pas à arrêter le critère distinguant clairement la compétence discrétionnaire de la compétence liée³⁸.

    A priori, l’on s’entend pour considérer que l’Autorité exerce une compétence liée si elle ne dispose d’aucune marge de manœuvre, d’aucun pouvoir d’appréciation, dans l’application de la réglementation³⁹. Malheureusement, cette prémisse unique reçoit au moins deux sens en jurisprudence⁴⁰.

    Tantôt la compétence liée se trouve là où la loi ne laisse aucune marge de manœuvre à l’autorité en ce que la précision du texte juridique est telle qu’elle ne peut donner lieu qu’à une seule interprétation valable (nous qualifions pour les besoins de la suite de l’exposé cette première interprétation de « thèse no 1 »). Tantôt la compétence liée se trouve partout où l’Autorité ne dispose d’aucune marge de manœuvre dans l’application de la loi parce que la loi n’indique pas que l’Administration peut choisir entre plusieurs solution. La loi n’est pas ici forcément très détaillée, mais elle encadre le réel à l’aide de « notions légales » plus ou moins déterminées⁴¹. Selon cette thèse, plusieurs solutions resteraient de facto possibles à la lecture de la loi, mais une seule – celle du juge – doit être légalement retenue en cas de contrôle de ce dernier (ci-après, la « thèse no 2 »). L’usage du syllogisme judiciaire permet d’éclairer cette situation⁴².

    Le syllogisme comprend une majeure : la règle de droit abstraite, qui correspond aux motifs de droit de l’acte administratif. La mineure du raisonnement reprend les éléments de fait, les éléments concrets à prendre en compte, à apprécier par le magistrat ou l’Autorité et qui correspond aux motifs de fait de l’acte. Enfin, la conclusion du syllogisme représente la solution juridique du litige ou le dispositif de l’acte⁴³.

    Lorsqu’elle adopte un acte administratif, l’Autorité applique les règles de droit à des situations précises mais bénéficie parfois, à la différence du juge qui tranche des litiges⁴⁴, d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’adoption de la solution adéquate⁴⁵.

    Selon la thèse no 1, il peut y avoir un pouvoir discrétionnaire lorsque la loi n’est pas suffisamment précise et qu’ainsi, l’administration peut objectivement choisir plusieurs solutions conformes au texte de loi⁴⁶. La thèse no 2 n’ouvre le pouvoir discrétionnaire que si un texte indique que l’administration dispose d’un pouvoir de choisir⁴⁷. La thèse no 1 place donc la liberté de choix dans les motifs de la décision alors que la thèse no 2, elle, fait reposer ce choix dans le dispositif⁴⁸.

    À l’heure actuelle, aucune des deux thèses ne paraît pouvoir l’emporter définitivement. À titre d’exemple, nous analysons ci-dessous cinq arrêts de la Cour de cassation rendus depuis 2013, dont deux par les chambres réunies. Trois décisions semblent clairement pencher du côté de la thèse no 2 quand deux arrêts légèrement postérieurs aux trois premiers, dont également, un des chambres réunies, adoptent résolument la thèse no 1.

    1. La thèse no 1 dans la jurisprudence de la Cour de cassation

    a) L’arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 2014

    Dans ce premier arrêt, la Cour de cassation se penche sur la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et plus spécifiquement sur la notion d’« ordre public », comprise à l’article 3 du texte, permettant à l’Autorité de refuser le séjour à un étranger⁴⁹.

    En fait, un étranger d’origine camerounaise se voit refuser son visa d’études en Belgique. Il ne conteste pas cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers mais directement devant le président du tribunal de première instance. Celui-ci donne raison au demandeur mais l’ordonnance est réformée en appel.

    L’ordre public est une notion légale indéterminée, c’est-à-dire prévue par un texte de loi qui n’en donne aucune définition précise. Sur les conclusions conformes de son parquet, la Cour de cassation considère que l’usage de cette notion dans la loi ouvre à l’autorité un pouvoir discrétionnaire, lui permettant de refuser un permis de séjour sur cette base. La Cour de cassation paraît donc opter pour la thèse no 1, en décidant que l’ordre public – notion légale – laisse pourtant à l’Autorité le soin de déterminer quel événement en relève concrètement.

    b) L’arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 19 février 2015

    Un arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 19 février 2015 paraît également suivre cette voie⁵⁰. L’affaire concerne l’Inspection des Finances. L’article 48 de l’arrêté royal du 1er avril 2003 fixant le statut des membres du Corps interfédéral de l’inspection des finances et modifiant l’arrêté royal du 28 avril 1998 portant organisation du Corps interfédéral de l’Inspection des finances prévoit quelle expérience est prise en compte pour déterminer l’échelle barémique de l’intéressé. La disposition indique qu’est prise en compte « l’ancienneté acquise dans tout autre fonction procurant une expertise utile pour l’exercice de la fonction de l’inspecteur des finances et ceci avec un maximum de 7 ans ».

    Sur conclusions conformes de son parquet, la Cour de cassation décide que si la limite de 7 ans lie l’Autorité, la détermination de « tout autre fonction » relève de la compétence discrétionnaire de l’Administration.

    Il nous semble donc possible de rattacher cet arrêt à la thèse no 1. La limite de 7 ans est fixée dans la loi précisément, ce qui conduit à lier l’Administration. A contrario, la détermination de la notion légale de « tout autre fonction » relève du pouvoir discrétionnaire de l’Autorité, qui est libre, sans contrôle judiciaire, de déterminer ce qu’elle entend par là.

    2. La thèse no 2 dans la jurisprudence de la Cour de cassation

    a) L’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2014

    La Cour de cassation s’est penchée sur l’article 141bis du Code des droits de succession qui indique que le directeur régional peut accorder des exonérations dans des cas spéciaux⁵¹.

    En fait, le demandeur en cassation était resté en défaut de payer les droits de succession qui lui étaient imposés et avait introduit une demande de réduction des intérêts de retard auprès de l’Administration. À la suite du refus de l’Autorité, la cour d’appel s’est déclarée incompétente pour lui substituer sa propre appréciation.

    Comme il ressort d’un attendu particulièrement clair de la Cour de cassation : « [l]e directeur régional qui statue sur une telle demande d’exonération doit respecter la notion légale de cas spécial mais dispose, dans ces limites, d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire ».

    L’autorité administrative, dans ce cas, doit respecter la norme indéterminée que constitue le « cas spécial ». Si elle fait rentrer une situation particulière dans la notion de « cas spécial », le juge éventuellement saisi contrôlera si cette situation correspond à celle prévue dans la loi, telle qu’interprétée par lui⁵², malgré l’absence d’une définition légale explicite de la notion. Si le cas spécial est rencontré, l’Administration peut accorder une exonération. Le juge, dans ce cas, n’a pas à contrôler la décision administrative. Pour la Cour, aucun droit subjectif à une exonération n’est donc prévu dans cette loi.

    Les conclusions de l’Avocat général Henkes en cette affaire étaient particulièrement instructives. Ce dernier s’est, en effet, livré à une longue analyse des concepts de « compétence liée » et de « compétence discrétionnaire ». Il indique que la distinction entre les deux types de compétence doit s’apprécier au cas par cas, en tenant compte de la volonté du législateur exprimée dans les travaux préparatoires.

    L’utilisation de cette méthode casuistique au cas d’espèce fait pourtant conclure à l’avocat général, à l’inverse de la décision de la Cour de cassation, que l’existence du « cas spécial » relève de la compétence discrétionnaire de l’Autorité. Ainsi, il ne nous paraît pas possible de déterminer si, en vertu de cet arrêt, la volonté du législateur, telle qu’exprimée dans les travaux préparatoires, doit être utilisée pour déterminer si un concept repris dans un texte de loi constitue ou non une notion légale contrôlable par le juge.

    b) L’arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 8 mars 2013

    Une autre illustration est fournie par l’arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 8 mars 2013. Celui-ci casse une décision du Conseil d’État ayant tranché que l’article 42 de la loi du 1er août 1985, portant des mesures fiscales et autres, ouvrait la voie à une compétence discrétionnaire de l’Autorité⁵³.

    En fait, un policier a été agressé au sortir d’un bar par quatre personnes dont il avait à un moment contrôlé le véhicule. Le policier a été admis à la pension suite à cette agression et a demandé au ministre une indemnité sur la base de l’article 42 de la loi du 1er août 1985, précitée. Le ministre a refusé l’indemnité, ce qui a conduit à un premier recours au Conseil d’État⁵⁴.

    Le Conseil d’État avait décidé que « dans le cadre des décisions relatives à l’octroi de l’indemnité spéciale, la partie adverse dispose d’un réel pouvoir d’appréciation notamment quant au lien causal unissant l’acte de violence et les fonctions de police exercées par l’agent victime de cet acte »⁵⁵.

    La Cour de cassation décide qu’ :« [i]l suit de ces dispositions que les conditions de l’octroi de l’indemnité spéciale, dont le montant est forfaitairement fixé, sont entièrement définies par le législateur [à l’article 42 de la loi précitée], à savoir dans l’espèce 1° le fait que l’agent soit décédé ou contraint de quitter définitivement le service pour inaptitude physique, 2° l’existence d’un acte intentionnel de violence subi par l’agent ou l’explosion d’un engin de guerre ou piégé et 3° un rapport entre la cause du dommage et l’exercice de certaines fonctions, telles les fonctions de police exercées par l’agent victime de cet acte ».

    La disposition en question indique : « § 1er. Sans préjudice des avantages accordés en vertu de la législation sur les accidents du travail ou les pensions de réparation, il est octroyé, en temps de paix, aux conditions et selon les modalités fixées par le Roi, une indemnité pour dommage moral de 53.200 euros, ci-après dénommée ‘indemnité spéciale’, aux personnes visées au paragraphe 3 qui sont contraintes de quitter définitivement le service pour inaptitude physique ou, en cas de décès, à leurs ayants droit. […] L’indemnité spéciale est octroyée aux personnes énumérées à l’alinéa 1er pour autant que le dommage visé au paragraphe 2 ait été causé lors de l’exercice de leurs fonctions »⁵⁶.

    Dans ses conclusions précédant l’arrêt, M. Werquin a indiqué que seules deux options s’ouvraient à l’auteur de l’acte. Soit constater la réunion des conditions, en ce compris le lien de causalité entre la personne et le dommage et donc accorder l’indemnité, soit constater l’absence de réunion et refuser l’indemnité. Cela ressort, selon lui⁵⁷, de l’intention du législateur⁵⁸.

    La Cour suit ce raisonnement.

    Selon nous, cet arrêt constitue une nouvelle illustration de la thèse no 2. En effet, le lien causal entre les personnes et le dommage est une notion qui ne reçoit pas forcément le même traitement en fonction de l’interprète de la situation factuelle. Le Conseil d’État avait d’ailleurs fait, en l’espèce, une distinction entre le lien direct et le lien indirect.

    Encore une fois, si la loi utilise une notion indéterminée de « dommage […] causé lors de l’exercice de leurs fonctions », c’est bel et bien le texte législatif qui prévoit cette condition, sans indiquer que l’Autorité disposerait d’un quelconque pouvoir d’appréciation discrétionnaire. De la sorte, l’Autorité ne dispose pas d’une marge de manœuvre puisque le juge peut contrôler sa décision entièrement.

    c) L’arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2013

    La Cour de cassation offre encore une autre illustration de la thèse no 2 dans son arrêt du 15 novembre 2013⁵⁹. Dans cet arrêt, la Cour interprète l’article 5 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine.

    Les faits concernent un détenu demandant un congé pénitentiaire, refusé par l’administration. La cour d’appel, saisie des faits, avait décidé qu’elle était sans compétence pour accorder le congé au motif que l’Administration disposait d’un pouvoir discrétionnaire. La Cour de cassation va casser l’arrêt de la cour d’appel.

    L’article 5 de la loi indique : « [l]a permission de sortie est accordée à condition […] qu’il n’existe pas, dans le chef du condamné, de contre-indications auxquelles la fixation de conditions particulières ne puisse répondre ; ces contre-indications portent sur le risque que le condamné se soustraie à l’exécution de sa peine, sur le risque qu’il commette des infractions graves pendant la permission de sortie ou sur le risque qu’il importune les victimes ».

    Pour la Cour de cassation, l’article 5 de la loi du 17 mai 2006 impose au ministre ou à son délégué d’accorder la permission de sortie ou le congé pénitentiaire demandé par le condamné lorsque toutes les conditions prévues par la loi sont réunies. Elle ajoute que « [l]a circonstance que l’une des conditions charge le ministre ou son délégué d’apprécier s’il n’existe pas dans le chef du condamné de contreindications (sic) précisées par la loi et, dans l’affirmative, si des conditions particulières sont susceptibles d’y répondre, ne confère pas au ministre un pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser la demande ». La compétence liée est ici reconnue conformément aux exigences que nous avons cru discerner dans la thèse no 2 : la loi ne laisse pas de place à une compétence discrétionnaire puisque, si elle utilise des notions légales indéterminées, celles-ci doivent être interprétées sous le contrôle du juge. L’Autorité doit accorder la permission une fois les conditions remplies.

    Il faut remarquer que cet arrêt est rendu sur les conclusions conformes du parquet, qui indiquaient notamment que « [m]ême si certaines des [conditions de la loi] laissent encore au ministre une marge d’appréciation importante (sic), le législateur passe d’une logique de faveur à une logique de droit subjectif ».

    Notons enfin que le Conseil d’État était arrivé à la même conclusion que la Cour de cassation, puisqu’il s’était déclaré incompétent pour connaître de l’annulation d’une décision semblable⁶⁰.

    3. Et dans la jurisprudence du Conseil d’État ?

    Le Conseil d’État adopte une position pleine de nuances en matière d’objet véritable du recours⁶¹. Quoi qu’il en soit, la thèse no 1 paraît aujourd’hui prédominer chez le juge administratif, même si de nombreuses notions légales imprécises sont contrôlées de longue date par le Conseil d’État au même titre que des concepts légalement définis⁶², ce qui tend, selon nous, à considérer que l’Autorité ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire dans ces situations.

    B. Blero mentionne quant à lui de nombreux arrêts laissant à l’Autorité le soin de déterminer le contenu concret des notions légales imprécises⁶³. Par cela, le Conseil d’État adopterait donc la thèse no 1.

    À titre d’exemple, l’arrêt no 224.202, du 1er juillet 2013⁶⁴, considère que l’article 9, alinéa 2⁶⁵, de l’arrêté royal du 2 octobre 2011 portant exécution du titre 7, chapitre 2, de la loi-programme du 23 décembre 2009 ouvre à l’Autorité un pouvoir discrétionnaire. La disposition précitée permet à l’ONEm de statuer sur des réclamations introduites par des A.L.E. lorsque le prélèvement en question pourrait menacer à court terme leur continuité, ou celle de leur section sui generis. Une telle analyse permet de ranger cet arrêt dans les avatars de la thèse no 1.

    En guise de conclusion

    La théorie de l’objet véritable s’insère dans la question plus large de la répartition du contentieux entre le Conseil d’État et les juridictions judiciaires. La détermination de l’objet véritable du recours présente un intérêt lorsqu’un recours contre un acte administratif est introduit, et que les règles de répartition du contentieux entre les juridictions ordinaires et le Conseil d’État n’ont pas été altérées par une législation particulière.

    Le problème de la théorie de l’objet véritable est qu’elle repose sur la notion de droit subjectif et celui-ci est déterminé par la présence ou non d’une compétence liée de l’Autorité. Ce dernier concept divise profondément la jurisprudence de la Cour de cassation.

    (Au moins) deux thèses paraissent cohabiter dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation, portées, chacune d’elle, par des arrêts de chambres réunies.

    Une unification de cette jurisprudence nous semble nécessaire, afin de permettre au requérant de connaître avec assez de certitude si la voie d’accès au juge qu’il a choisie est correcte, sous peine de se voir refoulé parce qu’il n’aurait pas frappé à la bonne porte.

    1. Voy. not. : P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 349 et s. et B. Blero, « L’article 145 de la Constitution comme solution aux conflits de compétence entre le juge de l’excès de pouvoir et le juge judiciaire », in Le Conseil d’État de Belgique 50 ans après sa création, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 207 et s.

    2. Art. 144 et 145 de la Constitution.

    3. Cass. (ch. réunies), 20 décembre 2007, R.G. nos C.06.0574.F et C.06.0596.F, Pas., 2007, nos 655 et 656, et concl. Monsieur Werquin.

    4. Art. 14 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, M.B., 21 mars 1973. Le constituant prend aujourd’hui en compte l’existence du Conseil d’État en ayant adopté l’article 160 de la Constitution.

    5. Voy. concl. de Monsieur Dumon publiées avant Cass., 29 janvier 1981, Pas., I, 1981, p. 570.

    6. L.-P. Suetens, « Vigilantibus, non dormientibus, subveniunt jura », in Liber Amicorum Jan Ronse, Bruxelles, Story Scientia, 1986, pp. 91-102, spéc. p. 93.

    7. Art. 158 de la Constitution.

    8. La différence avec la situation en France est fameuse, puisque la République confie cette question à un Tribunal des conflits représentant également le Conseil d’État et la Cour de cassation. Voy. à ce sujet : P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, op. cit., p. 353 et p. ex. : F.-P. Bénoit, Le droit administratif français, Paris, Dalloz, 1968, pp. 328 et s.

    9. Supra., A.

    10. Art. 145 de la Constitution.

    11. Des législations particulières peuvent fournir d’autres exemples d’aménagement dans la répartition des compétences. Le seul interdit constitutionnel est que le législateur retire au pouvoir judiciaire la protection des droits civils.

    12. Cass., 8 janvier 1953, Pas., I, 309 ; J. Salmon, J. Jaumotte et É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 477-478 ; M. Leroy, Contentieux administratif, 5e éd., Limal, Anthemis, 2011, p. 328 ; S. Lust, Raad van State – Afdeling Administratie – Rechtsherstel door de Raad van State, Bruges, Die Keure, 2000, pp. 204 et s. ; « offrir le même résultat… », cette assertion est critiquée par B. Blero, « La théorie de l’objet véritable du recours n’est-elle pas véritablement devenue sans objet ? », R.C.J.B., 2009, en ce qu’elle reviendrait à vider le Conseil d’État de toute sa compétence en matière d’actes individuels. Nous pouvons voir, infra, que la théorie de l’objet véritable trouve sa place précisément au niveau du contentieux des actes individuels.

    13. Loi réformant le Conseil d’État et créant un Conseil du contentieux des étrangers, M.B., 6 octobre 2006.

    14. Le Conseil du contentieux des étrangers agit en annulation dans le contentieux de la migration mais en plein contentieux dans celui du droit d’asile. Il ressortit donc à la fois à la première et à la deuxième exception évoquées supra.

    15. M.B., 24 janvier 2003.

    16. La loi qualifie de « pleine juridiction » le recours. Il est en effet un peu plus qu’un simple recours en légalité, même si la cour d’appel de Bruxelles exige du requérant la présentation de moyens d’annulation comme devant le Conseil d’État : E. Loncke et G. Pijcke, « Cassation administrative, théorie de la cause et moyen nouveau », note sous C.E., no 193.339 du 15 mai 2009, XXX, R.C.J.B., 2011, p. 81.

    17. C.E., no 201.261 du 24 février 2010, Communauté flamande.

    18. Cass., 30 mai 2011, R.G. no C.10.0625.F/1. La jurisprudence est répétée par un autre arrêt des chambres réunies : Cass., 8 mars 2013, R.G. no C.12.0408.N.

    19. Ce qui a pour effet d’écarter la Compétence du Conseil d’État.

    20. Voy. à ce sujet, concl. M. Mortier avant Cass., 30 mai 2011.

    21. Cass., 2 juillet 1954, Pas., 1954, I, pp. 955 et s.

    22. Au sujet de l’article 159 de la Constitution, voy. not. Cass., 9 janvier 1997, R.C.J.B., note D. Lagasse, « L’absence de toute autorité de chose jugée d’un arrêt de rejet du Conseil d’État devant les cours et tribunaux ou de la suprématie du principe de la légalité administrative sur le principe de sécurité juridique ».

    23. À titre d’exemple, l’article 107 de la loi du 20 juillet 1991 ajoute un alinéa 3 à l’article 26 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, privant ainsi le Conseil d’État de sa compétence en matière d’annulation des conventions collectives.

    24. C.A., no 37/93 du 19 mai 1993, rendu au sujet de l’article 107 de la loi du 20 juillet 1991, précité.

    25. Cass., 27 novembre 1952, Pas., 1953, I, pp. 184 et s., concl. P. Cornil. Par ces arrêts, la Cour rejette la théorie dite « de l’objet formel » au profit de celle « de l’objet véritable » du recours : J. Salmon, J. Jaumotte et É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, op. cit., pp. 492-493 ; Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 325.

    26. J. Salmon, J. Jaumotte et É. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, op. cit., pp. 492-503.

    27. P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, op. cit., p. 729.

    28. Voy. B. Blero, op. cit., 2009, pp. 469 et s. et B. Blero, op. cit., 1999, p. 216. Rappelons que d’après la Cour de cassation, il y a un droit subjectif lorsqu’un tiers est obligé vis-à-vis d’une autre personne, qui a intérêt à cette obligation : Cass. (ch. réunies), 20 décembre 2007, précité.

    29. C.E., no 218.111 du 17 février 2012, Neuprez ; voy. aussi : C.E., no 218.316 du 5 mars 2012, Schmit. Mutatis mutandis : le sort réservé au droit politique de disposer d’un acte d’état civil.

    30. Cass. (ch. réunies), 20 décembre 2007, R.G. no C.06.0574.F/1.

    31. C.E., no 162.544 du 19 septembre 2006, Druez.

    32. En recevant cet arrêt, le Conseil d’État a décidé qu’il n’y avait plus lieu de statuer puisque « la Cour de cassation a nécessairement jugé que le Conseil d’État n’est pas compétent pour […] connaître [du contentieux] » : C.E., no 182.573 du 29 avril 2008, Druez. Dans un arrêt subséquent, le Conseil d’État est toutefois revenu sur cette jurisprudence de la Cour de cassation en indiquant : « contrairement à ce que soutient la partie adverse, la Cour de cassation n’a pas décidé, dans l’arrêt du 20 décembre 2007 (C.06.0574.F), que le Conseil d’État était nécessairement incompétent pour statuer sur la demande qui lui avait été soumise ; qu’elle a jugé que la compétence de l’administration pour statuer sur la réunion des conditions visées à l’article 9 de l’arrêté royal précité du 18 janvier 1974 est liée et qu’en conséquence, en se fondant sur le caractère discrétionnaire de cette compétence pour écarter le déclinatoire de compétence, le Conseil d’État n’avait pas justifié légalement sa décision ; qu’après avoir cassé l’arrêt, la Cour de cassation a renvoyé la cause au Conseil d’État, ce qui implique qu’elle n’a pas exclu qu’il pût être compétent pour statuer sur la demande mais qu’elle a considéré qu’il lui appartenait, s’il estimait être compétent, de le justifier légalement » : C.E., no 213.310 du 17 mai 2011, Deville.

    33. Par exemple, la rémunération consécutive à l’annulation d’un manquement disciplinaire ayant conduit à une retenue de traitement.

    34. Cass., 27 novembre 1957, Pas., 1958, I, 328 ; la jurisprudence vient encore d’être confirmée très récemment : Cass., 19 février 2015, R.G. no C.14.0308.N ; M. Leroy, Contentieux administratif, 5e éd., op. cit., p. 329.

    35. La Cour de cassation n’a jamais validé ni sanctionné cette jurisprudence. Le parquet de cassation en fait souvent mention, sans que la Cour ne se prononce à ce sujet. Certains arrêts récents du Conseil d’État rejettent la distinction : C.E., no 95.765 du 22 mai 2001, Bervelt ; C.E., no 159.137 du 23 mai 2006, Fabrique d’Eglise de Mabompré ; C.E., no 167.468 du 5 février 2007, s.a. Ostyn Facilities ; C.E., no 185.268 du 9 juillet 2008, Belhadj ; C.E., no 186.485 du 24 septembre 2008, Samyn. Voy. à ce propos B. Blero, op. cit., 2009, p. 438. Toutefois, une jurisprudence important confirmant cette théorie reste présente : C.E. (a.g.), nos 192.198 et 192.199 du 2 avril 2009, Simons et Trappeniers. Voy. plus récemment : C.E., no 228.419 du 19 septembre 2014, A.S.B.L. Avala.

    36. Le caractère lié de la compétence apparaît au moins comme une condition nécessaire de la présence de droits subjectifs, il n’est pas certain que la condition soit également suffisante, selon M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., pp. 345 et s.

    37. D. Deom, « Le pouvoir discrétionnaire : vieillard chancelant ou force vive du droit administratif », in Liber amicorum Robert Andersen, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 206.

    38. Notons que les compétences liées et discrétionnaires de l’administration ne sont analysées ici que dans une perspective « contentieuse », qui ne rend pas compte de l’importance concrète que peut revêtir, en pratique, la marge de manœuvre dont dispose l’Autorité : D. Deom, « Le pouvoir discrétionnaire : vieillard chancelant ou force vive du droit administratif », op. cit., p. 212. En effet, sur le terrain, assez peu d’actes administratifs sont contrôlés par le juge et l’autorité dispose donc d’un pouvoir de facto de premier interprète de la loi qui s’étend aussi aux situations où sa compétence est théoriquement liée au regard de la jurisprudence récente : C. Schmitt, Légalité et légitimité (1932), Quebec, Presses universitaires de Montréal, 2015, pp. 69-70.

    39. Voir p. ex. : M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 338.

    40. Voy. infra.

    41. Selon une doctrine française déjà ancienne, le juge – et en dernière instance, le juge de cassation – doit contrôler l’application de toute notion utilisée par la loi : l’auteur indique que « par l’identification d’une certaine situation de fait avec une notion légale, toute qualification entraîne indirectement une définition de cette notion. […]. Remarquons que la solution doit être la même quelle que soit la notion envisagée et qu’il n’y a nullement à distinguer suivant la nature de la notion considérée. […]. [L]a terminologie légale compren[d] à côté de mots et de notions relevant spécialement de la technique juridique, tels que hypothèque, testament, usucapion, etc., des mots et des notions appartenant, soit à la vie courante, soit à la vie de certains milieux particuliers […]. Mais cela importe peu au point de vue du contrôle de la qualification par la Cour suprême. En effet, du moment qu’un mot, même usuel, est employé par la loi, la notion correspondante quoique tirée de la vie courante devient notion légale », G. Marty, La distinction du fait et du droit – Essai sur le pouvoir de contrôle de la Cour de cassation sur les Juges du fait, Paris, Recueil Sirey, 1929, pp. 205-206. Remarquons toutefois que ce commentaire est émis dans le cadre du droit privé et non du droit public. En droit privé, au contraire du droit public, aucune autorité administrative n’est habilitée à prendre des décisions liant les tiers, sur la base de l’application des lois. Il n’est donc pas évident que ce commentaire émis en droit judiciaire français soit transposable au droit public belge. Remarquons tout de même encore que M. Nihoul voit dans l’arrêt La Flandria, l’expression de la sujétion de principe du droit administratif au droit privé : M. Nihoul, Les privilèges du préalable et de l’exécution d’office – pour une relecture civile et judiciaire à l’aide du droit commun de l’exécution, Bruges, La Charte, 2001, pp. 39-59. L’enseignement décrit ci-dessus en deviendrait donc plus intéressant pour l’étude qui nous occupe.

    42. Pour des développements sur le syllogisme judiciaire, voy. F. Rigaux, La nature du contrôle de la Cour de cassation, Bruxelles, Bruylant, 1966, pp. 36 et s.

    43. Comme nous l’avions écrit ailleurs, on peut prendre un exemple simple : la loi punit de la réclusion à perpétuité l’auteur d’un assassinat (majeure). Or, X a tué de manière préméditée Y (mineure). Donc X doit être puni de la réclusion à perpétuité (conclusion).

    44. Sous réserve des situations où le juge tranche en équité. Dans cette situation, il nous paraît que le magistrat dispose d’un pouvoir semblable à celui de l’administration agissant dans le cadre d’une compétence discrétionnaire.

    45. Voy. D. Lagasse, L’erreur manifeste d’appréciation en droit administratif – Essai sur les limites du pouvoir, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 22. Selon l’auteur, cette liberté de choix trouve sa source dans le devoir qu’a l’administration d’adopter des décisions conformes à l’intérêt général : D. Lagasse, « L’évolution du contrôle des actes administratifs ‘discrétionnaires’ par le Conseil d’État de 1971 à 1986 », A.P.T., 1987, p. 216.

    46. Selon cette thèse, l’administration peut donc légalement interpréter les notions floues de la loi.

    47. La loi indique par exemple que l’autorité, après avoir vérifié les conditions légales, « peut » accorder un permis. Cette thèse se retrouve au départ dans la doctrine française : S. Rials, Le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), Paris, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1980, p. 47. D. Lagasse y fait référence dans sa thèse de doctorat, op. cit., 1986, p. 278.

    48. Voy. D. Deom, « Le pouvoir discrétionnaire : vieillard chancelant ou force vive du droit administratif », op. cit., p. 203.

    49. Cass., 24 janvier 2014, R.G. no C.10.0537.F/1.

    50. Cass., 19 février 2015, R.G. no C.14.0369.N/1.

    51. Cass., 10 janvier 2014, R.G. no F.12.0081.F.

    52. Et en dernier ressort, par la Cour de cassation.

    53. Cass., 8 mars 2013, R.G. no C.12.0424.F/1, note M. Kaiser, « La théorie de l’objet véritable et l’étrange voyage d’un justiciable égaré au sein des hautes juridictions », A.P.T., 2013, pp. 148-152.

    54. C.E., no 211.468 du 23 février 2011, Rütter. L’arrêt pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle qui se prononce par l’arrêt C.C., no 5/2012 du 11 janvier 2012.

    55. C.E., no 219.803 du 18 juin 2012, Rütter.

    56. Art. 42 de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres.

    57. M. Werquin cite, à ce sujet, le Rapport de M. le premier auditeur-chef de section du Conseil d’État Herbignat précédant l’arrêt du Conseil d’État no 211.468 du 23 février 2011.

    58. La mention de l’importance donnée à l’intention du législateur n’est pas reprise par la Cour de cassation. Toutefois, la Cour suit ici son parquet, ce qui nous fait penser qu’elle valide cette interprétation, contrairement à la situation analysée dans l’arrêt du 10 janvier 2014, précité.

    59. Cass., 15 novembre 2013, R.G. no C.12.0291.F/1.

    60. C.E., no 218.010 du 15 février 2012, Michelle Martin.

    61. La jurisprudence du Conseil d’État et ses applications font l’objet de la publication d’A. Kettels, dans le même ouvrage.

    62. D. Lagasse citait, dans sa thèse de doctorat : le « groupe de maisons », la « modification sensible du relief du sol », le « commencement de travaux », les « travaux d’intérêt national », la « petite industrie », la « zone nettement agricole », la « partie rurale ou agglomérée de commune », l’« habitation insalubre », l’« habitation menaçant ruine », l’« inconduite notoire dans la vie privée », le fait de « s’adonner habituellement à la boisson », le « fonctionnaire méritant », la « personnalité particulièrement compétente », op. cit., pp. 258 et s.

    63. C.E., no 57.708 du 22 janvier 1996, Bah Cherno Sadu ; C.E., no 87.008 du 3 mai 2000, Vandendooren ; C.E., no 88.429 du 29 juin 2000, Smets ; C.E., no 91.386 du 6 décembre 2000, Buydens ; C.E., no 95.622 du 18 mai 2001, A.S.B.L. Association francophone d’aide aux handicapés mentaux ; C.E., no 123.312 du 22 septembre 2003, A.S.B.L. Natuur 2000 ; C.E., no 126.338 du 12 décembre 2003, Ville d’Andenne ; C.E., no 132.277 du 10 juin 2004, Van Steertegem ; C.E., no 138.004 du 3 décembre 2004, Preudhomme ; C.E., no 142.943 du 11 avril 2005, Van Hemelrijck et a. ; C.E., no 144.025 du 2 mai 2005, Van Overschelde ; C.E., no 149.218 du 21 septembre 2005, Lecomte ; C.E., no 153.324 du 9 janvier 2006, A.S.B.L. Corban ; C.E., no 154.773 du 10 février 2006, Ville d’Andenne ; C.E., no 157.222 du 31 mars 2006, Ville d’Andenne ; C.E., no 167.200 du 29 janvier 2007, Hoste ; C.E., no 170869 du 7 mai 2007, A.S.B.L. Bouckenborgh, Jongeren et Cultuurcentrum ; C.E., no 172.349 du 18 juin 2007, Debackere ; C.E., no 189.999 du 13 octobre 2008, Dierck ; C.E., no 191.406 du 13 mars 2009, Dewulf ; C.E., no 192.418 du 20 avril 2009, S.P.R.L. Big fish, cités in B. Blero, op. cit., 2009, pp. 461-464.

    64. C.E., no 224.202 du 1er juillet 2013, A.L.E. d’Ans.

    65. Cette disposition porte : « Une A.L.E. qui a conclu, entre le 1er janvier 2011 et la publication du présent arrêté, des opérations ayant un impact financier, lesquelles, en interaction avec le prélèvement des réserves, pourrait menacer à court terme la continuité de l’agence ou de sa section sui generis, peut déposer auprès de l’ONEm une réclamation motivée ».

    La réparation du dommage causé par l’illégalité d’un acte administratif et l’indemnité réparatrice : à quel saint se vouer ?

    Alexandre Pirson

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    Martin Vrancken

    assistant à l’U.Lg.

    avocat

    Introduction*

    1. Le contexte général. Depuis l’arrêt La Flandria rendu en 1920, la Cour de cassation permet à l’administré d’attraire la puissance publique en justice pour obtenir, sur la base de l’article 1382 du Code civil, réparation du dommage qui lui a été causé du fait d’une faute de l’administration.

    Avant la réforme de 2014, lorsque la faute de l’administration donnant lieu à responsabilité de l’État correspondait à une illégalité que le Conseil d’État¹ avait sanctionnée, sur recours en annulation, le requérant dont le préjudice n’était pas totalement réparé par le prononcé de l’arrêt d’annulation n’avait d’autre possibilité que de s’adresser au juge judiciaire pour espérer obtenir le reliquat. Dans l’arrêt La Flandria, la Cour de cassation avait décrit les droits civils comme « tous les droits privés consacrés ou organisés par le Code civil ou les lois qui le complètent »², de sorte que les contestations fondées sur l’article 1382 du Code civil relevaient sans hésitation de la compétence des cours et tribunaux. Aussi, toujours selon la Cour de cassation, « une contestation qui a pour objet la réparation pécuniaire de la lésion d’un droit, fût-il politique, relève de la compétence exclusive des tribunaux »³. Le Conseil d’État était donc impuissant à statuer sur les effets civils de ses décisions. S’ensuivait, après l’éventuelle annulation, une nouvelle épopée devant les cours et tribunaux, pour le justiciable, longue et coûteuse, et dont l’issue n’était pas toujours heureuse⁴.

    2. La réforme de 2014. Le dédoublement procédural imposé par le système de répartition des compétences existant n’était guère satisfaisant. Dans la doctrine, plusieurs auteurs ont souhaité une extension des compétences de la Haute juridiction administrative⁵, même si les plus sceptiques n’ont pas été en reste⁶. Le Conseil d’État lui-même, par la voix de ses chefs de corps, semble avoir plaidé pour un élargissement de ses prérogatives⁷. Les efforts conjugués des partisans de la réforme ont porté leurs fruits : le constituant a révisé la Constitution en ce sens en 2014⁸ et, dans la foulée, le législateur a inséré un article 11bis dans les lois coordonnées sur le Conseil d’État (ci-après « L.C.C.E. ») pour instaurer le mécanisme de l’indemnité réparatrice⁹. L’objectif poursuivi est de procurer au justiciable une économie procédurale et un gain de temps, dès lors qu’il n’est plus dans l’obligation, comme auparavant, de diligenter une nouvelle procédure devant un nouveau juge, qui serait alors chargé de réexaminer l’ensemble du dossier¹⁰.

    Ainsi, l’article 144 de la Constitution est désormais doté d’un second alinéa qui prévoit que le législateur peut habiliter le Conseil d’État ou les juridictions administratives fédérales à « statuer sur les effets civils de leurs décisions », par dérogation au premier alinéa qui réserve aux juridictions judiciaires la compétence de connaître des contestations ayant pour objet des droits civils.

    L’article 11bis des L.C.C.E. prévoit quant à lui :

    « Toute partie requérante ou intervenante qui poursuit l’annulation d’un acte, d’un règlement ou d’une décision implicite de rejet en application de l’article 14, § 1er ou § 3, [des L.C.C.E.] peut demander à la section du contentieux administratif de lui allouer par voie d’arrêt une indemnité réparatrice à charge de l’auteur de l’acte si elle a subi un préjudice du fait de l’illégalité de l’acte, du règlement ou de la décision implicite de rejet, en tenant compte des intérêts publics et privés en présence.

    La demande d’indemnité est introduite au plus tard dans les soixante jours qui suivent la notification de l’arrêt ayant constaté l’illégalité. Il est statué sur la demande d’indemnité dans les douze mois qui suivent la notification de l’arrêt ayant constaté l’illégalité.

    En cas d’application de l’article 38 [des L.C.C.E.], la demande d’indemnité doit être introduite au plus tard soixante jours après la notification de l’arrêt qui clôt la procédure de recours. Il est statué sur la demande d’indemnité dans les douze mois qui suivent la notification de l’arrêt qui clôt la procédure de recours.

    La partie qui a introduit la demande d’indemnité ne peut plus intenter une action en responsabilité civile pour obtenir une réparation du même préjudice.

    Toute partie qui intente ou a intenté une action en responsabilité civile ne peut plus demander à la section du contentieux administratif une indemnité pour le même préjudice. »

    3. Une coexistence des procédures, mais une absence de cumul. En l’état actuel du droit, le dualisme des juridictions, sur le plan de la réparation du dommage causé par un acte administratif illégal, est une réalité. Le législateur n’a pas entendu consacrer une concentration du contentieux devant un seul juge, comme cela existe dans certains systèmes juridictionnels continentaux¹¹. Par conséquent, deux systèmes coexistent aujourd’hui, qui présentent certes des caractéristiques communes – le Conseil d’État, chargé par le législateur de dessiner les contours de l’indemnité réparatrice, ne part pas d’une feuille blanche –, mais ne sont pas moins différents. À cet égard, il convient d’ajouter qu’il est, encore aujourd’hui, difficile d’évaluer les apports de la réforme de 2014, dans l’attente d’un nombre critique d’arrêts du Conseil d’État qui accordent – ou refusent – au requérant une indemnité réparatrice¹². En outre, coexistence ne signifie pas cumul. Nous le verrons plus loin, le choix d’une procédure exclut tout recours ultérieur à l’autre¹³. Cette exclusion réciproque pose question en ce qu’elle met sur pied d’égalité deux voies procédurales qui devraient répondre au même droit subjectif alors qu’elles ont en réalité un objet différent, mais cette question trouve sans nul doute réponse dans l’intention réelle du législateur¹⁴.

    4. Une notion autonome, mais apparentée aux instruments existants. Comme nous venons de le dire, l’indemnité réparatrice est une notion autonome, tant en comparaison avec le contentieux de la réparation du dommage exceptionnel, organisé par l’article 11 des L.C.C.E., qu’avec l’indemnisation liée à la responsabilité civile fondée sur l’article 1382 du Code civil.

    L’article 11 des L.C.C.E. permet au Conseil d’État de se prononcer en équité sur les demandes d’indemnisation d’un dommage exceptionnel qui aurait été causé par une autorité administrative, mais sans qu’une faute puisse lui être imputée. L’autonomie du mécanisme de l’indemnité réparatrice vis-à-vis de ce contentieux est compréhensible. Les circonstances qui donnent lieu à indemnisation dans les deux contentieux sont radicalement différentes : l’indemnité réparatrice suppose à tout le moins une illégalité, à la différence de l’indemnité pour préjudice exceptionnel, qui est précisément octroyée dans les cas où l’autorité administrative n’a commis aucune faute. Certes, dans les deux cas, il est question d’une réparation par équivalent, déterminée en tenant compte des intérêts publics et privés en présence. Cependant, la référence à l’équité, présente à l’article 11 des L.C.C.E., a été volontairement omise à l’article 11bis¹⁵. Enfin, l’article 11 des L.C.C.E. a pour unique objet le dommage dont le caractère exceptionnel est démontré, contrairement à l’article 11bis, qui ne prescrit pas une telle condition.

    En revanche, vis-à-vis de la responsabilité de droit commun, l’autonomie du régime de l’indemnité réparatrice laisse subsister des interrogations. Certes, le législateur a souligné que « l’indemnité réparatrice se distingue de la réparation du dommage sur la base des articles 1382 à 1386 du Code civil »¹⁶. Certes, lors des débats parlementaires qui ont conduit à l’adoption de l’article 11bis des L.C.C.E., il a été affirmé que l’indemnité réparatrice constituait « une notion autonome dont il convient de laisser au Conseil d’État le soin de dégager progressivement les modalités au travers de sa jurisprudence »¹⁷. Bref, un chèque en blanc, résume le professeur Bocken¹⁸.

    Il ne peut toutefois être fait totalement abstraction de l’attraction que la jurisprudence développée par les juridictions judiciaires dans le cadre du régime de la responsabilité de l’administration du fait de l’illégalité d’un acte administratif, ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État en matière d’indemnisation du préjudice exceptionnel, sont appelées à exercer.

    À ce jour, le Conseil d’État a reçu plusieurs demandes d’indemnité réparatrice. Le premier arrêt dans lequel il a fait droit à une telle demande a été rendu le 2 octobre 2015¹⁹. Nous en reparlerons plus loin.

    5. Plan de l’exposé. Après quelques considérations relatives à la révision de l’article 144 de la Constitution et à l’adoption, concomitamment, de l’article 11bis des L.C.C.E. (sect. 1), nous exposerons le champ d’application

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