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L'horizon lointain: Roman sentimental
L'horizon lointain: Roman sentimental
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Ebook397 pages6 hours

L'horizon lointain: Roman sentimental

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About this ebook

L'histoire d'amour impossible de deux adolescents que tout sépare.

André et Pépita sont les deux personnages centraux de cette nouvelle tragédie de Roméo et Juliette. Dans la Tunisie de la fin des années 50, c'est l'histoire d'amour impossible de deux adolescents que tout sépare : leur famille, leur origine ethnique, leur milieu social, la religion, les convictions politiques... Sur fond de crise d'indépendance, toute la société tunisienne est dépeinte dans sa diversité, dans ses drames et dans ses bonheurs quotidiens. L'histoire des Capulet et des Montaigu semble ici se répéter dans la variante des convictions religieuses, des difficultés à vivre ensemble entre communautés qui partagent une même ville, mais aussi un même destin. C'est  la vie qui est dépeinte dans ce roman, avec ses odeurs de jasmin et ses parfums de sang, avec les prières qui s'élèvent au ciel depuis tous les lieux de culte, avec la jeunesse qui défie sans cesse les tabous mais qui les subit quand même, avec cette quête incessante du bonheur et de l'amour... C'est la douceur de Tunis et sa violence, reflet du monde oriental qui se trouve à la porte de nos vies.

Plongez dans la Tunisie de la fin des années 50, et découvrez une nouvelle tragédie de Roméo et Juliette !

EXTRAIT

Comment l’a-t-il connue ? Il n’a pas oublié ce moment, tellement la rencontre a vraiment été étrange. C’était un lundi soir juste après les études, il s’en souvenait très bien. Ce jour-là, il devait acheter le fascicule supplémentaire de son livre de mathématiques, chez la grande librairie de « l’indépendance ». Pépita, c’était la belle vendeuse d’origine sicilienne, timide et aux yeux bleus très doux. Sa description était celle d’une actrice : elle avait des cheveux bleu noir et profonds, qui descendaient librement jusqu'à ses épaules. Elle était faite comme une déesse, avec une taille svelte et élancée. Son visage de chat siamois toujours souriant semblait sculpté dans l’ébène. Ses lèvres étaient toutes gonflées de sèvres et deux fossettes profondes se trouvaient juste à un centimètre des deux coins de sa bouche fine. Sa voix chaude et envoûtante chantait les mots comme le font les chanteuses de flamenco espagnol.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Victor Maarek est né en 1945 à Tunis et y a vécu son adolescence. Il vit à  Natanya près de Tel Aviv. L'auteur est né de mère francophone ; L'horizon lointain est son premier roman qu'il a écrit directement en français et l'éditeur a décidé de ne pas modifier le texte qui lui a été remis et de lui laisser toutes les imperfections d'un style où la langue de Voltaire n'est pas totalement académique, mais où s'exprime pleinement la pensée d'un homme dont le talent de conteur est indéniable. Ainsi, le lecteur peut aisément imaginer que c'est la voix de Victor Maarek qui déroule dans ses phrases cette saga, ce conte moderne, dont nous vous laissons découvrir la morale par vous-mêmes.
LanguageFrançais
PublisherEx Aequo
Release dateApr 7, 2017
ISBN9782359621433
L'horizon lointain: Roman sentimental

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    L'horizon lointain - Victor Maarek

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    Table des matières

    L’Horizon lointain 3

    Résumé

    André et Pépita sont les deux personnages centraux de cette nouvelle tragédie de Roméo et Juliette. Dans la Tunisie de la fin des années 50, c'est l'histoire d'amour impossible de deux adolescents que tout sépare : leur famille, leur origine ethnique, leur milieu social, la religion, les convictions politiques... Sur fond de crise d'indépendance, toute la société tunisienne est dépeinte dans sa diversité, dans ses drames et dans ses bonheurs quotidiens. L'histoire des Capulet et des Montaigu semble ici se répéter dans la variante des convictions religieuses, des difficultés à vivre ensemble entre communautés qui partagent une même ville, mais aussi un même destin. C'est  la vie qui est dépeinte dans ce roman, avec ses odeurs de jasmin et ses parfums de sang, avec les prières qui s'élèvent au ciel depuis tous les lieux de culte, avec la jeunesse qui défie sans cesse les tabous mais qui les subit quand même, avec cette quête incessante du bonheur et de l'amour... C'est la douceur de Tunis et sa violence, reflet du monde oriental qui se trouve à la porte de nos vies. Victor Maarek est né en 1945 à Tunis et y  a vécu son adolescence. Il vit à  Natanya près de Tel Aviv.  L'auteur est né de mère francophone ;  L'horizon lointain est son premier roman qu'il a écrit directement en français et l'éditeur a décidé de ne pas modifier le texte qui lui a été remis et de lui laisser toutes les imperfections d'un style où la langue de Voltaire n'est pas totalement académique, mais où s'exprime pleinement la pensée d'un homme dont le talent de conteur est indéniable. Ainsi, le lecteur peut aisément imaginer que c'est la voix de Victor Maarek qui déroule dans ses phrases cette saga, ce conte moderne, dont nous vous laissons découvrir la morale par vous-mêmes.

    Victor Maarek

    L’Horizon lointain

    Roman

    Dépôt légal février 2011

    ISBN : 978-2-35962-141-9

    ©Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Éditions Ex Aequo

    42 rue sainte Marguerite

    51000 Châlons-en-Champagne

    http://www.editions-exaequo.fr

    Je dédie ce livre à :

    Joseph Ben D'Ahan, mon cher ami ;

    sa vie et sa jeunesse n’ont duré qu’un court temps.

    À mes parents Rachel Maarek, et Simon Maarek ;

    que Dieu bénisse leur souvenir !

    Et à mes deux fils Chémi et Oren,

    pour qu'ils sachent et portent avec fierté leurs racines

    As-tu oublié le germe qui

    donna naissance au bourgeon ?

    Et de suivre le produit merveilleux

    de sa naissance… ?

    La vague qui au loin grossit sous

    la poussée du courant naissant.

    Ce vendredi soir de l’année décembre 1956, l’éclair gronde et craque, danse sa ronde macabre avec le tonnerre, au rythme des roulements de tambour.

    Dans leur sombre demeure, des Hébreux humiliés et tremblants annoncent par des prières au monde le dernier jour de travail du créateur et l’histoire de son peuple.

    Minuit passe, les gens dorment. Seuls les chats pleurent, leurs miaulements plaintifs montent au ciel et glacent les cœurs. C’est parfois des cris de colère, « —on n'en sait rien » dira un homme de passage ; seules les bêtes aux aguets comprennent instinctivement la présence de Dieu descendu sur terre, dans un lieu ou personne ne bouge.

    Le vent passe en hurlant dans les rues désertes sifflant sur les murs des maisons, galopant et fouettant avec rage les volets, giflant les crêtes des toits et écrasant la pluie sur les vitres.

    Pour les poètes, la vision d’apocalypse est présente. C’était pourtant par cette nuit de décembre froide et pluvieuse que l’Ange messager jettera son dévolu sur une famille juive qui symbolisera, à nouveau, l’exode vers la terre promise. La terre d’Abraham le patriarche.

    Au-dehors, il fait sombre et l’on peut remarquer la faible lumière qui éclaire encore la maison de la famille Cohen. On y voit les reflets qui dansent au rythme de la pluie. À l’intérieur, il y a des rires et des discussions qui s’affaiblissent. Il fait froid et il est tard, la fatigue se voit sur les visages heureux des membres du foyer. Les paupières sont lourdes, il faut dormir. Chacun souhaite à l’autre bonne nuit et bon Sabbat. Et ensemble, comme un scénario bien huilé, ils se rendent dans leur lit pour y coucher humblement. Le silence tombe, la lumière s’éteint, et seul l’éclat faiblissant des bougies sur la table perce encore la nuit.    

    L’obscurité passe, et termine son cycle en laissant place à l’aube qui naît doucement. Les yeux des innocents vont s’ouvrir sur d’atroces souffrances, de bonnes et de mauvaises nouvelles, les joies les plus extrêmes, aux hommes, aux femmes, aux nouveaux- nés, aux rois. Afin que s’accomplisse le merveilleux destin !

    ***

    Décembre. Ce samedi matin naît avec un ciel limpide et soyeux, pas de turbulences. On dirait une gelée fluide et pourtant intouchable par son invraisemblable transparence, comme une immense et infinie toile bleue au visage réjoui. Pas de trace suspecte de ces nuages gris, ni de cet orage qui a fait hâter les gens vers leur logis ; seul un vent très doux et caressant effleure notre peau comme le fait si bien la main de la femme. Les toits des maisons flambent sous les cascades du soleil hivernal.

    Sous le ciel effacé, l’étrange arc-en-ciel s’étale comme un outil mythologique et inflexible, signifiant au monde et aux hommes son alliance, pas encore perdue. Quand nos regards se lèvent vers ce magnifique déploiement, un sourire involontaire s’incruste sur nos lèvres. Voilà comment se présente ce matin Tunis « la ville verte » dira le chanteur Farid. Pour les passants avertis, il semble que la pluie qui a duré toute la nuit dernière ait nettoyé toutes les impuretés de la ville qui s’éveille, contrairement à ses habitudes, paisiblement. Étrange… où peuvent être les bruits qui marquent intensément les jours de semaine ? Le Sabbat, le jour du samedi comme toutes les fins de semaine, est une journée sainte pour les Hébreux. Tout est calme. Silencieux. Ils partent tranquillement et sans inquiétude vers les synagogues, pour y prier, larmes aux yeux, et demander humblement la santé, du travail, bonne vie et bonnes nouvelles.

    Pendant ce temps-là, le reste de la Tunisie s’éveille bruyamment, à Djerba comme dans la capitale – Tunis-, et dans d’autres villes, les Juifs vont aux temples accomplir leur devoir sacerdotal sous les rires moqueurs et sarcastiques de certains musulmans fanatiques. Paradoxalement, des religieux arabes dans des poses d’humilité répètent mot par mot les litanies que leur profère leur mufti d’en haut de la tour de la mosquée.

    « Qu’Allah est grand, que Mohamed est son disciple et son prophète et que tous les hommes de bonne volonté sont frères ». C’est une phrase qui fera rire ou pleurer les fils du temps.

    Ah ! Qu’elle est belle la Tunisie ! Comme son nom féminin… contraire des haines jetées à la face ; où la jalousie fait des éclats, où l’on déteste catégoriquement son prochain et dans tout cela, un petit peu d’amour circule dans un feu qui ne se consume pas. C’est dans toute cette atmosphère de mélange, que notre histoire commence, ce matin-là, dans la grande Synagogue de Tunis, avenue de Paris. Aux alentours, très matinaux, quelques magasins ouvrent leurs portes. Il y a les deux marchands de chaussures qui se concurrencent et font ressortir au mieux dans leurs riches vitrines les tendances de la dernière mode italienne. La bijouterie n’est pas encore ouverte, mais on apprécie l’éclat de l’or exposé. Tout à fait à côté, dans un grand magasin de mode féminine, un vendeur renouvelle les grandes vitrines ; une nouvelle collection attire les yeux d’éventuelles acheteuses qui assistent impuissantes au brusque changement de style pour les robes de la nouvelle saison. Malgré l’heure matinale, après quelques débats et des invectives lancés de temps en temps en l’air, elles baissent la tête et pénètrent à l’intérieur… et ressortent avec de gros paquets, la mine hautaine, le train fier avec de coquets roulements de hanches. Et elles s’acheminent précipitamment vers leur maison, pour essayer et montrer à qui veut se rincer les yeux, leurs nouveaux achats. En face de la synagogue, un café notoire installe dehors ses chaises et ses tables. Et à côté, un marchand de tabac fait sentir ses horribles odeurs. Fastueusement, une mystérieuse résidence trône un peu plus loin dans la rue. Sur ses murs de marbre blanc, grimpent des tulipes rouges et sur le sol, des aubépines multicolores, parfument et renouvellent à chaque instant l’air pollué par les relents saumâtres du port de Tunis.

    ***

    Les fidèles entrent à la synagogue, par groupe de trois ou de quatre personnes, parfois on aperçoit deux ou trois groupes de six à dix personnes, mais ceci est très rare puisque les Juifs ne se risquent presque jamais à être trop visibles et conservent de père en fils leur instinct de défense. Parmi toutes les personnes qui se présentent, soit silencieusement, soit en bavardant à voix basse, nous voyons deux visages aux multiples contrastes qu’un peintre voudrait bien saisir dans son chef-d'œuvre. Il y a là des figures tout sourire, des renfrognés et des mines sérieuses. Certains parlent seuls, certains ont un visage anxieux parcouru par des tics et d’autres le visage endurci, la bouche tordue par l’effort d’une conversation à bâtons rompus. Tout ce monde-là -marqué par la haine, les souffrances, terni par la pauvreté, endormi par la richesse- tout cela, représente la race glorieuse du peuple juif. Une race qui sollicite de nouveau auprès de Dieu et pour ce cycle-ci, sa protection, la santé et les moyens de survivre. Et pour ceux qui l’osent… pourquoi pas la richesse.

    À l’extérieur du temple, rien ne semble indiquer que cet endroit est un lieu de prière. Mais quand on entre, il règne des brouhahas intenses, et parmi les litanies onduleuses des prières adressées au ciel, la politique est en vedette et les noms comme Bourguiba, Charles de Gaulle, Nixon, se mélangent mélodieusement avec les litanies. On y fait d’odieuses ou de bonnes comparaisons ; c’est à qui fait le plus de bien ou le plus de mal au peuple juif.

    Parmi ces chuchotements d’assassinats, de vols, du cours des monnaies d’échange, souvent le mot dollar est lancé en l’air avec un tremblement dans la voix. Et bien souvent, le grand rabbin doit imposer le silence en tapant avec ses petites mains sur le pupitre ou sur son livre de Torah… des coups de mépris et de colère. Puis, tous les fidèles unanimement reprennent avec lui -mine de rien-, en frappant eux aussi sur leur livre tout en scandant avec des « chut ! » sévères pour montrer qu’ils veulent faire respecter le silence solennel et que ce n’est point eux-mêmes les fautifs. Bref, tout cela donne un aspect bruyant et vivant dans l’atmosphère chargée de la synagogue. Mais malgré ces inconvénients on se sentait en paix avec soit même et avec Dieu. Et c’est de cette façon que sur toute l’Afrique du Nord les Juifs pensent se faire pardonner les fautes commises au courant de la semaine. Parfois, la voix humble et pleureuse du rabbin servant la messe impose sans autre forme de procès le silence aux fidèles, qui écoutent enchantés l’ondulation embaumée entrant brusquement dans leur cœur.

        Ce lieu de prière s’appelle la grande synagogue, non seulement à cause de sa taille, mais aussi par sa popularité du fait qu’elle est placée en plein centre de la ville au milieu de grands quartiers juifs et chrétiens. Le samedi, la salle est étroite pour tant de monde, qui s’entasse tant bien que mal dans l’espace qui reste. Dans ce temple, il y a deux parties bien distinctes : la grande salle pour les hommes et, le balcon pour les femmes qui ne sont parfois pas admises à s’exhiber dans la grande salle sauf évidemment dans les grandes occasions, comme la fête de Kippour, les mariages, les communions, etc.

    Dans la première partie ou tous les hommes se tiennent, juste en face de l’entrée et tout au fond on aperçoit sortant du mur deux colonnes de marbre soutenant un toit étroit à tête de flèche, lui aussi en marbre blanc. Le tout est complété par deux grandes et lourdes tentures rouges brodées de fils d’or dessinant des lettres hébraïques. Les deux côtés externes sont cachés par les colonnes, les bords internes sont brodés sur toute la longueur par une frange de fils doré. Rien qu’en voyant la perspective, on estime la hauteur de cette bâtisse à trois mètres et sa largeur à un mètre et demi. Derrière cette décoration se cachent les rouleaux en parchemin de la Torah, qui sont enfermés eux aussi, dans tourelles en bois précieux de bouc ; c’est surtout vers ce lieu saint, que nos regards se fixent et vers lequel toutes les silhouettes des hommes se tournent pour adresser leurs prières ; cette petite construction est disposée, selon la tradition, en direction de Jérusalem.

    À la droite de ce tabernacle se trouve un mur où plusieurs inscriptions hébraïques sont collées sur la façade par des bandes de papier ; puis il y a plusieurs veilleuses allumées où l’on voit écrit en lettre d’or :

    Né le… décédé le… rappelant aux intéressés le souvenir si cher du moribond. Sur le mur de gauche se trouvent les mêmes objets qu’à l’opposé. Seul, un grand bac en zinc accroché par deux chaînes en fer blanc retient l’attention. Ce petit bassin rectangulaire est rempli d’huile, et dans ce liquide fluide nagent des cônes de coton huilé allumés par des fidèles, qui veulent soit faire un prescris, soit commémorer une grande occasion, un anniversaire, une communion ou bien pour remercier la garde de Dieu qui leur a permis d’échapper à un accident ou pour remercier Dieu d’avoir toute sorte de réussites. Toutes ces injonctions de coton s’accompagnent de cérémonies ou l’on sert des bonbons et des boissons alcoolisées -surtout comme l’eau de vie « Boukha »-. Tout est toujours rythmé et orchestré par des « hou hou ». C’est dans ces petites fêtes que la gaieté et la joie fusent, que les discussions sont permises, on y voit même des gens non habitués à fréquenter régulièrement la synagogue. Ils accourent, informés à l’avance par l’appât des gourmandises qu’on y distribue et par le liquide qui réchauffe le cœur et le fait revivre. En descendant du tabernacle auquel on accède par trois marches en marbre blanc, on parcourt cinq mètres vers la sortie et on trouve un grand pupitre rond posé sur une estrade. Il est ouvert sur le côté pour permettre d’y monter. C’est là que sont disposés les livres de prières pour les hommes, les enfants, ou bien ceux qui dédaignent d’en acheter malgré leurs moyens. Mais c’est surtout pour les indigents. Le pupitre est assez grand pour y poser tous les rouleaux de la Torah. C’est aussi dans ce pupitre que le rabbin servant la messe prie. Ce pupitre, deuxième de par son importance, est fait de bois de chêne, recouvert par des tapis de velours rouge brodé avec des motifs de fleurs et de poissons. C’est ainsi, que le jeune garçon de treize ans -l’âge de la communion- monte à l’estrade, et que devant les rouleaux de loi ouverts devant ses yeux, il signe son alliance d’homme avec l’Éternel, pour le meilleur et pour le pire. Derrière le pupitre, l’espace restant correspondant à la moitié de la salle ; y sont disposés des bancs de bois peint en blanc permettant aux fidèles de s’asseoir quand ils ne sont pas obligés de se mettre debout comme la coutume le veut dans certaines prières.

    Les balcons intérieurs sont retenus par de solides colonnes recouvertes de stuc. Ils sont presque toujours remplis le samedi par les pratiquantes les plus ferventes et les plus religieuses… souvent plus que les hommes. Les jours de mariage, les femmes sont remplacées par des chœurs, de jolis petits angelots accompagnent la messe de leurs voix fines et mélodieuses. Évidemment, c’est toujours ordonné suivant le budget de la famille ; si elle est pauvre, pas de chœurs, seulement la plus simple cérémonie. Si c’est un riche, alors tout le bataclan est en marche. L’entrée des couples est solennellement annoncée par la marche de Mendelssohn que tonitrue un disque par des haut-parleurs cachés ingénieusement. Puis c’est la chorale qui attaque sa petite chansonnette, suivie de la messe du rabbin. Après cinq minutes de prières, martelé par des amen fermes, un silence, des murmures, on se passe les anneaux d’alliance réciproquement aux doigts, puis le rabbin reprend sa prière pendant près de dix minutes. Un silence, puis soudain on entend : crac ! C’est le verre que casse le marié sous ses pieds. C’est le signe. Des clameurs et des brouhahas vibrent et se mélangent par des « hou hou » orientaux cassant les oreilles. Des cris de joie raniment la salle, les invités viennent féliciter à la queue leu leu les nouveaux mariés, sous la mélodie entonnée par la chorale. Les félicitations achevées, le couple, solennellement et lentement sort de la synagogue au rythme de la marche nuptiale qui résonne à nouveau. C’est fini. Tout le monde est satisfait ce jour- là… les invités et les gens friands de spectacles… pourvu que leur poche se remplisse de dragées. Bref, ce sont là les mêmes gestes mécaniques que nous impose la tradition remontant loin par les temps passés et que nos pères nous offrent, de génération en génération… mais un peu modernisée par les micros et les haut-parleurs.

    Voici donc ce temple où ce petit peuple de la bible au cou raide -le monde dirait la pire espèce - discute, murmure et s’entretient des mêmes événements de la vie quotidienne. Ici pas de barrières sociales, les riches comme les pauvres se mélangent dans un imbroglio de tissus noir et blanc. On peut remarquer que les plus riches portent des costumes en Tergal anglais très cher. Et ceux qui n’ont pas les moyens portent simplement un costume de cotonnade propre, celui qu’on doit porter toujours le samedi. Ainsi tout le monde, sans aucune exception, s’habille avec le costume des jours de fête, avec chemise blanche, cravate gris fantaisie, souliers noirs classiques, et toute la ligne.

    Parmi toute cette foule au teint unique qui prie, nous remarquons sans conteste les noyaux de la conversation, les chefs de file — spirituellement et moralement- de la petite communauté tunisienne juive. Ils sont cinq personnes, reconnaissables par leurs gesticulations sans fin… et coléreuses. Troublant l’air sans façon, ils forment un cercle très serré et uniforme de têtes rapprochées, et chuchotent pendant un bout de temps avec leurs mines de comploteurs. Tout ce groupe-là est bien différent de tous les autres. Car il s’y trouve des intellectuels, un docteur, et pour le reste, des hommes d’affaires. Ils sont imbattables dans leurs conversations avec leur connaissance de la politique actuelle, des sciences et des affaires sociales... essayant de résoudre des tragédies humaines. Bref, des meneurs de jeu capables de diriger la communauté et de répondre à toute sorte de crises.

    Parfois abusant de leur savoir sur la psychologie humaine et la naïveté de certaines personnes, il se plaisent à les exciter et à les asservir par des paroles mielleuses, les faire se révolter par des phrases ironiques et cyniques, tout en leur faisant croire qu’on a porté atteinte à leur honneur, que leur amour propre a été mis à sac et jeté dans la boue. Et puis pour calmer la confusion haineuse, ils les apaisaient par des paroles comme une manne tombant du ciel. Un jeu assez cruel d’ailleurs, dirigé de bouche en bouche, par les six hommes influents. Reniflant un quelconque indice dans l’air, favorable ou défavorable pour eux, pour finalement faire tourner la situation à leur profit sans sourciller. Des personnes importantes comme on dirait ; qui sont ces hommes ?... Pour faire ces tours d’illusions ? Des yogis ? Des dictateurs, des hommes aux cœurs tendres, des froideurs de sang, ou bien des simples primates ? Comment et par quels chemins tortueux, cette poignée d’hommes a, malgré toutes les barrières élevées devant eux, régné pour son profit sur les esprits humains et exploité par je ne sais quel tour, l’homme par l’homme. Ils pouvaient ordonner des grèves, des interdits, sans qu’aucun ne remarque comment ils influençaient le monde, tout en restant toujours dans leur auréole d’impunité. Ce peuple et ses dirigeants aux visages multiples, changeaient à n’importe quelle occasion leur nature. Tellement habitué aux coups irréversibles de la vie, que leurs gestes deviennent mécaniques, obéissant automatiquement à toutes sortes de nouvelles, à leur profit. Et parmi eux, comme pour signifier leur insignifiante grandeur, jetant des regards curieux dans ce cercle bruyant, on ne pouvait pas ne pas remarquer trois vieillards aux têtes si chauves qu’on les aurait dites polies par des frottoirs, reluisant sous les lumières blafardes des lustres anciens suspendus par des chaînes d’or au plafond.

     Leurs visages sont d’une pâleur mortelle, et ils se tiennent à peine sur leurs pieds, pressant avec force, de temps en temps leurs mains fines sur leur crâne blanc, pour pouvoir dresser leur corps avant de retomber à l’état de protoplasme. L’un de ces vieillards, enorgueilli par sa longue barbe blanche de patriarche et par son titre de rabbin, donne sa bénédiction ou offre l’un de ses regards bienveillants. Souvent, très silencieusement, les croyants lui baisent la main. Et, quand il s’aperçoit que quelqu’un a fauté, il débite à un rythme infernal des mots tempétueux et incompréhensibles pour celui qui est concerné… Des mots sages pour le vieillard, où l’on y perçoit beaucoup de vérités qu’on ne veut pas s’avouer. Alors, le pauvre gars se fait tout petit, essayant de boucher ses oreilles. Mais que pourrait-il faire devant ce flot de paroles le sermonnant ? Il voudrait s’enfuir, mais il ne bougera pas... Hypnotisé et résigné dans sa pénitence. On le dirait clouer sur place.

    Tandis que les deux autres vieux font penser à une vieille sorcière édentée et acariâtre, dont leurs âmes nous dévoilent des êtres blasés, de ceux dont les cœurs ont depuis longtemps, par habitude, désappris à être sensibles aux émotions, aux vexations et aux situations étranges. Ils sont là, sans statut officiel ni pouvoir ; mais surtout, ils sont des amis de longue date, de la même école, du même vieil âge, et ils sont les aides de camp du noble rabbin à barbe blanche. Ils écoutent ensemble comme une antenne ouverte, les six élèves du Kateb », et hochent la tête mécaniquement pour approuver certaines de leurs parades, un sourire ironique aux coins des lèvres, disant amèrement et en silence « il faut que jeunesse se passe ». Et tout autour, s’entasse en large demi-cercle, tant bien que mal, la population de moindre importance. La majorité possède des cheveux bruns ou noirs ; certains, en minorité, ont des cheveux blonds comme les blés. La plupart ont ce teint charbonneux des montagnards du pays méditerranéen, d’autres ont le teint olivâtre et le nez courbé typiquement juif. Certaines mines laissent deviner qu’il y a des réprouvés, des désœuvrées, silencieux, immobiles. D’autres sont très attentifs, attendant je ne sais quel miracle. Vu d’en haut, tout cela a l’aspect d’une onde qui se propage comme si une pierre était jetée dans l’eau. Au milieu, les chefs communautaires bavardent, accoudés au pupitre. Toute cette foule frotte un parquet usé, mais propre. Seuls les murs qui ont la hauteur de presque trois étages, peints en beige genre chocolat au lait, offrent une image qui rafraîchit l’âme. L'antithèse humaine qui se découvre partout est présente dans cette salle : l’ambitieux rêve au sommet du pouvoir, tout en se résignant à la servilité en homme impuissant dans les actes de sa vie, et qui n’est ni tout à fait heureux, ni réellement misérable.

    Nous sommes dans un temple, avec son peuple inséparable, divergent et contradictoire. Surtout, il ne faut pas oublier malgré tout que son influence philosophique, économique et politique, agira irrémédiablement, sur tous les actes, tous les problèmes, et tous les aléas qui régentent notre vie.

    ***

    Maintenant, essayez d’entrer dans la scène de ce théâtre et jetez-y l’œil du peintre ; vous conviendrez avec moi, qu’il faut deviner les rôles, caractériser les V .I. P de cette sublime matinée. Tout d’abord, vous n’y verrez rien que le chaos épouvantable d’une assemblée ; puis, si vous êtes un bon observateur, vous comprendrez que tout ceci n’est qu’un blindage qui entoure le véritable cœur qui palpite, le grand cerveau. Figurez-vous que celui que nous remarquerons en premier, s’exprimant avec une hâte nerveuse, le bras droit replié posé sur le pupitre et le gauche s’animant de gestes brusques accompagnant des flots de phrases, est une drôle d’apparition : comme un fantôme sortant du sarcophage. Une singulière jeunesse anime ses yeux verts et immobiles, qui gardent leur éclat d’acier malgré son âge un peu avancé. Court de taille et maigre, il est vêtu d’un costume noir très sobre, d’une chemise blanche rayée avec le col fermé par une cravate noire dont le nœud est gros et bien appliqué juste au milieu. Tout son habillement est propre et bien tenu. Sur sa tête est posé un calot de velours rouge brodé au sommet de fils d’or traçant signe de l’étoile de David. De chaque côté de son crâne, les longues mèches de ses cheveux blancs retombent rigidement sur ses oreilles et encadrent un front large et pâle. Son costume qui cache son corps ne permet pas de rien voir d’autre qu’un visage oblong d’une pâleur de cardiaque. Ses longs bras maigres déchirent l’air et ondulent comme un serpent à chaque mouvement ; il semble qu’ils sont collés au corps et non pas qu’ils font partie intégrante de son être ; les manches de sa veste se sont pas suffisamment longues pour les recouvrir. Un petit bouc gris taillé à la Tarascon, cache le menton de cet homme un peu bizarre ; sa tête a une apparence judaïque, un véritable modèle représentant la tête de Moïse. Des bouffissures se devinent sous ses yeux et peuvent être dues au manque de sommeil. Son nez bien placé au milieu symétrise son visage aquilin. Ses joues sont blêmes et creuses, donnant l’aspect émacié d’une face d’inquisiteur. Tout cela montre que l’on est devant un homme qui a accumulé au fil des ans une science profonde des choses de la vie. Il est impossible de le tromper ; il a le don de surprendre les pensées d’autrui, même de ceux qui restent les plus discrets.

    Les mœurs des races du monde, leur sagesse et leur histoire se résument sur sa face froide et profonde, comme si elle thésaurisait la production d’une grande industrie. Sa tranquillité lucide et sa force orgueilleuse prouvent que c’est un homme qui a tout vu dans sa vie. Fort de sa puissance suprême, il a des sinistres espiègleries à la bouche. Il faut frémir en pensant que ce génie habite une sphère à part où il vit sans jouissances et sans douleur, parce qu’il a connu tous les plaisirs, toutes les souffrances, toutes les joies et qu’il ne se fait plus d’illusions. Il se tient là, debout, de temps en temps parlant, de temps en temps immobile comme une statue inébranlable, comme une étoile au milieu d’un ciel constellé. Ses yeux pleins de malice, calmes et lumineux, semblent éclairer ce théâtre d’un feu incandescent. Ses lèvres sont si minces, qu’il faut ouvrir grand les paupières pour deviner la ligne incertaine tracée sur sa bouche. En deux expressions et deux coups de pinceau, on peut immobiliser sur la toile le diable et le Bon Dieu.

    Voici que cet homme digne d’éloges va entrer en scène et animer une épopée émouvante de l’histoire de la diaspora juive. Tout d’abord, un résumé de sa propre histoire : tout un passé et tout un présent ; avec toutes les explications pour comprendre le mécanisme de ses mouvements dans les rouages grinçants de la vie. Et comme vous pourriez le deviner, c’est le chef de la famille Cohen… Sylvain c’est son nom. Il ne commença vraiment à démarrer dans la vie qu’à l’âge de vingt ans. Son enfance s’est passée souvent avec des soucis d’argent et matériels. Né de parents pauvres, il dut travailler dès l’âge de treize ans après avoir eu son certificat d’études primaires, lequel fut acquis brillamment grâce à sa forte volonté et, surtout à son ambition démesurée. Il disait souvent « mes parents ont trop souffert pour moi et si Dieu le veut, il arrivera un jour où je leur ferais voir les beautés et les joies du monde. Ils n’auront pas à se faire du souci, pour le pain du lendemain et le souper du soir ». Il se rappelle toujours qu’il ne mangea des fruits qu’une fois par semaine et de la viande que le vendredi soir. Il s’était juré que son père n’aurait plus besoin de travailler ni sa mère de faire la boniche chez les gens pour faire des économies et lui acheter des habits et des souliers pour les fêtes. Il avait promis : « Il viendra ce jour où je dirai, papa, maman venez avec moi on ira conquérir le monde et avoir la meilleure table dans les meilleurs restaurants. Nous fréquenterons la haute société, toutes les portes nous seront ouvertes ». Il était très content de son certificat reçu après tant d’efforts ; il se disait, dans les vapeurs enivrantes de ses rêves lointains : « je terminerai mes études secondaires et je deviendrai professeur de mathématiques. Non ! Ça ne gagne pas suffisamment, il vaut mieux peut être, docteur… peut être archéologue pour les aventures… enfin nous verrons bien ». Et, plus le temps passait, plus il visait plus haut, se renseignant par-ci, par-là, quelle était la profession où il pouvait gagner le plus d’argent possible, remplir ses poches et réaliser ses rêves. Hélas, la réalité avait d’autres projets et fut vraiment cruelle et amère. Car, le jour d’après sa communion — une date que de sa vie il ne l’oubliera jamais, car pour longtemps elle marquera sa vie comme une empreinte au fer rouge- déterminera sa volonté qui ne sera que plus forte pour réussir dans la vie.

     Il ne pourra jamais oublier le jour ou ses parents l'ont convoqué, bien à regret, dans leur logis. Il n’y avait rien que deux pièces. Une chambre à coucher pauvrement meublée avec une armoire à glace trapue et un lit à deux places tout au fond. Une table de nuit et au milieu un lampadaire cossu. La deuxième chambre était pour faire la cuisine et y manger. Tout était antique, mais aussi bien ordonné et propre. On y voyait la main d’une mère soigneuse. Après un long silence qui semblait éternel, le père et la mère se regardaient intensément. Leurs yeux brillaient de larmes, ils ne savaient par quoi commencer. Soudain, le père se retourne brusquement et vrille ses yeux dans ceux de son fils. D’une voix grave et douce qui se nouait parfois dans sa gorge par l’émotion du moment.

    « Mon fils, tout d’abord je te demande de pardonner à ta mère et à ton père, nous regrettons beaucoup ce que nous allons te dire à présent ».

    Sylvain ne resta ahuri qu’un instant. Il ne comprenait pas ce que voulait son père. Mais petit à petit, la lumière se faisait jour en lui, mais ne voulait pas savoir qu’il commençait à voir clair, par la terrible vérité qu’allait lui assener son père. Il attendait retenant à peine ses larmes amères qui ruisselaient le long de ses joues roses. La tension dans la pièce monta et coupa l’atmosphère comme un couteau. Il comprenait que son père allait irrémédiablement déchirer le voile de la catastrophe qui s’avançant inexorablement vers lui. Fini les rêves d’antan, la vie est bien présente, l’accepter comme elle vient même si c'est à contrecœur.

    « Mon fils répétera son père, mon cher fils (puis changeant sa position jambes arquées et tête baissée, les bras ballants, il prononça les mots fatidiques : Jusqu’ici, tu as représenté fièrement et brillamment le nom de

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