Protéger la jeunesse contre l'usage et le trafic de drogues
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Pour accompagner les équipes éducatives dans cette démarche, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a développé de multiples initiatives : développement de formations spécifiques, élaboration d’un référentiel dédié adapté à l’action d’éducation dans le cadre pénal, création d’un environnement favorable par son inscription dans les politiques publiques, orientation des services vers un accueil individualisé du mineur.
En renforcement de cette démarche, la DPJJ a souhaité réaliser aujourd’hui un recueil des connaissances de base indispensables pour un éducateur intervenant auprès des mineurs soumis au risque de la toxicomanie. Il permettra aux professionnels, sur ce sujet très souvent soumis aux représentations de sens commun, d’avoir une culture partagée utile aux échanges avec les mineurs, au sein de leur équipe comme avec les partenaires extérieurs avec lesquels ils mèneront leurs actions.
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Protéger la jeunesse contre l'usage et le trafic de drogues - Luc-Henry Choquet
Protéger la jeunesse contre l’usage et le trafic de drogues
Luc-Henry Choquet (dir.)
Protéger la jeunesse
contre l’usage et le trafic de drogues
LEN
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Conception graphique : Marine Poulain Pacoret
© LEN, 2017
ISBN : 978-2-411-00041-1
Sommaire
Liste des abréviations
Avant-propos
Luc-Henry Choquet
Exergue
Claude Olivenstein
Lexique
Emmanuel Meunier
PREMIÈRE PARTIE
Connaissances générales
Les usages de drogues en population adolescente
Olivier Le Nezet, Stanislas Spilka
La consommation de produits psychoactifs
Le risque / Le sens
Patrick Peretti-Watel
Addiction, sevrage, rechute
Dr Laurent Karila
Législations relatives à l’usage et à la détention de cannabis en Europe
Ivana Obradovic
Pénalisation/Dépénalisation
Katia Dubreuil
La réponse aux infractions à la législation sur les stupéfiants
Luc-Henry Choquet, Jean Macabies
Économie du trafic de stupéfiants
Christian Ben Lakhdar
Économie de l’usage de stupéfiants
Christian Ben Lakhdar
DEUXIÈME PARTIE
La prise en charge
Dépendance et adolescence
Trouble, symptôme et solution subjective : analyse d’une problématique actuelle
Daniel Coum
Les mineurs dans le trafic de drogue : quel cadre commercial ?
Marwan Mohammed
L’accompagnement des jeunes impliqués dans le trafic
Karima Esseki
Entretien avec des éducateurs de la PJJ sur la prise en charge des mineurs impliqués dans le trafic de stupéfiants
Luc-Henry Choquet, Karima Esseki
TROISIÈME PARTIE
Pour aller plus loin
Les conduites addictives au sein du Programme de promotion de la santé à la PJJ
Dr Françoise Marchand-Buttin
Mise en place d’un questionnaire intitulé « Parlons trafic », à destination des professionnels et des jeunes
Luc-Henry Choquet, Karima Esseki
Une mallette à destination des professionnels en contact avec des jeunes consommateurs de produits (licites/illicites)
Laura Vivant
Un retour d’une expérimentation dans un cadre contraint de prévention et de lutte contre les conduites addictives
Audrey Decroix, Hugues Makengo
Le temps de l’évaluation : les coopérations entre PJJ et consultations jeunes consommateurs
Christophe Moreau, Christophe Pecqueur
Les contributeurs
Table des matières
Liste des abréviations
ANPAA Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie
API Alcoolisation ponctuelle importante
CEF Centres éducatifs fermés
CJC Consultations jeunes consommateurs
CNASEA Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles
CSAPA Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie
DGS Direction générale de la santé
DPJJ Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
DSM Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders)
EMCDDA European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction
EPE Etablissements de placement éducatif
EPEI Etablissements de placement éducatif et d’insertion
ESCAPAD Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense
ESPAD European School Project on Alcohol and other Drugs
HBSC Enquête Health Behaviour in School-aged Children
ILS Infraction à la Législation sur les Stupéfiants
INPES L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
INSERM Institut national de la santé et de la recherche médicale
JUDEX Système judiciaire de documentation et d’exploitation
LSD Diéthylamide de l’acide lysergique
MDMA Méthylènedioxy-méthamphétamine
Mildeca Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives
Mildt Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie
OFDT Observatoire français des drogues et des toxicomanies
OMS Organisation mondiale de la Santé
PASAJ Service écoute jeune de l’association Parentel
PJJ Protection judiciaire de la jeunesse
SEAT Service éducatif auprès du tribunal
STEI Service territorial éducatif et d’insertion
STEMO Service territorial éducatif de milieu ouvert
STIC Système de traitement des infractions constatées
UE-CER unités éducatives de centre éducatif renforcé
UEAJ unités éducatives d’activités de jour
UEHC unités éducatives d’hébergement collectif
UEHD unités éducatives d’hébergement diversifié
Avant-propos
Luc-Henry Choquet
Cet ouvrage a été réalisé à l’initiative de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) à partir d’un financement de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) devenue mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Y ont participé sous la direction du pôle recherche, avec la collaboration du pôle santé de la DPJJ : Christian Ben Lakhdar, Luc-Henry Choquet, Daniel Coum, Audrey Decroix, Katia Dubreuil, Karima Esseki, Danielle Forgeot, Dr Laurent Karila, Olivier Le Nezet, Jean Macabies, Hugues Makengo, Dr Françoise Marchand-Buttin, Emmanuel Meunier, Marwan Mohammed, Christophe Moreau, Christophe Pecqueur, Ivana Obradovic, Claude Olivenstein, Patrick Peretti-Watel, Stanislas Spilka et Laura Vivant.
Dans le cadre de la prise en charge éducative des mineurs sous protection judiciaire, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse s’est donné pour orientation de réduire les comportements de trafic et de consommation de produits psycho-actifs, s’agissant des mineurs qui sont largement concernés par le problème, et d’intégrer à la démarche éducative les questions relatives à leurs implications dans le trafic.
Les modes de consommation et les dépendances des mineurs concernés ont à voir avec les modalités contemporaines de socialisation des mineurs. Les stupéfiants (cannabis, alcool, etc.) sont fréquemment utilisés par le mineur comme porte d’entrée d’une socialisation dont la modalité apparait très structurée et, ce faisant, très structurante lorsqu’elle est en lien avec une organisation consolidée et rationnelle de cette forme atypique d’emploi que constitue le trafic, quoique socialement déviante.
C’est pourquoi les professionnels sont conduits, dans le cadre d’une démarche réfléchie et pragmatique de prise en charge du mineur dans sa globalité, à faire une distinction entre le mineur qui consomme et celui qui vit du trafic tout en prenant en compte les liens entre les deux situations dans leur complexité et leur intrication.
Pour accompagner les équipes éducatives dans cette démarche, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse :
– développe des formations spécifiques, par l’intermédiaire de l’école nationale de protection judiciaire et de ses pôles territoriaux ;
– élabore actuellement un référentiel dédié à l’action d’éducation dans le cadre pénal, qui comporte un état des lieux des habitudes des mineurs en matière de consommation et/ou d’implication dans un trafic de drogue ;
– propose des outils, une méthode ainsi que des pistes de réflexion pour les professionnels en vue d’améliorer la qualité des prises en charge ;
– crée un environnement favorable par son inscription dans les politiques publiques (de santé, de prévention de la délinquance…) et le développement des partenariats dans ces champs ;
– oriente les services vers un accueil individualisé du mineur et le repérage de ses besoins en santé et met à disposition des outils dédiés à cet accueil et à ce repérage.
En renforcement de cette démarche, la DPJJ a souhaité réaliser aujourd’hui un recueil des connaissances de base indispensables pour un éducateur intervenant auprès des mineurs soumis au risque de la toxicomanie. Son objectif est d’améliorer la connaissance des différents aspects de la question relatifs aux différentes facettes du problème, notamment :
– les consommations, les usages et leurs sens ;
– le marché, l’économie parallèle, le deal ;
– les dimensions psychologiques et pédopsychiatriques ;
– les types de socialisation liés à la consommation, au trafic, par rapport aux parents, à la famille, aux pairs, etc. ;
– les actions menées et les prestations fournies par les services concernés (soins, prévention, …).
Ce recueil a été organisé sous la forme d’un glossaire mis à la disposition des équipes éducatives de l’ensemble des établissements et services de la PJJ via une diffusion spécifique.
Il permettra aux professionnels, sur ce sujet très souvent soumis aux représentations de sens commun, d’avoir une culture partagée utile aux échanges avec les mineurs, au sein de leur équipe comme avec les partenaires extérieurs avec lesquels ils mèneront leurs actions.
Exergue
Claude Olivenstein
Les usagers de drogues relèvent d’une interrogation sociale, les toxicomanes sont des malades en état de souffrance et, à ce titre, relèvent d’une intervention thérapeutique. Il est grand temps que cessent les confusions qui nous obnubilent, et le rôle d’une « clinique des toxicomanies » est précisément de faire la part des choses ; loin d’une psychiatrie ou d’une psychopharmacologie moralisante qui ouvrent les voies à toutes les tyrannies. […] Nous pouvons dire avec netteté qu’il n’y a pas d’enfance spécifique de l’usager de drogues. Nous pouvons dire avec netteté qu’il y a des événements, des passes spécifiques dans l’enfance du toxicomane. Non pas forcément chez des enfants à hauts risques dans des familles à hauts risques, mais chez des enfants apparemment normaux chez qui se seront produites une ou des brisures. Nous pouvons entrevoir ces brisures, les repérer, les signaler, nous pouvons quelquefois, pas toujours, trouver le pourquoi partiel de ces brisures. Nous ne savons pas aujourd’hui pourquoi l’« instantanéité » de ces brisures est tellement opérationnelle par rapport à d’autres enfants, qu’il s’inscrit avec une telle obligativité dans le psychisme et la mémoire du sujet […] Quelque chose d’essentiel se joue autant et aussi dans l’ordre du biologique, comme support et renvoi du psychisme, dans la construction et la redistribution de système des organisateurs neurobiologiques, synaptiques, hormonaux, enzymatiques. Quelque chose de l’ordre de l’infiniment petit, de l’ordre de la compétition, mettant en jeu des phénomènes « on » – « off » dont la sommation permet elle aussi le passage du quantitatif au qualitatif – annonçant en cela ce que fera plus tard le produit, produit dont il faut resouligner la nature objective et non phantasmatique. […] Le paradoxe du futur toxicomane sera alors dans sa tentative continuelle de résister à la mort, tout en la provoquant et en la suscitant – le western est partie intégrante de sa vie –, avec, d’une manière tout à fait contradictoire, la naïveté de l’enfant qui joue et l’angoisse de celui qui sait qu’il va mourir. […] On voit qu’à un tel sujet, une approche thérapeutique orthodoxe serait initialement vaine. On voit qu’il convient d’abord et avant tout de lui restituer un temps – de le restaurer dans les dimensions propres à ses semblables. Et non seulement le temps, mais le temps vécu, de tenir compte des highs et des downs, de la fonction de discontinuité du temps ; mais encore du rôle organisateur de la fonction ludique, de l’imaginaire en action ; bref, de tout ce qui chez lui bien plus qu’ailleurs dépend de l’aléatoire, des perturbations cinétiques, d’une complexité non réductible à une progression toute linéaire empruntée aux autres hommes. […] Mais l’on mesure la complexité d’une telle démarche tant celui qui se présente à nous est constamment sur le fil, entre le « déjà presque et le presque plus ». Dans cette instantanéité du coup de poker, où il nous quémande « tout, tout de suite ». […] Toxicomanes ou usagers, l’institution ne devrait être présente que dans leurs situations de souffrance et non par rapport à un statut, afin que puisse s’établir le régime de l’impossible : la vérité d’une rencontre entre l’un qui se drogue et l’autre pas ; seule chance proposable à un toxicomane de ne plus vivre de sa toxicomanie, s’il le désire un peu. Il manque toujours quelqu’un. Le soignant le plus souvent, exclu du monde de la planète, appelé là où il s’interdit d’être. Mais aussi le toxicomane « défoncé », ailleurs et seul. Parents, médicaments viennent ainsi à une place activement laissée vacante. Face à celui qui, dans son échec, persiste à nous dire qu’il peut être Dieu, il est difficile de rester modeste, de s’avouer impuissant. On peut faire beaucoup pour un toxicomane, peut-être à la condition de ne pas en faire trop, pour lui en dire assez{1}.
Lexique
Emmanuel Meunier
Ce lexique s’adresse aux professionnels qui suivent des jeunes qui s’engagent dans des conduites à risques en lien avec les trafics, ou si l’on préfère, à des jeunes que l’on peut désigner comme les « petites mains » du trafic (par opposition aux jeunes qui sont inscrits dans une « carrière » délinquante). Les mots ont été sélectionnés en fonction de leurs capacités à aider le professionnel : à se familiariser avec le vécu de ces jeunes (notamment grâce aux mots d’argots) ; à intervenir pour aider les jeunes à réajuster les représentations erronées et/ou problématiques. Ils ont aussi été choisis pour leurs capacités à illustrer des facteurs de protections et de vulnérabilités, dont la prise en compte permet d’évaluer le niveau d’engagement du jeune ; ou encore – et surtout – en fonction de leurs capacités à mettre en valeur des leviers de prévention. Par ailleurs, comme nombre de jeunes engagés dans les trafics sont consommateurs des produits qu’ils vendent, en particulier de cannabis, quelques rappels sur les drogues sont insérés.
MMPCR
La Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques, créée à l’initiative du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et de la Ville de Paris, a pour objectif général d’accompagner les professionnels dans la compréhension des processus des conduites à risques et la mise en œuvre d’actions de prévention qui visent à limiter l’incidence et à réduire les effets négatifs de ces conduites. Cette structure-ressource métropolitaine intervient à la croisée des champs de la cohésion sociale, de l’éducatif, de la santé, de l’insertion, de la justice, pour promouvoir la prévention des conduites à risques.
Les mots sont présentés par ordre alphabétique et d’après un code couleur, renvoyant à trois sous-thèmes :
ACCOUTUMANCE (facteur de vulnérabilité)
C’est le phénomène biologique qui permet à l’organisme de s’adapter progressivement à certaines substances psychoactives et à en tolérer des doses quotidiennes toujours plus élevées. L’accoutumance, pour le consommateur de substances psychoactives, a pour conséquence qu’il ressent de moins en moins les effets du produit, ce qui l’oblige à augmenter ses doses. Ce qui pose, du point de vue de la question du trafic, la question du financement d’une consommation de plus en plus coûteuse.
« ACCRO »
Être dépendant.
ADDICTION
Les troubles addictifs constituent un large concept partageant des caractéristiques communes. En tenant compte de la définition d’Aviel Goodman{2}, les conduites addictives sont soit une source de plaisirs que l’on recherche (renforcement positif) soit une source de soulagement d’un malaise intérieur que l’on veut éviter (renforcement négatif). On retrouve une perte de contrôle de la consommation ou du comportement (comme cela est montré par les échecs de tentatives de réduction ou d’arrêts) malgré l’existence de conséquences négatives.
Les troubles addictifs peuvent correspondre à un abus ou une dépendance, et concerner des substances comme l’alcool, la cocaïne, le cannabis, le tabac… ou des comportements comme le jeu pathologique, les troubles alimentaires, certaines activités sportives…. De plus, ils reposent sur deux mécanismes communs importants de la dépendance : l’effet récompense (augmenté) et le contrôle inhibiteur de la douleur (diminué){3}.
AMOUR (Levier de prévention)
Des jeunes impliqués dans les trafics modifient lentement leurs vies et peuvent renoncer à leurs implications dans le trafic quand « ils ont quelque chose à perdre » comme lorsqu’ils deviennent responsables d’un couple, d’un enfant… Le lien amoureux et la paternité sont des « turning point » (Everett C. Hughes) centraux pour sortir du trafic. L’engagement sentimental vient aussi contrer la culture de dureté viriliste du trafic. Parfois, l’investissement affectif est d’autant plus intense que la dé-privation affective, autrement dit le fait de s’être perçu comme privé d’amour, a été forte. D’où l’importance, en termes de prévention, de savoir saisir ces moments pour proposer de l’aide et développer chez les jeunes leurs capacités à accéder à leurs émotions et à les exprimer.
ARGENT DE POCHE (levier de prévention)
Le besoin d’accéder à de l’argent est l’un des moteurs de l’engagement dans les trafics. Le fait de ne pas accéder du tout à l’argent de poche, notamment parce que la famille a des résistances culturelles et/ou affectives à en donner (l’argent de poche est un marqueur d’autonomisation) peut inciter à « rendre service » aux dealers. Des enfants peuvent être tentés d’aller acheter les cannettes et sandwichs des dealers contre la promesse de pouvoir garder la monnaie. Des préadolescents peuvent être tentés de rendre des services plus conséquents. Or dans bien des cas, leurs besoins en argent restent limités et un peu d’argent de poche peut suffire à les éloigner de ces pratiques. D’où l’intérêt d’aborder cette question avec les parents.
AUTOPRODUCTION (& cannabis)
Le nombre de plantations de cannabis découvertes est en augmentation exponentielle. Selon l’OFDT (cf. OFDT. « Réseaux criminels et cannabis indoor en Europe : maintenant la France ? », mai 2011), il y aurait au moins 150 000 « cannabiculteurs » en France, ayant transformé un cagibi, un placard ou un coin de jardin en une plantation illégale. La production française d’herbe, évaluée à 32 tonnes, représenterait 12 % de la consommation totale de cannabis et 50 % de la consommation d’herbe. Pour permettre à ces cultivateurs urbains de s’équiper en « box » éclairé et ventilé, en engrais, nutriments, substrats et graines (parfois vendues sous l’appellation de « graine pour oiseaux de compétition »), des « growshops » (ou jardinerie) se sont créés en toute légalité. Il n’y est jamais explicitement question de cannabis. Dans certains cas, l’autoproduction vise à satisfaire un usage personnel, dans d’autres, elle peut donner lieu à de la revente. Plus généralement, le développement de l’autoproduction fait concurrence au trafic de rue et réduit la demande.
BALANCE DÉCISIONNELLE (levier de prévention)
La « balance décisionnelle » est une technique non moralisante qui invite l’interlocuteur à mettre en balance les avantages et les dommages liés à une conduite, qu’il s’agisse d’une conduite addictive ou d’une conduite à risques, pour l’aider à faire un choix éclairé, favorable à sa santé et à la qualité de sa vie sociale. Cette technique peut être utilisée dans le contexte du trafic. Le jeune est invité à énoncer les bénéfices que lui procure le trafic (par exemple : accès à de l’argent, consommation de cannabis facilitée, prestige lié à la « flambe », sentiment d’être un entrepreneur, sentiment d’appartenance à un groupe et sentiment d’être « protégé » par celui-ci…). Puis à mettre en balance les dommages (par exemple : consommations abusives, violences des clients, des rivaux, des forces de répression, le marquage pénal, les incarcérations, la médiocrité des gains, l’isolement psychoaffectif vis-à-vis des proches, de la petite copine, le fait de subir l’emprise des « têtes de réseaux » vis-à-vis desquelles il a pu s’endetter, le fait d’être obligé de faire certaines choses indésirables par « loyauté »). Enfin, il s’agit de l’inviter à considérer les avantages auxquels il pourrait accéder s’il n’était pas dans le deal (par exemple, construire son autonomie par un travail licite, estime de soi et reconnaissance liées au fait de travailler, élaboration de projets de vie…). Cette technique permet d’aider le jeune à s’ouvrir à l’idée qu’il y a des alternatives au mode de vie dans lequel il tend à s’enkyster.
« BANG »
Mot dérivé du mot thaï « baung » (qui désigne un morceau de bambou) qui sert à signaler une « pipe à eau » (qui produit un effet puissant, un « coup de bambou »). Une pipe à eau est un dispositif qui comprend une chambre de combustion (équivalent du fourneau de la pipe classique) où le cannabis et le tabac sont portés à incandescence. Une tige reliée à la chambre de combustion est plongée dans une « chambre à fumée », elle-même remplie pour moitié d’eau (et parfois d’alcool). En plaçant sa bouche au-dessus de la chambre à fumée, l’utilisateur commence par inhaler l’air qu’il contient. Le « vide » ainsi créé génère une sorte d’appel d’air, en telle sorte que l’atmosphère extérieure pousse de l’air, d’abord à travers la chambre de combustion, puis vers la tige, puis à travers l’eau contenue dans la chambre à fumée. La fumée se trouve piégée dans la partie haute de la chambre à fumée et peut alors être inhalée, généralement en une longue bouffée. Le fait de passer par l’eau a pour effet de refroidir la fumée, ce qui permet d’en inhaler une grande quantité.
« BANQUE » ; « BANQUER »
Nom donné à ceux qui stockent l’argent liquide du trafic. Économiser l’argent de la drogue pour l’investir plus tard, dans une activité licite ou non.
« BARETTE »
Unité de vente de 2 à 3 g de résine de cannabis.
« BÉDO »
Joint ; cigarette de cannabis.
« BEUH »
Herbe de cannabis.
« BICRAVEUR »
Dealer de rue, argot d’inspiration manouche.
BLANCHIMENT
Les jeunes des quartiers populaires impliqués dans les trafics ont du mal à blanchir l’argent et sont d’ailleurs souvent dans la « flambe » et dépensent une grande part de ce qu’ils gagnent. Certains parviennent toutefois à économiser de l’argent pour racheter un bail commercial (épicerie, restaurant…) pour s’intégrer dans l’économie licite. On voit émerger des stratégies « artisanales » de blanchiment par le recours à des statuts d’autoentrepreneurs proposant des services à la personne notamment via l’économie « ubérisée ». Ces pratiques restent limitées et peuvent correspondre à des tentatives de sortie du trafic et d’entrée dans l’économie licite, l’argent « banqué » pouvant servir de mise de fond pour créer une activité légale. Le blanchiment est surtout évoqué à propos des acteurs du trafic international qui bénéficient, depuis les années 1980, de la dérégulation de la finance mondiale. Ce phénomène est venu renforcer la puissance des organisations criminelles transnationales les plus liées au commerce de la drogue. Aujourd’hui, les techniques d’ingénierie financière ont atteint un point de sophistication tel qu’elles facilitent la dissimulation des profits de la drogue – énormes compte tenu des taux de marge exorbitants – et favorisent leurs recyclages dans l’économie légale.
« CAILLASSEURS »
Ils organisent des mises en scènes pour détourner l’attention des forces de l’ordre (caillassage, courses poursuites…), et offrir ainsi un temps précieux aux dealers pour fuir et dissimuler leur matériel. Les mineurs peuvent en être.
« CAME » (meuca en verlan)
Drogue ; Mot parfois utilisé dans le sens de « marchandise » / Forme verbale : se camer.
CHANTIER D’INSERTION (levier de prévention)
Les chantiers d’insertion sont des outils de prévention efficaces pour les jeunes éloignés de l’emploi, soit parce qu’ils sont trop jeunes, soit parce que peu « employables » sur le marché du travail. Les chantiers peuvent être rémunérés (ce qui peut facilement être mis en œuvre avec les plus de 16 ans) ou s’inscrire dans une logique de don (de travail) et de contre-don (par exemple le financement d’un séjour). Les chantiers d’insertion permettent aux jeunes impliqués dans les trafics de montrer d’autres faces d’eux-mêmes, la valeur sociale positive qu’ils revendiquent, et d’entrer dans des processus de reconnaissance mutuelle, de développer des relations d’échange basées sur une logique de don et de contre-don (par exemple, l’association paie le séjour et les jeunes effectuent un travail). Le plaisir, ici, est éprouvé grâce à l’activité, au « faire ensemble ». Il est aussi éprouvé grâce au parachèvement de l’acte, dans l’œuvre obtenue et par le biais de la reconnaissance qui en résulte. Quand le chantier est rémunéré, il permet d’éprouver la différence entre « argent sale et facile » et argent « gagné ».
« CHARBONNEUR »
Dealer de rue (Marseille).
« CHICHON »
Apocope et resuffixation de « haschich ». Résine de cannabis.
« CHOUF »
Nom dérivé de l’arabe chouf (voir, regarder) : guetteur.
COÉDUCATION (levier de prévention)
Pour mobiliser les parents de jeunes impliqués dans le deal, il faut s’inscrire dans une démarche de coéducation. La coéducation implique des principes et des valeurs : ne pas attendre qu’il y ait problème sur les apprentissages ou sur les comportements de l’adolescent pour convoquer les parents, mais les rencontrer régulièrement pour pouvoir faire avec eux des bilans sur la situation de leur enfant et coordonner les réponses éducatives. Ne pas les considérer comme « coupables » mais comme « responsables » tout en renforçant leurs « capabilités » à intervenir auprès de leurs enfants. Aller au plus près d’eux sans pour autant leur donner des leçons et être dans l’intrusion, manifester une volonté de les comprendre plutôt que de céder à la tentation de les juger, leur reconnaître des compétences dans le champ éducatif lui-même, les reconnaître comme premiers éducateurs.
COMPÉTENCES recyclables dans l’économie licite (levier de prévention)
Nombre de jeunes s’engagent dans le trafic par absence de perspectives, parce qu’ils refusent l’identité de « perdants ». Pour affirmer des perspectives, il est possible d’aider les jeunes à « transférer » les compétences techniques et relationnelles (commerce, négociation, gestion des risques, des rapports de force, savoir respecter des horaires) qu’ils ont acquises dans le champ de l’illicite dans celui du licite. À condition qu’ils mesurent qu’il leur faut s’adapter aux codes du monde du travail « licite ».
CONDUITES À RISQUES
David Le Breton propose des conduites à risque, cette définition très générale : les conduites à risques « englobent une série de comportements disparates mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger. Leur trait commun consiste dans l’exposition délibérée du jeune au risque de se blesser ou de mourir, d’altérer son avenir personnel, ou de mettre sa santé en péril. » Si les prises de risques sont des expériences structurantes pour le sujet (c’est un champ d’expérience qui permet des apprentissages et qui peut permettre de gagner en assurance et en confiance en soi), ce qui définit la conduite à risque, c’est le fait que l’individu semble rechercher activement la mise en danger de lui-même (alors que dans une prise de risque, le danger peut être rencontré, mais ne constitue pas un but en soi). Cette recherche du danger a des causes diverses, en lien avec une estime de soi défaillante, l’affrontement du danger nourrissant un sentiment illusoire d’omnipotence. Cette exposition au danger peut satisfaire des buts plus inconscients : se mettre en danger pour inquiéter les proches (conduite dite d’« appel »), attendre de l’épreuve « initiatique » une transformation radicale de soi… La conduite à risques, par sa répétition, peut s’imposer