Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

L'aigle à trois têtes
L'aigle à trois têtes
L'aigle à trois têtes
Ebook84 pages54 minutes

L'aigle à trois têtes

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Jean, mon ami, mon amour, mon dieu, le théâtre nous a rapprochés, le cinéma nous a unis. Certes, nos amours ont été orageuses. En revanche, nos talents respectifs se sont aimantés pour éclater dans quelques œuvres majeures où le merveilleux et le tragique s’entremêlent. Ainsi, c’est avec la même fougue que tu as aimé la femme de ton oncle jusqu’à en mourir ; que tu as effrayé Belle sous le masque hideux de la Bête. ; que tu as poignardé une reine qui te prenait, jeune anarchiste, pour le roi tant la ressemblance était frappante. Durant des années, toi et moi avons été un aigle à deux têtes. Or, avec l’arrivée de Paul, notre aigle est devenu tricéphale. Il y avait une tête de trop. Elle devait tomber : ce fut la mienne.
LanguageFrançais
Release dateSep 16, 2015
ISBN9791029003523
L'aigle à trois têtes

Related to L'aigle à trois têtes

Related ebooks

Social Science For You

View More

Related articles

Reviews for L'aigle à trois têtes

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    L'aigle à trois têtes - Roselyne Duprat

    cover.jpg

    L’aigle à trois têtes

    Du même auteur :

    ANTINOÜS ET HADRIEN Histoire d’une passion

    L’Harmattan, Paris, 2004

    LAWRENCE D’ARABIE Un mystère en pleine lumière

    L’Harmattan, Paris, 2011

    Roselyne Duprat

    L’aigle à trois têtes

    L'Eternel retour

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    Faire l’amour devient si beau

    Que cette beauté te ressemble

    Et nos corps confondus ensemble

    Ont l’air sculptés sur un tombeau

    Jean COCTEAU

    Les Chevaliers

    © Les Éditions Chapitre.com, 2015

    ISBN : 979-10-290-0352-3

    Dans l’enfance, j’ai contracté le mal rouge et or. Ce mal, qui provoque d’exquises tortures, ne m’a plus quitté. Mais si le poète apprécie la solennité du lieu, le metteur en scène, en revanche, préfère accéder au théâtre par l’entrée des artistes. Au fil des années, cela est devenu un rite. Ce contact direct avec les planches, encore plongées dans un clair-obscur poussiéreux où les décors restent une énigme, me fascine bien plus que les rouges fanés et les ors ternis qui m’émerveillaient jadis. La magie se renouvelle à chaque représentation lorsque, depuis les coulisses, j’aperçois la rampe qui s’embrase. Les trois coups retentissent dans une salle soudain obscure. Puis le rideau se lève : l’ombre et la lumière s’unissent enfin devant un public fébrile. C’est alors que l’angoisse commence à m’étreindre.

    En ce bel après-midi de septembre, j’échappe à la canicule en franchissant les portes du Théâtre de l’Atelier. Une trouée lumineuse rompt le mystère des ombres : on répète Jules César. Je profite de la pose pour m’aventurer au milieu des décors. Un long voile irisé, tombant des cintres, dissimule une statue renversée. Intrigué, je m’approche et découvre avec stupeur derrière cette brume scintillante un jeune dieu à demi nu qui parait endormi. Tout son être irradie cette flamme qui manque à ma vie. D’une beauté sculpturale, la chevelure ondulante, il représente sans conteste le héros mythologique que je cherchais. A-t-il deviné ma présence ? L’inconnu sort un instant de sa torpeur et ouvre les yeux. Un éclair bleu m’aveugle. J’ai la sensation délicieuse d’être encore sous l’emprise de l’opium tant je baigne dans l’irréalité. Puis, se croyant peut-être victime d’une hallucination, celui-ci referme les paupières et réintègre ses rêves. Je peux ainsi admirer la perfection de ce corps offert à mes regards indiscrets. Sa vue stimulant mon imagination, j’invente aussitôt des rôles à sa mesure ou plutôt à sa démesure.

    La répétition reprenant, une voix s’élève pour appeler le bel endormi. J’apprends qu’il se prénomme Jean. Quelle étrange facétie du destin ! Je décline aussitôt ce nom qui est le reflet du mien : Jean, Jeannot, Janus, le dieu aux deux visages dont l’un restera dans mon ombre et l’autre sera un jour exposé, je n’en doute pas, aux feux de la rampe.

    Subitement, mon héros apparaît. Grand, athlétique, il semble coulé dans le bronze. C’est alors que le son bizarre de sa voix vient briser net mon rêve. Car cette voix ingrate, éraillée, fluette, qui écorche mes oreilles ne correspond guère à un physique que j’imaginais doté d’une belle voix mâle. Néanmoins, sa splendeur se distille en moi comme un poison. Je comprends qu’il va me posséder, m’anéantir, que je ne pourrai plus me passer de lui comme d’une drogue. Cette pensée m’affole parce que je suis timide et que je ne sais comment l’aborder. Je compte sur ma notoriété pour le troubler si tant est que cette divinité, sûre de son pouvoir de séduction, soit encore impressionnable. Lorsque nos regards se rencontrent, j’ai l’impression désagréable qu’il ne réalise pas vraiment qui je suis. Cela blesse mon amour-propre, mais je lui pardonne volontiers cette insolence. Je devine en lui un tempérament fougueux qui le pousse à s’exalter, sans chercher à interpréter les signes qui l’entourent. Il ne se doute pas que j’ai l’intention de lui ouvrir les yeux et de posséder son âme.

    Le miroir me regarde, m’observe, me scrute. Il n’aime guère l’image que je lui renvoie de ma personne où tout n’est que chaos là où il eût fallu une discipline qui m’eût fait approcher de la perfection. La révolte intérieure qui me tourmente depuis l’adolescence se traduit par une chevelure indomptable, des dents qui se bousculent dans une bouche d’où les mots jaillissent avec aisance alors qu’écrire m’est si malaisé. Bref, un visage auquel des traits coupants, acérés comme des lames, confèrent une arrogance dont je me sens coupable parce qu’elle ne correspond guère à ma vraie nature. L’ensemble offre un étrange désordre que Modigliani s’est plu à peindre. Je comprends que

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1