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Découvertes sur le chemin spirituel: En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott
Découvertes sur le chemin spirituel: En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott
Découvertes sur le chemin spirituel: En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott
Ebook419 pages5 hours

Découvertes sur le chemin spirituel: En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott

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About this ebook

Une des conséquences du vide de sens qui caractérise notre époque est une recherche de bonheur dans l’hyperconsommation et l’agitation effrénée. Ce sont des tentatives de compensation au mal être profond ressenti qui ne peuvent pas vraiment répondre à la quête de sens.
Une séparation entre l’expérience spirituelle et l’interprétation théologique qui en est faite alimente une soif pour une spiritualité plus vivante qui pousse à rechercher parfois au loin ce qui est à l’intérieur de nous.
Ce livre nous invite à prendre une petite marche avec Thomas Keating, un théologien, et Donald W. Winnicott, un pédiatre et psychanalyste, pour essayer de découvrir, en entrant dans leur réflexion, ce qui se passe à l’intérieur de nous en profondeur quand nous prenons quelques minutes à chaque jour pour faire l’exercice du silence intérieur.
Il s’agit de nous détacher temporairement de nos préoccupations pour nous mettre à l’écoute du Transcendant.
LanguageFrançais
Release dateApr 7, 2020
ISBN9782312072821
Découvertes sur le chemin spirituel: En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott

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    Découvertes sur le chemin spirituel - Bertrand Giguère

    cover.jpg

    Découvertes sur le chemin spirituel

    Bertrand Giguère

    Découvertes sur le chemin spirituel

    En compagnie de Thomas Keating et Donald W. Winnicott

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07282-1

    Seigneur ! À voir la grandeur infinie de l’univers que tu crées

    sans cesse, qu’est donc le mortel, que tu t’en souviennes

    et veuilles le rencontrer ?

    Psaume 8, 4-5

    Avant-propos

    Dans la bible, l’ascension d’une montagne peut symboliser la prise de conscience d’une ascension spirituelle. Le choix de la photo, en page couverture, a justement été fait dans le but d’exprimer la splendeur de cette ascension au cours du développement de la relation à Dieu. Le Créateur de l’univers vient à notre rencontre. Il nous cherche mais en respectant notre liberté. Il n’y a pas de chemin spirituel tout tracé d’avance pour aller à sa rencontre, mais une voie unique pour chacun de nous et que nous avons à découvrir en développant notre relation d’Amour avec Dieu. La silhouette de l’abbaye St-Benoît du Lac rappelle que le monachisme est un signe multiséculaire de cette recherche mutuelle entre Dieu et l’être humain. Nous sommes invités à nous arrêter, à reléguer momentanément nos préoccupations quotidiennes au second plan, et à faire silence à l’intérieur pour le rencontrer.

    Ce livre est le fruit de plusieurs années d’études du religieux contemporain et de la pratique du silence intérieur ou Centering Prayer* (Prière de consentement* à la présence et l’action transformatrice de Dieu en nous) proposée par le cistercien Thomas Keating pour répondre à la quête de sens de notre temps. Cet exercice spirituel favorise le développement de notre relation à Dieu et aide à mieux vivre nos relations humaines au présent.

    Les découvertes mentionnées dans le titre résultent d’analyses comparatives minutieuses des textes théologiques de Keating et des écrits du pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott. Keating utilise un discours psycho-spirituel pour parler de la relation à Dieu, et Winnicott un discours scientifique pour rendre compte de ses observations et conclusions au cours de ses recherches sur le développement affectif et relationnel de l’enfant. Un enrichissement réciproque de leur pensée est reconnaissable malgré des domaines de recherche apparemment éloignés et un vocabulaire parfois très différent. Les notions psychologiques utilisées par Keating profitent ainsi d’un solide appui et d’une plus grande pertinence en théologie spirituelle, puisque les effets bénéfiques de la pratique du silence intérieur décrits par Keating reçoivent une confirmation d’une source scientifique indépendante du religieux.

    Cette recherche fut, malgré les difficultés, une aventure fascinante et gratifiante qui a conduit à des conclusions surprenantes. Disons pour le moment que la pratique du silence intérieur ouvre un chemin de libération et d’authenticité. La question qui peut surgir naturellement suite à une telle affirmation est : «  De quoi aurions-nous besoin d’être libérés pour découvrir notre identité profonde et connaître enfin la joie d’un meilleur développement spirituel ? » En cheminant avec la pensée de Thomas Keating et celle de Donald Winnicott, des réponses vous seront présentées. Tous deux parlent de ce qu’il y a de plus authentique en chacun de nous, et aussi de ce qui peut empêcher notre être véritable de développer pleinement tout son potentiel.

    Vous constaterez que spiritualité* et psychanalyse deviennent des alliées dans cette recherche qui explore les expériences vécues au début de notre vie et leur influence sur notre développement spirituel par la suite. L’éclairage apporté peut donner le goût de se mettre en marche ou de s’engager davantage dans la traversée des étapes de ce chemin intérieur, et vous inviter à poursuivre votre recherche sur votre identité profonde et votre relation à la Réalité Ultime*.

    Les pages qui suivent essaient de vous faire entrer dans cette aventure et de vous transmettre l’intérêt de ces découvertes. Si vous souhaitez apporter encore plus de sens à votre vie, favoriser un meilleur développement spirituel, et prendre davantage contact avec votre identité véritable et ses aspirations au bonheur, ce livre est pour vous.

    Remarques

    1 – Uniquement dans le but d’alléger la lecture, nous utilisons seulement le genre masculin de certains mots.

    2 – Certains mots commencent par une lettre majuscule pour signifier une entité globale, par exemple, « Création » pour tout l’être en général alors que « création » peut désigner des œuvres humaines. De même, « Transcendance », « Réalité Ultime », Fils, Père{1}, Esprit, Trinité, « Amour »,… etc., sont des termes pour désigner Dieu.

    3 – Les mots en italique suivis d’un astérisque reçoivent une définition dans le glossaire. Plusieurs définitions réfèrent au sens donné par les auteurs : Keating et Winnicott. Parfois nous ajoutons quelques explications, dans le corps du texte ou en note de bas de page, afin de préciser notre interprétation.

    4 – La plupart des écrits de Keating n’ont pas encore été traduits en français. Lorsqu’une traduction existe, nous donnons la référence entre accolades après celle du document source, de même que pour certains textes de Winnicott. Lorsque nous citons ou paraphrasons en français ces auteurs anglophones, nous donnons la référence de la traduction française, sinon il s’agit de notre traduction.

    5 – La date de production de chacun des écrits de Winnicott diffère parfois de plusieurs années de la date de leur publication. La date de production est mentionnée dans la note de bas de page reliée à la première mention d’un texte spécifique. Par la suite, le lecteur peut trouver plus facilement cette date de production dans la bibliographie. Elle est placée entre parenthèses à la suite du titre de chacun des textes.

    6 – Le lecteur qui aimerait prendre connaissance de tous les détails de l’argumentation à l’appui de certaines des affirmations qui vont suivre pourra consulter la thèse de doctorat de l’auteur à l’origine de ce livre et intitulée : « Analyse comparative et croisement du discours psycho-spirituel de Thomas Keating avec la pensée psychanalytique de D.W. Winnicott » accessible à la bibliothèque Roger Maltais de l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada. Utilisez le site : https://www.usherbrooke.ca/biblio/, et l’onglet « Outil de découverte ».

    Introduction générale

    La curiosité et l’attrait de la découverte peut nous inciter parfois à faire un détour et à nous aventurer sur un chemin physique inconnu. De même, un appel mystérieux qui évoque le buisson ardent de l’Exode{2} peut retentir au plus profond de chacun de nous avec la question « Qui es-tu ? ». Cet appel qui fait partie du questionnement humain de toutes les époques{3} nous invite doucement à nous engager sur un chemin intérieur pour une exploration audacieuse en profondeur à la découverte de notre identité véritable. Tels des pèlerins sur un chemin inconnu mais fascinant, cette question identitaire sera le fil conducteur qui guidera notre réflexion en compagnie de Thomas Keating et Donald Winnicott.

    L’exploration identitaire sur ce parcours intérieur qu’est le chemin spirituel nous semble encore plus pressante dans notre contexte multiculturel de ce début de XXIe siècle. En effet, les rencontres entre les cultures religieuses sont plus fréquentes et le besoin d’un dialogue interreligieux ainsi qu’une réflexion en profondeur sur nos points de repères théologiques peuvent se faire sentir davantage. De plus, dans notre contexte de crise écologique, l’avenir de la civilisation humaine telle que nous la connaissons apparaît menacé plus particulièrement par un désir de l’être humain de dominer la nature. La survie à long terme de l’espèce humaine ne serait-elle pas reliée à l’authenticité de notre expérience spirituelle individuelle et collective ? Cette expérience pour notre temps ne devrait-elle pas alors se manifester par une prise de conscience plus profonde de la transcendance de la nature relationnelle du sujet humain, et du respect qu’il se doit d’accorder à l’ensemble de la Création qui participe aussi de cette Transcendance ?

    Le dialogue interreligieux nécessite d’abord un certain vécu religieux afin de pouvoir rencontrer l’autre au même niveau qui est celui de la foi et non de la connaissance. Ce dialogue pour être authentique exige aussi un bon esprit critique face à sa propre tradition{4} religieuse, et un réel désir de rencontrer quelqu’un d’une autre culture et de l’accueillir en respectant ses croyances. Cette ouverture d’esprit peut nous faire passer du dialogue interreligieux au dialogue intrareligieux, qui est une rencontre avec et au travers de l’intériorité religieuse des personnes en dialogue, dont les résultats sont imprévisibles{5}. L’intrareligieux ne réfère donc pas nécessairement à des doctrines ou des traditions religieuses précises, mais à la spiritualité de chaque personne{6}.

    CONTEXTUALISATION

    Notre réflexion s’inscrit dans le contexte multiculturel et religieux à la suite du mouvement sociohistorique du XXe siècle qui a produit une profonde rupture concernant le rapport au sens des sociétés occidentales{7}. Avant le religieux garantissait l’entente à l’intérieur des communautés humaines, puisque les membres partageaient un même sens théologique qui assurait leur cohésion. Le milieu du XXe siècle a marqué un basculement{8} alors que le religieux est devenu le support de quêtes de sens personnelles pour des individus qui se veulent autonomes et cherchent pour eux-mêmes sur un marché ouvert de signifiants et d’appartenances. Conséquemment, une soif particulièrement intense de spiritualité se faisait sentir en Occident au début des années 1970, et un grand nombre de jeunes et moins jeunes recherchaient au loin ce que l’Église ne leur semblait plus capable de donner. Thomas Keating o.c.s.o{9}., un moine trappiste américain, abbé de l’abbaye Saint-Joseph de Spencer dans le Massachusetts, au cours de ces années-là, écrit à propos de cette situation : « J’ai aussi pris conscience du profond besoin de spiritualité de cette époque. Suite à la vague du réveil spirituel que le Concile du Vatican semble avoir produite, des jeunes d’un peu partout dans le monde s’en allaient en Inde par milliers à la recherche de maîtres spirituels{10}. »

    En effet, le concile Vatican II avait produit en octobre 1965 une déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes{11} dans laquelle l’importance d’estimer à leur juste valeur les enseignements des autres religions du monde était reconnue par l’Église. Keating ne comprenaient pas, pourquoi des milliers de jeunes allaient jusqu’en Inde{12} pour trouver des formes de spiritualité alors qu’il ne manquait pas de monastères de femmes et d’hommes contemplatifs tout près d’eux, dans leur propre pays. Quelques-uns venaient parfois à son monastère mais très peu. Ils parlaient parfois de leur expérience spirituelle et, pour Keating, cela ressemblait beaucoup à ce que la tradition chrétienne appelle « contemplation* ». Et ce qui l’impressionnait souvent dans les conversations avec eux, c’était qu’ils n’avaient jamais entendu parler dans leur paroisse ou à l’école de l’existence d’une spiritualité chrétienne. Et quand ils l’apprenaient ils étaient surpris, impressionnés, et curieux. Comment expliquer cette ignorance ? Notre cistercien rapporte aussi que, malgré sa vie de contemplatif et ses études approfondies de la tradition chrétienne, lorsqu’il donnait des conférences à la communauté monastique, plusieurs moines ne manifestaient pas d’intérêt pour la contemplation. Les prêtes des paroisses qui venaient à l’abbaye pour une retraite n’étaient pas davantage intéressés à entendre parler de vie contemplative. Ils avaient appris, aux cours de leurs études pour devenir prêtre, que la vie contemplative était pour des personnes exceptionnelles et cloîtrées, et que la contemplation n’était pas vraiment pertinente à leur ministère. Il n’était pas étonnant, dans ce contexte, que de jeunes laïcs n’aient jamais entendu parler de contemplation{13}. Profondément attristé de cette situation, Keating demande alors à sa communauté monastique : « Pourrions-nous donner une forme à la tradition chrétienne qui la rendrait accessible à nos contemporains engagés dans des ministères actifs, et aussi aux jeunes qui ont expérimenté des techniques orientales et qui pourraient avoir le goût de retourner à leurs racines, s’ils apprenaient qu’il y a toujours eu quelque chose de semblable dans leur tradition{14} ? » Il avait la conviction que ce manque de spiritualité ne correspondait pas à la tradition chrétienne authentique et il cherchait comment remédier à la situation.

    Relativement à cette recherche de maîtres spirituels jusqu’en Inde, les moines n’étaient pas sans savoir que les mouvements sporadiques de chrétiens vers l’Orient au cours de l’histoire n’étaient pas nouveaux, et que même s’ils n’avaient pas toujours produit que du bien, comme lors des Croisades des XIe et XIIe siècles, des effets très bénéfiques au niveau des arts, des sciences et des écrits de sagesse pouvaient aussi en résulter. La motivation de Keating et de ses collègues à rencontrer des maîtres spirituels de tradition orientale, s’inscrit donc dans cet esprit d’ouverture et de recherche puisqu’ils pouvaient y voir une réelle possibilité d’enrichissement.

    La cause de l’exode vers l’Orient au cours des années 1970 était, selon Basil Pennington, un collègue de Keating, une séparation entre la spiritualité et la théologie et qui prévalait depuis quelques siècles dans l’Église d’Occident. Cette scission entre l’expérience de Dieu et le discours sur Dieu qui en résulte rendait l’Église incapable de répondre adéquatement à la recherche particulière de spiritualité constatée par les cisterciens. C’est alors que Keating et ses collègues, dont plus particulièrement Pennington et aussi William Meninger, en réaction à cette exode vers l’Orient des jeunes occidentaux, se sont inspirés d’anciennes sources en lien avec l’idée d’une inhabitation trinitaire* et qui remontent aux Pères du désert, ces moines qui, à partir du IVe siècle, peuplèrent les déserts d’Égypte, de Palestine et de Syrie. Ils ont utilisé aussi d’autres sources plus ou moins anciennes, comme The Cloud of Unknowing{15} un écrit anonyme du milieu du XIVe siècle, ou les écrits de Jean de la Croix, véritables trésors oubliés de la tradition chrétienne, pour essayer de répondre concrètement à la recherche de nos contemporains concernant une expérience relationnelle plus profonde à la Transcendance.

    Finalement Keating propose la Centering Prayer, soit une prière de silence{16}. Elle fut transmise par les hésychastes (Le terme vient du mot grec ἡσυχάζω, « être en paix, garder le silence ».) de la tradition orthodoxe orientale qui croyaient à la possibilité d’atteindre l’union avec Dieu. Cette prière silencieuse fut communiquée aussi plus particulièrement par le Pseudo-Denys un moine syrien (~ fin Ve – début VIe siècle). La transmission s’est faite ensuite par Maître Eckhart (1260-1328), Jean de Ruysbroeck (1293-1381) à la fin du Moyen-Âge, et par l’auteur anonyme de l’ouvrage The cloud of unknowing. La tradition carmélitaine la reprend au milieu du XVIe siècle avec Thérèse d’Avila (1515-1582) et Jean de la Croix (1542-1591). Et finalement, au XXe siècle, c’est Thérèse de Lisieux (1873-1897), Élisabeth de la Trinité (1880-1906) et Thomas Merton (1915-1968){17}.

    Keating utilise un discours théologique qui renouvelle la tradition mystique* chrétienne, et ce renouveau est remarquable par l’idée d’une inhabitation trinitaire, soit d’une Présence d’Amour transcendant qui se fait bien réelle et toute proche en l’être humain. En plus de la dimension non dualiste{18} de son discours théologique, notre cistercien fait preuve aussi d’originalité par l’emploi de notions psychologiques, dont celles de vrai self* et de faux self* qui peuvent apporter un éclairage très pertinent sur les étapes du chemin spirituel{19}, et procurer un nouveau regard sur la contemplation mystique.

    BUT

    Le but de ce livre est de favoriser une compréhension nouvelle de la dynamique de l’ensemble des étapes du chemin spirituel afin de permettre une meilleure jonction de la spiritualité et de la théologie, c’est-à-dire de montrer un lien plus intense et mutuellement enrichissant entre l’expérience spirituelle et l’interprétation de cette expérience. Cette connexion est favorisée d’une part grâce à un renouvellement dans notre manière de nous relier à Dieu, et d’autre part, grâce à l’aide des sciences psychologiques concernant le développement affectif et relationnel. Nous ferons des analyses comparatives entre les étapes du chemin spirituel et les étapes du développement affectif et relationnel. Ces analyses nous permettrons d’identifier des points de convergence entre le développement de la relation à Dieu et le développement affectif et relationnel au niveau psychologique. À partir de ces convergences nous pourrons montrer en quoi les observations de Winnicott peuvent enrichir le volet psychologique du discours keatingnien. Nous espérons ainsi éclairer un peu le chemin spirituel plus particulièrement pendant les passages plus difficiles comme les « nuits obscures* », et les étapes plus sereines d’« union transformante* » et d’« unité en Dieu ».

    CADRE THÉORIQUE

    Pour les étapes du chemin spirituel, notre discours se situe dans le cadre de la théologie spirituelle carmélitaine puisque Keating réfère souvent à Jean de la Croix et Thérèse d’Avila qui sont reconnus comme les grands maîtres de cette école. De plus, la théologie spirituelle carmélitaine se caractérise par son contact étroit avec la psychologie des mystiques et la description expérimentale{20} qui est faite de la contemplation.

    Pour la dimension psychologique de notre réflexion, nous nous référerons principalement aux écrits de Donald W. Winnicott qui fut l’un des premiers à utiliser les expressions « true self » et « false self » qui se retrouvent très fréquemment sous la plume de Keating à propos de la recherche d’authenticité. Notre choix de ce psychanalyste et pédiatre se justifie surtout parce qu’il s’inscrit dans le courant de la psychologie empiriste{21} britannique influencée par les idées philosophiques de John Locke (1632-1704) et David Hume (1711-1776) qui préconisent de s’appuyer d’abord sur l’observation et l’expérience pour acquérir des connaissances. Ils s’opposent ainsi au rationalisme de René Descartes{22} (1596-1650) qui suppose l’existence de quelque chose d’innée dans la connaissance{23}. De plus, Winnicott est profondément influencé par les travaux de Charles Darwin{24} (1809-1882) qu’il a étudié méticuleusement. Winnicott nous semble tirer profit de la méthode d’observation très rigoureuse de Darwin, lorsqu’il prend en note très attentivement des gestes dans le comportement des enfants. Ces prises de note peuvent paraître à prime abord farfelues ou pas tout à fait appropriées à un travail scientifique sérieux, mais elles se révèlent après réflexion très pertinentes et instructives. Le concept de self{25}* de Winnicott nous semble fortement tributaire de la pensée de Darwin qui montre comment les organismes vivants sont en étroite et constante interaction avec leur environnement* en modifiant lentement leur forme afin de s’adapter à de nouvelles conditions de survie. Mais Winnicott n’est pas un empiriste strict. Il rejette la notion empiriste selon laquelle la réalité ne nous parviendrait que par les organes des sens. Il considère plutôt que l’esprit humain est doté d’une capacité de créativité, qu’il peut exercer sur les observations qu’il mémorise, et qui dépasse la seule association de ce qui est perçu par les sens. Il considère même que le self n’est pas une instance passive au départ mais que dès le début de son existence le nourrisson* est en réaction créative pour essayer dans son développement de tenir compte à la fois des pulsions intérieures et des stimuli en provenance de son environnement{26}.

    Pour ce qui est de l’influence que Winnicott reçoit de ses contemporains, mentionnons, qu’au début du XXe siècle, la Société britannique de psychanalyse subit l’influence de Mélanie Klein (1882-1960) et d’Anna Freud (1895-1982) émigrées en Angleterre du fait de la seconde guerre mondiale. La psychanalyse d’enfants est alors scindée entre deux courants{27} dont Winnicott reconnait l’apport, mais sur lesquels il refuse d’aligner sa pensée, et il forme alors avec des collègues le « groupe des indépendants ». Retenons en somme que la théorie de Winnicott peut être intégrée à celle de Freud et comprise davantage en tant qu’extension créative et complémentaire de la pensée freudienne que comme une modification de celle-ci{28}.

    CONTENU

    En résumé, selon Keating et ses collègues, la désunion entre spiritualité et théologie, commencée en Occident au XIVe siècle, a produit des effets complexes à long terme qui, au début des années 1970, prennent la forme visible d’un exode vers l’Orient de pèlerins en recherche d’une spiritualité plus profonde et signifiante. L’espoir de ces pèlerins était de combler le manque de vie dont était affligée leur théologie. Pour tenter de résoudre ce problème, Keating et ses compagnons proposent la Prière de consentement. Il ne s’agit pas d’une simple technique ayant seulement pour but de mettre un baume temporaire sur un mal d’être profond de la foi chrétienne. Ce serait vraiment méconnaître Thomas Keating. De quoi s’agit-il au juste ? Qu’est-ce que la pratique régulière de cette prière de silence profond et intérieur implique, et quel en est, selon Keating, son impact sur le parcours d’ensemble du chemin spirituel ?

    Après réflexion sur les textes de Keating, nous posons l’hypothèse que la pratique régulière du silence intérieur, dans une attitude d’ouverture à la présence et à l’action bienveillante en soi d’une Réalité Ultime de nature relationnelle et à l’origine de tout l’être, favorise l’opération d’un processus continuel de découverte identitaire selon un cycle en trois phases{29} :

    1o – Une phase de purification ou de guérison se manifeste par le démantèlement d’une personnalité de type faux self et la croissance de l’authenticité personnelle.

    2o – À mesure que la conscience d’une participation ontologique et intime avec Dieu qui est de nature intrinsèquement relationnelle s’approfondit, une phase d’illumination ou d’union transformante s’instaure et favorise le développement d’une relation d’amour{30}, non réductible au créé.

    3o – Finalement, la pratique régulière du silence intérieur nous introduit graduellement et sans cesse en une phase d’unité en Dieu. Le dynamisme du développement de la relation à Dieu nourrit constamment l’identification à la Parole-Amour et, conséquemment, suscite le don de soi en tant que porteur de cette Parole d’Amour inconditionnel dans la vie communautaire.

    En christianisme, la purification était traditionnellement perçue comme le résultat des efforts nécessaires pour suivre le code moral établi par l’Église. On parlait de « metanoia » lorsque la transformation radicale manifestée semblait extraordinaire par sa profondeur et sa permanence, de sorte que ces changements profonds ne pouvaient vraisemblablement pas être seulement attribués aux efforts humains mais surtout à l’action de la grâce divine*.

    Les avancées des sciences psychologiques, depuis Freud, nous apprennent que la volonté humaine est loin d’être indépendante de l’inconscient. Pour Keating cependant, le recours aux connaissances de la psychanalyse ne signifie pas une négation du rôle essentiel de la grâce dans la transformation. Au contraire, il s’agit d’une ouverture sur cette science en tant que médiation, parmi d’autres, de l’action divine en notre temps, et par laquelle une certaine partie du développement humain et des capacités étonnantes d’autoguérison de la psyché* peuvent être mieux comprises.

    Au premier chapitre, nous présenterons d’abord les notions de vrai self et de faux self utilisées par Keating, en montrant leur enracinement dans le christianisme. Nous identifierons ensuite quelques indices permettant de reconnaître le faux self.

    Au deuxième chapitre, nous préciserons comment les notions de vrai self et de faux self utilisées par Keating peuvent être enrichies par les concepts de vrai self et de faux self du pédiatre et psychanalyste Winnicott.

    Au troisième chapitre, nous montrerons comment les effets bénéfiques, attribués par Keating à la thérapie divine* qui s’effectue au cours de la pratique régulière du silence intérieur, deviennent plus crédibles par l’enrichissement qu’ils reçoivent des observations de Winnicott.

    Finalement, au quatrième chapitre nous préciserons en quoi les observations et la théorie de Winnicott, sur les stades du développement affectif et relationnel de la prime enfance, apportent un complément à la description des étapes du développement de la relation à Dieu présentée par Keating. Ces connaissances peuvent nous aider à appréhender plus sereinement les étapes du chemin spirituel.

    L’ensemble de ce parcours vous propose de poser un regard nouveau sur la vie contemplative grâce à l’enrichissement apporté sur le plan psychologique.

    Chapitre I.

    Les notions de vrai self 

    et de faux self selon Keating

    INTRODUCTION

    Les notions de vrai self et de faux self jouent un rôle majeur dans la spiritualité de Keating, et c’est pourquoi, en référant à certains textes plus explicites à ce propos, nous donnerons d’abord quelques précisions concernant leur enracinement dans la tradition chrétienne. Nous décrirons ensuite comment notre auteur se représente le vrai self et le faux self, et compléterons en donnant quelques précisions à propos de la résistance du faux self et des émotions affligeantes qui peuvent nous aider à prendre conscience de son action.

    Mais avant de discuter de ces notions ou concepts psychologiques, présentons l’auteur principal auquel nous ferons référence au cours de notre recherche.

    1.1 QUI EST THOMAS KEATING ?

    Thomas Keating résidait jusqu’à tout récemment au monastère St. Bénédict, Snowmass, Colorado. Il est né à New York en 1923 dans une famille relativement bien nantie mais pas spécialement portée vers le religieux. Son père était catholique mais non pratiquant. Il excellait dans sa profession d’avocat. Sa mère était chrétienne et s’intéressait à la lecture de la Bible{31}. Keating a connu dans sa famille une enfance paisible, sans problème particulier si ce n’est qu’il a subi une maladie assez grave vers l’âge de cinq ans qui lui avait fait prendre pour acquis qu’il ne vivrait peut-être même pas jusqu’à la vingtaine.

    Après ses études primaires, il étudie à Deerfield Academy et aux universités de Yale et de Fordham jusqu’en 1943. Malgré la désapprobation de ses parents, il est entré en janvier 1944, à l’âge de 20 ans, dans l’Ordre cistercien à Valley Falls, Rhode Island. Il est ordonné prêtre en juin 1949, et nommé abbé du monastère Saint-Benedict à Snowmass, Co. en 1958. Puis, en 1961, il est élu abbé de l’abbaye Saint-Joseph de Spencer dans le Massachusetts.

    Keating est un théologien de renommée internationale et un auteur accompli. Il a parcouru le monde pour enseigner auprès des laïcs et des ordres religieux la pratique contemplative chrétienne et la psychologie du cheminement spirituel. Depuis Vatican II, il est un leader et un supporteur de la cause du dialogue interreligieux. Peut-être que la plus grande preuve de son dévouement pour raviver la ferveur de la pratique contemplative est sa décision d’accepter le fardeau d’une existence publique très occupée, au lieu de savourer la piété et la quiétude de la vie monastique qu’il avait choisie au départ{32}.

    La vie et l’œuvre de T. Keating parle constamment de la relation à Dieu, et la Prière de consentement se présente comme une « méthode sans méthode{33} » pour favoriser l’entrée dans cette relation. C’est comme le genre de méthode qu’on élabore lorsqu’il s’agit d’avoir une conversation avec quelqu’un, et de ce fait, on est très ouvert aux aléas de la rencontre. Lors d’une conversation avec un ami il se peut qu’on ait prévu quelques sujets de discussion. Il est possible toutefois que la conversation prenne une tournure inattendue, et que pour préserver l’amitié il soit préférable de lâcher prise et d’accepter de s’ouvrir à l’imprévu. Cette méthode suppose donc la

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