Autopsie d'une trahison ordinaire: Fièvre, troubles et passions en milieu hospitalier
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Avril 2017, Camille, la fille d’Antoine Salve est victime d’un terrible accident sur une petite route de Touraine qui mène au domicile de l’ancien patron de son père, l’éminent professeur Louis Ledulie.
Coïncidence troublante ! qu’allait-elle faire là bas ?
Cet accident va faire resurgir les démons qui hantent tous les témoins d’une affaire vieille de vingt ans. Troubles et passions vont éclater au grand jour.
Inspiré d’un fait divers paru dans la presse tourangelle, le roman se situe entre Tours et les Landes. Certains noms de lieux et d’institutions ont été changés, excepté ceux des villes qui situent géographiquement le récit.
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Autopsie d'une trahison ordinaire - Gil C.K. Schmitt
Autopsie d’une trahison ordinaire
Gil C.K. Schmitt
Autopsie d’une trahison ordinaire
Fièvre, troubles et passions en milieu hospitalier
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06468-0
« Aimer la vérité signifie supporter le vide et par suite accepter la mort. La vérité est du côté de la mort. »
Simone Weil (1905-1943)
Épisode 1. Avril 2017 : Camille
Camille souriait, allongée sur le dos au milieu de la grande prairie fraîche d’herbe tendre. Elle avait l’impression d’être ivre et pourtant elle n’avait rien bu malgré l’insistance du professeur Ledulie, lors du déjeuner qu’ils avaient partagé dans la maison des bords du Cher, pleine de ses souvenirs d’enfant. Couchée, les yeux au ciel, elle se revoyait courant dans le jardin des Ledulie avec son frère Sébastien, Philippe et Lou, leurs copains Elle entendait leurs rires de loin en loin et l’écho de leurs courses sur les dalles de la terrasse et dans les allées crissantes du parc. Elle était bien dans l’herbe, son corps lui paraissait de plus en plus léger presque en apesanteur. Sous ses doigts elle reconnaissait la terre grasse de ce coin de Touraine qui l’avait vue grandir. Un coquelicot balancé par le vent lui caressait la joue, elle souriait. Le ciel était d’un bleu intense, profond et sans un nuage, un bleu…
Les mots lui manquaient. Elle s’en moquait. Vraiment elle avait bien fait de venir rendre visite à Ledulie. Les vacances heureuses qu’elle avait passées ici avec ses parents, son frère et la kyrielle d’enfants des « potes » comme les appelaient Florence, sa mère, lui revenaient en mémoire plus présentes que jamais. Mais étrangement, elle avait oublié le prénom de l’épouse de Ledulie et de leurs enfants, elle les avait pourtant prononcés des centaines de fois.
Pourquoi avait-elle l’impression que tout lui échappait et qu’images et questions se bousculaient dans son cerveau embrumé ?
Ainsi, cette idée saugrenue qui s’était imposée à elle quelques instants plus tôt : Florence, sa mère, avait-elle été la maîtresse de cet homme ? À cette interrogation se superposaient les visions insoutenables du bateau de son père échoué sur la plage du Vieux Boucau sans personne à bord, son frère Sébastien, hurlant comme un fou, le nom de leur père sur la plage, tandis que la mer déchainée semblait porter l’écho de sa douleur. Elle croyait le chagrin enfouit plus profond mais cette visite avait tout fait ressurgir avec une violence insoupçonnable.
Pourquoi avait-elle ce goût d’amertume dans la bouche ?
La jeune femme sentait son corps s’engourdir et ses souvenirs se mêler au rêve comme lorsque l’on va sombrer dans le sommeil. Rencontrer Ledulie, c’était une bonne idée. Il lui avait été, sans le savoir, d’un grand secours. Il avait apporté la pièce qui manquait au puzzle de ses recherches sur les travaux de son père et sa disparition, 15 ans plus tôt.
Quelque chose lui piquait le front, une goutte glissa sur ses paupières puis le long des cils. Son bras ankylosé ne répondait plus à ses sollicitations. Ses yeux se fermaient à demi et elle sentait une sorte de torpeur l’envahir. Elle était bien, elle se laissait glisser dans cet endormissement. Il n’y avait juste que cette douleur, là, près de la tempe qui l’empêchait d’être pleinement détendue dans l’herbe.
Quelqu’un poussa un cri :
– Mon Dieu, elle a été projetée là ! Il ne faut pas la toucher, appelle, appelle vite les secours, je crois qu’elle est mal en point.
Camille continuait de sourire, mais elle n’entendait plus rien, ses yeux étaient clos. Elle semblait dormir paisiblement.
Épisode 2. Étienne et Lisa
Lisa, se laissait aller sous les mains expertes de Thouraya, la masseuse du centre de Thalassothérapie où elle et son mari Étienne venaient se ressourcer depuis des années. Ils avaient une relation particulière avec la Tunisie et plus particulièrement avec Sousse. Cette ville magnifique, c’était d’abord celle de son amie tunisienne, Nadia, qu’elle avait connue lors de son stage en pédiatrie au CHU de Tours et qui, depuis, exerçait à l’hôpital de Sousse.
Les deux jeunes femmes étaient tellement liées qu’au moment de repartir en Tunisie, Nadia avait fait une demande pour prolonger sa formation en pédopsychiatrie, spécialité qui dans les années 80, commençait à prendre un essor considérable.
Quand les deux amies avaient obtenu leurs diplômes, Nadia, choisie comme témoin de Lisa lors de son mariage avec Étienne, avait insisté pour que les jeunes époux viennent passer leur lune de miel à Sousse. C’est ainsi, que depuis 40 ans, la famille et les amis de Nadia étaient devenus ceux du couple et leur séjour était toujours prétexte à des moments forts en émotion.
Lisa aimait ces retrouvailles entre familles dans les maisons blanches où l’odeur des épices se mêlait à celle de l’huile de roses ou au parfum envoutant du géranium.
Toutes les générations se croisaient et se retrouvaient dans la fraicheur des cours intérieures autour d’une boisson douce et suave dont les « jadets » comprenez, les grand’mères, seules en avaient le secrets.
Combien de fêtes avait-elle passé avec ses amis ? La fête du mouton, des enfants…
Elle avait, dans la bouche le goût du thé aux pistaches ou aux amandes que l’on servait dans toutes ces occasions.
Et ces soirées dans les restaurants de Port el Kantaoui où l’on écoute jusqu’à l’aube les chanteurs traditionnels s’accompagnant de leurs instruments. Les incroyables cérémonies de mariages qui s’étalaient sur plusieurs jours fastueux et plein de grâce, où Étienne et elle se sentaient toujours si fiers d’être invités. On retrouvait là toute la culture de la Tunisie. Elle pensait à ce gamin de 10 ans qui chantait dans une noce à Monastir, d’une voix sublime accompagné seulement de son oud.
Combien de moments heureux ou tristes avait-elle partagé avec ces familles qui étaient devenues un peu les siennes ?
Lisa avait même accouché son amie dans le Djebel Chambi, lors d’une randonnée. Toute une aventure ! La petite était née, dans la maison d’un garde forestier, dans des conditions plus que précaires, mais la vie avait été la plus forte et la petite avait tout de suite montré son incroyable vitalité. Son cri victorieux résonnait encore dans la mémoire de Lisa, le sourire radieux de sa maman et les yeux pleins de reconnaissance de son papa avaient scellés à jamais l’amitié qui unissait les deux familles. La petite avait reçu le prénom de Laïssa en hommage à celle qui lui avait permis de voir le jour.
Rien n’avait jamais altéré ces liens entre les deux amies.
Lisa souriait en pensant au bonheur qu’elle éprouvait à se balader dans la magnifique Médina de Sousse avec Nadia. Elle aimait cette jeune femme douce aux grands yeux d’un noir profond et son sourire en toutes circonstances.
Nadia venait d’une famille de commerçants de la Médina. Son père travaillait comme un damné pour lui envoyer un peu d’argent en France alors qu’il arrivait tout juste à nourrir le reste de la famille.
Lisa avait très vite présenté l’étudiante tunisienne à ses parents qui avaient tout fait pour que la jeune fille ne souffre pas des difficultés matérielles qui auraient pu entraver ses études en France et pour qu’elle se sente chez elle dans leur foyer. Sa gentillesse et la façon qu’elle avait de les choyer et discrètement de leur dispenser de petites attentions les avaient conquis.
Nadia ne devait jamais oublier cette époque et elle avait coutume, en parlant de la famille tourangelle, de les appeler « ma famille de France ».
Thouraya avait terminé le massage. C’était toujours un moment d’échanges privilégié entre les deux femmes. Lisa se sentait merveilleusement bien, elle enfila son peignoir, embrassa la jeune masseuse et promit qu’elle passerait dans la soirée, avec son mari, prendre un thé et gouter les pâtisseries qui marquaient la fin du Ramadan.
– Je serai heureuse de revoir ta famille, lui confia Lisa, en particulier ta petite fille dont le comportement semble te tracasser. À ce soir ma belle.
De retour dans sa chambre, Lisa se changea en attendant Étienne qui n’avait pas encore terminé ses soins à la cure. Lorsqu’elle fut prête, elle entreprit de lui choisir des vêtements légers pour la sortie prévue le soir même. Tandis qu’elle les disposait sur leur lit, elle pensait aux trois derniers mois qu’ils avaient passés à Capbreton, depuis qu’ils avaient emménagé dans leur nouvel appartement. Depuis leur enfance, ils aimaient cet endroit dans les pins, à 400 m de la mer, en dehors de la folie touristique qui assaillait la côte landaise en période estivale. L’appartement était lumineux, il donnait sur la dune et l’on entendait la mer qui grondait tout près. Ici, ils abandonnaient leur voiture et se déplaçaient à vélo pour aller au marché, ou se rendre sur le port pour acheter leur poisson tout frais débarqué des bateaux de pêcheurs. Ils rejoignaient ainsi leurs amis dont les maisons s’étalaient entre le quartier des vignes de Capbreton et les bords du lac d’Hossegor. Il suffisait de passer le pont.
Lisa se disait que, toute sa vie, elle avait été bercée par l’eau des fleuves et de la mer. En effet, depuis sa naissance, son existence s’était déroulée entre la Loire à Tours, le lac et l’océan à Hossegor et Capbreton. À Tours, elle était née et y avait fait ses études de médecine, mais les vacances scolaires les ramenaient dans la maison d’Hossegor, dont son père avait héritée à la mort de ses propres parents. Là-bas, ils retrouvaient leurs amis, installés dans les Landes. Leurs enfants, du même âge, formaient une joyeuse petite bande composée de trois filles, Lisa, Florence et Françoise, et deux garçons Étienne et Pierre. Ils avaient grandi ensemble, unis comme frères et sœurs, à tel point qu’il était difficile de savoir qui était l’enfant de qui ! Ils naviguaient d’une maison à l’autre au gré de leurs activités, dormant chez l’un, mangeant chez l’autre. Il suffisait pour les parents d’en localiser deux pour trouver les autres.
À l’époque où elle avait entrepris ses études à la faculté de médecine de Tours, ses parents y étaient encore en activités. Ils avaient pensé que la venue, quatre ans plus tôt, d’Étienne, son ami d’enfance, avait précipité son choix. En effet, le jeune homme, bien qu’ayant fait son internat à Bordeaux, décida de s’inscrire à Tours pour son clinicat. Lisa savait qu’Étienne, passionné par l’aventure dans laquelle s’engageait le professeur Louis Ledulie à Berthenault avait également pesé dans sa décision de terminer ses études en Touraine.
Perdue dans ses pensées, elle se remémorait ces années de folie dans le sillage du Professeur Ledulie. L’orientation qu’il envisageait pour la psychiatrie de l’enfant promettait d’être passionnante. Envouté par son maître, Étienne avait convaincu Lisa que la pédopsychiatrie allait devenir une spécialité incontournable dans le futur. Elle s’était laissée entraîner, dubitative, puis vite enthousiasmée. Tout était à construire, ils devenaient les pionniers d’une nouvelle psychiatrie. Le professeur Ledulie leur ouvrait la route, Étienne et elle s’y engouffrèrent, suivis par quelques autres dont Antoine un étudiant brillant qui devint très vite l’alter ego d’Étienne, son ami et son complice. Tous avaient compris qu’en faisant converger les explorations fonctionnelles en neurophysiologie et l’analyse clinique en psychiatrie, neurologie et pédiatrie, ils trouveraient la voie qui menait aux pathologies les plus graves.
C’est Antoine, justement, qui avait deviné le premier l’amour que son ami vouait à Lisa, sans jamais que rien ne transparaisse dans leurs relations quotidiennes. Peut-être, ne voulait-il pas que la jeune femme fut troublée dans ses études si prometteuses. Pour Antoine, c’était une évidence. Ces deux-là s’aimaient ! Un soir, après une garde particulièrement épuisante, il s’en ouvrit à Étienne.
– Laisse là finir son agrég, dit Étienne, nullement surpris que son ami l’ait percé à jour, nous verrons plus tard.
– Mais tu l’aimes, un jour un autre va te la piquer ! Tiens, moi par exemple.
Calmement Étienne avait répondu :
– Si c’était toi, je te ferais gouter de mon uppercut, mais ce serait moins grave ! Non, sérieusement, elle sait bien que je suis son amoureux depuis qu’elle a fêté ses 10 ans un jour d’été au Cap.
– Au Cap ? Vous êtes allés en Afrique, quand vous étiez petits ?
– Non, entre nous, pour tous ceux de la bande, le Cap, c’était Capbreton. Quand tu voudras bien lever le nez de tes bouquins, on t’y emmènera, je te le promets et je lui ferais officiellement ma demande.
– Tu veux dire que vous n’avez jamais…
– Que tu es chiant quand tu veux mon pauvre Antoine ! Vas te faire foutre !
Lisa riait toute seule à l’évocation de ce souvenir, la petite Lou était déjà en route et personne n’était dans le secret.
Par la suite, Lisa bifurqua vers la gynécologie obstétrique quant à Étienne après avoir longtemps hésité, il saisit l’opportunité d’une création de poste aux urgences pédiatriques et quitta le service de Ledulie quelques années plus tard. Antoine malheureusement poursuivit son aventure auprès du grand patron.
Le temps était passé si vite entre un métier qu’elle aimait, ses enfants qu’elle adorait, son amour indéfectible pour Étienne et sa passion pour Antoine. La mort de cet homme n’avait rien effacé, tout juste avait-elle tenté de faire face pour les enfants et pour son mari.
« Antoine », Lisa prononça son prénom tout haut, au milieu de la chambre, assise sur le bord du lit, tandis qu’elle choisissait les vêtements d’Étienne. Pas un seul jour sans qu’elle ne pense à ce brillant chercheur qu’elle avait aimé dès leur première rencontre, mais elle était promise à Étienne depuis l’enfance et Antoine Salve n’était pas de ceux qui trahissent un ami. Pourtant, la force qui les attirait l’un vers l’autre était irrésistible.
La sonnerie de son téléphone l’arracha à sa rêverie. La standardiste de l’hôtel la prévenait que le Directeur du centre de Thalasso souhaitait lui rendre visite.
Bizarre, pensa Lisa, j’espère qu’Étienne…
Quelqu’un frappait à la porte de la suite. Elle ne savait pourquoi, mais son cœur battait à tout rompre. Un pressentiment la faisait trembler mais elle ouvrit la porte avec détermination prête à affronter le porteur de nouvelles.
Le couloir était dans la pénombre et Lisa ne distingua pas tout de suite le visage de son interlocuteur. Elle cherchait dans sa mémoire si elle avait déjà rencontré ce directeur, non jamais, pensa-t-elle. Tout est toujours parfait ici.
– Lisa, je suis désolé que nous nous retrouvions ainsi.
Alors Lisa aperçut Étienne derrière l’homme qui s’adressait à elle.
– Que se passe-t-il Étienne ? Elle ignorait le directeur tout à son inquiétude pour son mari.
– Je vais très bien Chérie, viens entrons, nous devons parler avec Sébastien.
– Sébastien ? Alors seulement elle regarda l’homme qui s’était fait annoncer.
– Sébastien Salve, le fils d’Antoine et de Florence, celui qui vous a fait faux bond pendant toutes ces années ! L’homme avait prononcé ces mots d’une voix altérée, presqu’à voix basse.
Étienne ferma la porte et attira sa femme contre lui. Lisa était abasourdie. Tous trois s’assirent dans le salon et Sébastien, qui parlait difficilement commença.
– Je vous expliquerai ce que fut ma vie jusqu’à ce jour, mais avant nous devons rentrer à Paris, au plus vite. Camille a eu un accident de voiture, près de Tours, sur la route entre Berthenay et Tours.
Lisa avait repris son sang-froid. Son cerveau fonctionnait à vive allure maintenant, les questions fusaient.
– Comment va-t-elle ? Mais c’est le village où habitent les Ledulie, dit-elle que faisait-elle là-bas ? Aucun d’entre nous n’y ai retourné depuis qu’Antoine, depuis qu’il y a eu…
Lisa ne pouvait terminer ses phrases tant cette évocation était pénible à tous.
– Je ne sais pas, je n’y comprends rien, répondit Étienne.
– Qui vous a prévenu ? demanda-t-elle en s’adressant aux deux hommes.
– Françoise, ma tante a appelé la réception, elle