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Abécédaire pour les intimes: Tome 1
Abécédaire pour les intimes: Tome 1
Abécédaire pour les intimes: Tome 1
Ebook366 pages4 hours

Abécédaire pour les intimes: Tome 1

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Eurêka ! L'abécédaire ! Mais c'est bien sûr ! Une structure, des règles, une vision tronquée, mais qui m'appartiendrait de toute façon. Quelques remaniements avaient pris place dans mon esprit. Une table, deux chaises, l'humeur introspective au service de l'ancien et du moderne. Une méthode qui permet de façon rapide de s'arrêter sur des aventures cocasses, d'en déchiffrer le parcours qui leur a valu d'exister et bien sûr, de donner au lecteur l'impression de rentrer dans une vie particulière.
LanguageFrançais
Release dateMar 10, 2015
ISBN9782312033914
Abécédaire pour les intimes: Tome 1

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    Abécédaire pour les intimes - Philippe Laguerre

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    Abécédaire pour les intimes

    Philippe Laguerre

    Abécédaire pour les intimes

    Tome 1

    De A à F

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2015

    ISBN : 978-2-312-03391-4

    Avant-Propos

    « Je ne suis pas moi. Je suis lui. »

    Cette phrase m’habite aussi longtemps que les époques révolues restent figées. Pourquoi ai-je tué ?

    Qui ai-je compromis dans mes aventures ? Le seul doute que mes personnages ne survivent pas à mon passage, me contraint à figer leur mémoire. Leur image.

    C’est un abécédaire ? Le dictionnaire contient lui aussi, son lot de mortels. Bien qu’une suite de mots ne refera jamais la situation, les dialogues ou même, les appréhensions du moment.

    Le temps ne résout rien. Il convie au marquage définitif. Un éternel pour l’individu. Une passade pour l’être connu.

    Le champ des créateurs est semé de doux rêveurs, morts eux-aussi, dans l’esprit de celui qui les nomme. Laissez-moi tenir une dernière fois ces photographies essentielles qui tracent les contours de détails plus saugrenus les uns des autres.

    « Pourquoi se plaindre de posséder dans le temps une limite ? Sans limite, il n’y a pas de forme. Sans forme il n’y a pas de perfection. » Lanza del vasto disait vrai. Nous ne sommes que « limites » dans le temps.

    Quelque chose s’est passé. Je ne peux le nier. Mieux, je vais l’énoncer. Exacerber les moindres humeurs. Puisque les hommes traquent le bonheur comme terre promise. Mais au-delà de cet ensemble, ne cherchons-nous pas, nous-mêmes, au milieu des autres ?

    Ils sont là. Dans ces pages. Tapis dans l’ombre de mes doigts. L’esprit aux aguets. Ma mémoire sera votre guide. Mes choix resteront contestables. Le jugement n’interfère en rien le souvenir. Sa puissance.

    Le but d’un tel ouvrage peut s’avérer douteux dans sa démarche. Presque incohérent dans un monde porté vers la dissimulation de soi pour mieux entrer dans la communauté.

    Pourquoi se livrer à l’exercice de l’écrit sans autre désir que celui de se prêter à l’introspection, au bilan et au commentaire de vie ? Nous ne rencontrons malheureusement que peu de personnes face à l’immensité du genre humain. Des caractères forts qui nous font prendre en âge, en maturité ; d’autres qui symbolisent la régression, l’humiliation et le dégoût. Sentiment Nietzschéen du partage avec autrui, où l’on perd diamétralement la conscience de ses actes pour mieux rassembler ses idées.

    Pourquoi éprouver une quelconque motivation pour l’épanchement de l’éthos, le pathos, le logos (l’être, l’affect, les lieux), si ce n’est l’acte de rendre plus lisible encore l’image complexe dans un environnement social déterminé ?

    A cette question, je répondrais que ma construction personnelle, comme tout un chacun, se fige dans l’interaction : « parler c’est interagir. » Nous sommes des êtres d’échanges. Aussi cet ouvrage vulgarisé sera le meilleur moyen de parler et de retranscrire les moments importants de ma courte existence, faite d’observations, de vécus douloureux, mais surtout de joies et d’apprentissages. Comme nous sommes sur le fil conducteur de nos propres choix, je vous invite sur le téléphérique « Philippe Laguerre », s’arrêtant aujourd’hui à la station de mes trente années passées.

    L’abécédaire est un bon moyen de transcrire les points forts. A chaque personne coïncidera une anecdote ou plusieurs, mais au moins une qui puisse définir le pourquoi de sa présence, son importance et les enseignements que j’en ai tiré. Cet exercice de style permet au lecteur d’assouvir son besoin irrépressible et voyeuriste d’aller à l’essentiel. Choisir une lettre, peut être celle qui le ou la concerne et entreprendre le voyage d’une tranche de vie qui m’appartienne. Quoiqu’il puisse en penser, l’écrivain se doit d’être responsable dans son dire. J’en assumerai bien évidemment la véracité quelque peu romancée, voire fictionnelle.

    Il m’arrivera au cours de ce « déballage » prémédité, d’embarquer le lecteur au cœur d’histoires fictives, autobiographiques, laissant une place significative, une fenêtre ouverte sur mes habitus. Ego démesuré ? Jalousies ? Nombrilisme sous-jacent ou sur jacent ? Je concède cette part de moi au tout un chacun. Tout ce qu’il m’importe aujourd’hui, c’est de vous offrir en pâture une forme de confession. Je vous invite donc à mettre dans un fond de tiroir vos préjugés et votre censure, le temps d’une croisière ludique…

    A

    Au tout début vint l’homme, la femme, la première étreinte, l’« A » ccoutumance grandissante dans le cœur, les projets, la vie commune, les problèmes et le souci de bien faire dans la gestion quotidienne. Puis, c’est le passage « A » l’acte, l’engagement mutuel et sacralisé, la volonté de se dépasser en convertissant l’union tout en s’éloignant du schéma de nos parents. Sorte de triptyque : famille, fidélité, impôts.

    Souvent, Il advient que l’aventure justifie que l’on doive réparer les « A » nicroches. La plupart du temps, aussi, il s’avère que ce soit irréfragable et qu’il faille se séparer des liens qui nous unissent tantôt. Prose inutile diront certains, mais l’on est sûr d’une seule et même chose lorsque l’on entre en amour : que nos vies sont différentes, que la façon dont nous avons conçu cette expédition est la meilleure qui soit. En gros, que les autres ont tort et qu’il ne se peut pas que cela nous arrive.

    Je serai moins catégorique, ne prendrai pas partie sur l’une ou l’autre option, bien qu’il soit de bon ton d’affirmer de nos jours : « on s’unit comme l’on consomme. »

    Je ne vais pas vous parler à ce stade de cette envie qui m’anime de révéler. Je trouve d’ailleurs qu’il est préférable, comme tout sophiste qui se respecte, de laisser le lecteur voir vivre mes congénères et en éprouver du plaisir, du dégoût ou quelconque sentiment. Ayant pratiqué l’art du Budo japonais avec parcimonie, je m’arrêterai dans cette courte description, afin de ne pas révéler trop tôt les ressorts qui m’ont conduit dans ces parcours atypiques.

    ANNE CHRISTINE

    Que dire de ce moment propice qui se présentait à moi et que je n’osais plus espérer : le privilège d’être, pour une fois invité par une bande de copains du collège à une fête d’anniversaire. On se remémore que très rarement ces instants où, la première de toute une vie, on goûte au plaisir d’échanger une complicité temporaire, une étreinte furtive consolidée par le prétexte d’une soirée. L’occasion qui se présente de pouvoir enfin embrasser les lèvres d’une jeune fille à laquelle, on avait souvent prêté un visage, mais dont on ne pouvait en apprécier réellement les contours physiques qu’au premier contact. Ce fut un véritable bonheur de danser un slow avec elle. Elle, inabordable comme peuvent être les filles qui nous surprennent à première vue. Dont on ne sait rien, mais que l’on pourrait suivre n’importe où avec le mince espoir que ce soit réciproque. Courroux de ma timidité surdéterminée par l’émotion, elle était accoutrée d’une superbe robe noire fendue sur les côtés. Un parfum discret, référentiel d’une adolescence en pleine course. Cette première sensation, sentir ses bras autour des miens. La musique ne devenant ainsi que purement accessoire.

    Je ne pressentais pourtant aucune forme de finalité heureuse. Florence, mon amie de fond de classe me l’avait présentée sans la moindre intention de me proposer, à un moment de la soirée, de nous éclipser afin de faire plus ample connaissance.

    La fête battait son plein : petits canapés, gâteaux préparés amoureusement par les mères de familles, des visages connus ou reconnus partiellement. Les sourires rageurs à s’en décrocher la mâchoire, dans l’optique de s’attirer le plus d’attention possible.

    En cette fin des années quatre-vingt, la coutume voulait que l’on finisse la soirée sur une note mélancolique. Nous l’avons tous connu : le bon copain, dont les parents avaient l’habitude névrotique de remplir sa vie de vinyles, pour s’excuser du trop peu d’attention porté à son éducation. Cette fois-ci, il prit les choses en mains. S’approcha de la platine, balançait le « mélo du top cinquante », la bande originale du film l’étudiante. Musique qui me réconciliait pour un court instant avec le syndrome de la grande consommation et le manque de goût prononcé pour la curiosité sonore. Moi, « hardos », surfant sur les notes de Vladimir Cosma, ce fut pathétique !

    On ne sait jamais comment appréhender ces moment-là. Justesse de l’attitude, tenue vestimentaire adéquate, pas trop ringarde ? Pourvu que je ne reste pas le seul con à faire marrer la fille du buffet, souvent réservée. Prête à saisir la moindre occasion de démonter les couples qui se forment temporairement sur la piste. Je ne voulais pas non plus profiter de la situation.

    M’adonner à son petit jeu critique du « tu l’as vu çui là ? Et elle ? Qu’est-ce qui lui prend de le toucher comme ça ? Quand j’dirais ça à son mec au collège, elle la ramènera moins ! »

    Le pas de côté est essentiel dans cette configuration. Les animaux et plus particulièrement la taxinomie des gorilles d’Afrique du sud, présentent les mêmes caractéristiques sociales humaines, à savoir, l’éloignement temporaire du groupe, isolement manifeste comme pour signaler le désir de conquête. En se marginalisant, le gorille installe des stimuli olfactifs et visuels, destinés à faire comprendre à la femelle potentielle, l’occase’qui se présente.

    Elle tournait la tête, m’observait comme « animal-test » de soirée, auquel on n’aurait oublié la veille de pratiquer hic et nunc, les examens préliminaires de bonne forme.

    Elle s’avance vers moi. Je ne peux manifestement pas contrôler cette excitation. Une mélodie entêtante. La chamade de Liszt. Moi qui négociais mal le répertoire classique à l’accoutumée, je râlais de ne pouvoir mettre un nom, sur le syndrome ressenti. Ce fut un réel bonheur de lâcher la chandelle près de moi, au profit de la belle lumineuse : longs cheveux bruns de milieu de dos, un mètre soixante-six à première vue, le visage rutilant qui laissait présumer les longues heures passées devant le psyché.

    Les cheveux ! C’était la partie de mon corps visible qui générait toute cette attention. Cela avait certainement dû pencher dans la balance. Mais dans ces moments de profonde béatitude, l’apologie de nos critères physiques sont sublimés par l’autre. Que me trouvait-elle en fin de compte ?

    Pendant qu’elle égrenait les derniers centimètres qui nous séparaient, je me sentais comme transporté par l’étreinte qui allait suivre. Dans mon emportement, j’oubliais les auréoles naissantes sous mes aisselles. Ah les gueuses ! Elles ne pouvaient s’empêcher de se déclarer ! Que pouvais-je lui reprocher sur ce qui suit ? La jeunesse soucieuse de son aspect physique ? Savoir qu’elle avait fait des efforts pour se pomponner pendant de longues heures et que je n’avais en tout et pour tout, passé que quelques minutes devant ma glace ? C’est bien connu, les garçons, à cet âge-là, ont un problème avec le déodorant ou le savon, tout simplement !

    « Mais, tu pues ! », me lançait-elle, en découvrant mes courbes de ses doigts frêles, garnis d’odeurs suspectes !

    Stupeur ! Oubliées les allusions, les regards, la séduction. J’étais prisonnier de dame frustration. Je voyais déjà défiler les quolibets une fois la fête terminée. En tout état de cause, il est plus facile de dissimuler le plaisir que l’on a, à se faire désirer sur les évènements heureux. Mais il est plus difficile encore de sauver la face auprès des convives, lorsque la fille vous repousse.

    C’était insupportable ! Prétextant une furieuse envie de me désaltérer, je m’éclipsais dehors, loin de tout, une bouteille de bière à la main. Fort heureusement, la coquine avait fait mouche, mais dans la discrétion la plus complète. Mon honneur social était sauf ! Seul, je fumais pour la première fois une Marlboro que j’avais piqué à Laurent, mon guitariste. La première, consommée sur les ruines toutes fraîches encore de mon échec. Je ne sais si l’évènement m’avait fait perdre le sens du dégoût mais que diable ! Cette clope fut délicieuse.

    Et ça piaillait autour de moi ! Ma mère avait insisté pour que je la mette cette putain de chemise en jean. Elle m’adorait pourtant. Elle m’a toujours démontré selon sa propre équation que j’étais le plus beau. Sa réussite parmi tant d’autres (Cinq au total !) Un point de vue totalement subjectif qui ne m’aidait pas pour l’heure. Mon espoir de connaître ma première expérience de sondage buccal, mystère du tourniquet lingual, tout ça, envolé !

    La chance se devait de me donner un second essai. Elle m’avait suivie et me tend à présent, un verre plus ou moins opaque. Elle avait du toupet de venir tenter le rapprochement.

    – « Faut pas m’en vouloir, tu pues quand même ! Bon, t’en veux ? Coca / whisky, c’est bon pour ce que t’as ! 

    – Ah, super ! Ça désodorise la bouche, faute de créer son effet ailleurs !

    – Oh, t’es con. C’est bon, n’en parlons plus ! ». 

    Elle m’entreprit violemment les lèvres. J’avais la boite crânienne qui se densifiait. Tout devenait flou. Au sortir, fusion totale et sourire benêt de circonstance. J’avais l’impression qu’elle serait toujours là. Comme figée dans le temps et l’espace.

    Mais une fois encore, je devais vivre la cruelle déception du rejet :

    – « T’enflamme pas comme ça ! Je ne sais quoi te dire, c’est pour toi que… t’es trop gentil ! ».

    Je suis resté inerte. Comment pourrait-elle se justifier de ce terme ? Délit de sale gueule ?

    Aujourd’hui encore, je me pose cette question. A partir de ce triptyque de l’échec programmé (flash intense / insultes grossières / consolation passagère), je compris les tenants et aboutissants du jeu amoureux. Je sus à cet instant, que je ne pourrais en aucun cas fréquenter le genre de fille qui se parfume au loulou de Cacharel, qui écoute de la variété marquetée, et fonctionne seulement sur le réflexe primal de l’attirance / répulsion. Je me suis souvent introspecté sur l’hypothétique jouissance que pouvait engendrer un tel dédoublement de personnalité, généré par ce manque de responsabilité face à l’acte accompli. Elle avait mieux à faire et moi aussi.

    Premier baiser donc, court, mais honnête car n’est-il pas plus arrogant de laisser l’espoir s’immiscer dans l’esprit de celui qui reçoit le dessert de la bouche qui lui hôte le pain ?

    Je me sentais plus proche de la musique, du mode de vie musical associé, du groupe, du hard-rock en particulier. Les filles qui venaient nous voir répéter gardaient cette distance amicale. C’était déjà ça ! Ah si mes potes étaient là ! On aurait pu, au moins, mettre l’ambiance.

    ALEX

    Il faut être honnête. En mon âme et conscience, je dois le reconnaître. A l’instar d’un père spirituel que je n’avais pu trouver jusqu’à lors, dans le cercle restreint des profs de fac, ou des laborantins de l’université. Je puisais ma force, mon envie, toutes mes motivations dans le protocole qui unissait ma thèse, la linguistique et ma muse comique. Ma personnalité loufoque aux cheveux poivres et sel. Si proche, Alex. Un monde nous séparait. Une certaine philosophie de vie qui m’était inconnue.

    Réveillé par les roulettes paramédicales de mon beau-frère, dans la pièce du fond concomitante à la maison rue d’Andrinople.

    J’avais peine à le croire :

    – « Alex Métayer sors avec ta sœur, mais il parait que ça dure depuis un an maintenant ».

    Philippe mon beau-frère était au courant. Non content de la révélation qui venait de m’être faite, je n’en avais que plus de fierté à exhiber la dernière victime de chasse de l’être le plus mystérieux, la fille qui masquait ses désirs à coup d’éloignements, d’arrachements et de dédains obligatoires, je tiens à le souligner, envers ceux qui l’avaient apparemment choyée.

    Quelques piges plus tard, je compris que le hasard n’existait pas. Mais que l’opportunisme d’user de ses meilleurs atouts en présence, pouvait alimenter une carrière universitaire déjà, à l’époque, très controversée.

    C’était en 96. Je venais de rentrer en maîtrise de Sciences du langage et n’avais, jusque-là, que trop superficiellement survolé l’ensemble des connaissances requises pour m’affirmer en tant que spécialiste. Je me devais de choisir un sujet de mémoire pertinent, capable de me tenir en haleine pendant une année supplémentaire.

    Je cherchais désespérément dans les thématiques proposées par l’intelligentsia du labo.

    Des objets s’appellent intelligibles, quand ils ne peuvent être représentés que par l’entendement, et qu’aucune de nos intuitions sensibles ne peut s’y rapporter. Eux qui me regardaient avec ces yeux de chiens battus, lorsque je débordais de volonté à trouver ma place. Espérant ne pas être mis au rencard trop tôt. Ce qu’il faut savoir à propos d’un mémoire, c’est qu’il reste, même abouti, non la récompense d’une fin de cycle, mais la porte qui permettra à son détenteur de s’ouvrir les bonnes grâces du troisième cycle et de ceux qui le coordonnent.

    En gros, comment puis-je en cet instant trouver un sujet assez pointu et reconnu comme novateur par l’ensemble du corps enseignant ? Annonciateur d’une fonction mélioratrice au sein de ce qui me paraissait l’inégalable du point de vue de la respectabilité, tout en éprouvant du plaisir pendant cinq ou six années supplémentaires ? La réponse fut quasi automatique : pour la directrice de recherche qui se respecte et qui écoute scrupuleusement l’étudiant se faire mousser, le sujet devait tourner autour du beau-frère. Un gage de qualité et de renommée pour l’université. Je ne me souviens d’ailleurs plus du nombre de sollicitations que je reçus de la part de ces profs. Un jour, j’étais invité par la praxématique, une autre fois, la sémiologie. Je pris vingt kilos durant la première année à coup de restaurants et de collations de groupes. J’étais le déclencheur d’une effervescence sans pareille.

    Le contrat de travail dans la poche, je n’avais plus qu’à faire le recueil méticuleux des données. Un appel téléphonique plus tard, et me voilà muni de l’assentiment tant attendu. Le sujet était accepté.

    Il fallait à ce stade que je le banalise l’être, et son monde à paillettes. Son existence devait être occultée, de peur de voir mon analyse se résumer à un ensemble de gratifications dont il n’aurait que faire.

    Je devais être proche. Un billet d’avion et me voici à Paris, dans un superbe appartement du troisième arrondissement, niché au dernier étage d’un hôtel particulier. La fenêtre de la cuisine avec vue sur une cour, un passage de grand standing.

    Ah ! L’appartement de ma sœur. Ses richesses de matériaux entrelacés. Dessinés par l’architecte, dans l’esprit de corps mélangés et de préciosité citadine. Cette odeur de luxure exhibée, calme et voluptueuse, semblait emplir les moindres recoins habitables. L’histoire la rattrapait, puisque qu’au beau milieu de l’entrée moquettée se dressait comme seul héritage, le bureau en bois. Vestige témoin d’une enfance passée à St Menet. Elle adorait jadis travailler sur ce bois noble de cœur, crayons de couleurs, fusains, compositions diverses.

    Ma rencontre avec la star devait se dérouler le lendemain, dans son bureau de la rue Thorigny à Paris. A deux pas de là. J’en tremblais ! J’avais tout à ma disposition : le dictaphone pour boire ses paroles et en recueillir les moindres gouttes animées de sens. Un carnet faisant office de « cimetière de mots », à jamais. Ainsi qu’un lexique, illustré par de nombreuses occurrences linguistiques, afin de ne pas oublier la promesse d’être rigoureux et non contemplatif.

    Ce jour-là, il m’attendait. Devant cette immense porte d’entrée, il trépignait d’impatience. Son sac à dos en bandoulière comme le font bon nombre de collégiens. Il portait un costume en lin, le même apparat vestimentaire qui fait jaser dans les chaumières, lorsque la sexualité décroît. Le garde-fou contre une fille qui n’est plus ce qu’elle fut. Le beau mâle en la matière, fiévreux de sa plénitude professionnelle, va chercher l’aspirine du pauvre : l’infirmière aux bas blancs, la femme divorcée pour la quatrième fois, la maîtresse qui vous jurera, à vous, à l’ami proche, que c’est un bon plan.

    Il ne transpirait rien de ces critères. Ses yeux avaient vécus, mais le sourire était rassurant. Je compris à ce moment que la pureté de leurs rapports était légitime, bilatéralement consentie.

    Monter les escaliers, l’ultime épreuve avant rapprochement. L’appartement vaste créait cette langueur du temps qui file entre les doigts. Un grand bureau en somme, aménagé autour du travail introspectif. Une démarche salutaire. Son sanctuaire, le laboratoire de création.

    Une pièce à dormir, un petit coin cuisine, une salle de bain, jouaient les électrons libres, proche du noyau, sur lequel s’éparpillaient çà et là, un fax, un ordinateur, des papiers griffonnés et quelques stylos promotionnels.

    Les premières questions fusent et le débat est lancé. J’avais l’impression de l’ennuyer. Faute de tenir mon discours à ma place, je sentais que ses réponses furent à son endroit, alléchantes. Elles me nourrissaient comme elles durent nourrir bon nombre de journalistes avant moi.

    En bref, rien qui ne pouvait intéresser mon analyse, mais qui me permettrait d’élaborer le panorama complet d’une histoire fascinante, lucide.

    Ce que je sus d’Alex tient en vingt minutes. Une vingtaine d’anecdotes remplissaient mon carnet.

    Tout devenait limpide et le choix que j’avais fait en partenariat avec le labo de praxématique s’avérait judicieux. Mais c’était déjà la fin. Je n’eus que vingt minutes et j’ai pondu un mémoire, un D. E. A et une thèse qui, regroupées, avoisinaient les 1500 pages.

    Mes longues nuits blanches s’inventaient d’elles-mêmes. Je pensais ses mots, j’étudiais ses phrases de textes scéniques. Je décortiquais sa structure pour la bonne cause. Je perdis la raison aussi. M’adonnais régulièrement à l’introspection, intellectuelle, morale, physique, divine et j’approchais. Encore une page, une ! Mes sens étaient en éveil à chaque moment de la journée ou de la nuit. Tout se rapportait à mon étude, tout et peut être presque rien aujourd’hui, puisque ces séquelles me hantent. Mon fétichisme s’était dédoublé. Amateur de la texture du nylon et du drapé blanc des sous-vêtements, la femme que je voulais posséder, je la trouvais au détour de soirées arrosées. Celle que je voulais séduire c’était lui. Lao Tseu écrivait en son temps : « l’aube est un joyau, la nuit est son écrin ». Je creusais ma mine de diamant à la lueur du soleil à peine levé. Je trouvais les idées les plus juteuses avec son éveil, parcourant ainsi toute une nuit de solitude.

    Si je pouvais me souvenir au moins de la soutenance passée ! Je pourrais de ce fait, traduire en mots, la rigueur voulue qui fit place à ces souvenirs d’extases. En un temps, je me suis rapproché de lui. Chapeau bas l’artiste !

    AGNÈS

    Les quelques photos jaunies par le temps écoulé dans le tiroir du buffet marseillais, affichent le visage d’une jeune fille aux yeux parlants. Derrière l’immeuble, assise près de ses sœurs, camarades et confidentes, elle paraissait être là sans y être vraiment. On sentait sa présence, mais l’esprit semblait loin. Sa famille n’avait déjà plus aucune emprise sur ses aspirations profondes.

    Attachante car sensible. Mon père fumait comme un pompier. S’adonnait à toutes les bassesses machistes que peuvent générer un esprit cantonné aux jeux de cartes et aux matches de foot. Elle savait qu’elle devrait subir cela pour témoigner plus tard que son détachement fut salvateur. Elle comprit que l’image paternelle était viciée et qu’elle n’aurait de cesse de chasser dans son cœur et son âme, le pitoyable exemple d’union manquée qui lui avait donné le jour.

    En chacun de nous, il préexiste quelque chose. Une promesse, une connaissance essentielle, une mission qui dépasse aussi l’horizon de l’homme ordinaire : c’est le maître intérieur. Dans son rêve, il y a une façon de s’approcher de la vérité à travers la pratique d’un exercice. Longtemps animée par l’art graphique, elle passait de longs moments sur son bureau massif. Une odeur particulière s’échappait de cette chambre du fond qu’elle occupait depuis que sa sœur s’était installée dans son propre appartement.

    Dénuée d’une certaine jalousie environnante. Le lot quotidien de la famille. Elle s’ébahissait des moindres plaisirs que la vie mettait sur sa route. Ayant pris conscience de ses potentialités, elle cumulait les aventures malheureuses et les petits boulots de salons. Des doigts de fées sur un corps frêle, elle confectionnait de vrais petits bijoux à l’esthétique pure. Je me souviens de cette œuvre en fines lamelles de cuir, posées sur une toile en bois, représentant un visage ésotérique. Elle parvient par la suite, à se faire un nom dans le spectacle. La technique du maquillage et les petits courts métrages régionaux. Tout le monde sait aujourd’hui quelle fut sa destinée. Sa rencontre qui bouleversa son existence. Celle qui fit d’elle une maman attentionnée et riche.

    Moi qui la connais si peu, par souci de vouloir sortir des mauvaises influences qui m’entouraient à cette époque, je sais pertinemment que de mes choix dépends la prise en compte de son attitude :

    – « Que ferait Agnès si elle était à ma place ? ».

    Toujours sur la brèche et consciente de la chance qui l’habite, elle sait dorénavant que son seul leitmotiv reste la liberté. Ne respire-t-elle pas déjà le bonheur ? Je la sens le toucher. A l’image de son parcours que je respecte, je ne parlerai ici de ses frasques amoureuses, de ses déboires professionnels. Elle donne à vivre, elle respire l’humilité. Ce ne serait pas de bon ton de la rattacher à un évènement particulier. Vole Agnès ! Ne t’approche pas trop du soleil, la légende nous a déjà consenti la chute d’Icare.

    ALAIN

    Certes ce fut l’ami d’un ami qui connaissait un de mes meilleurs potes, qui aux temps jadis, avait la fâcheuse tendance de se rendre indispensable. Alain peut se résumer à l’image de cette entame imbuvable et

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