L'imparfait du subjectif: (dialogue anachronique)
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Ce dialogue est la résonance lointaine de deux voix, qui se sont parlé intimement, des choses de la vie, puis d’amour.
L’une d’elles s’est tue. L’autre essaie de s’en faire l’écho, entre lieux de mémoire et aires de jeu, le ludisme revisitant l’expérience psychanalytique et spirituelle, la bousculant un peu, et les espiègleries verbales tentant d’apaiser l’émotion des propos jadis échangés.
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L'imparfait du subjectif - S.L. Francesca Pesci
L’imparfait du subjectif
S.L. Francesca Pesci
L’imparfait du subjectif
Dialogue anachronique
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04438-5
« Jouer est une forme fondamentale de la vie. »
« La psychanalyse s’est développée comme une forme très
spécialisée du jeu. »
Donald W. WINNICOTT
(Jeu et Réalité, L’espace potentiel)
Aux amoureux des dictionnaires
et autres ‟décrasseurs de mots"…
Le centre de l’espace scénique est occupé par un POURQUOI PAS sur lequel le SUJET se trouve à plat sous des linges blancs qui le dissimulent. Seule émerge la tête.
Au premier plan, légèrement à la cour, se tient l’AUTRE, à califourchon sur un PEUT-ETRE. Malgré sa position cocasse et inconfortable, il ne se départit pas d’une grande dignité. Au départ ses propos sont énoncés sans hâte et d’une voix bien posée.
Au contraire, le SUJET échappera à sa situation contraignante par tout le nuancier d’émotions que permet la voix, et l’immobilité du corps sera corrigée par la richesse de l’intonation.
L’idéal serait que le reste du décor fût constitué entièrement de miroirs afin que la situation se répétât à l’infini. A défaut, l’on pourra se contenter d’une psyché grandeur nature et spirituellement entretenue.
L’éclairage d’ensemble de la scène est atténué, de sorte qu’au début on distingue assez mal le SUJET. L’AUTRE, par contre, dans la tache de lumière que produirait un scialytique, apparaît très clairement.
Tous deux seront désignés par la suite par S et A.
A A bâtons rompus,
S à bribes décousues,
A à bride abattue,
S à cœur que veux-tu,
A ayons le verbe haut,
S le proverbe nouveau !
A Tournons la ritournelle en rythme renaissant !
S De la rancœur rebelle infléchissons l’accent !
A N’ayons aucun regret qui ne vole en chanson,
S aucun pesant secret que ne délie le son !
A Effeuillons nos mystères !
S Déflorons nos chimères !
A Egrenons nos aveux et recueillons nos vœux !
S Estompons nos repères !
A Eludons nos frontières !
S Jouons avec le feu de la règle du jeu !
A Retournons nos revers contre les coups du sort !
S Sachons à maux couverts les changer en ressort !
A De nos cœurs grands ouverts expulsons le remord !
S Osons tirer au clair la carte de la mort !
A Du flux et du reflux de nos amours déchues,
S de nos espoirs déçus,
A de nos efforts vaincus,
S sortons le verbe haut,
A le proverbe nouveau !
(Silence. Puis, off, cris et pleurs d’enfants très jeunes, pris sur le vif des détresses quotidiennes et portés aux limites du tolérable : cris obsédants du nourrisson esseulé dans son berceau, attendant l’heure immuable du biberon ; désespoir du tout-petit traînant au long des rues sans pouvoir rattraper une mère qui le devance, indifférente ; hurlements de colère ou de douleur de l’enfant chez lui,
derrière les minces cloisons des immeubles ; chagrins d’enfants humiliés ou battus ; premiers cris du nouveau-né…)
S Nous dirons tout ce soir. Nous avons tous les droits, nous nous sommes tout permis.
A Nous pouvons tout entendre.
S Nous appellerons chaque chose par son nom
A et elle viendra à nous.
S Nous nommerons l’innommable
A et il se le tiendra pour dit.
S Nous sonderons l’insondable
A et cheminerons dans l’infini
S jusqu’à la faim où est le verbe.
A Mais le verbe se fait cher de nos jours, vous savez…
(Il se retourne vers S et lui murmure quelque chose d’inaudible)
S NON ???
A SI !!!
S Quand on va au bordel on n’y met jamais un tel prix !
A Mais le bordel est-ce vraiment le bordel ?
S Et si on allait à confesse ?
A Ce serait un acte gratuit.
S Mais quoi qu’on confesse à confesse, on n’y parle pas de ses fesses…
A ni de caresses
S ou de tendresse…
A Dites simplement ce qui vous vient à l’esprit…
S A l’esprit sain ou à l’esprit de famille ?
A Votre esprit n’est pas sain quand il est en famille ?
S Il est ceint. Cerné, encerclé, enserré.
A Entouré ?
S Assiégé. Assailli.
A Investi… Inspiré, peut-être ? Visité ?
S Hanté.
A … Divisé ?
S Non, pensez-vous ! Seulement un peu fêlé. Juste assez pour être ludique. Ses fantômes sont de vieux complices. Ils ne demandent qu’à être traités comme des compagnons de jeu.
A Et quand le jeu prend fin ?
S Le jeu ne prend jamais fin. Ils multiplient les fausses sorties, mais en réalité ils squattent la scène en permanence.
A Et vous n’aimeriez pas en être débarrassée, vous choisir d’autres partenaires ?
S Impossible ! Je ne peux pas les jeter dehors comme ça. Pensez donc ! Ils ont toujours été là. Je crois même qu’ils étaient là en moi bien avant que j’y sois moi-même. Ils ont une sorte de légitimité. Je ne veux pas engager de rapport de force avec eux. D’abord je les aime bien. Et puis ils sont très forts, vous savez. C’est peut-être eux qui finiraient par me mettre hors de moi en m’envoyant voir ailleurs si j’y suis. Je n’y tiens pas du tout. J’aime mieux cohabiter.
A Mais enfin, vous ne vous sentez pas un peu à l’étroit ?
S Pour ça non, la place ne manque pas, on a dû tellement s’agrandir pour que chacun ait son espace. Ils m’ont aidée. Non, c’est plutôt que ça fait désordre de vivre comme ça avec des inconnus. J’aimerais bien en savoir un petit peu plus sur eux. Je ne sais ni qui ils sont ni d’où ils viennent.
A Vous devez quand même bien connaître un peu leurs habitudes, depuis le temps…
S Facile, ils n’en ont qu’une : on joue…
A Eh bien, si nous jouions à leur créer une origine ?
S Vous croyez qu’ils joueraient à faire une vraie sortie ?
A Je crois qu’ils s’incarneraient pour de bon. Vivant leur vie et vous laissant vivre la vôtre.
S J’ai peur qu’il nous faille remonter très très loin…
A N’ayez pas peur et tâchons de remonter aussi loin qu’impossible.
S Jusqu’à la nuit des temps ?
A Jusqu’au temps de la nuit… le temps d’avant le temps.
S Jusqu’au fond de l’oubli… ?
A L’oubli d’où naît l’envie de recréer le temps du jeu et du récit…
S (Rêveusement) La salle est large et haute. Le parquet ciré, qui n’a connu des pieds que la pointe, a pris l’habitude de craquer un peu sous les pas comme pour s’assurer de sa propre surface. Les murs sont couverts de bibliothèques. Une échelle y est appuyée. Tout en haut, un gros livre rouge, seul objet de couleur dans cet univers noir et blanc. Pour l’atteindre il faut monter à l’échelle, grimper jusqu’au dernier barreau, et là se hisser sur la pointe des pieds, tendre le bras, la main, les doigts, tirer sur l’épaule, jusqu’au bout… Quelques millimètres encore extraits de l’ultime pointe des orteils et voilà le gros livre rouge qui bascule et qui tombe lourdement sur ma poitrine, à peine s’il ne va pas m’échapper, se découdre, se déchausser en s’écrasant au sol, feuillets éparpillés, tout à fait illisible… Mais je le tiens. Sur le parquet redevenu muet comme doit l’être un parquet parfaitement attentif, le gros livre rouge posé sur mes genoux, je suis un enfant de chœur. Je tiens là une sorte de grosse bible dorée sur tranche, toutes merveilles et toutes horreurs confondues. Ce doit être une très vieille histoire. Le titre est effacé sur la reliure de cuir. J’ouvre à la première page : rien.
A Le compositeur aura manqué de caractères…
S Deuxième page : rien.
A Un loup, un blanc sera passé par là…
S Troisième page : rien.
A Le toucheur aura manqué d’amour…
S Quatrième page : rien, cinquième page : rien.
A Les œils seront restés en marge…
S Sixième, septième, huitième pages : rien, rien, rien.
A Quelque correcteur en proie au bourdon aura mis un deleatur sur toute empreinte…
S Page après