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La Dame blanche: Et autres folies extraordinaires
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Ebook469 pages7 hours

La Dame blanche: Et autres folies extraordinaires

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La folie - aujourd’hui on dirait les troubles mentaux - a concerné l’humanité depuis la nuit des temps, sans distinction de genre ni de catégorie sociale. Loin des pauvres hères libérés des chaines qui étaient les leurs dans les asiles de la fin du XIXe siècle, l’histoire a retenu les noms de rois fous, Jeanne d’Arc a été brûlée pour avoir entendu des voix, et plus près de nous, une célèbre chanteuse anglaise s’est suicidée en abusant d’alcool et de drogues.
Quelques histoires de gens célèbres sont racontées ici, témoignant que trouble obsessionnel compulsif, délire mégalomaniaque, psychose maniaco-dépressive, démence et dépression chronique ne concernent pas que les anonymes.
LanguageFrançais
Release dateAug 1, 2018
ISBN9782312059921
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    La Dame blanche - Christian-Paul Géraud

    978-2-312-05992-1

    Avant-propos

    « Pourquoi tous ceux qui furent exceptionnels en philosophie, en poésie ou dans les arts, étaient-ils de toute évidence mélancoliques, certains au point de contracter des maladies causées par la bile noire, comme Héraclès dans les mythes héroïques ? » Telle est la première des quatorze questions que le maître de l’école péripatéticienne proposait à ses élèves. Aristote, puisque c’est de lui dont il s’agit, y répondait dans une longue démonstration d’où il ressortait : « La bile, formée chez la plupart des gens par leur nourriture de chaque jour, ne change en rien leur caractère ; mais elle développe en eux le germe du mal de la mélancolie. Si cette combinaison d’humeurs a été formée par la nature elle-même, ils présentent dès lors les caractères les plus différents, chacun variant selon le tempérament qu’il a reçu. Par exemple, ceux chez qui la bile est abondante et froide, deviennent étranges et fantasques. D’autres où elle est trop abondante mais chaude, deviennent maniaques et gais, très amoureux, faciles à s’emporter et à se passionner. D’autres deviennent plutôt bavards. D’autres, parce que cette chaleur est très rapprochée du lieu où réside l’intelligence, sont pris de maladies de folie et d’enthousiasme. »

    Au cours du dernier tiers du XX° siècle, tout était simple : il y avait « Le manuel de psychiatrie » de Henri EY à partir duquel les internes en médecine qui se destinaient à la psychiatrie apprenaient la différence entre les névroses et les psychoses, les démences et les retards de développement. Il était de bon ton d’aller s’allonger quelque temps sur le divan d’un psychanalyste, certains se risquaient même à se colleter avec l’image spéculaire et l’effet yau de poêle. On agrémentait avec « L’hystérique, le sexe et le médecin » de Lucien Israël, les plus hardis osaient « Malaise dans la civilisation » de grand-père Sigmund.

    En quarante ans, le temps d’une carrière, les choses sont devenues singulièrement plus compliquées. Les deux thèses qui s’affrontaient de longue date ont vu la victoire en rase campagne de l’organogénétique sur la psychogénétique, l’inconscient disparaitre au profit du système nerveux central. Si les étudiants en psychologie ont été peu ou prou contraints de continuer à aller raconter sur un divan jusqu’à quel âge ils avaient fait pipi au lit, la psychiatrie est rentrée dans le giron de la médecine par le biais de la médecine basée sur les preuves (Evidence based medecine, en Anglais), de la recherche clinique et des classifications.

    Celle de l’Organisation Mondiale de la Santé, la « Classification Internationale des Maladies » dont la onzième mouture est en cours d’achèvement. Et celle de l’Association Psychiatrique Américaine, le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles mentaux qui en est à la cinquième édition. Avec toujours plus de complexité :

    Source : American Psychiatric Association

    Difficile de s’y retrouver pour le profane. Disparues l’hystérie et la psychose maniaco-dépressive ? Voire… que fait-on des troubles dissociatifs, des troubles somatoformes et des troubles factices ? Quelle différence entre un trouble affectif persistant, une dépression chronique et une cyclothymie ? Un trouble circulaire et une manie dysphorique ? Et surtout, pourquoi ce sont toujours les petits, les pauvres et les pas beaux qui se retrouvent à l’hôpital psychiatrique ? La présente récréation se propose d’illustrer par la vie de personnages célèbres quelques grands chapitres de la pathologie psychiatrique. Nulle ambition biographique, point de recherches dans des archives poussiéreuses, tout a déjà été écrit et raconté, il s’agit seulement de mettre en lumière les aspects pathologiques qui n’ont pas empêché un individu d’être génial dans son domaine.

    La Toge d’empereur

    A l’endroit où les bars s’arrêtent et où commencent les églises, ce 21 juillet 1899, dans la maison de son grand-père maternel, à Oak Park, Illinois, nait Ernest Miller, deuxième enfant de la famille. Il n’aimera jamais son prénom qu’il associera à celui d’un héros stupide et un peu dingue d’une pièce d’Oscar Wilde. Il dort avec sa mère pendant deux ans, accroché à son sein toute la nuit, et jusqu’à l’âge de cinq ans elle l’habille et le coiffe en fille, en jumelle de Marcelline, de dix-huit mois son aînée. Un jour à l’âge de 2 ans, elle l’appelle une fois de trop sa « poupée canard » ; il réplique : « je ne suis pas une poupée canard… bang, j’ai tué Sweetee », le petit nom dont il est affublé.

    Grace, sa mère, « That All-American bitch », est née le 18 juin 1872. Elle aurait voulu être cantatrice, avait été formée à New York, avait fait ses débuts au Madison Square Garden. Dans les journaux de l’époque, elle apparaissait en permanence ; pour certains biographes, c’était un garçon manqué, fumant, allant à bicyclette, voyageant seule à travers le continent américain et en Europe. Pour son fils Leicester, « elle manquait de talents domestiques ». Ardente défenseure des suffragettes, quand elle se décide à se caser, elle ne va pas chercher bien loin : elle épouse Clarence, un médecin dont la famille habite en face de chez elle. Elle avait mille $ d’économies quand il n’en avait que cinquante. Toute sa vie elle consigne dans des cahiers les faits et gestes de ses enfants ; cinq rien que pour Ernest. Avant que son fils ne devienne célèbre par lui-même, elle apparaissait comme un gros poisson dans un petit aquarium. « Une mégère dominatrice »

    Le bon docteur Clarence se fait payer au bon gré de ses patients. Il est farouchement opposé aux jeux de cartes, à l’alcool et à la danse. Il fait les courses, la cuisine et s’occupe des enfants. Le couple en aura six.

    Marcelline, nait le 15 janvier 1898, mise au monde dans la maison de son grand-père ; le médecin appelé pour l’accouchement ayant fait un infarctus sur place, le futur père renforce l’anesthésie de sa femme, s’occupe de son confrère, puis de la naissance de son 1° enfant. Quand nait Ernest, leur mère les élève en jumeaux, au point de mettre Marcelline à l’école un an en retard pour qu’elle commence en même temps qu’Ernest. La sœur publiera un livre de souvenirs et sa correspondance avec son frère.

    Ursula apparait le 29 avril1902. Au cours d’une soirée en Floride, elle entend un obscur poète, Wallace Stevens, déblatérer sur son frère ; elle court le prévenir ; Ernest arrive à la soirée pour entendre Stevens se vanter de pouvoir l’allonger d’un seul coup de poing ; en le voyant, Stevens lui envoie un coup, le manque, son adversaire réplique et l’envoie plusieurs fois à terre ; la seule fois où Stevens réussit à l’atteindre à la mâchoire, il se casse la main. Elle est décédée à Honolulu en octobre 1966, suicidée après avoir subi 3 opérations pour cancer.

    Madelaine est née le vingt-quatre novembre 1904. Surnommée « Sunny », elle tape à la machine « L’adieu aux Armes ». A la mort d’Ernest, sa femme Mary lui donne le chalet de Walloon Lake, qu’elle transmettra à son fils Ernie. Elle est morte à l’âge de 90 ans.

    Carol, née à Walloon Lake en juillet 1911, n’a pas eu au cours de sa vie les meilleures relations avec son frère. Devenu son tuteur à la mort de son père, il interdit son mariage ; elle se marie néanmoins en 1933, et cette union durera 65 ans, donnant naissance à trois enfants. Elizabeth, leur fille dira que son père lui avait confié que la rancœur de son beau-frère venait de ce qu’il l’avait qualifié de grand boy scout.

    Leicester, enfin est né le premier avril 1915.

    La famille possède une maison de campagne à Windemere, sur le Walloon Lake, près de Petoskey, Michigan, où elle passe l’été. Il faut être devant une carte de la région des Grands Lacs pour réaliser pleinement que deux jours de voyage en bateau sont nécessaires à l’époque pour franchir une distance équivalente à celle de Brest à Calais, ou de Tahiti dans l’archipel de la Société, à Raïvavae, dans celui des Australes (pour les familiers du Pacifique sud). En débarquant du bateau il faut prendre le train de Harbour Springs à Petoskey, changer pour le village de Walloon, attendre de nouveau un bateau plus petit pour traverser le lac, et espérer qu’un fermier vienne les chercher en tracteur pour les déposer à Windemere. Tout ça avec des enfants en bas âge et des montagnes de bagages. Il existe une photo qui représente Grace en train d’allaiter Ernest bébé sur la rive. Les parents y font chambre à part.

    Au printemps 1905, le grand père Ernest Hall décède. Grace hérite et fait construire une maison de 15 pièces, avec un studio attenant où elle donne des concerts, organise des récitals de ses élèves, compose et écrit des chansons, dirige un chœur, expose ses tableaux. Elle va et vient seule en vacances sur les côtes Est ou Ouest, ce qui permettra à Marcelline d’écrire plus tard qu’elle payait des domestiques pour pouvoir garder la liberté de suivre ses muses.

    En 1911, Ernest a tout juste douze ans quand son père lui offre son premier fusil. Corrigé à coups de lanière de cuir à affuter le rasoir il se cache dans le jardin, son fusil armé à la main, et fait semblant de tuer son père. De 1913 à 1917, les aînés fréquentent la « Oak Park and River Forest High school » ; Marcelline et Ernest jouent dans l’orchestre de l’école pendant deux ans, et suivent des cours de journalisme ; certains de leurs articles sont publiés dans « The Trapeze », le journal de l’école. On lui diagnostique une très mauvaise vision de l’œil gauche, ce qu’il reprochera toute sa vie à sa mère.

    A la fin de ses études, il trouve un emploi au « Kansas City Star », un journal local. En fait Ernest veut s’engager ou apprendre à écrire ; son père le lui interdit, l’accompagne au train et attend jusqu’au départ. Il est chargé de la rubrique chien écrasés où il s’ennuie immédiatement. Il est impressionné par la facilité d’écriture d’un des journalistes, sa descente et ses bagarres d’après boire. Ce poste l’amène à découvrir en février 1918 avant publication que la Croix Rouge recrute 4 ambulanciers pour l’Italie, ce qui lui permet d’être engagé avant 200 candidats. Lors de la visite médicale d’incorporation, la seule prescription qui lui est faite est de porter des lunettes. Le 23 mai 1918 Ernest Miller Hemingway est à bord du bateau « Chicago » en route pour Bordeaux. Les précautions de Clarence n’ont servi à rien.

    Avant de rejoindre son poste sur le front austro-italien, il passe deux jours avec deux copains à Paris, encore sous le feu de l’artillerie allemande. Quinze jours plus tard, il se retrouve conducteur d’ambulance à Milan, où l’initiation est rapide : une fabrique de munitions explose et il doit aller ramasser ses premiers monceaux de cadavres. Lui et son groupe sont mutés deux jours après à Schio, où ils sont chargés de l’assistance aux civils, et où il s’ennuie aussitôt, si bien qu’il est muté à sa demande à la cantine, installée au Country club ; il a pour mission d’apporter le ravitaillement des soldats au front. Blessé par un obus de mortier à Fossalta di Piave, puis par un tir de mitrailleuse, il ramasse un blessé, le transporte quelques centaines de mètres sur son dos pour le mettre à l’abri. Ils sont déposés tous les deux toute la nuit sur le plateau d’un camion au milieu des moribonds et des morts, et ce n’est que le lendemain qu’il est évacué vers un avant poste sanitaire et mis sous morphine en attendant qu’un médecin commence à lui enlever un à un les quelques six cents éclats d’obus de mortier qu’il a dans les jambes. Pendant qu’il git parmi les agonisants et les morts, il pense en finir ; il passe cinq jours dans un hôpital de campagne avec de simples bandages avant d’être envoyé à Milan. Il a aussi une balle de mitrailleuse dans le pied gauche et une autre dans le genou droit ; il était surnommé « patte cassée ». Il lui faut deux mois avant de pouvoir remarcher avec des béquilles.

    Les italiens lui décernent la médaille d’argent du courage, à la grande déception de Grace : il n’a pas eu la médaille d’or. Hospitalisé à Milan avec 3 autres soldats, il y a 18 infirmières pour s’occuper d’eux. Sa chambre est le lieu de rendez-vous de tous les convalescents, il y a toujours des bouteilles dans son placard ou sous son lit dont on ne sait pas comment il réussit à se les procurer, à la fureur de la surveillante. Il ne pourra plus jamais dormir sans une lampe de chevet allumée.

    Parmi l’escadron d’infirmières chargées de leur administrer des soins de trouve Agnes von Kurowsky, une grande brune américaine, dix ans plus âgée que lu, qui a eu du mal à avoir une autorisation de séjour en Italie avec son nom autrichien. Aide bibliothécaire pour payer ses études d’infirmière après le décès de son père en 1910, engagée par la Croix Rouge en 1918. Elle a un caractère heureux et est pleine d’énergie. Tous les blessés l’admirent et les paris sont ouverts de qui réussira le premier à avoir un rendez-vous avec elle. Il semble d’Ernest, qui est un héros dans l’hôpital, ait été le vainqueur. Agnès dira de lui : « on l’aimait, vous voyez ce que je veux dire. » A 19 ans Ernest découvre qu’on peut être attiré par une femme et qu’une femme peut être attirée par lui. Mi-août il est raide dingue amoureux, il veut l’épouser, mais elle prétexte de son travail pour ne pas lui accorder plus que des baisers. Elle garde une photo de lui dans sa poche et lui écrit toutes les nuits, alors qu’elle le voit tous les jours. Après s’en être occupée pendant deux mois, elle est mutée dans un autre hôpital, près de Florence. Ils s’écrivent parfois trois ou quatre fois par jour.

    Il est de retour dans son régiment en octobre et contracte une hépatite qui le ramène immédiatement à l’hôpital de Milan. Agnès y repasse une semaine avant d’être de nouveau mutée à Trévise. En décembre il lui rend visite par surprise et ça ne se passe pas très bien ; elle lui recommande de rentrer chez lui, parle de leur différence d’âge (28 pour elle, 19 pour lui), de sa carrière d’infirmière, et laisse planer le doute que peut être dans deux ans… Ils ne passent pas Noël ensemble. Elle finit par lui envoyer une lettre de rupture ; il écrit à une autre infirmière, Elsie Macdonald, pour se plaindre du comportement d’Agnès. Il en parlera plus tard dans une de ses nouvelles. Il prétendra ne pas être rentré aussitôt, mais avoir passé une semaine en Sicile, enfermé dans une cabane avec la propriétaire d’un restaurant, à se procurer mutuellement du plaisir. On a les lettres d’Agnès ; pas celles d’Ernest, elle les a brûlées à la demande de l’héritier d’un duché dans les bras duquel elle est tombée dès qu’il a eu le dos tourné.

    Il est de retour aux USA en janvier 1919, avec encore plus de 200 morceaux de ferraille dans les jambes ; deux mois plus tard, Agnès se fiance à un officier italien. Longtemps plus tard elle écrira qu’elle ne recherchait que l’aventure, et qu’elle avait été très volage. Un de ses biographes écrit qu’il a été tellement anéanti par le refus d’Agnès qu’il se forgera le comportement de ne plus jamais être quitté par une femme, mais de rompre le premier. « L’Adieu aux armes », écrit 11 ans plus tard, est basé sur cette histoire entre Agnès et lui. Ces cinq mois d’amour déçu le hanteront toute sa vie, trop jeune, trop loin, trop pauvre. Il s’enferme dans sa chambre sans rien dire à ses parents, sans manger, avec une lumière nuit et jour. Il traverse une première période de dépression intense, pendant plusieurs mois alors qu’il a encore six mois de convalescence avec une plaie encore ouverte au genou, et des difficultés pour marcher. Il touche 1000$ de l’assurance, ce qui lui permet de rester un an sans travailler.

    Un jour d’été au début des années vingt, Ursula et Sunny organisent une soirée clandestine à Windemere avec les fils des voisins, et la complicité d’Ernest ; la mère des voisins découvre l’absence de ses fils dans la nuit, fonce chez les Hemingway… Scandale ; Grace le renvoie en lui disant de n’y remettre les pieds que lorsqu’il sera devenu plus mature. Il écrira quelques années plus tard que sa mère n’a jamais compris à quel point la guerre et les blessures l’avaient changé.

    Ursula, la préférée de ses sœurs, alors âgée de dix-sept ans, l’adore. Elle s’endort sur le palier de la chambre de son frère au troisième étage en attendant qu’il rentre, parce qu’elle a entendu dire que c’est mauvais pour un homme de boire seul. Elle boit quelque chose de non alcoolisé avec lui en attendant qu’il aille se coucher, et ensuite elle dort avec lui pour qu’il ne soit pas seul dans la nuit. La lumière reste allumée jusqu’à ce qu’il s’endorme, et alors elle l’éteint ; pour la rallumer dès qu’il se réveille.

    C’est à cette époque que sa mère se fait construire un chalet de l’autre côté du lac, malgré l’opposition de son mari. Elle y vit avec Ruth, vingt-quatre ans, la jeune fille au pair qui s’occupe des six enfants depuis l’âge de 13 ans. Pour Ernest, c’est la pingrerie de sa mère qui lui a interdit l’université ; il dit à Hadley, sa première femme que les trois mille $ qu’a coûté la construction auraient pu lui permettre d’entrer à Princeton. Grace s’installe dans cette maison pour composer, et quand elle a besoin qu’un des aînés vienne la chercher en bateau, elle sonne une cloche.

    Pour vivre, il donne des conférences sur la guerre à un public féminin à la bibliothèque de Petoskey, où il retrouve Marjorie Bump qu’il connaissait avant de partir en Italie et à qui il a écrit. Il raconte l’histoire de leur rencontre dans « Michigan », refusé par l’éditeur à cause de scènes de sexe trop explicites, en particulier la scène où l’héroïne se retrouve avec une écharde dans une fesse pour avoir ébauché une étreinte sur un ponton en bois. Il en parle aussi dans : « The End of Something » and « The Three-Day Blow ». D’autres femmes traversent sa vie à cette époque-là, début d’une longue collection ; Katy Smith dont l’histoire n’a pas retenu s’il s’est agi d’un flirt ou d’un amour ; Prudence Boulton, une indienne possiblement initiatrice. Harriet Connable, une riche Canadienne l’embauche pour tenir compagnie à son fils malade à Toronto ; il fait ses premières piges au Toronto Star.

    Elizabeth Hadley Richardson, une jolie rousse de vingt-huit ans (huit de plus que lui), élevée dans une institution de jeune fille à Saint Louis, pas beaucoup sortie de sa campagne, vient rendre visite à une amie, colocataire de Marcelline. Pour un des biographes qui a écrit sur les femmes d’Ernest, elle rappelait Agnès, mais avec un côté enfant qui manquait à l’autre. Enfant elle était tombée du 2° étage et avait passé des mois allongée avec des fractures du bassin et des vertèbres. Son père s’était tiré une balle dans la tête en 1903. Sa mère était en train de mourir d’une insuffisance rénale. Sa sœur, gravement brulée dans un accident venait de mourir après avoir mis au monde un enfant mort-né… Ernest dira plus tard qu’il savait qu’elle était celle qu’il devait épouser. Ils correspondent pendant quelques mois, puis décident de se marier et de visiter Rome. La cérémonie a lieu le 03 septembre1921.

    Elle a déjà remarqué qu’il est sujet à des fluctuations de l’humeur. Elle lui promet dans ses lettres de veiller sur lui et de le protéger de ses cauchemars où il est déjà question de suicide.

    Ils vivent d’abord chez les parents Hemingway, puis dans un petit appartement défraichi où ils économisent sou à sou pour partir en Italie. Trois mois plus tard ils embarquent sur le Léopoldina à destination de Paris ; il a un contrat avec le Toronto Star pour couvrir la politique et le sport européens. Hadley s’agace parfois de sa capacité à faire ami-ami avec le premier venu. Ils arrivent à Paris juste avant Noel 1921, louent un appartement rue du Cardinal Lemoine, vivent chichement alors que Hadley perçoit 3000$ de rente annuelle. Ernest loue une pièce rue Descartes pour pouvoir travailler tranquillement, et dès le mois suivant partent pour Montreux où l’air est meilleur.

    Ezra Pound, le poète, lui présente James Joyce, avec qui Ernest s’embarque fréquemment dans des virées alcoolisées. Gertrude Stein, papesse des lettres modernes qui tient salon lui fait rencontrer Francis Scott Fitzgerald, Miro, Picasso. Elle a eu un rôle important dans sa formation d’écrivain en lui apprenant le rythme des mots. Avec Fitzgerald, il a une intimité littéraire étroite au point que Fitzgerald le convaincra de réécrire le premier chapitre de « Le soleil se lève aussi », qui explique l’histoire des personnages. En revanche, à la fin d’une lettre de 10 pages dans laquelle Fitzgerald lui explique comment terminer son livre, Ernest écrit « Kiss my ass ». Un soir de beuverie Fitzgerald lui confie ses inquiétudes sur la taille de son pénis… (Raconté dans « A moveable feast »). Zelda Fitzgerald était de toutes les fêtes parisiennes, ne s’est pas privée de tenter de séduire Ernest, sans y parvenir, semble-t-il. Elle est morte en 1948 dans l’incendie de l’hôpital psychiatrique où elle avait été internée pour schizophrénie ; Francis était mort quelques années plus tôt à Hollywood, à peu près ruiné et alcoolique.

    Au printemps 1922, Ernest ne tient pas en place, part couvrir une conférence à Genève, Emmène Hadley en Italie, en passant par le col du Saint Bernard, obtient une interview de Mussolini. A l’automne, il est correspondant sur la guerre gréco-turque, assiste à l’incendie de Smyrne, en revient couvert de piqûres de puces et de poux, au point qu’il faut lui raser le crâne. En fin d’année, Hadley prend le train pour le rejoindre à Lausanne et perd, à la gare, une valise pleine de manuscrits.

    L’année suivante, alors qu’Hadley est enceinte, ils partent pour Pampelune. Ils y sont pour la feria de juillet et sont subjugués par les lâchers de taureaux et les corridas. La tauromachie devient une obsession ; les taureaux, le sang, les chevaux caparaçonnés, la mort, les passes à la cape et à l’épée (Le soleil se lève aussi – Mort dans l’après-midi). Ils rentrent néanmoins aux USA pour que le bébé naisse américain. John Hadley Nicanor, dit « Bumby » nait le 10 octobre 1923. Il sera vétéran de la deuxième guerre mondiale, blessé, fait prisonnier six mois, décoré ; écrira en 1986 : « Les mésaventures d’un pêcheur à la mouche ; ma vie avec et sans Papa ». Il est le père des actrices Mariel et Margaux Hemingway. En janvier 1924, ils sont de retour à Paris où il est sujet à de violentes fluctuations de l’humeur, est irascible ; se fâche avec ses amis ; en proie à un alcoolisme de plus en plus intense.

    Il a de multiples aventures féminines pendant sa vie avec Hadley, dont sans doute pendant la feria de Pampelune de 1925 avec Lady Twysden, née roturière, garçonne entretenue, buvant sec, dont il était clair pour tout le cercle d’amis qu’elle le fascine, allant jusqu’à déclarer à Ernest que son magnétisme sexuel met son self contrôle à rude épreuve. Hadley se dit que ça passerait. Philippe Solers a écrit que la prétendue aventure avec Mata Hari, est impossible, elle a été fusillée au fort de Vincennes en 1917. Davantage plausible en revanche avec Kiki de Montparnasse qui pose nue pour Man Ray et d’autres, et dont il a préfacé l’autobiographie. A Paris, il rencontre Pauline Pfeiffer, qui tombe aussitôt amoureuse de lui et le séduit ; les deux réussissent à convaincre Hadley de vivre à trois. « Trois petits déjeuners, trois peignoirs de bains, trois bicyclettes » écrit-elle. Mais Hadley finit par gêner, est poussée à la séparation ; elle exige qu’il prouve qu’il est capable de vivre loin de Pauline pendant six mois pour consentir à divorcer. Hadley écrit à Ernest : « je t’ai pris pour le meilleur et pour le pire, et je sais ce que ça veut dire ».

    Pauline rentre chez son père, un des plus gros propriétaires terriens de l’Arkansas ; ils s’écrivent des lettres enflammées plusieurs fois par jour ; elle l’a laissé « sous la garde » de sa sœur Virginia, chargée de lui remonter le moral ; pas de danger, elle est homosexuelle. Pauline remarque qu’Hadley en fin de compte accepte le divorce sans faire de procédure interminable, et que peut-être n’aura-t-il pas autant de chance la prochaine fois.

    Il publie « The Sun also rises » en 1926, dédicacé à Hadley et à John. A Oak Park, les parents regardent le livre comme des religieuses regarderaient un bordel ; il ne pardonnera jamais à sa mère ses critiques, fait une dépression réactionnelle : « Je n’ai jamais vu quelqu’un capable de tomber dans un désespoir aussi profond que lui » (Archibald MacLeish). Il se replie sur lui-même, verbalise des idées de suicide, écrit à Pauline qu’il serait mieux mort et au diable. Il se sent tellement coupable qu’il accorde tous les droits de ses livres, présents et futurs à son fils.

    Le divorce est prononcé en janvier 1927, au printemps il épouse Pauline à l’église St Honoré d’Eylau, son premier mariage ayant été considéré comme n’ayant jamais eu lieu. La tante Harriet leur écrit pour les féliciter et leur suggère de venir passer le weekend à New York, maintenant que la traversée de l’Atlantique est si facile : Lindbergh vient de la réussir. Partis en lune de miel au Grau du Roi, il s’entaille gravement au pied, ça s’infecte en anthrax, passe dix jours au lit de retour à Paris pour être soigné ; Il présente un nouvel épisode dépressif, incapable d’écrire quoi que ce soit sur le thème de la guerre en Italie ; il se fait du souci pour sa santé, y voit de moins en moins bien de l’œil gauche. Une nuit, dans un hôtel à Paris, il croit tirer sur la chasse d’eau, tire sur la poire de douche et prend le plafond sur la tête ; 9 points de suture ; Il en gardera toute sa vie une cicatrice boursouflée sur le front, à l’origine de nombreuses légendes.

    Fin 1927 : Pauline est enceinte et veut-elle aussi accoucher aux USA. Il est désespéré de quitter Paris, ne vivra plus jamais dans une grande ville. Ils s’installent à Key West en Floride sur recommandation de John dos Passos ; c’est la fortune de l’oncle Gus qui permet l’achat de la maison, il leur prête de 12 500 $. C’est le début d’une période d’expansivité de l’humeur : écrit, pèche, passe des nuits blanches dans les bars de la ville, en particulier au Sloppy Joe’s de Josie Russell avec tous les marins de passage ; il s’alcoolise massivement, tient des discours et écoute pendant des heures le premier quidam venu. Grace leur propose Windemere, Clarence propose ses services ; Pauline préfère la sécurité de l’hôpital de Kansas City où, après un travail de plus de 30 heures, elle mettra au monde par césarienne Patrick : près de 4 Kgs en juin 1928. Ernest refuse de confier son fils à sa mère prétextant qu’elle est « androgyne ». Dès que Pauline est autorisée à se lever, elle confie le bébé à la sienne et à une nourrice et court rejoindre son mari pour quelques mois de promenade dans l’Ouest.

    Clarence se tire une balle dans la tête avec un révolver de la guerre de sécession, ce qui fait immédiatement écho aux fantasmes de meurtre qu’il avait enfant. Ernest exige de son frère Leicester qu’il lui envoie l’arme. Le bon docteur souffrait d’innombrables maladies et d’une situation financière inquiétante après des placements hasardeux en Floride dont il ne s’était jamais sorti. Ernest venait de lui écrire de ne pas se tracasser pour ses problèmes d’argent. La lettre est arrivée le lendemain du suicide. Après la mort de Clarence, il dit à un ami : « la vie m’a plus ou moins été retirée, et c’est entièrement de ma faute si je me suis mis à boire de plus en plus ». C’est à partir de là que la série d’accidents et de traumas crâniens va continuer de plus belle. Ernest rend sa mère responsable de ce suicide. Pour le voisinage, c’est la relation de Grace avec Ruth, la jeune fille au pair, qui est responsable de la mésentente entre les époux, et du suicide du médecin. Les deux femmes s’écrivaient des lettres enflammées quand elles n’étaient pas ensemble (Ces lettres sont à l’Université du Texas, à Austin). Clarence avait fini par réussir à lui interdire de revenir à la maison, et à tenir malgré les hurlements de sa femme contre sa jalousie pathologique. Ruth reprend sa place de compagne de Grace après la mort de Clarence, aussi bien au bord du lac que dans la maison familiale de Oak Park.

    Pendant les trois années suivantes, le couple effectue plusieurs voyages en Europe. Il s’inquiète toujours de son état de santé, à juste titre : il est sujet aux angines, a des problèmes rénaux, des hémorroïdes. En 1929 parait « L’adieu aux Armes » qui rencontre un immense succès. En 4 ans il est passé du statut d’auteur inconnu à celui d’écrivain à succès. Il est victime d’un accident de voiture en novembre 1930 dont il ne réchappe que grâce à l’intervention de Dos Passos ; il était coincé par le volant, la tête en bas. Il a une fracture spiroïde de l’humérus droit, que le chirurgien réduit en la maintenant avec des tendons de kangourou ; il a une balafre sur le front, le menton déchiré, une plaie de la cornée à droite, lui qui ne voit déjà pas bien de l’œil gauche, s’est coupé l’index droit ; il passe un mois et demi d’hôpital, coude et poignet paralysés. A la sortie, Pauline lui propose de taper ses manuscrits ; il refuse, et lui dicte ses lettres. Il passe plus de temps avec son gang de copains qu’avec elle.

    Pendant la première moitié des années trente, il semble passer sa vie à poser devant des trophées de marlins pendus par la queue et à se saouler au Sloppy Joe’s bar. Pauline est enceinte, et dès l’annonce de cette grossesse, le mariage bat de l’aile ; Gregory nait le 12 novembre 1931, alors qu’il part de plus en plus longtemps à Cuba où il ne tarde pas à rencontrer Jane Mason, une superbe blonde croqueuse d’hommes, sportive et dépressive, mariée au responsable local de la Pan Am, souvent en déplacement. Elle boit sec et roule à tombeau ouvert ; fait tonneaux alors que les fils Hemingway sont dans la voiture. Fureur de Pauline. Elle tombe un jour d’un balcon et se fait une fracture vertébrale : Ernest dira plus tard à Dos Passos qu’elle a essayé de se suicider à cause de lui. Pauline le supplie de revenir, met à sa disposition l’argent qu’elle reçoit de son père, fait construire une piscine dans leur maison de Key West. Elle s’adresse à un chirurgien esthéticien pour qu’il rectifie nez, lèvres, oreilles, verrues, grains de beauté, se fait teindre en blonde, un désastre.

    Mi 1933, il emprunte 25 000 $ à l’oncle Gus pour un Safari en Afrique avec Pauline pendant 7 mois : Monbasa, Nairobi, le Serengetti sont au programme. A Sunny qui lui écrit pour lui demander de lui prêter 100 $ pour acheter une harpe, il répond que c’est la dépression et qu’il ne les a pas. Il boude comme un enfant parce que Pauline tue un lion avant lui. Il revient de ce périple avec une dysenterie amibienne et un prolapsus intestinal. Au passage, il a fait la connaissance de Eva Dickson, aristocrate suédoise, deuxième épouse du baron von Blixen Finecke, détentrice de records de vols à longue distance qui mourra à Bagdad dans un accident de voiture au cours d’un raid Stockholm – Pékin. La première Madame Blixen se prénommait Karen et est l’auteur de : « I had a farm in Africa ».

    En rentrant de safari sur le paquebot « Ile de France » il rencontre Marlène Dietrich qui fuit la montée du nazisme et repart à Hollywood. Amour probablement platonique, mais toute leur vie, ils s’écriront des lettres passionnées. Il achète le « Pilar » et part pendant des mois pêcher avec ses potes, laissant Pauline seule à la maison avec ses deux garçons, l’accusant d’avoir été responsable de son divorce avec Hadley. Il avait écrit dans « En avoir ou pas » : « mieux vous traitez un homme et plus vous lui montrez que vous l’aimez, et plus vite il se fatiguera de vous ». Ayant gagné un concours de pêche au gros à Bimini, dans les Antilles anglaises, les pêcheurs locaux accusent les étrangers de venir détruire la ressource. Il les provoque et offre 200 $ à celui qui sera capable de le battre à la boxe en quatre rounds. Personne ne gagne.

    En 1936 il rencontre Martha Gellhorn au Sloppy Joe’s Bar à Key West. Elle est l’ancienne maîtresse de Bertrand de Jouvenel, connu pour avoir été à dix-sept ans l’amant de Colette, la femme de son père, qui en tirera « Le blé en herbe ». Comme Hadley, Martha était née à Saint Louis, et comme Pauline, elle avait travaillé pour Vogue. Grande bourgeoisie du middle West ; des jambes interminables ; blonde aux yeux bleus ; dix ans plus jeune que lui, amie personnelle d’Eleanor Roosevelt, la femme du président, que le FBI considère comme une dangereuse gauchiste. L’aventure demeure secrète pendant quatre ans.

    L’année suivante, il consulte un médecin pour des douleurs gastriques ; on diagnostique des troubles hépatiques et on lui prescrit de ne plus boire ; il refuse. A la suite de quoi il part en Espagne avec Martha ; rencontre Robert Capa, photographe dont la liaison de deux ans avec Ingrid Bergman ne sera connue que lorsque celle-ci publiera son autobiographie. Pendant qu’il fait la fête au Gaylord Hôtel, le QG russe, à coups de caviar et de vodka, il enferme Martha dans sa chambre « pour qu’aucun homme ne vienne l’ennuyer ». Elle en sort pour découvrir que la chambre d’Ernest est une porcherie ; il avale des sandwiches aux oignons (comme son père) qu’il fait passer à grandes lampées de whisky. Délicate comme elle était, on se demande si elle a pu avoir des relations sexuelles avec lui ; elle a toujours refusé d’avoir un enfant, en adopte un plus tard : « il n’est pas nécessaire d’avoir un enfant quand vous pouvez en acheter un ; c’est ce que j’ai fait ».

    En 1937, dans « To have and have not » il se décrit en valeureux journaliste alors que c’est un dilettante chanceux qui peut quitter l’Espagne à tout moment. L’année suivante, sa pièce « The fifth Column » raconte l’histoire d’une belle journaliste qui tombe amoureuse d’un bel espion intrépide qui se fait passer pour un journaliste ; c’est un bide à Broadway, la pièce est retirée au bout d’une semaine.

    Alors que Pauline fait trainer la procédure de divorce, il traverse une nouvelle période de dépression et de culpabilité. Il épouse enfin Martha Gellhorn en novembre 1940, elle parce qu’il est un écrivain célèbre, ce qu’elle a toujours rêvé d’être. Dès le départ ce mariage n’a aucune chance de durer, leurs amis témoigneront de leurs engueulades en public. Cette année-là, « Pour qui sonne le glas » est dédié à Martha. Alors que le couple part en Chine couvrir la guerre sino-japonaise, la relation bat déjà de l’aile, Ernest ne supportant pas que Martha existe par elle-même, il commence à lui reprocher d’être responsable de son divorce avec Pauline, pendant qu’elle accuse son alcoolisme et sa brutalité quand il a bu.

    Avec les revenus de « Pour qui sonne le glas » il achète une maison à Cuba, la Finca Vigia : 6 ha à 25 Kms de la Havane où il est le plus souvent seul, Martha couvrant la guerre en Angleterre. En 1942, en pleine mégalomanie délirante, il crée « The crook Factory », une milice privée dont le seul but est la chasse aux Nazis à Cuba. QG à Finca Vigia, ses agents secrets sont pêcheurs, prêtres, garçons de cafés, macs et putes… Il propose ses services à l’ambassadeur US ; John Edgar Hoover, patron du FBI, commence à le faire surveiller, écrivant à ses sbires : « Hemingway est la dernière personne à pouvoir faire ce travail. Son jugement n’est pas des plus judicieux, surtout si sa sobriété est la même qu’il y a quelques années. », et aussi : « Toutes les informations concernant son incompétence devront être discrètement apportées à l’attention de l’ambassadeur. » A la fin de l’année, Martha insiste pour conduire à un retour de soirée, ils s’engueulent ; il lui envoie un revers, elle ralentit un peu, envoie la voiture tout droit dans un arbre, en descend, et le laisse là. Il a traversé le pare-brise, a le crâne lacéré : sur lequel un chirurgien va poser cinquante-sept agrafes. Elle lui reproche la saleté de ses trente-cinq chats, qui puent, ont le droit de se promener sur la table, profite qu’il a le dos tourné pour les faire tous castrer. Martha pense qu’il fuit ses responsabilités d’écrivain reconnu pour relater la guerre réelle qui se déroule en Europe, elle corrige son Français, conteste sa connaissance des vins, tourne en ridicule la Crook Factory.

    L’agent 213 du FBI écrit dans son rapport : « Hemingway se languit d’être à Cuba sans rien faire. Il a hâte de reprendre ses activités de renseignement (des patrouilles dans les mers Caraïbes pour l’US Navy, comme nous l’avons appris confidentiellement). Un autre : « Hemingway a une piètre opinion du FBI. Son hostilité personnelle est idéologique, il considère que le FBI est antilibéral, profasciste, en gros une Gestapo américaine ». Ernest en identifie certains.

    En 1944, Martha réussit enfin à le faire revenir sur terre, et il part comme correspondant de guerre en Angleterre. Il réussit à trouver une place dans un avion, n’en réserve pas pour elle, ce qui la met en furie. Elle suit quelques semaines plus tard sur un bateau chargé d’explosifs et le retrouve dans sa suite habituelle au Dorchester, parmi les cadavres de bouteilles de whisky. Il a sa cour, est invité à toutes les soirées, a retrouvé Robert Capa, avec lequel, ivre, il a un accident de voiture à Londres. Quelques journaux annoncent son décès ; en fait, il a un trauma crânien important, et une plaie à la tête ayant nécessité 50 points de suture supplémentaires. Martha lui rend visite à l’hôpital, minimise les blessures et l’engueule d’autant plus sur les causes de l’accident qu’elle trouve des bouteilles cachées sous le lit. En fait il était sérieusement blessé, et la réaction de Martha marque le début de la fin de leur mariage.

    Un mois après sa sortie, il rencontre Mary Welsh dont il tombe amoureux. Le 6 juin 1944, il est dans une péniche de débarquement, mais en tant que civil, il n’est pas autorisé à débarquer. Officiellement attaché à la 3° Armée, sous les ordres du Colonel Charles Buck Lanham. Il était si engagé dans les combats que ses articles n’étaient qu’un prétexte pour rester au front, avec le

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