L'exception au cœur de la mondialisation : Renouveau arabe ou crépuscule islamiste
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L'exception au cœur de la mondialisation - Mouhamed Dioury
L’exception au cœur de la mondialisation
Mouhamed Dioury
L’exception au cœur de la mondialisation
Renouveau arabe ou crépuscule islamiste
LES ÉDITIONS DU NET
22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
La notion d’universalisme dans l’expérience humaine n’implique pas l’uniformité, bien au contraire : elle signifie que les cultures ne maintiennent leur dynamisme qu’à travers le degré de tension qu’elles maintiennent entre le particulier et l’universel.
Abiola IRELE (philosophe nigérian)
© Les Éditions du Net, 2014
ISBN : 978-2-312-02372-4
Avant-propos
Peu de gens l’ignorent, c’est une évidence qui traverse et bouleverse nos existences quotidiennes : la mondialisation est bien la réalité dominante du temps présent. Elle sape jusqu’aux fondements territoriaux de la vie en société. Notre époque se caractérise par une disproportion croissante entre une société qui se mondialise et le monde des États, qui demeure inchangé dans sa fragmentation territoriale. De graves problèmes en résultent à tous les niveaux de la vie sociale, économique, politique et culturelle. Des phénomènes contradictoires d’homogénéisation et de fragmentation, de décomposition et de recomposition, d’intégration et d’exclusion, d’uniformisation et de différentiation, ainsi que de nouvelles hiérarchies, inégalités et tensions entre les différents peuples, classes sociales, groupes ethniques. Les exemples concrets de contradictions ne manquent pas : face à l’ouverture des frontières aux marchandises et aux capitaux, le durcissement des contrôles de migration ; face à prospérité, l’aggravation des exclusions sociales ; face au développement économique, la multiplication des atteintes à l’environnement, face à l’émergence d’une justice pénale internationale, la persistance de crimes internationaux, face à l’espérance de libérer l’homme de ses contraintes (biologiques ou sociales), les risques d’asservissement créées par les nouvelles technologies.
Mais, au même moment que la mondialisation déterritorialise les marchés, les hommes, les cultures, elle recompose de nouveaux liens, crée de nouveaux espaces, construit de nouvelles formes de territorialisation. Les catégories sur lesquelles reposaient jusque là l’analyse et l’action politiques sont, en partie, caduques. Quand le monde se présente à nous sous une forme dénuée de sens, quand le présent s’expose à nous sous une forme diffractée et insaisissable, alors les notions de territoire, de souveraineté nationale, de citoyenneté, d’État-nation ou encore de peuple, perdent de facto leur pouvoir explicatif comme leur capacité à structurer un projet politique émancipateur. En conséquence, les repères philosophiques, éthiques et culturels qui nous permettaient d’orienter notre action dans le monde se brouillent. Dans ces conditions, le premier défi que nous pose la mondialisation est notre aptitude à reconstruire ces repères, en leur assurant une légitimité suffisante, de manière à leur permettre de redonner à l’existence des individus comme à celle des peuples un but et une signification pour lesquels il vaille désormais la peine de vivre et éventuellement de mourir. Essentiellement, il s’agit de savoir si, dans l’atmosphère délétère de scepticisme moral et de relativisme éthique qui caractérise notre époque, il est encore possible de créer et de s’entendre sur de nouvelles normes d’existence collective et de comportement individuel capables de restaurer les équilibres sociaux rompus avec la mondialisation, de réduire autant que possible les facteurs d’anomie sociale et, ainsi de réaliser un minimum de cohésion et d’harmonie au sein de nos sociétés.
L’ouverture à la mondialisation étant inéluctable, est-il possible de s’ouvrir sans se renier ? Cette question paraît particulièrement importante, surtout si, par ouverture, nous entendons, le mouvement réel par lequel, au quotidien, l’immense majorité, là où elle vit et travaille, contribue, à l’avènement d’une société libérée placée sous le signe de l’harmonie. Harmonie à l’échelle nationale et mondiale, du fait de l’instauration, entre les communautés et les nations, de rapports débarrassés de tout esprit de domination d’exploitation et d’exclusion. Rapports fondés sur les sentiments de complémentarité réciproque et de respect mutuel. Harmonie intérieure de l’homme lui-même, née de la récupération par ce dernier de la plénitude de son essence, grâce à la suppression de toutes les aliénations et dogmatismes destructeurs. Harmonie éthique d’un environnement social de paix, de fraternité humaine et de convivialité, du fait de l’éradication des conditions sociales qui font de l’homme un loup pour son prochain et érigent l’égoïsme et la violence en normes dans les relations entre les individus.
Harmonie écologique enfin notamment au moyen de l’instauration entre l’homme et la nature, dans la suite des formidables possibilités que la révolution scientifique et technologique offre dans ce domaine, d’un nouveau système d’échanges plus rationnel et plus équilibré, capable par la suite d’assurer durablement les bases et les conditions de la survie de notre planète et de celle de l’homme en son sein. Réexaminer les préjugés implicites propagés par les plus puissants et leurs médias qui ont fini par devenir nos structures de perception. Quels sont-ils ?
Que La croissance économique (hausse du PIB) est la seule manière de répondre aux défis et la seule possibilité de résoudre les problèmes résultant de la cohabitation humaine. Que L’augmentation perpétuelle de la consommation ou, plus précisément, la rotation accélérée des nouveaux objets de consommation, est le principal et le plus efficace moyen de satisfaire la recherche humaine du bonheur. Que L’inégalité des humains est naturelle, et adapter les chances dont disposent les humains dans leur vie à son caractère inévitable profite à tous ; en revanche, contrarier ce précepte ne peut que nuire à tous. Que La rivalité (qui a deux aspects : l’élévation du méritant et l’exclusion-dégradation du non-méritant) est la condition nécessaire et suffisante de la justice sociale et de la reproduction de l’ordre social.
Apprendre à se défaire de ces préjugés imposés par des mécanismes sociaux ne peut être que l’œuvre de femmes et d’hommes réellement disposés à prendre leur destin en mains propres, se frayant un chemin à travers le développement au quotidien des luttes, des résistances, des combats dans les institutions, les entreprises et les lieux de travail, dans la vie de tous les jours, en vue de conquérir de nouveaux espaces de pouvoir, de liberté et de responsabilité. Dans la volonté par-dessus tout, de construire de nouveaux rapports sociaux, afin d’enrichir sans cesse leur contenu humain. Bref, au-delà d’un simple changement de système économique et social, jeter les bases de cette nouvelle civilisation humaine dont les principes tout autant que les prémices sont déjà inscrites dans les réalités de notre époque. Il y a du nouveau sous le soleil. Le monde mute, et beaucoup reste à inventer. C’est pourquoi il convient aussi de se souvenir que les notions de richesse et de pauvreté ont une palette de sens bien plus vaste que purement économique et financier. On peut être riche ou pauvre d’émotions, de sentiments, de dons personnels, de qualités humaines, de capacités créatrices. Et les partager, ou les échanger, avec les autres. Tout cela pourrait être considéré sans doute, du côté des sceptiques de tous bords, comme une « utopie ». Mais ce serait alors dans le sens original c’est-à-dire une démarche tout- à- fait rationnelle et lucide, capable de déceler, derrière la réalité telle qu’elle se donne pratiquement à vivre ici et maintenant et telle qu’elle semble aussi s’approprier toute la sphère du possible, les germes d’un avenir qui est, dans une certaine mesure, déjà là, puisqu’il ne demande qu’à être actualisé à travers les résistances des femmes et des hommes dont il traduit les aspirations. Une utopie utile, car même si tout ne se met pas en place dans un futur prévisible, il est important d’avoir ces points de référence présent à l’esprit. Et à défaut de solution de cette nature, qui exigerait un niveau très élevé de coopération internationale, mais qui peut très bien se mettre en place de façon graduelle et progressive pour les pays qui le souhaitent.
Plus que tout, la question de l’ouverture se pose à toutes les communautés et à tous les individus - à l’extérieur comme à l’intérieur de leurs espaces culturels- parce qu’elle exprime à la fois une inquiétude et un espoir. Une inquiétude tout d’abord, quant à ce qu’il adviendra de leurs existences, de leurs manières d’être au monde dans les différentes parties de la planète où ils ont décidé volontairement ou non de mener leurs existences. Un espoir car, tout le monde ne naît pas forcément attaché, par naissance ou par héritage, à un « quelque part », mais chacun peut choisir de s’y attacher non par habitude, mais de façon délibérée, à partir d’une adhésion à telle ou telle dimension d’un lieu ou d’un contexte doté d’une identité culturelle distinctive. Une forme d’ancrage spécifique, sans détermination à une histoire non voulue, mais par pure liberté. Une identité choisie et suffisamment traversée de diversification afin qu’elle ne se ferme pas aux autres, mais au contraire ouvre à l’universel humain. Parce que, ce qui se crée avec la mondialisation est une nouvelle division du monde qui ne sépare plus seulement des États ou des régions qui continuent d’exister, mais, comme un processus de mondialisation à l’intérieur des sociétés, de globalisation des espaces sociaux. Dans ce cadre, reste entièrement ouverte la question de la pertinence d’appréhender, les sociétés de manière territorialisée. Autrement dit, peut-on encore penser les sociétés et les transformations qui les traversent (soulèvements dans les pays arabes par exemple), à partir d’une conception territorialisée qui postule que le territoire et uniquement le territoire contient la vie de la société ? Cette interrogation doit-être située aujourd’hui selon deux axes qui seules permettent de faire véritablement sortir sa signification. Le présent ouvrage reprend ces deux axes.
Dans un premier temps, commencer avec un rappel qui servira à mettre au jour les fondements de la mondialisation dans la diversité de ses configurations. Mondialisation qui pose à l’humanité toute entière une série de défis qu’il faudra exposer dans la suite, en mettant particulièrement l’accent sur ceux d’entre eux qui paraissent être les plus essentiels : l’ouverture économique et de la diversité culturelle. En d’autres termes, la juxtaposition d’une économie mondialisée et d’identités fragmentées à l’intérieur d’un monde où vivent près de 5 000 groupes ethniques et où aucun des 200 pays qui composent la planète n’est homogène sur le plan culturel.
Dans un second temps, il devient possible de mesurer en quoi la mondialisation met à nue la faillite des sociétés arabes, ses désastres devenus manifestes et dont les signes les plus visibles sont l’arriération intellectuelle, l’immobilisme économique et social et le blocage sur les plans religieux et politiques. Il s’agit maintenant de reconnaître cet insuccès et cette déroute, de les assumer ; de regarder en face l’impasse des sociétés arabes, et leur échec à traiter les chocs de la modernité et à y entrer.
On pourrait formuler les choses plus simplement : la première partie de cet essai, consiste à se faire une idée du « terrain de jeu » (mondialisation), à acquérir un minimum de connaissance du monde dans lequel notre existence et les événements du monde se déroulent. À quoi ressemble-t-il ? Quels sont ses tendances, ses points forts ses points faibles, ses défis ? S’efforcer de connaître ce monde afin de mieux y vivre avec autrui car nous ne sommes pas seuls.
La seconde partie de ce livre se penche sur les difficultés du monde arabo-islamique avec la diversité. Le monde de l’islam a la passion