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Rattrapé par l'adolescence
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Rattrapé par l'adolescence
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Rattrapé par l'adolescence

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About this ebook

Le héros, ingénieur agronome est en mission en Afrique en ce printemps 1977, il bourlingue au gré de son travail.
De retour chez lui à Chanoz en France, entre Bresse et Dombes, il va se faire happer, ou plutôt rattraper par son adolescence et se trouver projeté 15 ans plus tôt, un certain été 1962.
Que s’est-il passé cet été 62 ?
De ce retour, un bouleversement inattendu l’attend, une lettre s’immisce d’une manière peu orthodoxe et particulière dans sa vie, cette lettre va le projeter à son adolescence, cette lettre va lui rappeler cet été 62. Le message qu’elle contient va le bouleverser mais sans l’étonner vraiment, c’est plutôt de retrouver l’héroïne qui l’étonne et l’intrigue, qui est de surcroît en mauvaise posture, très mauvaise posture.
Comment a-t-elle pu faire une chose pareille ?
Cela valait-il la peine de prendre un si grand risque ?
LanguageFrançais
Release dateDec 21, 2016
ISBN9782312049595
Rattrapé par l'adolescence

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    Rattrapé par l'adolescence - Jean-Luc Cinquin

    978-2-312-04959-5

    Prélude

    A l’aurore de sa vie,

    il faut planter l’arbre de son destin,

    afin de construire son destin avec audace et détermination,

    pourvu qu’il ne nous rattrape pas,

    assumer son destin pour en faire une destinée.

    L’homme suit son destin comme son ombre,

    ou peut-être l’inverse, je ne sais plus,

    ou plutôt tout dépend d’où l’on se place.

    Vagabonde Africaine

    CÔTE D’IVOIRE AVRIL 1977

    Ma mission se termine en ce début du mois d’avril 1977 en Côte d’Ivoire, la grande saison sèche tire à sa fin dans le Nord du pays, le paysage est déjà balayé par ce vent sec en provenance du Sahara que l’on appelle l’Harmattan. Dès le mois de juin les alizés humides vont marquer le pas de la grande saison des pluies.

    Comme chaque soir je m’installe et m’isole à l’ombre des palmiers et frangipaniers, ignorant l’agitation qui règne dans la mission, assis ainsi à ma table de brousse sur mon siège en toile, je rédige mes notes de travail de la journée et je tiens aussi à jour mon carnet de voyage, je consacre à cette écriture qui est pour moi un rituel, un moment de détente et de relaxation.

    Demain je vais reprendre la direction du sud et retrouver, à Abidjan, les alizés humides en provenance de l’Océan qui soufflent déjà sur le sud du pays. Ces vents sont gorgés d’humidité provoquant de fréquents grains et de nombreux orages. C’est ce qu’on nomme la mousson ou plus couramment la grande saison des pluies. Toute l’année, le sud est frappé par des brises de mer chaudes et humides qui lui confère cette douceur de vivre. En fait, le climat du pays varie en fonction du mouvement du front intertropical qui lui fait subir, tour à tour, le régime océanique et très humide des alizés du sud, puis le régime saharien des alizés du nord avec l’Harmattan, plus secs. La Côte d’Ivoire est en fait la zone de transition entre le climat équatorial humide et le climat tropical sec. Ce phénomène divise le pays en deux zones climatiques principales : le Sud et le Nord. La Côte d’Ivoire a un climat propice à une agriculture diversifiée, de cultures vivrières comme le manioc, le riz, les bananes plantain et taro, le mils et le Sorgho ; de cultures commerciales comme le coton, le café, le cacao, le kola, le tabac, l’hévéa, les bananes, les ananas, les palmiers à huile, les cocotiers.

    Tout en relevant la tête pour réfléchir de la feuille que je noircie, j’observe, pensif, les enfants qui jouent à même le sol à quelques mètres de moi avec des jouets qu’ils ont confectionnés avec des objets de récupération et ce qu’ils trouvent dans la nature. Je souris en pensant que si les petits Français voyaient ça, ils en seraient stupéfaits. Je me remets à l’ouvrage et j’en reviens à mon écriture.

    Ce pays a aussi une tradition pastorale d’élevage de bovins, d’ovins, de caprins et de porcins, on trouve le long de la côte une activité de pêche plutôt artisanale.

    C’est précisément tout ça qui m’amène régulièrement dans ce pays africain. Cette ancienne colonie française assez loin de mon pays natal la France où je ne vis, qu’une partie de l’année certes car mes activités professionnelles m’amènent à beaucoup me déplacer et voyager, principalement sur le continent africain.

    De par mon métier d’ingénieur agronome, je travaille et collabore fréquemment avec les gouvernements étrangers pour optimiser et développer les systèmes de productions agricoles en place, nous menons des missions de coopération et élaborons des programmes dans les domaines agricoles et de l’élevage.

    J’ai choisi au grand dam de mon père de suivre la voie du « ailleurs » et d’exercer principalement dans les pays en voie de développement. Lui bien sûr aurait souhaité que je reste au pays et que j’apporte ma pierre à l’édifice de notre agriculture bressane ou tout au moins nationale « du cocorico », tradition oblige, mais l’envie de m’investir où les besoins étaient plus importants et d’aller à la rencontre des autres a été plus forte que moi. Mais la coopération de notre nation avec ses anciennes colonies me stimule d’autant plus, elle me permet de sortir des sentiers battus, d’innover et de se remettre en question au quotidien.

    Je suis ce que j’appelle un jardinier de l’éden, j’entretiens, je développe, je préserve et je fais fructifier cette terre qui est notre garde-manger, il en dépend de notre vie et notre survie. Je me consacre essentiellement aux domaines agricoles et d’élevage. Je suis très respectueux de notre terre nourricière, présent des dieux, il y a l’eau, l’air et le ciel avec son ciel capricieux et cette « science climatique » difficile à prévoir dont il faut sans cesse composer et s’adapter. Tout ceci me passionne, me fascine, j’y consacre une grande partie de ma vie et absorbe une grande énergie. Je m’implique et m’investis entièrement dans mes activités professionnelles.

    J’aime ce pays et je m’y sens à mon aise, loin du tumulte de la métropole, apprécie cette nature luxuriante et ces grands espaces. Dans ce petit village de Tioro près de la ville de Korhogo dans la région des savanes, où je me trouve, la vie est simple et en harmonie avec ma conception, mais pour combien de temps encore. Au retour j’ai promis à ma jeune épouse de me « sédentariser » et rester au pays, pour moi c’est un sacrifice, un cap auquel je devrai me soumettre et m’adapter. Mais je me réserverai quelques fredaines et j’effectuerai quelques bordées en terre africaine, ces rares escapades seront ma bouée d’oxygène pour mon équilibre mental.

    ***

    Notre campement est établi dans l’enceinte de la mission catholique dotée aussi d’un dispensaire de brousse tenu par les sœurs de la charité. Cette institution est dirigée par sœur Jeanne, une française originaire d’un village de Bretagne proche de Morlaix. A soixante-cinq ans cette femme joviale et énergique a un tempérament bien trempé et un caractère de fer dans un gant de velours. Elle ne se laisse pas manipuler et il est difficile de lui tenir tête, voire impossible, elle est têtue, rien ne l’arrête pour atteindre son but, les autochtones ne s’en plaignent pas, ils s’en accommodent. Elle a eu sa vocation vers la trentaine et depuis elle dispense ses soins et son éducation sur le continent africain et plus spécialement en Afrique noire. Nous cohabitons dans une ambiance sympathique et partageons de bons moments forts et simples, nous vivons en communauté où chacun trouve sa place et son utilité.

    – Félix appelais-je ?

    – Oui Bouana.

    – Puis-je avoir une tasse de thé s’il te plait.

    – Tout de suite bouana.

    Félix est notre aide de camp, jeune ivoirien d’à peine vingt ans. Le ministère de l’agriculture comme à chaque mission, met à notre disposition une équipe d’une dizaine de personnes.

    Deux d’entre eux, dont Félix, sont chargés de l’intendance, de la cuisine, du ravitaillement, du montage et démontage du camp. Les autres sont directement impliqués dans nos activités, nous les formons, conseillons et les entourons pour qu’ils acquièrent à terme une certaine compétence et autonomie en la matière.

    Deux d’entre eux, Taji et Jawad sont tout comme moi de jeunes ingénieurs agronomes tout fraîchement diplômés, ils sont d’ailleurs issus de la même école que moi. Ils ont fait leurs études en France et sont revenus exercer au pays, c’est à eux, cette jeune relève qu’il incombera ensuite de prendre le relais de nos travaux.

    – Tiens voici ton thé bouana.

    – Merci Félix, je t’ai déjà dit cent fois de m’appeler Hervé et non bouana. Hervé c’est mon prénom.

    – Oui d’accord bouana, mais c’est difficile, très difficile, c’est comme ça.

    Oui c’est difficile, je le comprends aisément après tant d’années de colonisation, il est difficile de changer les habitudes bien ancrées dans les mœurs. Mais le temps fera son sillon, j’en suis persuadé, il faut juste un peu de patience, le temps est ici notre allié. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on peut changer les habitudes, tout effacer et renverser la vapeur.

    – Félix appelais-je encore ?

    – Oui, boua…

    – Que mange-t-on ce soir ?

    – Nous avons préparé avec Alida et Salama une soupe aux cacahuètes et un ragoût d’antilope.

    Félix est ravi de travailler avec les cuisinières de la mission, il bénéficie ainsi des installations de la cuisine de la mission et cela lui facilite grandement son travail quotidien. De plus les repas sont partagés tous ensemble en communauté, ce sont de bons moments de convivialité et d’échange.

    – Ragoût d’antilope, c’est un souper de fête. C’est l’antilope que vous avez renversée ce matin en allant à Korhogo, n’est-ce-pas Félix.

    – Oui bwa… Hervé.

    – Bien, tu vois, tu y arrives, je veux dire de m’appeler par mon prénom mais pour le reste, enfin je veux dire pour l’antilope, il vous faut être plus attentif et prudent en voiture.

    Pour les animaux sauvages mais aussi pour le matériel. Les 4L de votre ministère ne sont pas aussi solides que des 4x4 et votre ministère n’a pas d’argent à gaspiller pour l’entretien, bien au contraire.

    – Oui oui d’accord.

    – Ok pour cette fois, mais comme je le dis dans ma devise…

    – Oui je sais, il faut être responsable et bien gérer ce que nous avons, affirme-t-il avant moi.

    – Alors Hervé, on se la coule à l’anglaise, tu bois ton eau chaude et en plus par cette chaleur. Une bonne flag* serait plus adéquate et ferait bien mieux l’affaire avec cette chaleur et poussière, me lança Lucien en arrivant.

    – Détrompe-toi Lucien c’est très désaltérant, plus que tu ne le penses, mais dès que Marie-Claude sera là nous irons boire cette flag au bar chez « Marzie », c’est notre dernier soir il faut arroser notre départ et noyer notre nostalgie.

    – Tiens, ben justement la voilà qui arrive, range tes crayons et allons-y illico et de surcroit j’ai une de ces faim de loup ce soir, je dévorerai un poulet entier à moi tout seul. »

    – Euh ! Lucien, ben ce sera de l’antilope faudra t’en contenter, nous avons un ragout d’antilope au menu de ce soir.

    – Comment ca se fait ? D’habitude on ne chasse pas ces bêtes là et encore moins en manger ce sont des espèces protégées.

    – C’est Félix avec Alida, en allant en ville au ravitaillement ce matin, l’antilope n’a pas pris le passage piéton pour traverser la piste et vlan la 4L l’a culbutée.

    – Nom de dieu, mais c’est une aubaine et bonne initiative ça pour améliorer l’ordinaire, j’en salive déjà et…

    – Ce n’est pas bientôt fini votre langage de charretier et de blasphémer vous deux, interjette sœur Jeanne toujours à l’affut. Et ensuite on n’appelle pas le bon dieu comme tu le dis Lucien, si tu veux le voir rends-toi à la chapelle et tu le trouveras près de l’autel.

    – Oui ma sœur, nous répondons en cœur et nous nous éclipsons comme deux repentis

    Nous sommes trois français à participer à cette mission, Lucien lui est un Auvergnat natif d’un petit village près de Clermont-Ferrand, quant à Marie-Claude elle est près de Toulouse, nous nous connaissons bien et nous nous entendons bien, nous formons une équipe soudée, homogène et complémentaire.

    – Salut les hommes, alors on a déjà quitté le pont et on fait les garnements, s’écrie Marie-Claude qui a assisté à la scène.

    – Eh oui ! Demain nous levons le camp et retour sur Abidjan, demain soir nous serons à Bouaké. Allez nous allons la boire cette flag. Ce soir je vous signale que nous avons un vrai festin de roi, l’antilope que Félix a embrassée ce matin avec la 4L. Notre brigade de cuisiniers et cuisinières l’ont cuisinée en ragoût, informe.

    – J’en salive déjà, je sens que je vais avoir un appétit de lionne. J’en suis toute émoustillée.

    – Rappelle-moi le numéro de ta chambre, j’irai éteindre le feu si tu veux, s’engouffre Lucien.

    – Ah ! Vous les hommes vous avez toujours l’esprit déplacé, vous ne pensez qu’à ça. Patientez encore quelques jours et vous allez retrouver vos bouénis et votre vie bien rangée, répond-elle taquine. Mais vous pouvez toujours essayer si vous le voulez, enfin si vous le pouvez car je vous rappelle que je partage la chambre de sœur Jeanne. Je pense qu’elle serait ravie de vous rappeler les méfaits de la luxure comme elle le fait avec les villageois. Voulez-vous que je vous en donne un aperçu ?

    – Bien essayé Lucien, dit-je riant.

    – Je serais ravie de quoi… intervint Sœur Jeanne qui nous observait.

    – Oh ! Rien ma sœur, nous avons prévu d’aller en ville juste boire une dernière flag avant le repas, esquive timidement Lucien.

    – Bien, bien mais ne traînez pas l’heure du repas c’est à pétante, précise sœur Jeanne en souriant.

    – Bon allons-y vite, sinon nous allons y être pour notre pomme et ce n’est pas de l’antilope que nous mangerons ce soir, je crains que nous allions rôtir en enfer, soupire Lucien.

    – Fééliiix, criais-je ?

    – Oui boua…, (je pointe du doigt en sa direction pour lui rappeler de m’appeler Hervé)… Hervé.

    Nous nous installons tous les trois en passagers dans la 4L et je lui lance :

    – Chauffeur chez « Marzie » et au pas de course.

    – Mais…

    – Pas de mais, prend le volant et en route, nous allons fêter dignement notre départ.

    Nous démarrons en trombe et prenons la piste chaotique en direction de la ville. Comme on dit par ici, la piste est gâtée, ça veut dire que la piste est abimée et qu’il y a des nids de poules.

    Assis à l’arrière de la voiture avec Lucien, je me laisse aller à la rêverie en cette fin de journée en regardant défiler par la fenêtre ce paysage à l’atmosphère chaud et lumineux, magique et enchanteur. Même l’air est différent de chez nous, la métropole, l’air que l’on respire ici a une odeur à la fois parfumée et sucrée qui vous pénètre et vous envoûte.

    Le soleil décline à l’horizon en déployant toute sa panoplie de dégradés de rouge, jaune, orange, marron avec un éventail de vert et le tout sur un sol latéritique. C’est un spectacle grandiose et inoubliable que l’on ne voit qu’ici en Afrique.

    Nous arrivons au bar chez « Marzie », Félix se gare devant ou plutôt se pose. Marie-Claude souhaite faire quelques emplettes et ramener comme à son accoutumée des souvenirs pour elle et sa famille. Elle aime se choisir des objets qu’elle arrangera chez elle, de manière à lui rappeler la tranche de vie passée ici ou là et qui figera ce moment.

    – Tiens ! Ben moi aussi je vais en profiter pour faire de même et aller choisir quelques toiles de Korhogo. Ce serait dommage de ne pas acheter de ces toiles ornementales de coton écru qui sont un bel exemple d’art africain et cette tendance est justement originaire d’ici, Korhogo, la plus importante ville du pays Sanoufo.

    Quelques minutes plus tard, nous retrouvons Lucien déjà attablé en grande discussion en nous attendant. Nous nous asseyons à la table bancale dans le coin de la salle, le bâtiment est austère mais la décoration ingénieuse, du style patchwork, rehausse le lieu dans une ambiance très africaine donc colorée et faite de beaucoup d’objets de récupération, bricolés et rafistolés pour une deuxième vie.

    – Tu n’as rien commandé encore, interjette Marie-Claude.

    – Non, comme tu le vois, je vous attendais, je crois que la soirée va être longue, il faut y aller « piola piola » Je faisais la causette avec Zaina.

    – Tu ne faisais pas plutôt tantie* avec elle mon canard assoiffé, lui lançais-je.

    – Non, même pas vrai, rétorque Lucien.

    Zaina revient à notre table et nous lance un :

    – Bonjour les toubabs*, comment allez-vous ce soir ?

    – Bien, lance Marie-Claude.

    – Très bien, nous sommes sur le départ, demain nous levons le camp, dis-je en soupirant. En attendant sers-nous une tournée, pour moi ce sera une flag.

    – Pareil pour moi bien sûr, dit Lucien.

    – Pour moi aussi, renchéri Marie-Claude.

    – Dites la compagnie mais au fait où est passé Félix ?

    – Ton galant, il est là-bas derrière toi, me précisa Zaina en nous servant nos flags, le beau Félix palabre* devant les gazelles* du quartier.

    – Félix viens trinquer avec nous ?

    – Tout de suite j’arrive… Hervé.

    – Prends un verre avec nous, non non pas de mais nous insistons.

    – D’accord, ce sera une sucrerie* pour moi.

    Félix ne boit jamais d’alcool, c’est certainement pour ça qu’il fait aussi office de chauffeur au ministère. Comme il le dit avec humour mais le plus sérieusement du monde, il ne veut pas que les démons prennent possession de son corps. En fait il ne veut pas être saoul et être sous l’emprise de l’alcool, car il sait et voit autour de lui les méfaits : on commence par un verre et puis deux et ainsi de suite…

    Car être saoul représente pour eux de ne plus être maître de ses actes, de son comportement et ça ne va pas de pair avec leur culture et leurs croyances. Pour une fois les superstitions ont du bon, les prédications des vaudous sont prises très au sérieux dans ces contrées reculées de l’Afrique de l’Ouest.

    – Ma petite princesse d’ébène, lançais-je à Zaina, tu nous sers la petite sœur jumelle s’il te plait.

    – Eh bien ! En voilà des familiarités, me dit Zaina en souriant.

    – Ce sont des hommes, seulement des hommes, renchérit Marie-Paule, au bout de deux mois passé ici, ce n’est plus avec la tête qu’ils travaillent, le niveau a bien baissé.

    – Tu veux dire que…, s’essaye en vain Lucien ?

    – Je veux dire que vous allez retrouver vos bouénis et que là on ne vous tient plus, vous êtes comme des fauves en cages. Et pour aller plus loin, pour être plus précise, vous avez la zigounette qui vous démange et vos envies sont comme l’aiguille d’une boussole qui désigne le nord.

    – Ben, bon changeons de sujet, sinon on va nous resservir le couplet de sœur Jeanne sur la luxure, enfin la bagatelle. Et ça commence à être du réchauffé.

    – Oui, tiens en parlant de réchauffé, n’oublions pas l’heure du repas, sinon ce ne sera pas un couplet que sœur Jeanne nous servira, mais plutôt un chapelet de « sermonades » houlala, rappelais-je.

    – Oui, surtout que pour le dernier soir nous aurons certainement droit à quelques festivités à la mission, je n’en doute pas, s’inquiéta Lucien. Les villageois vont en profiter pour organiser un bal poussière*, il ne faut pas les décevoir, allez une dernière tournée pour la route et faire passer la poussière de la journée.

    Le retour se fit dans le calme absolu, nous étions à la fois fatigués par cette longue campagne dans le pays et pensifs de retrouver prochainement notre quotidien et nos habitudes. Chacun était déjà sur son lendemain avec tristesse et nostalgie, c’était le même refrain à chaque fois et nous ne pouvions nous y habituer, c’était comme ça.

    De retour au campement au moment où le soleil déclinait à l’horizon, nous nous attendions à une ambiance festive, certes, mais une surprise nous attendait. Nous trouvons en arrivant une foule dense, compacte qui se tient ci et là dans l’enceinte de la mission, à notre grande surprise et étonnement tout le village doit être là, vu le nombre de personnes. Au sourire entendu de Marie-Claude, je comprends qu’elle est dans le secret des dieux, il est vrai qu’elle dort plus près que nous du bon dieu, apparemment les réjouissances seront plus importantes que ce à quoi nous nous attendions.

    A notre arrivée les gens commencent à entonner tous en cœur une chanson traditionnelle au son des tam-tams dans une ambiance… ouf !… Qui vous prend là, vous assaille, vous pétrifie, vous subjugue et vous charme. La joie et la bonne humeur se lisent sur les lèvres de chacun et chacune.

    Toute notre équipe est rassemblée et nous entoure à notre descente de voiture, même les religieuses, infirmières et les malades valides sont tous là en rang d’oignons, je sens Lucien se raidir, non, on ne va quand même pas chialer, nous vivons un moment exceptionnel, le réel et l’irréel à la fois, on est pris là, soulevé et emporté.

    Notre équipe est ici à nos côtés ça nous touche et nous flatte, je comprends maintenant leur refus de venir trinquer en ville avec nous. C’est leur manière à eux, ainsi qu’aux villageois de nous remercier du travail accompli ici, et commencé il y a deux ans auparavant dans cette région reculée. Nous réalisons que nous avons atteint une étape, nous sommes à un changement important pour eux et ils l’ont très bien compris. Pas besoin de paroles, ni de grandes explications, nous le lisons dans leurs yeux comme dans un livre ouvert, ces gens sont sincères et généreux.

    L’émotion est palpable et présente dans les deux camps, nous sommes à un carrefour, à la croisée de nos chemins respectifs et justement nos chemins se séparent maintenant, chacun doit et va prendre une direction différente.

    Maintenant sur le terrain c’est notre équipe ivoirienne qui va prendre le relais pour pérenniser ce qui a été mis en place, surtout étendre et développer ce que nous avons fait ici et là avec eux, pour le généraliser géographiquement à d’autres régions. Nous avons travaillé ensemble sur une demi-douzaine de sites et secteurs pilotes répartis sur le territoire national, nous réalisons là maintenant que nous inscrivons le mot fin, que nous avons ce mot fin entre nos mains.

    Nous avons le cœur serré, Lucien lui si imperturbable et détaché d’habitude a la larme à l’œil et se tient tout penaud.

    Fin de notre séjour ici et nous en inscrivons le mot fin, nous n’avions pas réalisé, ni pensé dans le feu de l’action à cette issue, pourtant inéluctable de cet instant. Nous sommes pétrifiés, figés et partagés entre joie et tristesse. Je lance un regard à Lucien qui est dans un autre monde, une autre planète à se demander ce qui lui arrive. Je me détourne ensuite vers Marie-Claude tout aussi saisie, elle me fait comprendre du regard qu’à la fin des chants il faudra dire quelques mots. Je comprends qu’il faut que ce soit un homme et je ne peux pas compter sur Lucien qui est toujours sur orbite, je vais donc m’y coller et improviser.

    Toute la mission est rassemblée au garde à vous, sœurs, infirmières, cuisinières, malades. Tous sont à l’unisson, nous tous qui avons œuvré pour mieux exploiter la terre et mieux gérer le bétail, mieux tirer profit de tout, nous avons fait ça pour eux, avec eux. Chez nous en métropole cela parait et est naturel, mais ici, au cœur de l’Afrique, c’est un tout autre contexte, un tout autre message, une toute autre signification.

    Cultiver cette terre aride et capricieuse demande beaucoup de patience, de détermination et d’imagination, le travail est âpre sans aucune garantie de résultat, le terre demande de s’adapter avec les humeurs climatiques, la contrainte des animaux sauvages et des insectes dévastateurs, de fournir des efforts pour réaliser des prouesses à la force du poignet et la sueur du front.

    Bien sûr nous réalisons ça pour eux, c’est notre travail, notre job, nous effectuons des choses normales et classiques, rien d’extraordinaire. Ces gens autour de nous viennent nous en rendre grâce aujourd’hui, nous comprenons mieux ce que sœur Jeanne et les autres sœurs ressentent dans leur quotidien, elles qui œuvrent pour soulager ces gens de leurs maux et leur transmettre un certain savoir-vivre et une éducation.

    Je trouve dans la mission de ces sœurs une noblesse et les sacrifices qu’elles font méritent le respect et plus important encore, elles donnent et consacrent leur existence ou une bonne partie. Pour moi il n’y a pas de commune mesure entre ce qu’elles font et ce que nous faisons. Elles sont, je pense, « rétribuées » chaque jour un petit peu en retour de ce qu’elles dispensent et reçoivent chaleur et bonté, ce qui les aide, j’imagine, dans l’accomplissement de leur mission dans leurs tâches quotidiennes.

    En tout état de cause nous vivions ici tous en parfaite harmonie et communion, mais à la différence de nous, les sœurs en reçoivent chaque jour un peu de reconnaissance d’une manière distillée, à petite dose, à l’inverse de nous qui prenons le « paquet » « le gros paquet » comme ça d’un coup en pleine figure. Cà vous déstabilise, il faut se frayer un chemin et résister à ce vent fort qui vous prend par surprise, il faut lutter et s’accrocher pour résister à ce qui vous submerge. C’est comme si vous preniez un gros paquet de mer à votre première sortie, un gros grain quoi, ça vous secoue, ça déménage.

    Puis soudain les chants s’arrêtent, suivi du calme des tam-tams qui s’interrompent à leur tour, faisant place à un silence sourd et pesant, un silence sourd et pesant pour nous mais pas pour eux, car c’est naturel ils vous regardent et vous dévisagent, ça fait partie de leurs personnages. Ils semblent nous dire, nous vous avons montré et exprimé notre reconnaissance, à vous maintenant de nous dire comment vous l’avez reçu et ressenti, oui c’est, comme un jeu de rôle. Ils ne sont pas pressés, ils ont tout leur temps et semblent nous dire prenez votre temps, nous attendons.

    Durant les quelques secondes qui suivent me semblent de longues minutes, de très longues minutes, je regarde tous ces gens nous dévorant du regard avec des yeux qui scintillent dans la pénombre aux seules lumières des feux de bois allumés pour réchauffer leur pitance.

    Dans cette nuit qui maintenant a déplié son grand manteau noir, des centaines de paires d’yeux sortent de cette pénombre, ces yeux brillent et nous dévisagent. Ils attendent patiemment qu’il se passe quelque chose. Ils donnent l’impression de fauves à l’affut, guettant tranquillement une proie en sachant qu’elle ne peut leur échapper.

    Ils attendent tout simplement une réaction, tranquillement et patiemment, ils sont venus pour ça. Cette ambiance est déstabilisante pour nous les toubabs.

    – Lucien ? Interpelais-je discrètement.

    Pas de réponse, il me fait juste un signe d’une main crispée voulant me dire, je ne suis pas là, débrouille-toi. Lucien pétrifié s’est transformé en statue, cristallisé en quelque sorte, il dégouline de sueur et ce n’est pas à cause de la chaleur. Quant au même moment Marie-Claude me donne un discret mais sec coup de pied à la cheville pour que j’agisse.

    Bon, ben quand faut y aller, faut y aller, même quand l’eau est trop froide. Je sors de ma torpeur mais le silence est toujours aussi pesant. Je prends mon plus beau sourire et m’avance à pas compté vers Taji et Jawad.

    Je ne sais quoi faire, ni quoi dire, tous ces gens attendent seulement une réaction, quelque chose de nous mais quoi et surtout comment, un discours ils n’en ont que faire et de plus certains ne comprendront pas ce que je dis car ils sont bien plus à l’aise dans leur dialecte.

    Quand tout à coup en regardant sœur Jeanne la lumière me vient. Je me place entre Taji et Jawad, je les prends tous les deux par les épaules et je dis seulement ces quelques mots salvateurs.

    – Nous sommes tous trois très heureux de votre reconnaissance, d’avoir partagé ces bons moments au sein de votre village et de votre communauté.

    Je laissais le temps à Jawad pour traduire mes paroles dans leur dialecte pour ceux qui ne comprennent pas le français.

    Je repris :

    – Nous sommes aussi heureux d’avoir pu contribués à l’élaboration et la mise en place de ce projet ambitieux qui est amené à s’étendre et se généraliser géographiquement sur votre territoire de la Côte d’Ivoire.

    Je suis persuadé et même convaincu que les aménagements de développement mis en place ici, vous saurez les appliquer, les exploiter, travailler dans ce sens et vous les approprier pour le bien de votre communauté.

    Traduction dans leur dialecte.

    J’enchaine avec ferveur.

    – Aujourd’hui je vous dis solennellement, (À ce moment-là, je sens Lucien réagir et sursauter, il reprend enfin ses esprits) que nous croyons en vous, vos capacités et pour pactiser ce moment, nous allons transmettre le flambeau à Jawad et Taji, ceux sur lesquels vont reposer désormais la responsabilité de la pérennité de notre travail et notre collaboration avec vous tous, et bien sûr sans oublier l’équipe toute entière dévouée et impliquée, tous ensemble pour un but commun, faire fructifier votre agriculture et l’élevage pour votre indépendance et survie.

    Traduction dans leur dialecte.

    Je sais qu’ils feront preuve de rigueur, de méthode et d’organisation. Ils travailleront en ce sens pour votre autonomie de vie pour vous permettre de prendre maintenant votre avenir d’Ivoirien en main.

    Ils y arriveront, oui certes, mais pas seuls, il faudra la contribution de chacun de vous avec plus particulièrement l’aide précieuse de toute l’équipe en place qu’il faudra étoffer. Cette équipe a acquis au cours de ces deux années de cette fructueuse collaboration, le savoir, les connaissances et la compétence, elle a reçu tous les outils pour mener à bien et accomplir la suite de cette mission qui vous est confiée aujourd’hui.

    Nous continuerons cependant à superviser et vous épauler dans votre action.

    (Traduction dans leur dialecte.)

    Pendant que Jawad traduisait, je réfléchissais et cherchais une idée ou un objet pour matérialiser cette transmission…

    Soudain, je sentis au travers de la poche de ma saharienne, l’objet qui ferait l’affaire.

    – Suis-moi bien Lucien et fais comme moi, lui lançais-je en douce.

    Je repris la parole :

    – Pour matérialiser cette transmission de flambeau que nous vous passons aujourd’hui, tout comme le ferait un athlète ; Jawad je te donne en guise de témoin ma boussole – Lucien est de nouveau avec nous – il sort la sienne et la donne à Taji.

    Jawad et Taji sont surpris et fiers car ils savent que nous tenons à cet objet dont nous leurs faisons cadeau, ils ont les yeux pétillants de joie et brillants comme des étoiles, ils reçoivent ces instrument de mesure avec fierté et respect. Ce sont des boussoles clinomètres forestières de relèvement, ce sont à leurs yeux comme des bijoux précieux que nous leur offrons et ils en sont fiers et honorés. Ces objets représentent pour eux un cadeau d’une grande valeur.

    Nous nous congratulons ainsi qu’avec les membres de l’équipe, les villageois crient et applaudissent. A cet instant sœur Jeanne qui avait regroupé les enfants leur fait entonner un chant qui embrasa l’atmosphère. La fête pouvait commencer.

    Les gens s’approchèrent de nous, ils nous encerclèrent et ils discutaient entre eux, échangeaient un point de vue, ou donnaient un avis, maintenant ils voulaient nous toucher, ils voulaient toucher et palper cette différence. Ces villageois voulaient toucher, palper du toubab, de l’homme blanc, tâter à leur tour le réel et l’irréel.

    Sœur Jeanne s’approcha de nous à son tour et nous étreignit avec amour et complicité.

    Elle me glissa à l’oreille :

    – Tu as très bien parlé Hervé, ton message était juste et généreux, plein d’allant et d’entrain. Tu diras à la civilisation de la métropole qu’ils ne sont pas si sauvages que ça, ces Africains. Ils sont sensibles, entiers et généreux, ils ont juste besoin qu’on leur montre le chemin pour les guider vers un monde plus confortable et meilleur. Tu comprends maintenant ce qui m’anime et m’illumine, la richesse est là, il faut juste savoir la regarder et la cueillir, tout passe par le partage.

    – Oui, Jeanne, oui, oh ! Pardon ma sœur, oui sœur Jeanne.

    Ce moment intense en émotion restera gravé dans nos mémoires de toubab. Ces gens n’ont rien, possèdent si peu de choses et pourtant ils nous offrent le peu dont ils disposent, ils nous ouvrent leur cœur et nous donnent leur confiance.

    Marie-Claude s’approche de moi à son tour, je vois dans ses yeux humides, bien que dans la confidence, elle est touchée et bouleversée par ce que nous venons de vivre. Elle m’informe qu’elle avait pris l’initiative hier d’envoyer Jawad et Taji en ville acheter des boissons sur notre compte et qu’il y en avait pour tout le monde. Je la félicite de cette délicate attention, les femmes pensent à tout.

    La musique reprend aux sons rythmés par les tam-tams, les chansons expriment ce que les gens ressentent et les mélodies se déroulent comme des 45 tours.

    Tout le monde trinque, Marie-Claude a bien fait les choses, il y a des sucreries*, des flags* et du bandji*. Les cuisinières ont préparé de l’olloco* et les sœurs passent de groupe en groupe avec leurs bassines remplies. Je savoure ma flag et déguste l’olloco* en me laissant bercer par cette ambiance chaude et chaleureuse. Je profite de ma dernière soirée africaine au milieu de la savane.

    Puis chacun va s’assoir pour manger, les villageois forment de

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