Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Débardeur de vies…: Tome 1 : L’amorce
Débardeur de vies…: Tome 1 : L’amorce
Débardeur de vies…: Tome 1 : L’amorce
Ebook663 pages8 hours

Débardeur de vies…: Tome 1 : L’amorce

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

La ville de Notre-Dame-du-Chêne est assaillie par une suite d’événements criminels qui débute, lors d’un orage, par une tentative de meurtre sur un psychocriminologue. La victime se nomme Anthony Alvaro. Au sein de l’organisme communautaire « La métanoïa », il travaille auprès des alcooliques et des toxicomanes hors-la-loi. Ce crime initial, est-il le résultat d’une vengeance exercée par un client déçu ? Ou a-t-on voulu éliminer une personne qui en savait trop ? Ou est-ce un message envoyé aux forces de l’ordre de se tenir loin du crime organisé ? La po-lice est plongée dans une confusion inévitable et dans une effroyable ambiguïté. Récupération politique, intrigues, secrets. Une anxiété généralisée imprègne la société dans son ensemble qui se retrouve divisée entre la droite et la gauche. Une chro-nique, heure par heure, du drame et de son dénouement.
LanguageFrançais
Release dateJan 30, 2017
ISBN9791029006395
Débardeur de vies…: Tome 1 : L’amorce

Related to Débardeur de vies…

Related ebooks

Crime Thriller For You

View More

Related articles

Related categories

Reviews for Débardeur de vies…

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Débardeur de vies… - René A. Gagnon

    Paris

    Du même auteur

    2e édition : format ePub : Débardeur de vie… - Tome 2, « La poursuite », roman, René A. Gagnon, Centre d’entraide La boussole inc. & Kobo,, ISBN 978-2-924742-01-3

    http://renegagnonauteur.com/index.html

    1ère édition, Débardeur de vie… - Tome 2, « La poursuite », roman, René A. Gagnon, Fondation littéraire Fleur de Lys, Québec, 2014, 364 pages. ISBN 978-2-89612-494-7. Couverture souple couleur, format 6 X 9 pouces, reliure allemande.

    http://www.manuscritdepot.com/a.rene-gagnon.2.htm

    © 2014, René A. GAGNON, enregistrement 1110804. L'auteur conserve les droits d'auteur sur ses contributions à ce livre.

    Tous droits réservés. Toute reproduction de ce livre, en totalité ou en partie, par quelque moyen que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur. Tous droits de traduction et d’adaptation, en totalité ou en partie, réservés pour tous les pays. La reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque moyen que ce soit, tant électronique que mécanique, et en particulier par photocopie et par microfilm, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.

    Image de la page couverture : Photo Pixabay libre de droit et publiée sous licence Creative Commons CC0.

    4e édition

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    www.chapitre.com/

    ISBN : 979-10-290-0635-7

    Dépôt légal – Janvier 2017

    Bibliothèque nationales de France

    3e édition, eBook

    Lulu Press, Inc.

    627 Davis Drive, Suite 300, Morrisville, NC 27560, USA

    www.lulu.com

    ISBN : 978-2-924742-02-0

    2e édition, format ePUB

    Centre d’entraide la boussole Inc.

    96, rue Principale, Bureau 202, Granby, Québec, J2G 4T9

    www.centrelaboussole.ca

    ISBN : 978-2-924742-00-6

    Dépôt légal – 3ème trimestre 2016

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives nationales du Canada

    1ère édition, format papier ou PDF :

    Collection Le peuple en écriture

    Fondation littéraire Fleur de Lys,

    Lévis, Québec, 2014, 468 pages.

    Disponible en version numérique et papier

    https://fondationlitterairefleurdelysaccueil.wordpress.com/

    ISBN : 978-2-89612-456-5

    Dépôt légal – 2ème trimestre 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives nationales du Canada

    © Les Éditions Chapitre.com, 2017

    ISBN : 979-10-290-0639-5

    Dédicace

    À June, mon épouse chérie,

    qui a bien voulu me combler de son amour,

    partager sa vie avec la mienne

    et sut m’endurer,

    me résister

    et m’encourager en toutes occasions

    depuis le mois de juin 1990;

    À notre fille Aurélie

    et à son amoureux, Philippe,

    aux fils de mon épouse,

    Stéphane, Ghislain et Jonathan;

    à ma bru Karen ;

    aux petits-enfants,

    Marc-Antoine, Lilyrose et Océane;

    un grand merci à vous tous

    qui avez contribué à édifier l’homme que je suis.

    AVERTISSEMENT

    Ce roman est une véritable fiction et toute ressemblance avec des personnes connues est tout à fait fortuite et pure coïncidence. Les noms de tous les personnages sont de véritables créations, étant sauf le nom de la fondatrice des sœurs de l’Immaculée-Conception, et ils ne se réfèrent à aucune personne vivante ou décédée. Le fait de donner des noms à tous les personnages, cela donne l’impression qu’ils existent vraiment dans la réalité.

    En toutes circonstances, la liberté créatrice de l’auteur s’est exprimée. L’art du roman n’est-il pas de rendre crédible l’imaginaire de l’auteur ?

    Je vous remercie de tout cœur, chère lectrice et cher lecteur, de tenir compte de cet avertissement.

    René A. GAGNON

    Citation liminaire

    Ps 69 ( 68 ), 10 :

    « Oui, le zèle pour ta maison

    m’a dévoré »

    Traduction œcuménique de la Bible

    Jour 1

    Accepter des réalités que la vie nous présente et sur lesquelles nous n'avons aucun pouvoir passe par l'acceptation de notre impuissance à changer quoi que ce soit.

    René Gagnon

    Dans Facebook Centre d’entraide La boussole Inc.

    (25/10/2013)

    1 — Y a eu son compte

    21 h 19

    Il ne perd rien pour attendre celui-là ! Regardez-le s’agiter comme s’il dominait l’univers. C’est aujourd’hui que ça arrête. Stop, rien ne va plus. Fils de pute !

    À travers une fenêtre, au deuxième étage d’un duplex, on apercevait un homme qui discutait au téléphone, le combiné coincé entre sa tête et son épaule gauche. Il semblait s’exprimer autant avec ses mains qu’avec ses lèvres.

    — Tu parles d’une idée d’ouvrir un bureau sur une artère habituellement très passante. Espèce de crotté ! Y est entouré de duplex. Un quartier propre, mais pauvre. Ces logements doivent déborder d’écornifleurs et de vieilles pies rabougries. Je ne veux pas courir le risque de me trouver en présence des témoins. Je ne peux pas le tirer toute de suite. Viande à bibittes ! Trou du cul !

    Il pleuvait beaucoup… une véritable pluie torrentielle s’écoulait par une fin de chaude soirée, vers l’achèvement de l’été. La ville de Notre-Dame-du-Chêne attendait avec impatience ce déversement orageux pour chasser un degré d’humidité étouffant qui persistait depuis trois jours. Le thermomètre se maintenait aux environs de 31⁰ C durant le jour et il ne descendait pas plus bas que 25⁰ C après le coucher du soleil. Avec un taux d’hygrométrie de 65 %, la température ressentie quelques heures après l’aurore s’élevait à 42⁰ C et à 31⁰ C la nuit. Éviter tout effort physique s'avérait donc préférable.

    — Il me fait suer l’écœurant ! J’en ai vu du monde à l’hôpital aujourd’hui ! C’est effrayant ! « Colisse » que ça allait mal ! Ç’a pris des heures avant qu’un médecin examine mon gars.

    Les aînés, les cardiaques, les asthmatiques et tout autre individu qui souffrait d’une maladie pulmonaire éprouvaient beaucoup de difficultés à respirer normalement. Les salles d’urgence des établissements des soins de santé de la région étaient occupées à 145 % et le personnel infirmier ignorait où entasser les patients. En cette troisième journée de canicule, une panne d’électricité de plus de deux heures s'était même produite. Les autorités de la Santé publique avaient craint le pire, mais heureusement, on ne déplorait aucune mort imputable au climat. Par contre, la très grande chaleur avait certainement épuisé les malades les plus faibles. Dans les statistiques, l’on n’attribuerait pas les prochains décès aux conditions météorologiques comme ceux qui s’étaient produits ailleurs dans la Province du Québec. Les seules personnes qui avaient perdu la vie ces derniers jours dans les diverses institutions de soin de la région se trouvaient déjà en phase terminale.

    — Tu ne comptes sûrement pas mourir dret là, salopard ! Un sourire ne déguiserait pas ta maudite face ! La grande faucheuse va te surprendre, chien sale. J’anticipe ce moment avec une méchante satisfaction. Chaque seconde qui me sépare de mon but augmente mon plaisir. Quasiment un orgasme ! Un vrai trip de toxico avant qu’y s’injecte sa dose ! Espèce de pourriture ! Tu ne perds rien pour attendre ! T’es rendu à ta dernière heure et tu l’ignores. Ton temps est compté ! Salaud !

    Dans les mouroirs, l'on avait espéré longuement, voire désiré, l’ultime soupir. Mais pour leurs proches, même dans le cas d’un aboutissement souhaité, cela représentait un choc. Car la fin une vie humaine signifie qu'une rupture définitive s'est produite avec la personne qui avait partagé avec eux leurs passions, leurs joies et leurs difficultés. Pour d’autres, ils seraient débarrassés d’un être qui les avait fait tant souffrir. Pour d’autres, encore, cela les laisserait totalement indifférents en raison du faible lien tissé entre eux et certains pourraient se demander si une relation quelconque avait déjà existé. Pour plusieurs, autant les membres de la famille que la personne mourante étaient soulagés.

    — Y aurait pas pu travailler hier soir, ce dégueulasse-là ! Avec toute cette pluie, j’espère que je ne manquerai pas mon coup. Ordure !

    Les citoyens, au contraire, saluèrent cet orage comme un don venu directement du ciel en ce mardi 30 août 2011. La nature aussi semblait se délecter de cette douche providentielle. Les arbres, les plantes décoratives et les gazons chantaient tous un cantique de remerciement à la déesse-mère, la terre.

    — Enfin, tu sors de ta tanière. Oui, cours à ton auto pour pas te faire mouiller ! La chasse commence ! Charogne ! Tu prends vraiment tout ton temps pour démarrer. Quoi ? Tu n’empruntes pas ton chemin habituel ? Tu déranges toujours mes plans, fumier ! Tu vas y goûter pour le vrai, cette fois-là ! Inquiète-toi pas, je te suis ! On roule. Quoi ? On se rend dans la partie sud de la ville ? Au lieu de se diriger à l’ouest ?

    Les puisards n’arrivaient pas à engouffrer toute cette eau qui dévalait des trottoirs et dans les chemins publics. Elle entraînait avec elle de la boue et des cailloux qui provenaient d’un terrain vague où se construisait un supermarché d’alimentation. Une nappe aqueuse recouvrait certains endroits. Non loin de là, deux stations-service s'étaient établies. Elles se faisaient presque face de chaque côté de la rue Maurice. Ainsi l’on pouvait desservir les clients de cette artère principale qui longeait la rivière Ohanko, nom amérindien qui signifie « nerveux ». Jérôme Aubert de la Chesnaye et Adam Chouart des Groseilliers avaient fondé le village de Notre-Dame-du-Chêne au XVIIIe siècle. Ils avaient choisi de s’établir à cet endroit particulier parce que la rivière offrait un bon potentiel pour l’érection d’un moulin. Maintenant, elle divisait la municipalité en deux parties inégales, environ un tiers au nord et deux tiers au sud de ce cours d’eau. En direction est, la rue Maurice menait au centre-ville et en sens inverse, les gens pouvaient quitter la ville. L’une des deux stations-service abritait le dépanneur¹ « Chez Edmond » et l’autre, le service de location de films « Montpetit vidéo ». En cette fin de journée, en raison du mauvais temps, très peu de clients s’arrêtaient pour remplir leur réservoir d’essence. Encore moins de gens se présentaient pour acheter quelques nécessités oubliées à l’épicerie ou pour louer une production cinématographique.

    — Oh ! C’est tranquille ici. La déflagration de la foudre va couvrir mon tir. De mieux en mieux. Satanée peste !

    Parfois, le tonnerre se faisait entendre dans des grondements qui semblaient causer un léger tremblement de terre. En d’autres moments, les éclairs lézardaient l’espace céleste, se frayant un chemin au travers de nuages noirs, gonflés à bloc d’une colère trop longtemps retenue. La lumière ainsi projetée avec force imprimait un avertissement divin dans un ciel mouvementé. Les éclats d’illuminations affichaient de manière embrouillée, en raison de la chute diluvienne de pluie, bâtiments et paysages comme une peinture surréaliste. Le tonnerre retentissait tout comme l’effet d’un caisson de grave et les feux de la foudre de stroboscope. Il ne manquait plus q'un DJ adepte du speed² qui lancerait sa musique à tout venant pour figurer se retrouver dans un club de danse. Ou pire encore, de se voir catapulter dans un mauvais film d’horreur. La nature se dessinait-elle la complice d’intentions malveillantes ou représentait-elle seulement l’interprète ?

    — Parfait ! Il veut effectuer le plein d’essence. Il va se montrer. Une proie facile. C’est plus intéressant que la chasse aux canards. Mon père ignore totalement le bénéfice qu’il m’a rendu en m’initiant à tirer du fusil. Viser juste et tuer ! Chien sale !

    Une voiture en très bon état d’usage malgré ses dix ans, s’arrêta pour prendre de l’essence à la station-service « Montpetit Vidéo » en direction ouest. Sur les quatre pompes en service, elle fut garée près de la pompe la plus près de la porte d’entrée du magasin.

    On devait insérer une carte de crédit ou de débit dans l’ordinateur des pompes près de la rue si l’on désirait obtenir de l’essence. On avait instauré cette pratique pour éviter les vols. Aux deux premières pompes, les clients pouvaient payer à la caisse et bénéficier des avantages offerts par la carte CAA³. Voulant profiter de cette prime, un homme qui avait atteint le début de la cinquantaine s’était garé à l’endroit approprié.

    — Y est pas capable de me faciliter la tâche ! Espèce de dégueulasse ! Il fait exprès même sans le savoir. Peau de vache ! Les pompes vont le dissimuler. Patience ! Au paiement, je l’aurai, le verrat !

    Il ouvrit donc la portière et sortit en direction de la pompe. Apparut un individu de taille moyenne et pas un gramme de gras sur tout le corps. Plusieurs connaissances de son entourage l'enviaient. Il portait une courte barbe de même couleur que ses cheveux bouclés poivre et sel. Un pantalon noir et un polo jaune éclatant renforçaient son attitude joviale. Il fit le plein. Il se dirigea vers le club vidéo, portefeuille en main, pour payer son essence. Soudain, entre deux détonations du tonnerre, lorsqu’il ouvrait la porte, un coup de feu retentit. La balle perfora la vitre de la porte d’entrée pour se loger dans l’abdomen de cet homme. L’individu tomba sur le dos. La jeune femme qui se tenait à la caisse se cacha derrière le comptoir et elle se mit à pleurer avec frénésie. Accroupie, tout en sanglotant, elle reprenait sans cesse à haute voix qu’elle ne voulait pas mourir, qu’elle devait s’occuper de son bébé.

    — Y a eu son compte, ce maudit suppositoire qui pousse dans le trou de cul de tout le monde ! La douille ? Mais où est la douille ? Ce n’est pas le temps de moisir ici. Je décolle.

    Une voiture se défila alors à vive allure en direction ouest. Elle était conduite par le cerveau de cette machination perverse pour éliminer un individu qui en savait trop sur sa personne... La pluie avait emporté la douille. Elle était tombée dans le puisard qui était situé à quelques mètres seulement de l’endroit où l’on avait tiré un coup de feu.

    2— Combat pour la vie

    21 h 34

    Personne d’autre ne se retrouvait à l’intérieur, personne pour appeler des secours, pour composer le 9-1-1. Le blessé, déposant ses deux mains sur la plaie, se disait à voix basse pour se rassurer lui-même que tout allait bien se passer. Il le répétait non seulement pour lui-même, mais également pour la jeune femme. Non pour la calmer, mais pour la faire taire parce qu’elle le stressait davantage. Plus le temps s’écoulait, plus le sang se répandait, plus il recouvrait une étendue de plus en plus grande. La flaque rouge contrastait sur ce plancher de tuiles blanches qui venait tout juste d’être lavé pour la bonne raison que l’heure de la fermeture approchait. Une légère odeur de javellisant flottait dans l’air. Tout près de la porte, une vadrouille trempait dans une chaudière en plastique jaune sur laquelle reposait une essoreuse.

    Il tentait de demeurer le plus calme possible dans cette circonstance pour éviter que sous l’effet de la tension, son cœur ne batte plus vite pour contrer l’état de choc. Ainsi, il pourrait éventuellement empêcher qu’il ne se vide de son sang plus rapidement. L’homme se questionnait tout de même quand la femme reviendrait de sa crise de panique et appellerait des secours. Il ne pouvait éliminer totalement la probabilité de mourir au bout de son sang. Quelqu’un peut-il lui fermer le clapet ? songeait-il.

    Le bruit de la sirène d’une autopatrouille⁴ de la Sûreté municipale⁵, à peine identifiable et puis de plus en plus fort, indiquait qu’une assistance arriverait bientôt.

    La cacophonie résultant de la rivalité entre le tonnerre et la sirène, à savoir lequel remporterait la compétition du plus grand vacarme et, en arrière-fond, les pleurs hystériques de la jeune dame stressaient indéniablement le blessé. Cet amalgame disparate de sons ne faisait qu’amplifier sa douleur. Il ignorait s’il tiendrait encore les secondes nécessaires du combat pour la vie… Il se redisait que tout allait bien se passer de façon de plus en plus lente et de moins en moins audible. Il se rappela le visage de sa femme bien-aimée. Il concevait la peine qu’elle subirait s’il perdait la vie, elle qui avait déjà vécu un veuvage quelques années avant leur mariage. Bien des fois, ils avaient discuté qu’il fût préférable qu’ils meurent ensemble après une belle vieillesse. Ou bien qu’elle décède avant lui parce qu’elle ne se sentait pas capable de connaître un autre veuvage. « À chacun son tour, mon époux adoré, de perdre un être cher » avait-elle mentionné, lors de ces échanges. La douleur morale causée par ses pensées avait pour effet d’accentuer sa souffrance. Des larmes perlèrent dans ses yeux. Est-ce que je pourrais tenir quelques secondes de plus ? Se questionnait-il. Pour elle… et des gouttelettes glissèrent à ce moment-là de chaque côté de sa tête. Pour elle… Il se dit, pour retenir sa peine, que le moment de broyer du noir n’était pas encore venu. Il était convaincu que de ne pas trop s’inquiéter pour son épouse lui semblait préférable, après tout, il se retrouvait probablement en train de mourir. Selon lui, garder ses énergies lui apparaissait souhaitable pour guerroyer contre le sommeil éternel. Avec le temps s’écoulait la vie lentement et inexorablement hors de cet homme. Il se sentait partir... Sa conjointe l’avait toujours décrit comme un mari plutôt passif dans sa relation de couple, pas très combatif. Laisserait-il paisiblement la mort venir à lui comme une amie ? Donnerait-il raison à sa femme ? Dans ce moment comme dans bien d’autres auparavant, il avait compris qu'épouser la douleur s'avérait préférable pour être en mesure de composer avec celle-ci. En se révoltant contre elle, en tentant de s’y opposer et de lutter contre elle, le stress psychologique est intensifié et inéluctablement la douleur s'en retrouve plus difficile à supporter.

    3— Arrivée des secours

    21 h 37

    Un policier entra à toute vitesse, son arme à la main. Il s’attendait à rencontrer une résistance de la part d’un individu armé. Il se pencha en direction de l’homme couché sur le sol et il posa un genou par terre, en prenant soin de ne pas tacher son pantalon avec du sang. Le blessé remuait les lèvres. L’agent de la paix mit son oreille tout près du visage du blessé. Il entendit presque imperceptiblement… « Pour elle…, pour elle… »

    Puis l’homme commença à sombrer dans l’inconscience. Le policier rengaina son arme tout en disant ces quelques mots : « Monsieur, restez avec nous ! Restez avec nous ! »

    La victime se sentit secouée par cette interpellation. De sa bouche expirante sortirent ces mots : « À mon bureau… »

    Puis, la conscience quitta l’homme.

    Avec une blessure par balle, une hémorragie interne était à craindre et exercer une pression sur la plaie n’était pas recommandé. Ce geste aurait causé un accroissement du saignement. En constatant l’inconscience du blessé, l’agent Beauchemin ouvrit le portefeuille qui traînait par terre pour découvrir l’identité de la victime. Il saisit le permis de conduire afin de pouvoir prévenir sa famille et le remettre aux enquêteurs.

    Un autre policier entra et, en contournant son collègue et le blessé, il faillit poser un pied dans la flaque de sang. Il se dirigea vers le comptoir et tenta de calmer la femme qui subissait un état de choc. Elle répétait inlassablement qu’elle ne voulait pas mourir et qu’elle devait prendre soin de son bébé. Heureusement, la sirène d’un véhicule d’urgence santé annonçait l’arrivée des secours médicaux. Le second gardien de la paix, dans son walkie-talkie, demanda l’aide d’une deuxième ambulance. L’agent Couillard s’agenouilla devant cette femme. Il lui chuchota à l’oreille que, maintenant, tout était fini et que le danger s’était estompé. Elle continuait de pleurer et de reprendre incessamment les deux mêmes phrases. Il lui disait tout naturellement, comme pour consoler un enfant, « tout doux »… « tout doux ». Il répétait ces simples sons tout comme un parent sifflote une berceuse. Couillard se leva et il saisit les deux mains de la femme dans le but de l’aider à se relever. Elle se redressa de peine et misère, car les muscles de ses jambes s’étaient raidis, engourdis, comme si son sang ne les avait pas suffisamment irriguées. Incapable de se tenir debout, elle s’accrocha au bras du policier afin de ne pas s’écrouler. Couillard, pour la soutenir, l’approcha de lui et elle se laissa tomber sur sa poitrine, la tête appuyée contre son épaule. Étant de petite taille et étant enlacée dans les membres supérieurs très puissants de cet agent de la paix qui inspirait plus la confiance que la terreur, elle se détendit complétement. Couillard sentit que tous les muscles de la jeune femme se relâchaient. Ses pleurs devinrent plus espacés. Elle disait à présent qu’elle ne veut pas perdre son bébé.

    À peine quatre-vingt-dix secondes après l’arrivée des policiers, un véhicule d’urgence santé se présenta. Les ambulanciers, Logan Éthier et Zach Imbeault, s’exécutèrent. Ils donnèrent les premiers soins requis. Ils lui mirent un support au cou et une canule dans la bouche pour maintenir les voies respiratoires ouvertes. Puis ils l’installèrent sur une planche de bois au cas où le projectile aurait fracturé la colonne vertébrale. Enfin, ils déposèrent sur la plaie des bandages pour absorber le sang. Finalement, ils transportèrent, à pleins gaz, la victime au Centre hospitalier Gabriel Lalemant. L’agent Beauchemin avait confié, à Logan, le portefeuille de l’homme touché par balle aux fins d’identification avec la carte d’assurance-maladie. Le trajet ne durerait que quelques minutes. Trois, tout au plus. En raison de l’orage, peu de voitures se déplaçaient en ville. Cela permettait la fluidité dans la circulation. La pluie recommandait tout de même la prudence. Le conducteur de l’ambulance, Zach, décida quand même de parvenir à l’hôpital le plus rapidement possible pour sauver la vie de la victime. Les Éthier et Imbeault avaient conclu que, fort probablement, le foie avait été atteint. Dans ce cas-là, chaque seconde comptait et une intervention chirurgicale d’urgence s’avérait nécessaire dès son arrivée à la salle des premiers soins. Zach ne prit que deux minutes trente-six secondes pour parcourir le trajet au risque de se faire suspendre par son employeur. Les paramédicaux étaient soumis à des règles de conduite du véhicule ambulancier que même une escorte policière ne pouvait annuler. Zach Imbeault était un jeune homme, fin de la vingtaine, d’un naturel joyeux. Il se disait qu’une suspension de deux jours ne changerait pas grand-chose à sa situation financière et qu’il préférait sauver une vie plutôt que de se protéger les fesse

    4 — Deux asperges pas très « bios »

    21 h 39

    Le propriétaire du dépanneur situé de l’autre côté de la rue était un homme dans la soixantaine avancée. Il regardait par sa vitrine le reflet ondé des gyrophares, des rouges et des bleus, sur l’asphalte recouvert d’une couche d’eau qui courait vers les égouts. L’épais rideau que constituait la pluie torrentielle empêchait d’apercevoir clairement ce qui se déroulait chez son voisin d’en face. La visibilité s’avérait presque nulle malgré tout l’éclairage intérieur et extérieur du bâtiment « Montpetit Vidéo ». Le constructeur était loin d’avoir lésiné sur les lampadaires et luminaires de toutes sortes. La façade de « Montpetit Vidéo » était totalement vitrée afin de décourager des voleurs éventuels parce qu’ils pouvaient être vus aisément du dehors. Ainsi, un passant pourrait alerter rapidement la police. Le propriétaire du dépanneur avait composé le 9-1-1. Il attendait qu’un agent de la paix vienne à lui pour l’interroger sur ce qu’il avait observé.

    Lorsqu’il avait effectué l’appel au 9-1-1, deux jeunes âgés dans le début de la vingtaine étaient présents. Ils achetaient un « six-pack » de bière. L’un avait colorié des mèches de cheveux vertes fluo et d’autres rouges betterave, ce qui mettait en relief sa chevelure presque noire. Son camarade avait teint tous ces cheveux bleu foncé tirant sur le violet. Ayant atteint leur taille dans une seule poussée de croissance, les deux amis affichaient une minceur extrême et une silhouette très élancée. Les deux avaient endossé des t-shirts mauves avec des imprimés, l’un avec des têtes de mort et l’autre avec un poing américain. Bien que les maillots fussent très amples, le fait qu’ils étaient trempés, ils moulaient leur corps. L’on entrevoyait aisément la présence de leurs côtes. Ils portaient des jeans dont le fond culotte tombait aux genoux. Sur leurs visages blêmes presque imberbes apparaissaient ici et là des boutons d’acné. Ces lésions cutanées indiquaient les dernières traces de leur adolescence qui n’en finissait plus de finir ! Autant sur le plan physique que psychologique ! Le propriétaire du dépanneur était un homme d’une taille imposante et d’une carrure saisissante. Ses origines étaient asiatiques. Il se demandait comment ses gamins avaient pu se rendre à son magasin sans que le vent ne les ait emportés. Il avait l’impression que s’il respirait trop fort, l’un ou l’autre, voire même les deux tomberaient aisément par terre. Deux asperges pas très « bios », pensait-il. Malgré leur aspect « végétal », voire neurovégétatif, leurs éducateurs les avaient suffisamment entraînés pour articuler des sons de façon audible avec un minimum de vocabulaire et un maximum d’abréviations. Deux ou trois syllabes pouvaient constituer une phrase complète. À l’appel du 9-1-1, lorsque l’homme d’âge vénérable avait déclaré qu’il avait entendu un coup de feu et qu’aucun doute n’existait dans son esprit, les deux jeunes blancs-becs le ridiculisèrent :

    — Hey man ! lui dit l’un deux, t’hallucines. T’es gelé à quoi ? Tu vois pas que t’es pas « rap ».

    — Y’a dû fumer un « criss » de gros joint de pot, ajouta le second à l’endroit de son ami. Y est perdu. Y fait pas la différence entre le bruit du tonnerre et le bang d’un fusil.

    — Ben non, renchérit le premier, les « chintocks » sont à l’héro, Man. Pis-là, y mérite même pas que j’paye.

    Ils ricanaient à gorge déployée. Le propriétaire, sans dire un mot, tout en continuant sa déclaration, les avait mitraillés de son regard. La colère grandissante qui émanait de son visage avait intimidé les deux jeunes. En tremblant, l’un d’eux mit de l’argent sur le comptoir. Ils prirent la poudre d’escampette et ils n’ont pas attendu la monnaie qui leur était due pour leur achat. Leur fond de culotte représentait un réservoir de merde à portée de main, avait alors pensé l’Asiatique. Les deux garçons avaient détalé littéralement hors du dépanneur et, après quelques mètres courus à l’extérieur, ils se retournèrent pour vérifier si l’Asiatique, bâti comme un bloc de béton armé, les poursuivait. Ne voyant personne, ils se dirent qu’ils l’avaient échappé belle. Cet événement ne ferait certainement pas partie de leur répertoire de vantardises à moins de transformer totalement la réalité. Leur imagination très fertile d’enfants leur permettrait à l’évidence de fabuler. Ils décidèrent tout simplement d’oublier cet épisode. Leur quotient intellectuel s’avérait trop « délicat » pour mentir de façon très plausible parce que l’Asiatique était bien connu dans le voisinage.

    5 — Je ne veux pas perdre mon bébé

    21 h 42

    Sirène et tonnerre gardaient réveillé tout le voisinage. Quelques curieux, à peine, avaient osé braver la tempête et s’étaient rendus près de la station-service. Ils s’étaient amassés sur le trottoir selon le meilleur point de vue afin d’observer tout ce qui pouvait se passer.

    S’érigeaient, non loin du dépanneur, deux imposantes résidences de retraités dont l’une était réservée aux gens plus fortunés en raison des coûts de logement et de nombreux services dispensés. Suivait un HLM (habitation à loyer modique) pour les personnes à faible revenu, puis se succédaient des triplex et des duplex. De l’autre côté de la rue se dressaient deux établissements de restauration rapide, un Subway et une cantine Valentine ; puis un salon de quilles, un immeuble de bureaux, un commerce de vente de voitures usagées, un GMF (groupe de médecine de famille) et une pharmacie à grande surface. Un peu en retrait, on avait érigé un immense portail en béton sur la voie d’accès qui s’acheminait jusqu’au sommet d’une colline. Au point culminant, on avait bâti une école secondaire privée, propriété d’une communauté religieuse, les Pères du Divin Sauveur. Ces édifices avaient poussé ici et là sans véritable plan d’urbanisation. Le comité de parents de l’institution scolaire n’avait pu empêcher l’implantation d’une cantine près de leur établissement d’enseignement faute justement d’un patron d’urbanisation et de droits acquis. La malbouffe se situait à portée de jeunes adolescents prêts à dévorer toute nourriture qui ne constituait pas un choix santé. Pour ces parents, la camelote alimentaire représentait un danger aussi redoutable que les substances intoxicantes. Ces pères et mères avaient tendance à envisager la drogue comme un méchant virus. Leurs enfants pouvaient en être infectés à tout moment. En les séquestrant dans un milieu le plus aseptisé possible, ils seraient préservés ; ils demeureraient à l’abri de développer cette cruelle maladie contre laquelle aucun vaccin pour s’en protéger n’existait. Du moins, le croyaient-ils vraiment ? Ou bien désiraient-ils plutôt se donner naïvement bonne conscience pour sauvegarder les apparences ?

    De l’HLM, on était en mesure d’observer toute l’agitation à la station-service « Montpetit Vidéo ». Les gens du quartier s’étaient familiarisés au bruit de sirène d’ambulances. Cette rue très passante était régulièrement empruntée pour des transferts de patients des institutions de soins de la ville au Centre hospitalier universitaire de la région administrative voisine.

    Une femme d’âge moyen sortit de sa douche. Attirée par cette succession du hurlement de sirènes, elle regarda par sa fenêtre du troisième étage de l’HLM en direction des gyrophares de l’autopatrouille. Saisie de stupeur, elle surgit hors de son logement. Elle alla tambouriner nerveusement sur la porte d’en face en aboyant le prénom de sa voisine. « Hilda »... « Hilda », répétait-elle sans cesse comme une mitraillette qui désirerait absolument vider son chargeur. Sa voisine de palier prit, semble-t-il, une éternité avant de rejoindre la porte d’entrée ; une femme handicapée qui avait besoin d’une marchette pour se déplacer. Tout en déambulant, elle criait qu’elle s’en venait. La porte s’ouvrit enfin. La femme agitée donna l’ordre à sa voisine de surveiller son petit-fils âgé de cinq ans. Elle partit précipitamment en courant, pieds nus, vers les escaliers pour se rendre sur les lieux de l’incident. Elle n’était vêtue que d’une mince jaquette de nylon jaune citron délavé et usée. Des petites fleurs blanches en dentelle, situées au milieu des seins, étaient un peu décousues.

    Le son de la seconde ambulance se fit entendre. Puis il fut suivi par celui de deux autres autopatrouilles.

    L’agent Beauchemin tenait les curieux à l’écart de la scène du crime pour éviter de corrompre tout indice ou preuve qui servirait à l’enquête. Les renforts de la Sûreté municipale s’avéraient bienvenus. En effet, le nombre de spectateurs avides d’images morbides augmentait. Ces derniers désiraient rendre leur ennuyeuse routine quotidienne plus intéressante.

    Le policier Couillard présenta la jeune adulte aux ambulanciers, Ludovic Favreau et Tyler Bousquet. Il leur précisa qu’elle se retrouvait enceinte et qu’elle ne voulait pas perdre son bébé. Les secouristes la déposèrent sur leur civière et l’amenèrent au véhicule d’urgence médicale.

    Toutes les personnes présentes furent étonnées de voir courir à toute vitesse une femme paniquée, légèrement vêtue, qui criait : « je ne veux pas perdre mon bébé, je ne veux pas perdre mon bébé ». Les badauds étaient intérieurement ravis qu’un autre drame puisse alimenter leur conversation. Ils se félicitaient de s’être rendus sur place.

    L’agent Couillard qui avait entendu cette phrase à de nombreuses reprises se dirigea prestement vers la femme éperdue pour lui venir en aide. Il avait reconnu une similitude dans le timbre de la voix de cette dame avec celui de la demoiselle. Mais il n’en était absolument pas convaincu. Celle-ci essaya de le contourner pour parvenir au magasin. Mais l’agent de la paix avait prévu la manœuvre, il l’arrêta dans ses mouvements.

    — Qu’est-ce qui se passe, Madame ? lui demanda le policier.

    — Je ne veux pas perdre mon bébé. Répondit-elle en sanglot.

    — Puis-je savoir où se trouve votre bébé, Madame ? continua le gardien de la paix.

    La jeune femme qui était portée sur la civière vers l’intérieur de l’ambulance se mit à hurler : « Maman ! Maman ! Maman ! »

    Chaque « maman » prononcée manifestait un cri angoissé qui provenait du fond de ses tripes, un signal de profond désespoir. Personne ne pouvait rester insensible à de tels gémissements de détresse. C’était à fendre le cœur. La femme d’âge mûr répondit alors à l’appel : « mon bébé ». L’agent Couillard accompagna la mère pour rejoindre la fille. Il lui vint à l’idée de recouvrir la dame avec son imperméable. Il était temps. La jaquette était devenue pratiquement transparente. Se faisaient poindre deux seins pendants sur un ventre bien gonflé. Les mamelons s’étaient rigidifiés au contact de la pluie. Un observateur pouvait même deviner où débutaient les poils du pubis. La misère se lisait sur son visage entouré de cheveux raides et mouillés. Son corps trahissait un abandon de soin approprié. Arrivées à l’ambulance, la fille et la mère s’étreignirent vivement. Le technicien d’urgence Tyler offrit une couverture à la dame pour que l’agent Couillard puisse reprendre son imper. L’autre paramédical, Ludovic, présumant que la demoiselle ne serait pas en état de répondre à des questions, demanda à la mère si elle pouvait confirmer que sa fille se trouvait bien enceinte. Avec un œil averti de professionnel, il avait remarqué l’absence d’une légère rondeur abdominale caractéristique qui aurait démontré hors de tout doute raisonnable la présence d’une autre vie. Avec sa tête, elle fit signe que non. Son bébé avait cinq ans et sa voisine le gardait en maintes occasions. Disposant de plusieurs paires d’oreilles prêtes à l’écouter, elle expliqua que sa fille représentait la quatrième génération de mère monoparentale. Des mâles peu scrupuleux avaient abusé de leur naïveté. Dans les échanges, le policier avait observé que, sans afficher une nette déficience, elles éprouvaient un retard mental sévère. Deux personnes immatures qui se campaient dans une relation symbiotique ou bien, à tout le moins, dans un lien affectif surinvesti. Ces deux êtres humains ne mûriraient sans doute jamais. La pauvreté des moyens tant psychologiques que financiers était devenue une tradition dans cette famille et le jeune garçon n’échapperait vraisemblablement pas à cette déplorable destinée.

    6 — Journalistes déconfits

    21 h 43

    Apparurent deux journalistes, l’un employé par le quotidien local « Le Porte-voix » et le second par la station de radio régionale « Le chenal, 97,8 FM ». Ils cherchaient le policier responsable afin de pouvoir l’interroger sur ce qui s’était passé. À ce moment arriva une voiture banalisée qui amenait deux enquêtrices : la sergente Lamarre et la détective Paré. Elles étaient réputées pour pourfendre quiconque s’aventurerait à se mettre au travers de leur chemin. En leurs présences, il était toujours préférable d’être paré pour recevoir la marre de commentaires parfois fort dérangeants. Ces deux filles d’Ève arboraient une exquise beauté sur des corps d’athlète. Dans leur tenue vestimentaire, la première affichait une élégance notable. Toutes deux ne portaient jamais de pantalon. La sergente Isabelle Lamarre s’était mariée avec un grand couturier, reconnu autant dans l’habillement pour homme que pour dame. Son conjoint détenait une boutique sur la rue « de la Mairie ». Elle revêtait des toilettes qui l’avantageaient. Son style vestimentaire était remarqué en toute occasion. L’époux de la détective Hyacinthe Paré excellait dans le domaine de l’informatique et il possédait un magasin de vente et de réparation de matériel électronique. Son entreprise était située dans le centre commercial tout près des limites de la ville. Elle se tenait à la fine pointe de la technologie pour tout gadget électronique. Non seulement la Sûreté municipale, mais aussi d’autres corps policiers avaient eu recours à l’expertise de son mari pour résoudre certains crimes reliés à l’informatique.

    Lamarre et Paré étaient demeurées toutes deux très féminines malgré le métier qu’elles exerçaient. Elles contrecarraient toute évocation à leur corps par une attaque virulente. Ce n’était pas la beauté qu’il les eut fait gravir les échelons, mais leur intelligence, leurs talents et leurs habiletés. Elles avaient dû bûcher plus dur que les hommes pour obtenir leur promotion. Dans le milieu policier, les préjugés contre les femmes allaient bon train dans cette petite ville de 55 000 habitants. En se fiant à leurs « feelings »⁶ et à leur intuition, elles avaient résolu de nombreux crimes. Elles avaient été en mesure de faire face à plus d’un transgresseur de la loi des plus aguerris. La peur ne les avait jamais épargnées par la peur, mais leur audace leur avait permis jusqu’à présent de tirer leur épingle du jeu. Même si les conversations avec leurs collègues masculins figuraient, selon leurs habitudes, professionnelles, courtoises ou amusées, parfois voire strictement délicieuses, elles demeuraient toujours sur leur garde en raison de la jalousie qui pouvait poindre à tout moment. Elles étaient parfaitement renseignées au sujet des qualitatifs que leurs confrères mâles leur donnaient en utilisant simplement leurs initiales. Ils appelaient Isabelle Lamarre « IL » parce qu’elle valait plusieurs hommes. Quant à Hyacinthe Paré, ils la surnommaient « HP », comme pour la compagnie Hewlett-Packard, pour la bonne raison qu’elle adoptait tout nouvel appareil électronique. Ou bien, ils référaient à la sauce « HP » lorsqu’elle se montrait un peu trop « piquante » dans son discours.

    Leur arrivée fit comprendre aux journalistes la gravité de la situation. À peine l’auto garée, les chasseurs d’informations se précipitèrent vers la portière du côté conducteur. La sergente Lamarre sortit du véhicule, abritée sous un parapluie. Sur un ton autoritaire qui ne laissait aucune possibilité de désobéissance, ni même à l’émergence d’une vague idée d’insubordination, elle ne s’adressa pas immédiatement aux deux nouvellistes présents. L’un, nommé Yannick Bernier, était à l’emploi du journal « Le Porte-voix » et l’autre, Jean-Charles Robert, de la station de radio « Le chenal ».

    — Je viens tout juste d’arriver. Je ne formulerai aucun commentaire. Dès que j’obtiendrai des informations pertinentes, je tiendrai une conférence de presse. Écartez-vous pour ne pas nuire au travail des policiers.

    Les journalistes déconfits s’éloignèrent lentement pour rejoindre les fouineurs afin de soutirer quelques renseignements. L’heure de tombée du quotidien « Le Porte-voix » approchait et Yannick Bernier voulait bien écrire quelques lignes censées. Il était rare que des événements aussi graves se produisent dans le milieu et il ne désirait pas manquer l’opportunité d’apparaître en première page. Il projetait de ne pas rater cette occasion pour choquer l’opinion publique. Le journal local portait bien son nom d’ailleurs. Le tabloïd ne loupait aucune circonstance pour faire une tempête dans un verre d’eau afin d’en accroître la vente. Il espérait en secret que, s’il couvrait bien ce crime, une presse d’une plus grande envergure pourrait l’embaucher. « Le Porte-voix » appartenait au consortium de média « Le Groupe Latraverse Inc. » et la perspective de passer d’un quotidien à l’autre demeurait plausible.

    La sergente Lamarre avait menti par omission parce qu’elle connaissait l’identité de la victime. L’agent Beauchemin l’avait révélé au répartiteur du poste de police en communiquant son rapport. Il en avait profité aussi pour demander du renfort. Si personne en ce moment ne savait si un bandit avait bien commis un assassinat, une tentative de meurtre s’était assurément produite. Cet acte criminel exigeait la présence des enquêteurs. Elle ne voulait rien déclarer aux journalistes parce qu’on n’avait pas encore informé la famille et qu’on n’avait pas encore interrogé la personne qui avait composé le 9-1-1.

    La détective Paré, lorsqu’elle sortit de la voiture, appela le policier situé le plus près d’elle et elle lui ordonna d’éloigner davantage l’attroupement de fureteurs. Elle commanda à un autre de délimiter la plus grande surface possible par des tréteaux et du ruban jaune afin de conserver intacte la scène du crime. Elle avait établi cette tactique pour garder les curieux au loin parce que la pluie avait assurément balayé le pavé de toute trace de preuve si toutefois il y en avait eu. Les enquêtrices n’étaient pas du tout surprises qu’à nouveau, ce n’est qu’à leur arrivée que l’ordre s’est effectué sur place.

    La sergente Lamarre se dirigea vers la porte d’entrée pour rencontrer l’agent Beauchemin. Elle constata de ses yeux l’endroit où l’on avait tiré sur un homme. Elle espérait qu’éventuellement, elle pourrait repérer toute trace du projectile.

    7 — Va-t-il falloir vous prendre aux couches ?

    21 h 45

    Fidèle à son habitude, lorsque la petite Chantal Giroux travaillait en soirée, Monsieur Bernard Montpetit, le propriétaire de la station-service et du club vidéo, revenait à son commerce pour la clôture. Il arrivait pour fermer le magasin, les pompes et la caisse. La menue Chantal ne possédait pas un gros quotient intellectuel, mais elle s’était avérée une préposée très fiable. Elle respectait à la lettre les consignes que son patron donnait. Au moment où elle était venue demander un emploi, elle faisait tellement pitié qu’il ne pouvait pas boucler son cœur et il avait décidé de lui offrir une chance. Avec le temps, il l’avait, pour ainsi dire, adoptée comme sa fille dans son for intérieur et il agissait aussi à titre de protecteur de sa famille. Avant de l’engager, il avait songé à sa sécurité. Le risque de vol représentait un danger minime en raison d’une affluence continuelle de véhicules sur la rue Maurice. Cette dernière menait à une jonction pour accéder à une autoroute en moins d’une minute. Cette extrémité de la ville constituait un secteur résidentiel peuplé par des gens sans histoire et à revenu moyen. N’ayant pas lésiné sur les luminaires, la place s’avérait très bien éclairée. En conséquence, les probabilités se trouvaient minces que des cambrioleurs menacent la sécurité de l’employée, d’autant plus qu’il fermait boutique à 22 h. Et puis, Edmond pouvait surveiller l’endroit de sa station-service ou de son logement qui était situé au deuxième étage de son magasin. Les vols par infraction dans les dépanneurs de la région se produisaient habituellement plus tard en début de nuit. Personne n’ignorait que les toxicomanes ne se levaient jamais tôt. Lorsqu’ils commettaient des délits, le motif d’amasser de l’argent afin de continuer ou de finir leur « trip » les agitait⁷. Cette envie d’outrepasser la loi se manifestait rarement en milieu de soirée. C’étaient ces réflexions qui l’avaient conduit à embaucher cette jeune femme.

    Au fur et à mesure qu’il approchait de son commerce, en voyant les clignotements des gyrophares de plusieurs autopatrouilles, son rythme cardiaque s’était accru et sa jambe droite s’était mise à trembler. Il la retira de l’accélérateur. Il se disait « ah non !... Ah non ! » Sa nature de fond lui recommandait de se contrôler pour éviter un accident. Il craignait qu’un malheur ne soit arrivé à la petite Chantal.

    Il se posait la question s’il ne s’était pas trompé en l’embauchant. « Je n’aurais pas dû », réfléchissait-il, « Je n’aurais pas dû l’engager pour ce travail ». Il s’était ressaisi et il avait pu rejoindre l’entrée de « Montpetit Vidéo ».

    Un policier lui interdit le passage. L’agent se dirigea à la fenêtre du conducteur et lui parla d’un ton impatient:

    — Ne voyez-vous pas, Monsieur, que ce n’est pas le moment ? Avec tout ce branle-bas de combat, vous ne constatez pas que le commerce ne se trouve pas accessible? Revenez demain pour un film. Pour de l’essence, allez en face.

    — Je suis le propriétaire. Je viens pour opérer la fermeture de mon entreprise. Pouvez-vous me dire ce qui s’est produit ? répondit Bernard à l’officier Cadieux avec une voix saccadée.

    — Qu’est-ce qui me prouve que vous ne figurez pas un curieux qui voudrait s’aventurer un peu plus loin ?

    — Je ne transporte tout de même pas l’acte de propriété sur moi, Monsieur l’agent. Je vous montre mon permis de conduire. S’exclama-t-il, choqué par l’outrecuidance du représentant des forces de l’ordre.

    Le gardien de la paix regarda le document et il constata que le nom de famille s’avérait bien « Montpetit ».

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1