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L'enfant du péché
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Ebook187 pages2 hours

L'enfant du péché

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About this ebook

Réunis malgré eux par le mariage de leurs parents, tous deux veufs, Martine, douze ans et Jérôme, huit ans, enfant solitaire et révolté, ont bientôt été rapprochés par leur commune détestation du couple. Adolescent, Jérôme est amoureux de celle qui ne voit en lui qu’un petit frère. Mais lorsqu’on découvrira que, en réalité fils naturel d’un prêtre et d’une prostituée il est atteint du sida, elle acceptera et bientôt partagera sans réserve ses sentiments. Nous sommes en 1988, grâce aux progrès de la thérapeutique mais surtout grâce à cet amour rien n’est perdu. En s’inspirant d’éléments autobiographiques, Pascal Fiévet, poète classique, avait imaginé cette histoire sous la forme d’un scénario pour le cinéma. C’est à sa demande que Guy Barbey en a tiré ce roman, faisant de Martine la narratrice d’une histoire dans laquelle elle cherche les origines de cet amour hors normes.
LanguageFrançais
Release dateJan 27, 2015
ISBN9791029002236
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    L'enfant du péché - Guy Barbey

    cover.jpg

    L’enfant du péché

    Du même auteur

    …l’innocence, Chloé des Lys, 2007.

    Guy Barbey

    L’enfant du péché

    Roman

    D’après un scénario original de Pascal Fiévet

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2015

    ISBN : 979-10-290-0223-6

    Journal

    Beaudrimont, le 1er juin 1988

    Dans cinquante-sept jours, Jérôme fêtera son quinzième anniversaire, avec moi.

    Et il y en aura encore beaucoup d’autres.

    Parce que Jérôme, l’enfant du péché, comme ma garce de mère a osé l’appeler, ne peut pas payer de sa vie un péché qui n’est pas le sien.

    Parce que le sida n’est pas la punition d’un péché : rien d’autre qu’une saloperie de virus.

    Parce que je l’empêcherai de croire à cette abomination.

    Parce que moi, Martine, dix-huit ans, bientôt dix-neuf, je vais lui faire aimer la vie.

    Parce qu’il y a droit.

    Et parce que je l’aime.

    Voilà. C’est écrit, daté, signé. Non, je ne vais pas aller jusqu’à signer, tout de même ! Et pourquoi pas de mon sang ! Ce pacte, ce n’est ni avec le diable ni même avec Jérôme qu’il m’engage. Simplement avec moi-même.

    Pourquoi, alors, l’avoir écrit ?

    L’écrire pour pouvoir le lire. Le lire pour pouvoir y croire.

    Besoin de faire le point. De mettre des mots sur ce désordre de sentiments où je patauge, quoi que je prétende. Des mots pour fixer les sentiments dans une vérité conventionnelle, qui peut-être les trahira mais les nourrira aussi. Me raconter à moi-même, pour feindre d’être l’organisatrice de ces mystères qui me dépassent ! Le Père Jean m’a appris ça au catéchisme, aussi : chaque soir, faire un examen de conscience. Passer en revue ce qu’on a fait dans la journée en distribuant les bons et les mauvais points. Comme si, dans nos actes, le bien et le mal n’étaient pas le plus souvent inextricablement mêlés. Encore les dire mêlés suppose-t-il qu’ils soient d’abord distincts, ce qui est probablement faux. Mais c’est commode de faire comme si. Ce qu’on a fait, on le nomme, on le juge. Quelle vérité un tribunal pour qui l’on est à la fois le juge et l’accusé a-t-il une chance d’atteindre ? Cela permet en tout cas de fixer ses souvenirs dans une forme convenue, et d’avoir une mémoire bien rangée selon le modèle de classement normalisé catho, prête à accueillir ensuite les faits nouveaux sans avoir trop à en approfondir l’analyse. Comme si cet examen de conscience qu’on pratique le soir avant de s’endormir ne servait en définitive qu’à mieux l’endormir, la conscience.

    J’ai longtemps fonctionné comme ça et, dans ma débâcle présente, je m’accroche peut-être à ce savoir-faire qui m’est devenu comme une seconde nature : emprisonner mon vécu dans des mots, surtout quand je le sens trop volatil, pour le tenir à ma merci, et tenter de bâtir dessus. Et je sais bien que ça n’empêche pas les contradictions. Jésus solidifie Simon : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église. » Mais ça ne l’empêche pas, plus tard, de lui annoncer : « Avant que le coq ait chanté, tu m’auras renié trois fois. » Pauvre Pierre, emprisonné, comme tant d’autres, par la parole de celui qu’il a pris pour maître.

    S’il faut s’emprisonner pour cesser de s’échapper à soi-même, au moins que ma prison soit celle de mes propres mots. Soir après soir, je veux donc me raconter notre histoire depuis son commencement. Cet amour auquel, il y a quelques mois à peine, je refusais ce nom, je veux en chercher les racines pour mieux m’y enfermer si je puis, jusqu’à ce que mort s’ensuive. La mienne ou celle de Jérôme, qui paraît nous attendre derrière la porte. Et j’espère aujourd’hui malgré tout qu’elle ne m’en délivrera jamais. Même si je sais bien que les amours meurent aussi.

    Soir après soir, car nous ne dormirons pas ensemble. Même s’il le désire, et peut-être moi aussi, même si le temps, peut-être, nous est compté. Jérôme sort à peine de son enfance : elle est encore trop proche pour que nous soyons amants.

    Je vais donc commencer cette récollection. J’en écrirai quelques pages chaque soir, sagement, après avoir quitté Jérôme, en prenant garde de conserver un temps de sommeil raisonnable.

    Jeudi 2 juin 1988

    Allons, souviens-toi, Martine : Jérôme et toi, cet amour qui a grandi sournoisement, à l’abri de son improbabilité, comment cela a-t-il commencé ? Souviens-toi. Et si ton enquête n’aboutit pas à la Vérité, à supposer qu’elle existe, au moins t’en construira-t-elle une sur laquelle fonder ce qui viendra.

    Je n’ai pas assisté à l’enterrement de sa mère. Ce jour-là j’étais au collège, où je commençais ma cinquième. Jérôme, je ne le connaissais pas et la mort de sa mère, ça ne me concernait pas. Mais je l’imagine sans mal dans le petit cimetière de Beaudrimont, pauvre gamin de huit ans pas bien costaud, engoncé dans son costume de gosse de riches, sanglotant devant la fosse où on vient de descendre le cercueil de chêne. Seul.

    Pas seul dans le cimetière, évidemment : pour l’enterrement de Madame Delcourt, tout le village est là, à distance respectueuse. Mais tellement seul dans son chagrin… Derrière lui il y a son père, Éric Delcourt, le patron de l’usine, dans son pardessus noir, les gants à la main, triste, certainement. Sa femme, il l’aimait malgré tout, mais pas capable de réchauffer Jérôme.

    Quel temps faisait-il ce jour-là ? Un jour de novembre, gris sans doute, pluvieux peut-être. Il avait sûrement froid, Jérôme. Le Père Jean avec sa barrette, son surplis et son étole de velours noir récitant une prière au bord de la fosse, secouant un goupillon avant de le passer à Monsieur Delcourt. Et un peu en arrière, comme il sied à la secrétaire du veuf, dans la mine de circonstance et les habits de deuil qu’elle a étrennés pour l’enterrement de mon père, ma mère… Juste quelques pas en arrière. Les quelques pas qu’il lui reste à faire pour réaliser son ambition…

    Est-ce ainsi que les choses se sont passées ? C’est ce que je me suis imaginé très tôt. Un souvenir fabriqué, que ma mémoire a donc classé en numéro un dans la chronologie du chapitre Jérôme, avant les vrais, auxquels celui-ci a donc dû très tôt imposer son éclairage convenu. Très tôt : dès que, commençant à éprouver de la sympathie pour Jérôme, j’ai dû croire inconsciemment, pour la justifier, avoir besoin de voir en lui un malheureux petit orphelin. Il me suffisait pourtant qu’il persistât à refuser que ma mère prît chez eux la place de la sienne.

    Parce que ça n’avait pas vraiment traîné. Trois mois, pas plus. À peine le délai minimum pour ne pas faire jaser. Enfin, pas trop : de toute façon à Beaudrimont, les commentaires, les airs entendus, il y avait longtemps que ça avait commencé.

    Moi, c’est quand elle m’a annoncé qu’on déménageait pour s’installer chez le patron que je les ai compris. Jérôme, lui, était déjà au courant. Il me l’a dit plus tard : il les avait vus s’embrasser, dans le bureau, du vivant même de sa mère. Le savait-elle ? En avait-elle parlé à ses parents, de cela et peut-être de plus encore ? Cela expliquerait qu’ils ne se soient jamais plus manifestés après sa mort. Au point que je les ai oubliés dans ma mise en scène des obsèques, auxquelles pourtant ils ont probablement assisté.

    Alors, son père nous a sorti le petit discours de circonstance : « Soyez les bienvenues dans cette maison qui sera désormais la vôtre. Nous avons connu le deuil mais la vie doit continuer et ensemble nous allons essayer de reconstruire une famille. Martine, je sais que je ne remplacerai pas ton père, mais tu peux compter sur moi pour t’apporter toute l’affection et le soutien dont peut avoir besoin la grande fille que tu es déjà. Jérôme, tu connais Germaine, elle non plus ne remplacera pas ta mère. Mais un petit garçon comme toi a besoin d’une présence que j’appellerai néanmoins maternelle et je sais qu’elle t’aime déjà beaucoup. » Je ne suis pas sûre du mot à mot, mais ce devait être à peu près cela. Moi, désormais convaincue que leur liaison était pour quelque chose dans le suicide de mon père, j’étais remplie de haine pour Monsieur Delcourt, la nouvelle Madame Delcourt – le mariage avait eu lieu à la sauvette, « dans la plus stricte intimité » comme on dit – la maison Delcourt et tout ce qui pouvait s’appeler Delcourt, y compris ce mioche malingre et hostile.

    Ma mère, affichant un sourire mielleux, s’est penchée pour l’embrasser, a esquissé un geste pour caresser ses cheveux, mais il a esquivé la caresse et essuyé le baiser sur sa joue avec sa manche avant de s’enfuir dans sa chambre. Alors elle a pincé les lèvres et pris un air de victime pour dire : « Ça ne va pas être facile ! Mais tu sais que tu peux compter sur moi, mon chéri ! Et sur Martine aussi, bien sûr ! Il faut le comprendre, ma petite : sa mère le gâtait beaucoup, elle lui manque terriblement. Il faudra être sa grande sœur, n’est-ce pas ? »

    Ça, c’était pour Éric. Je savais bien, moi, qu’elle ne l’avait jamais aimé « leur petit morveux ».

    J’ai dit : « C’est cela, oui. Elle est où, ma chambre ? »

    À l’étage, comme toute la partie nuit de la maison. Elle était assez grande, anonyme et austère. Face à la porte, une haute fenêtre se dressait, surplombant un radiateur de fonte et encadrée de solennels doubles rideaux de velours vert bronze. L’ameublement était du genre ancien. D’un autre temps, comme toute la maison, ce pavillon du patron, voisin mais séparé tout de même de l’usine, à cause du bruit, pour qu’il puisse y travailler avec sa secrétaire et recevoir confortablement clients et fournisseurs dans son bureau. Comme ce gros village, avec son collège de la Trinité, vivant depuis un siècle de cette fabrique de serrurerie pour portes et fenêtres créée par Éric Delcourt, le grand-père. Comme Éric Delcourt lui-même, le petit-fils, celui de maintenant, avec son costume trois pièces, son goût des apparences convenables et des petits discours appropriés, qui a succédé à son père Martial Delcourt quand, devenu veuf, celui-ci est entré dans les ordres.

    Un lit de noyer assez large et haut avec chevets assortis et descentes de lit orientales occupait le centre du plancher ; contre les murs au papier imitant la toile de Jouy, une table et sa chaise, une armoire à glace et une commode à dessus de marbre. De tout cela, il m’est facile de me souvenir puisque rien ou presque n’a changé depuis.

    En y rangeant mes affaires, je repensais sans doute malgré moi au gamin essuyant sa joue avec dégoût. Il fallait bien que le geste m’ait marquee, puisque six ans plus tard je le revois encore avec netteté. Puis j’ai ouvert la fenêtre. Elle donne sur la fabrique et, au-delà, sur les champs, nus en cette fin d’hiver. Je sais que je me suis souvenue de ma chambre d’enfant, petite mais chaleureuse et gaie, de papa qui me jetait sur mon lit pour m’y chatouiller jusqu’à ce que je demande grâce, quand j’étais petite, et dont le menton piquait, le soir, quand il venait m’y embrasser. J’ai refermé la fenêtre, je me suis assise à la table et j’ai pleuré, la tête sur mes bras.

    Jérôme en faisait autant sans doute dans sa chambre mais je n’en étais pas encore, tant s’en faut, à m’en préoccuper et il devait évidemment m’englober dans la haine qu’il vouait à ma mère. Nous ne pouvions rien l’un pour l’autre.

    Vendredi 3 juin 1988

    Jusqu’à l’approche de l’été, je ne me rappelle aucun fait qui témoigne d’une évolution dans cette absence de rapports. Nous avions dû l’accepter pour naturelle et nous y habituer. Entre une petite collégienne de douze ans et un enfant de CE2, que peut-il y avoir de commun, en effet, à moins de le vouloir ? Je n’entrais pas plus dans sa chambre que lui

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