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L'heure des naufrages: Roman
L'heure des naufrages: Roman
L'heure des naufrages: Roman
Ebook131 pages1 hour

L'heure des naufrages: Roman

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About this ebook

À la suite d’une déception sentimentale, Leo erre dans les rues de sa ville et s’interroge sur le monde qui l’entoure, son mal-être et sa passion pour l’écriture. Sa seule ambition : devenir un écrivain reconnu ! Entre dérives et situations rocambolesques, il dépeint le monde et sa vie avec cynisme et sans demi-mesure. De sa plume acérée, poétique et crue, il part à la recherche de son salut. L’heure des naufrages parle d'amitiés fortes, du deuil, de la banalisation du sexe, des désillusions, de l'amour pour la littérature. Ce n’est pas l’histoire d’un homme juste mais juste celle d’un homme. Un roman fédérateur où chacun pourra se reconnaître car le monde nous engloutit et nous sommes tous paumés à un moment donné de notre vie...

À PROPOS DE L'AUTEUR

Parallèlement à sa fonction de sous-directeur d’un établissement scolaire, Pier Paolo Corciulo est passionné de musique et de littérature. En 2013, il obtient le prix « Salve nosciu » pour la publication d’un recueil de poèmes bilingues français-italien qui parle de ses racines et de la recherche d’identité. En 2017, Pier Paolo sort un album de variété française, Sortir de l’ombre, dont il compose et écrit chaque chanson. En novembre 2019, les éditions i-lirédition publient son premier polar Enigme Rimbaud suivi d’un second Le Successeur (l’héritage du mal), fin 2020. À 44 ans, Pier Paolo publie son premier roman, L’heure des naufrages
LanguageFrançais
PublisherRomann
Release dateMay 18, 2021
ISBN9782940647194
L'heure des naufrages: Roman

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    L'heure des naufrages - Pier Paolo Corciulo

    Rossi

    IL faut être fou pour s’asseoir à un bureau et passer plusieurs heures à construire, déconstruire et reconstruire une phrase dans l’espoir qu’un jour quelqu’un daigne la lire. Il faut être encore plus fou de ne pas le faire. Certains individus entendent une voix intérieure qui les incite à prier ou à tuer (ou les deux), la mienne m’indique un chemin sinueux, souvent douloureux, rarement gratifiant mais unique. Que voulez-vous que je vous dise… À chacun son enfer, à chacun son fardeau, sa malédiction. Et son salut.

    Alicia me crie :

    – Gifle-moi le cul et traite-moi de chienne !

    Pris dans l’euphorie, j’exécute les ordres de cette inconnue croisée quelques heures plus tôt à une soirée de fin d’année. J’ignore encore si je la trouve belle, j’ignore aussi ce qu’elle pense de moi. La question ne se pose plus puisqu’elle vient d’enlever son string sous mes yeux imbibés.

    – Tiens espèce de chienne, tu aimes ça, hein ?!

    CLAC ! CLAC ! Et une autre gifle de revers. CLOC ! Ses cheveux noirs voltigent dans les airs au ralenti. Elle soigne sa mise en scène, Alicia. Je perds la cadence, absorbé dans le souvenir d’un texte de Carver¹. J’adore l’œuvre de Raymond Carver, il transcende le quotidien. Pas de fioritures, pas de chichi, il va droit à l’essentiel et le fait de manière efficace. Seul le pouvoir de l’écriture parvient à sublimer la banalité des jours.

    – Vas-y plus fort !, crie-t-elle.

    Reprenant l’euphorie là où je l’avais laissée, je la multiplie par dix. Je m’active, m’enflamme et dérape.

    – Tiens salope !

    Soudain son va-et-vient s’interrompt. Alice ou Alicia, je ne sais plus, me regarde interloquée. Je cherchais un synonyme de « chienne » et le premier qui me soit passé par la tête était celui-là.

    – Désolé, lui dis-je, ça m’a échappé.

    – Chienne oui, mais salope je te l’interdis.

    En effet, peu approprié et jugeant. Pourtant j’en avais trouvé d’autres.

    – Et « pute », ça passe ?

    J’ose un silence ambigu avant d’éclater de rire. Elle me regarde médusée, puis se détend et me lance un oreiller.

    – T’es vraiment con toi !, grogne-t-elle entre deux fous rires.

    Je sauve la situation qui semblait compromise une minute plus tôt. Alice-Alicia et moi nous endormons sur le canapé. À mon réveil, elle a disparu et je ne la reverrai plus. En ce moment ça se passe ainsi dans ma vie. Les femmes sont de passage. Leurs sous-vêtements se répandent dans le salon comme des pétales fanés. Elles veulent parfois être traitées comme des reines, parfois comme des garces, et moi je m’adapte selon la circonstance, puis les regarde partir. Si je ne me suis pas endormi avant.

    Une partie de jambes en l’air est comparable à la littérature : il faut trouver les bons mots. Et le bon rythme.

    / / /

    ELLE habite de l’autre côté du lac depuis peu, ce n’est pas très loin et pourtant c’est à des années-lumière. Tout dépend de l’humeur du jour, je trouve rassurant qu’elle soit partie vivre avec son nouveau petit ami dans un lieu où je ne risque pas de la croiser. Quand je tourne en rond dans ma petite ville où le temps languit, je la maudis de la savoir heureuse avec un autre.

    ELLE, c’est la femme de ma vie. C’était. L’imparfait du verbe « être » me contraint à accumuler les relations sans lendemain, histoire de me distancer davantage de mon bel amour chaviré.

    J’aime coucher avec les femmes mariées parce qu’après la baise elles rentrent à la maison sans aucun malentendu, aucune attente, aucune conversation à entretenir, sauf avec Céline qui ne veut pas être considérée comme un coup d’un soir. Céline, je l’ai connue vingt ans plus tôt, elle était maquée, je l’étais aussi. Nous avons flirté brièvement avant de reprendre la voie de la raison. Oui, à vingt ans, nous croyions encore à certains idéaux qui, vus d’ici, ressemblaient déjà à un phare de voiture amoché. Puis elle s’est mariée, a fait deux gosses et a préféré disparaître sans laisser de traces. De temps en temps nous nous écrivions des messages, mais les nouvelles se raréfiaient jusqu’au jour où j’ai compris qu’elle ne répondait que par politesse.

    Dernièrement, je l’ai croisée à une fête, bien éméchée. Elle ne m’a pas remarqué tout de suite à cause de la foule. Je l’attrape par le bras pour la saluer et c’est là qu’elle me fait une déclaration devant mes amis, elle, d’habitude si réservée, si évanescente.

    – Écoute, je t’ai toujours aimé et je t’aimerai toujours, déclare-t-elle entre deux hoquets. Tu es mon plus grand regret, mon rendez-vous manqué.

    Mon rendez-vous manqué. Plutôt joli pour définir une personne, je m’en servirai sûrement dans mon texte. Je lui réponds un peu par défi :

    – Si tu m’aimes vraiment, alors prouve-le.

    David, qui a fait le plein en shots et cocktails variés, me balance :

    – A dónde vas, mi hermano ? ¡ Es la hora de los naufragios ! (Où vas-tu mon frère ? C’est l’heure des naufrages !)

    Et il lâche un cri strident, tel un coyote mexicain au milieu du désert.

    À la grande stupéfaction de mon entourage, je m’éloigne avec Céline en direction du lac, nous quittons le centre névralgique de la fête et échouons dans un parking désert où la musique, bien qu’éloignée, nous parvient encore. Céline a de magnifiques seins que je mordille avec avidité sous les notes de Baila Morena de Zucchero. Ses soupirs me font perdre la raison, j’écarte ses jambes et elle m’invite à la pénétrer. Je ne me fais pas prier. Toutes nos frustrations accumulées pendant vingt années de courtoisie y passent. Derrière un buisson, un type avec une casquette blanche NY pisse à cinq mètres de nous et fredonne un air qui me rappelle vaguement quelque chose. Céline jouit, pas moi. L’alcool joue avec ma libido. Si la bière l’endort, la vodka la décuple. Et ce soir j’ai bu beaucoup de bière. Monsieur Casquette Blanche s’éloigne en titubant.

    Céline me raconte qu’elle s’ennuie dans sa vie de couple, qu’elle regrette d’avoir repêché son mari alors qu’il avait décidé de la quitter quelques années plus tôt. Scénario classique à quarante ans : le mariage, un boulot stable, l’apéro du vendredi avec les collègues, deux grossesses assez rapprochées, la maison, des vacances en Guadeloupe ou à Bali et bim ! la dégringolade… On s’évertue à se construire ses propres cages.

    D’un pas incertain, elle monte dans le bus, et avant que les portes ne se referment, me dit qu’elle a envie de me revoir. Je ne dis pas non.

    / / /

    Moins underground que Lausanne, moins guindée que Montreux, moins cosmopolite que Genève, moins militante que Berne, moins folklorique que Lucerne, ma ville somnole dans le brouillard en automne, s’endort en hiver, balbutie au printemps et conjure le malheur aux premiers jours de l’été. Ici, on trouve plus de pharmacies que de boîtes de nuit. Après, on s’étonne du nombre pharamineux de dépressifs. À partir de 19h, les rues sont désertées. Les gens se précipitent à la maison avec leurs courses. Le dîner, le JT, un film ou une série Netflix pour les plus captivés et dodo. Tout est tranquille. Précis comme une horloge. La sérénité c’est moins bandant que la passion, et des gens passionnés dans le coin j’en connais peu.

    Agota Kristof², l’écrivaine d’origine hongroise, a vécu ici mais rien ne le rappelle, pas de plaque commémorative, aucune rue à son nom. On ne sait même plus qui est Agota Kristof. L’autre jour j’en parlais au bureau avec un collègue qui m’a répondu qu’il avait adoré Le Crime de l’Orient-Express. C’est dire…

    Le jour je suis athée, trop occupé à fonctionner, et à la tombée de la nuit je me surprends à prononcer quelques prières à voix haute. Personne ne les entend, personne ne m’entend. La maison est vide et si lourde de SA présence invisible. L’idée – plutôt un raccourci – c’est d’avoir l’esprit toujours en éveil, sans répit. Et les bars deviennent mes temples.

    Les potes me disent qu’ils aimeraient tant avoir mon charisme. J’ai toujours pensé qu’on racontait ce genre de salades à ceux qui ne ressemblaient à rien. Quand je me regarde dans le miroir, je vois le charisme d’un pingouin et l’habileté d’un rhinocéros. C’est le genre de compliment que j’oublie quand je commence à boire. Jusqu’à quand tiendrai-je le coup ?

    Les mots et les images s’empilent dans ma tête à une vitesse foudroyante, il faut que ça sorte avant le brouillard ou l’implosion. Comme j’ai oublié mon cahier de notes à la maison, le serveur désœuvré m’apporte serviettes et stylo. Tout un pan de la littérature déconseille les fulgurances stylistiques, sous prétexte que ces dernières n’apportent rien au texte si ce n’est un côté artificiel, voire convenu. Rien à cirer. Les mots arrivent de manière inopinée et on fait avec.

    Pourquoi les gens activent-ils la touche haut-parleur sur leur téléphone portable au milieu d’un café ? N’existe-t-il plus de barrières entre la chose privée et celle publique ? Est-ce si important d’apprendre que Félix a oublié l’anniversaire de sa femme alors que personne dans le bistrot ne connaît ni Félix ni sa femme ? Mon texte mental se dissipe avant même de le coucher sur la serviette. Alors je me lève, m’approche de l’inconnu au portable, renverse ma bière sur sa tête et écrase son foutu appareil sous mon talon. Ensuite je lui plante le stylo dans l’œil et lui care les serviettes dans le cul après les avoir soigneusement enroulées ! En fait non, rien de tout ça. Je paie et m’en vais. Je n’ai pas l’âme téméraire ou bagarreuse. Depuis toujours, le monde me passe dessus avec son rouleau compresseur, et en plus je demande pardon.

    / / /

    ELLE est traductrice, maîtrise l’allemand comme personne et déteste l’anglais. Moi c’est l’inverse. Elle fait son jogging tous les matins derrière son chien et pratique la natation à outrance. C’est pour elle qu’un jour, deux semaines après notre rupture, par un après-midi ensoleillé d’avril, j’ai décidé de me jeter dans le lac (choix ironique, la noyade !) avec ma voiture.

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