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Encyclopédie des rêves: Un conte psychanalytique
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Encyclopédie des rêves: Un conte psychanalytique
Ebook621 pages7 hours

Encyclopédie des rêves: Un conte psychanalytique

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About this ebook

L’Encyclopédie des rêves, à la manière des Mille et une Nuits, entrelace les fils d’une histoire d’amour et d’une intrigue policière. Elle dévoile des arcanes essentiels pour comprendre les songes.
Chaque page, illustrée en couleur – avec des vignettes de bandes dessinées, collages d’artistes, tableaux, photographies – fait rêver.

Initiatique. Érotique. Onirique.
LanguageFrançais
Release dateFeb 4, 2014
ISBN9782897210335
Encyclopédie des rêves: Un conte psychanalytique
Author

Soana Kristen

Soana Kristen est née à Paris un 14 février. Elle est danseuse et spécialiste de l’interprétation des rêves.

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    Encyclopédie des rêves - Soana Kristen

    Prologue

    L’aurore dissolvait l’encens bleu de la nuit. Le songe chatoyait encore de rosée. Volutes incandescentes bientôt évanouies, j’évoque mon rêve de l’aube. Lambeaux épars ravaudés avec enthousiasme lorsque ressurgit celui des années d’enfance. Ses apparitions fugaces rythment mon ciel. Traces devenues familières à force d’irruption. Petite et échouée devant une immensité. Une mer de sable semble ; mouvante dans sa substance, bougeante dans ses nuances. En moi, l’allégresse le dispute à l’étonnement. Où mes pas m’emmènent-ils, sur ce sol ductile ? Imaginez un satellite que vous foulez. Son sol animé, tantôt lisse ou ridé. Velouté et soyeux comme le plus doux des tissus, il me procure alors un indicible bonheur. Vite défiguré lorsqu’il se trouble de rides. Pire, des ornières se creusent, des crevasses apparaissent. Ce n’est plus qu’un immense chaos gris et désert. La sérénité paradisiaque s’est dissoute. Objet d’inexplicable métamorphose, les sables d’or reviennent, déroulent leur fluide, leur délicate texture. La douceur de vivre nimbe alors ma démarche. Rêve d’année en année, aussi intense, l’existence dans sa dureté et grandeur. Photographie prémonitoire. Instantané en triple dimension d’atomes de poussière. Impression d’ADN ou promesse destinale ? Décrypter le rêve, c’est pénétrer l’intime, c’est raconter la vie. Et si elle pouvait parler, elle nous dirait : « Je suis la vie, ce grand mot source de maux mais surtout de joie. Chercher à me posséder est impossible. Les trois lettres qui me composent sont-elles celles de violence, initiation, échange ? Qui peut savoir ? Je connais bien chacun d’entre vous. Je connais le pourquoi des choses, je sais vos souhaits, vos envies, vos humeurs plus ou moins intempestives, vos pulsions excitatives. Et pourtant vous m’ignorez.

    J’ai donc un avantage certain sur vous. Loin de moi l’idée d’en profiter, sauf pour vous aider à franchir vos difficultés, à vous affranchir de vos usages les plus tumultueux. Je suis heureuse de vous offrir l’infinie création baignée par le soleil et l’eau de pluie, les bienfaits de vos efforts, le parfum purifiant de vos songes. Nous pouvons appeler cela la magie du verbe, la magie de l’action. »

    Écrire est s’adonner à la jouissance d’un événement qu’on puisse partager avec le lecteur mais aussi une façon subtile d’agresser car les mots portent perfidie ou enchantement. Le sculpteur des mots a l’art de faire naître des légendes dans sa propre saga. Faire rêver, envoûté par la fragrance d’une fleur de frangipanier, avec une vivacité plus ou moins raisonnable. Le conteur amène un peu autrui à partager sa couche, suggère un air entraînant, un air frais où le seringua se mêlerait de gardénia. Où l’homme entre détresse et promesse, inhalerait-il une bouffée d’air, sinon dans son songe même perdu au tréfonds de sa conscience ? L’encyclopédie sur les rêves n’est rien d’autre que l’exploration du labyrinthe dans lequel on se perd ou l’on se retrouve face à soi, guidé par le chuchotis des voix intérieures. Des initiateurs et des sages nous confieront peut-être leurs clefs ou leur fil d’or. Pénétrer l’univers onirique, c’est cheminer dans le palais des miroirs dont on retrouve une évocation très pâlotte dans nos foires actuelles, flirter avec la tubéreuse et s’enivrer du troublant jasmin. Il n’empêche que se faufiler dans le rêve, c’est prendre le risque d’une confrontation rocambolesque où l’on perd son latin et son sens de l’orientation. Et dans ce gouffre des profondeurs s’affronter au Minotaure n’est pas la moindre des aventures. Se laissera t-il apprivoiser par une femme ? Qui en cache une autre et puis encore une autre ? Le démon du rêve me tenaille semble-t-il depuis toujours. Être psychanalyste c’est avoir retrouvé mes penchants d’enfant, l’incandescence des flammes jaillies d’un autel improvisé, la nature parée d’indigo, la clarté surgie de l’obscur.

    Prenez-vous le risque de m’accompagner dans ce périple ?

    La lettre anonyme

    La nuit glacée étincelle sous le halo bleuté de la lune en cette veille de Noël. Les flocons nimbent l’atmosphère d’une féerie lactée, démentie par l’âpre bise comme soufflée des lointaines steppes de l’Oural. Fantomatique, une friponne déambule sous les rares réverbères diffusant leur maigre auréole de lumière. La cité, à la dérobée dans les ténèbres, se dresse comme une forteresse raidie, hostile, jalouse, en ses préparatifs de festins. Dans la pénombre, les silhouettes roides se dessinent à peine, spectres aux lèvres aguicheuses, squelettes dénudés au risque d’une mortelle morsure, épaves mangées de solitude, parées pour le grand soir. Échouée sur le trottoir noctambule, une statue de givre à la chevelure miellée et décolorée se détache. Elle s’ébroue, chaloupe, louve devenue proie d’abandon, fière, femelle jusqu’au bout des ongles qu’elle porte longs et la crinière au vent, brillante et vagabonde. L’arc parfait des sourcils souligne les yeux de braise, le manteau à l’imprimé panthère dévoile une poitrine à l’opulence fellinienne, moulée dans une mini jupe de daim et perchée sur des cuissardes lacées, elle s’approche et murmure : « Mon nom, tu ne le sauras pas, mais je veux te parler. Mon chemin a été un long chemin de croix. J’ai pris pour mâle mon homme de cœur car je n’avais d’yeux que pour lui. Quel triste choix ! J’ai eu le bonheur d’avoir cinq enfants, ce fut le seul – et elle éclate en sanglots. J’ai supporté d’être battue, j’ai compris trop tard, j’ai failli succomber sous les coups.

    — Ne pleure pas. Viens me raconter ce soir ou demain si tu préfères, nous parlerons. »

    L’ombre diaphane lui caresse le visage et lui chante « Le soir vermeil ressemble à l’aurore dans l’éclat pâli de nos yeux. » Intonations mélodieuses et geste infiniment paisible, elle effleure de nouveau la joue en larmes et la créature s’en va légère. La silhouette improbable au regard inouï se met à psalmodier en araméen : « Bé-retsou dé-shemash kol hélèm » « Tout rêve advient de par la volonté du soleil ».Tout souci semble s’évanouir à l’écoute de sa voix. Plus loin, une bagarre. Deux hommes, le couteau à la main, s’injurient. D’une voix chantante, une fois arrivée à leur hauteur, elle prononce ces mots : « La main portée, tu la recevras. La pensée émise, tu la récolteras un jour. Ton acte te reviendra. Alors, à quoi sert cette violence ? Prenez la vie par l’anse et allez boire à ma santé, si vous en êtes capables. Demain, je vous cède un tonneau entier. À une seule condition. Vous le boirez dans la rue jusqu’à la dernière goutte et affronterez les regards, ligotés à vos Danaïdes respectives. »

    Elle sifflote alors gaiement une maxime en grec : « Gennaióteros gígnou prós seautón aeí episkeptómenos – deviens plus noble en t’examinant sans cesse toi-même ». Bouche bée, les deux larrons restent pétrifiés, pris de fou rire, résolus à chercher en titubant un havre, avant de dénigrer cette future et étrange beuverie qu’elle leur promet. Un peu plus loin sous le porche, l’œil acéré aperçoit une forme qui se détourne. Elle s’approche et voit la jeune fille tentant de cacher ses larcins. « Diablesse, tu croies que je t’aie pas vue ? Tu cours plus vite que moi, alors voici quelques sous pour aller acheter du pain. Je te rejoins là-bas. »

    La mangouste, baptisée ainsi par ses compagnons d’exil en raison de la gracieuseté d’une chevelure soyeuse et d’un regard aussi oblique que frémissant, abandonnée par ses parents adoptifs, erre depuis lors, enfant des rues, hébergée au gré des volontés. Elle a trouvé pension permanente là où demeure « la fée », comme elle dit, quémandeuse de ses regards et de ses attentions. Fil ténu pourtant aussi fort qu’un totem. La belle dame poursuit sa route, figure de proue dans cet océan d’amertume. Tous l’apprécient : prostituées, sans abris, travestis, cacochymes ignorés, maltraités de la fortune ou insouciants de leur chemin. La nuit resserre ses griffes tandis que scintillent les rampes au krypton, vertiges multicolores de palais des miroirs désenchanteurs et désorientants. Les dards des déluges de néon avivent les écorchures de ces hétaïres de neige dont les masques d’argent ne cuirassent pas la volupté dans l’indifférence. Marmoréenne indécence d’une Babylone déchue, portant au firmament ses étoiles d’une heure, s’accommodant d’offrandes au nouveau Moloch. Oblation réinventée dans les fosses d’impureté, rêves chimériques noyés dans la boue, fleur sacrée de l’amour piétinée pour refleurir la source édénique à conquérir. L’ombre croise le regard clair du vagabond, digne devant le repas improvisé. L’homme lui confie par la pensée : « Oui, Anaïs, tu ne ressembles en rien à ces religieuses aigries, étroites de cœur et étriquées du cul. Tu es une vraie femme. Je sais regarder et observer. Tu as connu l’amour et tu t’es détachée du monde. Pourquoi ? Je ne sais mais je te comprends. Et dans notre bavardage silencieux, tout est dit. » Les accents d’une musique langoureuse par le violoncelle et acidulée par le violon parviennent jusqu’à elle. Stridences fascinantes, tons du jaune à l’orangé et d’un rouge profond au violet alternées selon les gammes plus ou moins aiguës, portées par une sarabande symphonique dont l’acmé suggère le frisson. Évocation des instants heureux. Sanglots déchirants et pleurs de joie mêlés pour un dessein dont le destin se joue et nous berne comme il nous berce aux cimes de nos vouloirs chimériques. Saint-Saëns fait naître un voyage imaginaire. Un joyau musical à la beauté convulsive s’extirpe du brouillard de givre. Rhapsodie au lyrisme déchu. Puis mon amie la rose belle et cruelle, griffée Natasha Atlas, ta peau contre ma peau d’une voix sensuelle et gamine par Edgar de l’Est et le duo soul rock de Sly & The family stone qui déménage sur une Family Affair avant d’entendre Shakira. Oh, envie de danser ! Soudain, elle aperçoit un homme distingué, âgé, nu sous sa couverture, grelottant comme un hibou effrayé. Sans doute lui a-t-on volé le peu qui lui reste et de surcroît ses lunettes. Absent aux dangerosités, poreux au malheur. Anaïs fait signe à l’une de ses amies du monde de la nuit de le prendre par la main. Éclairer l’instant d’un sourire, d’une phrase, d’un regard, d’un geste, d’un rire cristallin. Telle est Anaïs et ses contacts avec des êtres de bout du monde, tenus dans ces marges par choix ou par abandon, indigence ou hasard. Elle rentre dans son château devenu couvent. Il ne devrait plus rien arriver ce soir. Pourtant, son instinct la laisse en éveil. La petite coquine aurait-elle encore fait une bêtise ? Anaïs flaire autre chose, un parfum d’inattendu. Et cette fragrance planant dans l’air ? Senteur de lavande, de verveine, de romarin et de rose bulgare. D’homme ou de femme ? Ce pourrait être l’un ou l’autre à vrai dire. Voilà l’odeur du citron de Sicile, si plaisante et si anachronique en cette heure, en ce lieu. Décidément, l’air est chargé cette nuit d’un je ne sais quoi de nébuleux. Imperceptiblement ses pas la portent vers la boîte aux lettres. Plutôt son box. Et pourtant il est impossible que le facteur soit passé. Anaïs chantonne : « Les ronces sont les épices de la vie. » Et pourtant, presque machinalement, elle ouvre le pli : Anaïs Moula Derkerwen. En la prenant, elle hume une odeur délicieuse de rose bulgare. Cette enveloppe large et belle à cette heure indue, un metteur en scène n’aurait pu mieux faire. Qui l’envoie, et pourquoi ? Anaïs la prend et se propose de la lire tranquillement dans sa chambre. Mais auparavant, rejoindre la petite, la distraire par quelques histoires. Une fois tranquille, attisé le feu qui menace de s’éteindre dans la cheminée, Anaïs s’assoit à sa table de travail, se saisit d’un coupe-papier pour ouvrir l’étrange dépôt. Son nom est calligraphié. L’écriture ne permet pas d’identifier le sexe de la personne, mais Anaïs sait que c’est chose difficile. « Voyons plutôt la lettre ! » se dit-elle. Un coup d’œil lui suffit pour s’assurer qu’il s’agit d’une lettre anonyme. C’est la première fois de que semblable surprise lui est échue. Sa curiosité s’aiguise. Quel mobile a pu pousser son auteur ?

    Mon nom de code est N

    Je sais que vous savez, sans doute ne savez-vous pas ce que je sais, ce que je sus. Mon nom ne vous dirait rien. Mon nom de code est N. La haine est mon élément. Cela signifie donc que je dois penser en tant que haine, en mal, jouer sur l’échiquier le mal, condamner certains selon mon bon vouloir. Mes adversaires, si on peut les appeler ainsi, sont madame au nom de code : M, et monsieur au nom de code : O. Madame au nom de code M doit miser sur l’échiquier l’amour, trouver les moyens d’équilibrer sans mettre en échec, messieurs N et O, haine et observation. En tant que haine, je dois concentrer ma démarche afin de créer la plus grande négativité possible au plus haut niveau, usant de toute mon intelligence pour déstabiliser les gouvernants les plus en vue, pour décrédibiliser les êtres hors du commun, pour semer la zizanie, l’échec, l’humiliation partout où je le peux, de la façon la plus ostentatoire. Le pouvoir est grisant. S’entraîner ainsi aux échecs est exaltant. Agir, faire faire ce qui est prévu par soi-même, sans être connu ni reconnu est enivrant. Ce n’est pas ce que vous retirez d’avantage financier car de ce profit vous n’avez que faire. L’ensemble fait NOM. L’organisation sans nom, du NOM, a pris la décision la plus terrifiante qui soit. Je vous laisse imaginer ce qu’elle est. Vais-je m’acquitter de mon travail, vais-je l’accomplir ? Me révolter serait condamner à mort l’ensemble de ma famille. S’il m’arrive malheur, je veux qu’il reste trace. Un cauchemar lancinant m’obsède. Est-ce l’œil de ma conscience ? Pourtant je n’ai ni regret ni remords, seulement la satisfaction jouissive d’avoir survécu, d’avoir dirigé et manipulé. Avoir honoré pendant toutes ces années, ces rendez-vous très particuliers et clandestins me ravit. Je vous écris parce que je vous sais tenue par la confidentialité absolue. Peut-être vous écrirai-je encore, peut-être pas. Mes sources m’ont montré et démontré quoique je les aie réfutées dans un premier mouvement que certains êtres étaient en mesure de posséder des renseignements ultrasecrets par la voie de la télépathie, des rêves éveillés ou des rêves nocturnes. Votre nom m’a été comme soufflé alors que je m’éveillais d’une nuit des plus agitées. Je ne sais pourquoi nos étoiles se croisent mais je sais que vous aurez les moyens de retrouver mes proches, ma famille – car famille est une notion qui ne s’attache guère aux liens du sang mais à ceux qui se lient par la confiance – en cas d’impératif absolu. Signé N.

    La lettre inquiète, interdit le déchiffrement de l’identité. Singulière, hautaine, complexe. Comme l’ambition de marquer de son sceau le récipiendaire. S’imprimer en son être pour le meilleur ou pour le pire ! « La nuit porte conseil, se dit-elle, quelle étrange missive et quelle portée lui prêter ? J’aviserai demain matin. »

    Les rouages du pouvoir

    Cinq heures plus tard, Anaïs s’éveille comme d’un mauvais rêve. Le soleil sertit le jour duveteux d’une pellicule immaculée, ranime les ruelles et les places ankylosées. La neige ruisselle d’atours et recouvre d’une brume scintillante tout ce quelle touche. Jeteuse de charme au génie renouvelé, la reine céleste détient le bienfait de diluer l’obscure glaise et la froide pétrification sous sa mansuétude opaline, renouvelant ainsi l’âme morose de ses dégoûts et de ses chagrins. Les dentelles de fer forgé se parent d’une toison d’argent giflée par la caresse glaciale du vent et les rais de teinte boréale. Les accords d’une suite de Bach résonnent dans le lointain. Préoccupée, Anaïs se met en quête d’aide. Sa route a traversé plusieurs fois celle d’un homme à qui elle porte grande estime. Il l’a étonnée d’abord par sa lucidité aiguisée, qualité maîtresse dans un métier où l’ordre strict prédomine et sa prédilection pour la recherche lui a offert de belles réussites professionnelles. Les fêtes passées, Anaïs appelle le commissaire qui vient s’enquérir des faits. Sans divulguer quoi que ce soit, elle s’enquiert des grandes affaires criminelles non élucidées à ce jour et lui demande s’il a, au cours du passé, eu affaire à un interprète des rêves. Entre-temps la conversation dérive sur un sujet qui les passionne pareillement.

    « Nous éprouvons l’un et l’autre les rouages du pouvoir.

    — La domination, la manipulation, comment régner et instaurer des lois sont les bases d’une gouvernance dont Machiavel a décrit beaucoup de principes.

    — Toute communauté va se rassembler sous les ordres et les bannières d’un gouvernant qui sera élu, désigné ou va s’approprier la possibilité de diriger. Ces éventualités vont s’enchevêtrer en permanence. Pour assurer la continuité d’une autorité, le régnant est déifié afin de permettre à la masse d’avoir un ordre de référence. On ne va pas dire le roi, mais mon roi. On va l’enréoler et l’auréoler. Dans ce cadre civil, on va instituer un cadre de règles. D’où le mot religion. Et ce monde religieux va promulguer un catalogue de convenances, un cérémonial appelé étiquette ou liturgie. Des dogmes seront édifiés, édictés pour constituer un certain savoir. On va donc créer des chapitres. Et, dans chaque chapitre, on aura des chanoines. Pourquoi des chanoines ? L’étymologie officielle rattache le terme au canon, c’est à dire à la règle. La boucle est bouclée. Chacun sait que, pour enfiler un fil dans une aiguille – pas forcément aisé d’ailleurs – la béance s’appelle un chas. Il faut une ouverture. Et, de fil en aiguille, on tisse la toile.

    Offrons-nous quelques instants une fantaisie étymologique sur cha-noine. Noine évoque nonne, le rôle des nonnes, des cha-nonnes. C’est vrai qu’entre une nonne et un chas, il n’y a peut-être guère de dissemblance. La chanonne avait pour but de diriger et d’amener au chapitre – et je vais être un peu méchante, médisante – tous les commérages et les racontars, afin qu’ils soient répertoriés, colligés, connus du chapitre. Les chanoinesses avaient cette digne fonction d’ailleurs très prisée par l’inquisition qui s’empressait de condamner les langues imprudentes. Les confesseurs n’avaient guère d’autre rôle, sauf exception. Le chapitre était dressé par le grand prêtre ou le représentant du grand prêtre. Grand prêtre ou roi, on retrouve la même définition. Le roi celui qui trace la voie à suivre, le roué, c’est ce qui est au milieu de la roue, le milieu, fait tourner, c’est le régent. Il va régenter et ainsi on va régenter le chapitre.

    — L’inquisition, ma chère Anaïs, a encore de beaux jours devant elle et je ne vous surprendrai pas en vous disant que bon nombre d’employés de notre digne administration remplissent la responsabilité que vous assignez aux nonnes ou aux préposés au culte. Les conseillers municipaux sont en première ligne pour engranger les doléances ou les souhaits des administrés. Qui a la plus grande habileté à moissonner les aveux sinon le monde de l’écoute ? Et nous avons été amenés à écouter le monde de l’écoute et à trouver coopération dans celui de la voyance et de la médiumnité dans leurs versants négatifs. Pour ses prises de position, son statut ou le crédit qu’on lui prête, un de mes officiers a enquêté sur une psychanalyste connue pour ses activités contestataires à l’adolescence, son goût pour l’accueil de personnages très disparates. Jusqu’à appliquer avec certains le troc ou la gratuité. Cela l’a rendue suspecte aux yeux de la hiérarchie qui a tenté de s’approprier ses services. Elle a refusé et peut-être est-ce la raison véritable de cette forme inquisitoriale afin de la sonder. Et puis cette profession possède de grandes analogies avec le métier d’agent secret : il ne nécessite ni diplômes ni manuels spécifiques. Demain, mon officier, s’il est libre, vous appellera pour vous exposer la scène. Pour l’affaire qui vous concerne et semble requérir une confidentialité totale et un certain flair, elle pourrait être la personne qu’il vous faut. »

    La consultation

    Dès le lendemain, l’officier prend contact avec Anaïs et lui conte sa confrontation avec la psychanalyste.

    Pour ma première entrevue, j’avais transmis à la personne au téléphone – peut-être une secrétaire – le souhait d’une « psychanalyse différente ».

    Arrive le jour J. Je prends place face à la psychanalyste dans un fauteuil de l’autre côté d’un bureau design de tonalité vert pâle. Mon regard a du mal à se poser, attiré par un sofa javanais, les stores orangés japonisants et coulissants, une sculpture, des objets un peu étranges, au mana évocateur, les grandes baies ouvertes sur la ville à perte de vue.

    « J’ai vu une Jaguar devant la porte de l’immeuble, est-ce-la vôtre ?

    — Non, pourquoi donc ? Seriez-vous affilié aux renseignements généraux ?

    — Eh bien, parce que je ne me vois pas aller chez un psychanalyste qui aurait une Jaguar.

    — Et pourquoi pas ? Cela regarde votre thérapeute qui a pu faire une excellente affaire ou dont la passion est tout simplement la Jaguar. Avant d’exercer ce métier à titre libéral, j’ai travaillé sept ans bénévolement dans une association caritative et mes droits d’auteur sont reversés à un espace culturel qui en dispose pour de pauvres gens. Si l’argent avait été ma motivation, il eût mieux valu que je choisisse un autre métier où je ne serais pas exposée à ce type d’inquisition verbale.

    — Je suis décontenancé ! D’abord, votre bureau, et puis ensuite… vous !

    — Eh bien, n’était-ce pas votre souhait : une forme autre de psychanalyse ?

    — J’ai effectué tant d’années de psychanalyse…

    — Oh ! vous ne battez sûrement pas le record d’un de mes consultants qui en comptabilisait vingt-sept avant de venir me rencontrer.

    — Effectivement, dis-je dubitatif. Il a arrêté depuis ?

    — Oui, nous avons arrêté depuis peu.

    — Ah ! Eh bien, c’est justement ce que je souhaiterais. Quel délai lui a-t-il fallu ?

    — Deux ans, pour son bonheur et son malheur.

    — Pourquoi dites-vous cela ?

    — Pour son bonheur parce qu’il va plutôt bien et a écrit un témoignage de son long parcours, mais aussi pour son malheur, car s’il lui prenait le mauvais goût de le crier sur les toits, il n’aurait plus sa pension d’invalidité et les psychiatres mal intentionnés pleureraient un abonné permanent justifiant leurs émoluments ! Il n’a donc pas le droit d’aller mieux qu’il ne va à l’heure actuelle, du moins il ne se le concède pas, par peur de la vie active et de la pénurie d’emploi.

    — Ah ! c’est curieux, il y a beaucoup d’analogies, moi aussi je suis ingénieur au chômage, justement je voudrais que vous m’aidiez à opérer mes ruptures, et mon rêve serait d’écrire ! »

    La consultation a alors dérivé sur mon travail, du moins celui que j’avais inventé pour la circonstance.

    « Ah ! ce n’est pas du tout ce que j’avais prévu de dire. En fait, rien ne se passe comme je l’avais anticipé. J’avais conjecturé un entretien en deux paliers, où le deuxième je l’aurais passé sur le divan.

    — Est-ce moi qui décide ici ou vous ? Le divan n’est là que pour la décoration, excepté en cas de force majeure.

    — Quoi, je ne peux pas m’allonger sur le divan ?

    — En dépit du fait qu’il soit très esthétique – mais pas forcément très confortable – ce n’est pas dans ma conception. Je ne vois pas comment, pour aider les gens à se lever, je commencerais par les allonger. Mais selon l’inspiration et la situation ce peut être une obligation. Or votre cas ne me paraît pas relever du divan. À l’époque de Freud il était indispensable en vertu de l’usage de l’hypnose. Cependant ma règle est de m’accorder à la singularité de l’être.

    — Mais, tous les psychanalystes pensent différemment. Remarquez, c’est la première fois qu’une psychanalyste me fait rire. Ce sont des gens qui ne savent pas sourire.

    — Je vous laisse l’entière responsabilité de vos propos.

    — Il n’y a aucun échange, bien qu’ils m’aient fortement amené aux relations échangistes.

    — C’est original. Une démarche communicative comme vous le constatez évite des sentiers aussi tortueux dont une certaine littérature se sustente, mais dont les adeptes se trouvent fortement déstabilisés, voire réduits à l’impuissance selon leurs témoignages. Vous me direz ce que vous en pensez vous-même : Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Mais, l’humanité est riche de sa diversité.

    — Mais alors, comment cela se passe, en face à face, comme cela ?

    — Eh bien oui, en face à face. Vous ne voudriez tout de même pas que je vous tourne le dos ou l’inverse. Ne serait-ce pas un peu compliqué ? Nous serions à l’époque antique, cet exercice me séduirait. Pythagore le pratiquait à sa façon. Un rideau opaque le séparait de ses disciples. Seule la voix les reliait. La voix nue. Ce principe me comblerait, si le rituel aujourd’hui ne risquait d’être entaché de moult suspicions, loin du caractère sacralisé de l’initiation qu’il avait à l’époque. Désormais, le processus est inversé – du moins pour certains ! Pythagore pouvait notifier le silence à ses fidèles durant des périodes d’une à plusieurs années. La chose serait difficile à l’heure actuelle à moins que vous ne vous portiez candidat.

    — Et si j’insistais pour être debout par exemple ou pour m’asseoir sur votre tapis. (Ce que je fis par provocation à une séance ultérieure sans qu’elle bronche le moins du monde).

    — Si tel est votre choix, vous l’assumez, vous vous fatiguerez plus vite que moi !

    — Vous me déroutez.

    — Justement, c’est pour mieux se retrouver en dehors des avenues du lacanisme, du freudisme, du jungisme, de l’adlérisme, bref de tous les ismes.

    — Ah ! ne me parlez pas de Lacan, c’est un fossoyeur de la psychanalyse !

    — Cette conception vous regarde, la critique est aisée, la technique est difficile. Actuellement ce seraient plutôt les lacaniens qui opèrent sa résurrection face à des thérapies cognitives comportementalistes invasives, simplistes et souvent nocives car elles traitent le symptôme et non l’être dans son intégralité ! L’art de la psychanalyse – comme les autres d’ailleurs – c’est d’oser innover. Là est la richesse de la succession offerte, de l’héritage transmis par tous ces brillants maîtres et initiateurs qu’ont été Freud, Jung, Adler et bien d’autres. Au travers de cet héritage l’être apporte un renouveau à la décrépitude existentielle.

    — Et le concept d’inconscient, est-ce que vous le réfutez aussi ?

    — Non, je ne le réfute pas, mais je ne trouve pas que ce soit un terme tellement approprié, bien que j’aie beaucoup aimé la lecture de Psychologie de lInconscient de Carl-Gustav Jung. Je préfèrerais mémoire parce que dans cette mémoire il y a une partie inconsciente et une partie consciente. L’inconscience se décompose en in/conscience. Depuis une centaine d’années, on a retenu le in privatif, le hors conscience mais pas le in lui conférant le sens opposé : dans la conscience. L’hiatus entre génération est strictement nécessaire à l’évolution, non seulement de l’espèce, mais à l’évolution tout court, positive ou négative, peu importe. Que nous dit d’autre le proverbe : « on a toujours besoin d’un plus petit que soi » ?

    — Pouvez-vous me dire ce que je dois faire pour les deux ruptures que je suis en train de vivre ? Avec ma femme et avec ma psychanalyste.

    — Eh bien, je dirais tout d’abord que je ne pense pour personne, à la place de personne. Néanmoins, je peux vous donner un simple avis après que vous m’aurez exposé les tenants et aboutissants du problème.

    — Vous n’êtes pas capable de prendre une décision ?

    — Je suis habilitée à faire que ce qui est dans mes forces. Je ne possède pas l’infusion de la science. La sagesse est le je sais ça. Je sais que je ne sais pas grand-chose. Je peux vous aider à préciser vos besoins et vos choix dans ces limites.

    — Je vous trouve ravissante.

    — Merci du compliment, néanmoins je le trouve par­faitement déplacé et inconvenant. J’entends, dans le respect de la relation psychanalytique, qu’à ce niveau-là, il y ait la même cloison, aussi étanche que celle que vous me demandez sur le plan du secret professionnel. Sans ce respect, aucun travail ne sera envisageable. Est-ce clair ?

    — Oui, c’est clair. Mais vous savez, beaucoup de psychanalystes ont des relations avec leurs consultants, consultantes.

    — Ce que les autres font ou défont les regarde. Chez moi, les règles sont parfaitement définies. Une relation de ce type me paraît relever de l’inceste et explique d’ailleurs les échecs inhérents à des confusions aussi élémentaires bien que remboursées par un organisme de Sécurité Sociale.

    — C’est catho ce que vous me dites là.

    — Je ne suis pas catho sous prétexte que je n’endosse pas n’importe quelle tocade.

    — Justement je voudrais arrêter avec ma précédente psychanalyste parce que je voulais coucher avec elle.

    — Pourquoi m’en parler ? C’est avec elle qu’il faut en discuter, pas avec moi.

    — C’est elle qui m’a conseillé d’aller voir une tierce personne pour en discuter.

    — Vous avez mon point de vue.

    — Oui, mais les gens en thérapie sont souvent un peu démunis, fragilisés.

    — C’est vrai. C’est pour cela qu’il est tout à fait inadmissible de profiter de quelque situation que ce soit. Dans ce cas-là, on fait œuvre de naufrageur. Si dans une relation comme celle-ci le respect n’est pas de mise, comment voudriez-vous la paix à un échelon plus vaste ? L’éthique est primordiale dans notre métier et avoir une position triviale est criminel. Le thérapeute est tout aussi en droit d’attendre le respect de celui ou de celle qui le consulte, sans lequel la relation d’aide ne peut exister. En psychothérapie, le postulant n’est ni anesthésié, ni fragilisé au point d’être décérébré. Vous ne me semblez pas particulièrement influençable. Être en posture difficile ne signifie pas avoir perdu toute défense !

    — Vous avez une conception très particulière, mais déroutante, très déroutante. Vous êtes bien dans la rubrique psychanalyste dans l’annuaire ?

    — C’est tout à fait vrai, je revendique ce terme, cette appellation contrôlée, ce qui ne signifie pas que je revendique toutes les méthodes qui s’y rattachent.

    — Ce que vous me dites me laisse à penser. Je suis actuellement dans une situation matérielle précaire et lorsque je gagnais ma vie bien mieux que mes concitoyens, le psychiatre m’invitait à venir le voir deux à trois fois par semaine. Cela a duré dix ans. J’effectuais cent kilomètres à chaque fois. Maintenant, j’aurais bien besoin de cet argent. Et lorsque je suis allé revoir ce psychiatre pour lui demander de me prêter avec intérêt une petite part de ce que je lui avais payé, il a refusé : Je ne suis ni votre ami ni votre banquier ! J’ai été très gêné, et je ne savais plus quelle attitude adopter. La situation était renversée. Je devenais son psychanalyste.

    — Histoire édifiante sauf que vous ne lui avez pas demandé d’honoraires. Votre cher ami manquait d’humour et vous de discrimination, mais s’il vous a traité sans médicamentation, c’est déjà positif en soi et mieux vaut avoir laissé des écus que des neurones ou sa peau sur le tapis.

    — Je vous ai dit que je souhaitais la rupture avec ma femme. En fait, nous sommes en train de divorcer. Bien que ce soit elle à sa demande, je pense que ce sera une excellente chose pour moi, car c’est une mante religieuse. J’ai le sentiment que je porte sa folie. Dans ce cadre, je souhaite que mon analyse continue et progresse. Je veux déclencher la sympathie, être aimé.

    — Pourquoi êtes-vous attiré par les mantes religieuses ? On ne peut pas être aimé par tout le monde sans s’exposer à des appétits multiples et variés de dévoration.

    — C’est vrai, je suis très prisonnier du qu’en dira-t-on, comme l’était mon père, homme très fermé. Je souhaiterais que vous m’aidiez sur ce plan, par exemple pour séduire plus facilement une jolie fille à qui je souhaite faire l’amour.

    — Mon rôle est de vous accompagner dans votre transmuta­tion.

    — Mais, comment cela se passe-t-il puisqu’il n’y a pas de divan ?

    — Eh bien, par le dialogue ou par les rêves. Je vous abandonne la partie pratique !

    — Vous analysez les rêves. Analyser, vous avez de ces termes… Je dois dire que j’ai bien envie d’essayer. Les rêves, cela me laisse songeur ! Mais, qu’est-ce qu’un rêve ?

    — Le rêve, c’est le rê-ve, le vouloir du soleil.

    — Dites-moi, ne faites-vous pas joujou avec les mots ? Seriez-vous lacanienne ?

    — Nul besoin d’être lacanienne pour jouer avec les mots. Ce jeu, comme vous dites, est en fait une manière cratylienne d’interpréter le rêve. Le Cratyle est le nom d’un dialogue fameux de Platon, sur l’origine du langage. J’ai l’impudence de penser que le rêve, comme expression à la fois imagée et sonique de l’être, ne peut se comprendre qu’à travers le signifiant du mot. À la manière de Cratyle et de Socrate, je recours à ce que Gérard Genette appelle l’éponymie du nom.

    Elle s’obtient par la décomposition du nom comme celle à laquelle je viens de me livrer avec le mot rêve.

    — Qu’est-ce que cet étrange vocable ? L’éponymie ? Je ne suis pas un intellectuel moi ! Parlez simplement je vous prie. J’ai le goût d’apprendre à condition de comprendre.

    — L’éponymie du nom selon Genette est l’accord de sa désignation et de sa signification. C’est la recherche de ce type de motivation par des manipulations lexicales diverses, allant de la simple décomposition à des étirements voire des condensations, visant à retrouver la motivation commune à toutes. Par exemple rêver de vélo évoque le cycle, évoluer, voire bicyclette ou petite reine avec une résonance érotique ; il a pour anagrame lové et peut signifier par étirement l’amour… C’est le fait devant un nom propre ou un nom commun dont on sait déjà ce qu’il désigne, de se demander en outre ce qu’il veut dire : le serpent, la pensée. Parfois une simple permutation suffit : insecte, inceste. Socrate comme Cratyle croient en la justesse des noms qui s’accorde de surcroît à la vérité des sons. Ainsi, à travers Cratyle puis Socrate, je me sens habilitée à une interprétation du rêve via l’éponymie. Un linguiste comme Merritt Ruhlen pense qu’il existe une langue mère commune à toutes les autres. À l’en croire, quelle que soit la langue, on retrouve des conceptions similaires, même traduites par des mots très disparates.

    — Si je vous suis bien, vous pourriez aussi interpréter mon nom à la faveur de cette thèse et me définir. Que pouvez-vous donc me dire sur Leriche ?

    — Sans le savoir, ce qui prouve que votre inconscience fait merveilleusement son travail et que tout est en chacun de nous à condition d’ouvrir son cœur (le mot est discutable et n’a rien à voir avec l’organe), vous proposez le nom du détracteur de Cratyle, Hermogène, qui lui s’en remet à la convention. Socrate traduit son nom par le riche. De plus vous me donnez l’occasion de contester Socrate ce qui est fort agréable. En effet, la question est posée de savoir pourquoi Hermogène s’appelle ainsi et si le nom est bien choisi, s’il convient à sa personnalité. Cratyle le conteste en arguant qu’il s’agit d’un contre-exemple sans motiver son affirmation : Ton nom n’est pas Hermogène, même si tout le monde te le donne. Socrate prend alors le relais: Peut-être pense-t-il que tu échoues dans tes efforts pour acquérir la fortune. Car Hermogène est pauvre ; or, selon l’analyse, son nom signifie : de la race d’Hermès (dieu de la richesse). Résumons le propos de Socrate : cet homme pauvre s’appelle Leriche, ce n’est donc pas juste. Hermogène, selon Socrate et Cratyle est le cas de discordance de ce dialogue. Et moi je prétends que Socrate a tort. Il n’est pas discordant. Le riche ou Leriche sera riche ou ne le sera pas. Il aura continûment un lien particulier avec la richesse. Une locution latine soutient que le nom contient le destin : nomen, omen (le nom est un présage), voire un anti-destin. Klein (petit en allemand) qui donne naissance à de grands noms – Mélanie la psychanalyste, Yves le peintre – au risque de la mégalomanie. En positif ou en négatif, riche ou pauvre, grand ou petit. Concrètement le résultat sera différent mais théoriquement c’est le même mouvement, la même ligne. Ensuite la richesse peut s’envisager comme morale, spirituelle ou affective et ne pas être reléguée à une seule acception matérielle. C’est étonnant de la part de Socrate dédaigneux habituellement du matériel, de s’en tenir à cette seule tournure. Il est pourtant aisé de lire en Hermogène, ce goût pour l’hermétisme, l’herméneutique. Hermès choisi par Zeus comme le messager des dieux en raison de son ingéniosité, de son éloquence et de sa persuasion. Il assiste les trois Parques pendant qu’elles composent l’alphabet. Hermo-gène accomplit donc son destin, n’en déplaise à Socrate, en se mêlant de la chose du langage, en particulier de sa genèse.

    — J’entends bien ce que vous dites. D’ailleurs Hermès n’est-il pas le dieu des psychanalystes des commerçants et des voleurs ?

    — Certes, mais aussi de la divination et de l’astronomie.

    — Mais si je poursuis en vous disant que je me prénomme Jean. Que répondez-vous à cela ?

    — Jean. Eh bien là, permettez-moi d’improviser et puisque ni Cratyle ni Socrate n’ont envisagé ce cas d’espèce, d’avoir recours à l’homonymie et non plus à l’étymologie qui lui accorde la décomposition

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