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La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5: L'Or du naufragé
La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5: L'Or du naufragé
La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5: L'Or du naufragé
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La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5: L'Or du naufragé

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About this ebook

Engagé dans une trépidante chasse au trésor débutée à Madrid en compagnie du comte de Puertovar et d’Alfonzo Ricotta, le jeune et bouillant marquis de Morteterre fait son grand retour en Méditerranée.

Tandis que le comte est appelé à rejoindre la cité vénitienne de Candie assiégée, dans le but de mettre fin à une conspiration visant à la livrer aux Ottomans, devenu par un caprice du destin le capitaine et le propriétaire d’un brigantin armé, Noris se voit confié une lettre de marque de l’Ordre des chevaliers de Malte lui permettant d’attaquer les navires de la Sublime Porte.

Fort de ce soutien, et soucieux de mener à bien son entreprise, celle-ci visant à mettre la main sur ce qui semble représenter une colossale fortune, notre intrépide gentilhomme met à son tour le cap sur Candie où l’attendent le comte, mais aussi de nombreux dangers.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Metz en 1966, Rémy GRATIER de SAINT LOUIS est un autodidacte passionné d’Histoire et d’aventures épiques.
Il a publié aux éditions ROD
Bran Dents de Loup tome 1 (Heroic-Fantasy)
Bran Dents de Loup tome 2 – La Revanche du Khan (Heroic-Fantasy)
Bran Dents de Loup tome 3 – Ténèbres sur Liin (Heroic-Fantasy) aux éditions Underground
Les Fabuleuses Aventures d’Arielle Petitbois Tome 1 – La Fille de samin (Fantastique) aux éditions de la Banshee
Les Sources du Mal (Fantastique)
blog de l’auteur : http://rgdsl-auteur.blogspot.com/
LanguageFrançais
PublisherEncre Rouge
Release dateAug 27, 2021
ISBN9782377898855
La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5: L'Or du naufragé

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    La Geste du marquis de Morteterre - Tome 5 - Rémy Gratier de Saint Louis

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    Rémy
    GRATIER de SAINT LOUIS

    La Geste du Marquis

    de Morteterre

    L’OR DU NAUFRAGÉ

    ROMAN D’AVENTURE HISTORIQUE

    Du même auteur :

    Éditions Encre Rouge

    Cycle « La Geste du Marquis de Morteterre »

    LA JEUNESSE D’UN BRETTEUR – 2020

    L’AVENTURE BARBARESQUE – 2020

    LE CARDINAL DES OMBRES – 2020

    LA CROIX DE SALAZARCA – 2020

    L’OR DU NAUFRAGÉ – 2020

    Éditions Underground

    Cycle « Les Fabuleuses Aventures d’Arielle Petitbois »

    LA FILLE DE SAMAIN – 2018

    Éditions ROD

    Cycle « Bran Dents de Loup »

    BRAN DENTS DE LOUP – 2015

    LA REVANCHE DU KHAN – 2016

    TÉNÈBRES SUR LIIN – 2018

    Cycle « La Geste du Marquis de Morteterre »

    LA JEUNESSE D’UN BRETTEUR – 2016

    L’AVENTURE BARBARESQUE – 2017

    Éditions de la Banshee

    LES SOURCES DU MAL – 2018

    Site Internet : www.rgdsl-auteur.blogspot.fr

    Facebook : Rémy Gratier de Saint-Louis

    L’épisode précédent en quelques mots…

    Lancé dans une trépidante chasse au trésor débutée à Madrid, en compagnie de ses amis le comte de Puertovar et Alfonzo Ricotta, le jeune et bouillant marquis de Morteterre faisait son grand retour en Méditerranée. Devenu par un caprice du destin le capitaine et propriétaire d’un brigantin armé, Noris se vit confier une lettre de marque par les autorités de l’Ordre des chevaliers de Malte, alors que pour tenter de mettre fin à une conspiration visant à faire tomber la ville aux mains des Turcs, le comte était, quant à lui, obligé de rejoindre Candie assiégée. Ce fut donc accompagné du fidèle Alfonzo que Noris mit le cap sur Venise, où la perfide Doña Selvos l’avait précédé dans le but de s’approprier les derniers indices menant au trésor tant convoité.

    Après de nombreuses péripéties et malgré l’aide inattendue de la belle Aïcha, fille du prince des cavaliers du désert et amante de Noris, entrée secrètement au service de la Sérénissime, notre héros ne put empêcher la disparition tragique d’Alfonzo au moment où ils mettaient fin aux agissements de Cristalia Selvos, la nièce de Salazarca. En possession des documents qu’il était venu chercher dans la cité des doges, Noris pouvait désormais mettre le cap sur Candie où l’attendait le comte de Puertovar.

    PROLOGUE

    Penché sur la table de sa cabine, qu’éclairait chichement une lanterne de cuivre se balançant doucement au plafond au grès de la houle, Noris essayait de percer le mystère des documents qu’il était parvenu à rassembler, grâce à l’aide du regretté Alfonzo abattu à Venise par la perfide Cristalia Selvos, aux dépens de leur adversaire, le prince bâtard Don Juan-José d’Autriche.

    Un peu moins d’un mois plus tôt, mandé par un pli envoyé par Iñigo Balva, le fameux comte de Puertovar, son vieux compagnon d’aventure, l’invitant à venir le rejoindre à Madrid, Noris avait quitté le château familial où il s’ennuyait à mourir. Ne s’entourant que d’Alfonzo Ricotta, le volubile Sicilien et de Lazard Dupuis, son fidèle domestique, l’héritier des Morteterre n’avait pas hésité un instant à braver les chemins difficiles menant jusqu’à la capitale espagnole pour se rendre auprès de son ami.

    Sept années auparavant, Don Balva, un gentilhomme aragonais d’une cinquantaine d’années, au service des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, avait été le compagnon d’aventure de Noris quand ces derniers s’étaient vus confier par le Grand Maître de l’Ordre, une périlleuse mission en terres barbaresques.{1} Après de chaleureuses retrouvailles, l’Espagnol exposa au jeune marquis les raisons qui le poussaient à demander son aide.

    Ardents défenseurs de la chrétienté, depuis leur inexpugnable forteresse bâtie sur l’île de Malte, les Chevaliers s’opposaient depuis des siècles à la puissance ottomane en Méditerranée. Cependant, face aux ressources inépuisables de la Sublime Porte, cette lutte semblait bien inégale pour les maîtres de ce bastion chrétien que d’aucuns nommaient l’île de la Religion. Tentant par tous les moyens de trouver de quoi financer cette guerre, Nicolas Cottoner y de Oleza, le Grand Maître des Chevaliers, avait confié au comte de Puertovar une mission aussi surprenante que risquée.

    *****

    Au cours de l’année 1510, l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, qu’en ce temps-là dirigeait le Grand Maître Georges d’Amboise, organisa une importante expédition contre le Soudan et l’Égypte. Au terme de cette expédition, une grande bataille eut lieu sur la mer, bataille durant laquelle le commandeur André de Amaral se distingua par sa bravoure et son impétuosité au combat. La victoire acquise, auréolé de gloire, ce dernier fut chargé de convoyer les navires pris à l’ennemi jusqu’à Rhodes, qui jusqu’alors était encore le siège de l’Ordre.

    Découvrant que parmi les navires pris à l’ennemi, les cales de l’un d’entre eux renfermaient une fabuleuse cargaison, André de Amaral l’avait dérouté après en avoir confié le commandement à un de ses plus fidèles amis, un capitaine vénitien au service de l’Ordre répondant au nom d’Alfio Commodetti. Des documents retrouvés parmi les effets du commandant en chef des forces égyptiennes, le navire capturé se révéla transporter une véritable fortune en or et en objets précieux qui n’était autre qu’un tribut rassemblé par les seigneurs mamelouks de l’Égypte, soucieux de s’attirer les bonnes grâces de la puissance ottomane. Alfio Commodetti ayant pour mission de mener le navire jusqu’au Portugal, nation d’où était originaire André de Amaral, fut surpris par une puissante tempête et drossé sur les côtes de l’île de Candie quelques jours seulement après son départ. Seul le capitaine vénitien eut la chance de survivre au terrible naufrage avant d’être recueilli par des pêcheurs d’un village nommé Agia Galini et situé sur la côte sud de l’île. Ces derniers voyant le moribond sur le point de succomber, ils le confièrent aux bons soins de religieux.

    Après avoir passé plusieurs jours entre la vie et la mort, Alfio Commodetti fut emmené au centre de l’île, jusqu’au monastère d’Arkadi où, alors que remis de ses terribles blessures, – il semblait avoir perdu la raison en même temps que la mémoire –, il entra comme berger au service des moines et prit le nom de Bartholomé.

    Au milieu de l’automne 1522, plus d’une décennie après le funeste naufrage, alors que dirigée personnellement par le Sultan Soliman, les armées ottomanes assiégeaient l’île de Rhodes depuis plusieurs mois, André de Amaral fut convaincu d’intelligence avec l’ennemi et de trahison.

    Bien que ce dernier ait été couvert d’honneurs et nommé Chancelier de l’Ordre ainsi que Grand Prieuré de Castille, il nourrissait toujours une rancœur extrême envers le Grand Maître, Philippe de Villiers de L’Isle-Adam, qui lui avait été récemment préféré à la tête de l’Ordre. Arrêté pour haute trahison suite à l’interception de son valet qui, à l’aide d’une arbalète, envoyait des missives du Grand Prieur félon à destination de Soliman, André de Amaral fut destitué de toutes ses charges et jeté dans un cachot. Faisant preuve d’une absence totale de repentance, le frère portugais fut condamné à mort et promptement exécuté. Les missives, que sur son ordre son domestique avait transmises à l’ennemi, décrivaient avec force détails l’état des défenses de la citadelle, indiquant où il était judicieux de porter les attaques pour espérer un assaut décisif. Soliman sut avantageusement les mettre à profit pour forcer, après quelques succès, les défenseurs à négocier un accord qui fut signé le 19 décembre et qui entérinait leur départ de l’île.

    Ne souhaitant pas partager le sort funeste de ses frères chevaliers, le traître aurait négocié avec le sultan, en échange de sa trahison, la possibilité pour lui de quitter Rhodes avec la liberté d’aller s’installer où bon lui plairait en territoire ottoman, avec la ferme intention de se lancer à la recherche de son trésor perdu.

    Ce projet rendu impossible par la mort de son instigateur, le secret du trésor allait à jamais tomber dans l’oubli quand, au cours du transfert des archives de l’Ordre à Malte en 1530, île nouvellement cédée par Charles Quint aux chevaliers, le zèle d’un jeune clerc archiviste permit de retrouver parmi les pièces rassemblées durant le rapide procès du félon André de Amaral, des documents et des courriers faisant allusion au navire disparu et à son précieux chargement. L’instruction ayant été prestement menée en s’appuyant essentiellement sur les aveux obtenus de son valet, la plupart des documents et éléments prouvant sa duplicité ne furent même pas consultés.

    À la lueur de ces nouveaux documents, une enquête, longue et minutieuse, fut alors diligentée par le Grand Maître, ce dernier voyant en ce trésor un bon moyen de renflouer les caisses de l’Ordre vidées par le dernier conflit et le coût de l’installation des chevaliers sur l’île de Malte. Malheureusement pour le brave Philippe de Villiers de L’Isle-Adam, le manque d’informations sur l’activité du capitaine Alfio Commodetti, après le naufrage de son navire sur les côtes de Candie, freina peu à peu l’enquête qu’il avait ordonnée, provoquant l’abandon de celle-ci au bout de quelques années de recherches infructueuses.

    Plus d’un siècle après que cette enquête soit officiellement abandonnée, un heureux hasard permit aux services de renseignements de l’Ordre d’intercepter un fragment de la correspondance qu’échangeaient secrètement le sulfureux prince Juan-José d’Autriche, fils bâtard de Philippe IV d’Espagne avec la Sublime Porte.

    Cette correspondance faisait allusion à un marché des plus odieux. Une transaction selon laquelle, devenu souverain d’Espagne après avoir écarté du trône l’héritier légitime, le chétif Charles II, Juan-José s’engageait auprès du Sultan ottoman Mehmed IV, à partager la Méditerranée entre leurs deux empires, au détriment de toutes les autres nations chrétiennes et notamment de Venise, la Sérénissime y perdant la quasi-totalité de ses possessions. Ce qui soulevait certaines interrogations était l’allusion faite dans une des lettres, d’un versement à la Sublime Porte devant être effectué par Juan-José d’un tribut provenant d’un fabuleux trésor, dont le bâtard semblait être certain d’en posséder la jouissance sous peu de temps. Une telle information mobilisa toute l’attention des autorités de l’Ordre qui confia au comte de Puertovar la délicate et périlleuse mission, non seulement de localiser le trésor perdu sur l’île de Candie, au profit de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, mais aussi d’empêcher les agents à la solde de Don Juan-José, ou de quiconque le convoiterait, de s’en emparer.

    Cependant, un problème de taille demeurait. Candie, possession vénitienne, subissait sans discontinuer depuis près de vingt ans, le siège des armées ottomanes qui, malgré les moyens colossaux engagés et l’occupation quasi générale de l’île, ne parvenaient toujours pas à se rendre maîtres de sa capitale, vaillamment défendue par une force composée de troupes venues de toute la chrétienté.

    *****

    Après s’être éloigné de la table où étaient étalés la vieille carte et de nombreux documents jaunis, tous entièrement couverts de croquis et d’énigmatiques annotations, Noris se servit un verre de vin de Malaga, puis alluma un cigarro, avant d’aller s’allonger sur sa couche. Tout en exhalant de longues bouffées de fumée bleutée, il consultait du regard un feuillet qu’il avait conservé en main et sur lequel Alfonzo avait griffonné un ensemble de phrases tirées des textes en leur possession. Selon les dires du regretté Sicilien, la solution résidait en cette courte énigme manuscrite :

    Entre les mains du pénitent,

    L’humble croix du berger, confiée,

    Par-delà les Saintes Plaies réunies,

    Sa blessure, la terre dévoilera.

    Au-delà des vigilants d’ivoire,

    Son sang et sa chair, l’importun piègeront,

    Et perdues à jamais seront les richesses

    Que la main des vivants souillerait.

    Fixant les épaisses poutres supportant le plafond de sa cabine et entre lesquelles s’étiolaient de fines volutes de fumée, Noris repensait à l’incroyable succession d’événements qui, en un mois à peine, l’avait mené de Madrid à Venise. Ne pouvant chasser de son esprit la tragique disparition d’Alfonzo, le jeune marquis se remémorait les derniers moments du volubile Sicilien, ainsi que les épisodes de leur tumultueux périple à travers la Méditerranée, à la poursuite de Doña Selvos, la mystérieuse et intrigante créature de Don Juan-José.

    Parcourant du regard la cabine où il séjournait, Noris ne pouvait s’empêcher de sourire en pensant à l’étrange caprice du destin qui avait fait désormais de lui un capitaine et le propriétaire d’un brigantin armé en course, rebaptisé le « Rétribution » et porteur de lettres de marque émises par l’Ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

    Se remémorant l’épique combat contre les pirates barbaresques au large de la Sicile et qu’il estimait avoir été le déclencheur de tout ceci, Noris ne regrettait pas un seul instant sa décision de déposséder de son navire le tiède capitaine Malbœuf, dont la lâcheté et l’ivrognerie avaient grandement mis en péril leur mission. Il ne regrettait pas non plus l’engagement du brave Erwan Tavennec et sa nomination au poste de Maître d’équipage. Homme de grande expérience, ce dernier le déchargeait de bien des tâches, que ses insuffisantes connaissances nautiques ne lui permettaient pas de mener à bien.

    Tel Argos, le géant mythologique aux innombrables yeux, rien à bord ne semblait pouvoir échapper à la vigilance du maître d’équipage. Circulant sans cesse au milieu des matelots, quand il ne dirigeait pas la manœuvre depuis le banc de quart, Erwan Tavennec veillait à ce que chacun de ses ordres soit convenablement exécuté. Après avoir, vingt années durant, sillonné la Méditerranée et vaillamment combattu Turcs et Barbaresques sous le commandement du fameux Chevalier Paul, le nouveau Maître d’équipage du « Rétribution » n’avait eu aucun mal à s’imposer aux hommes que lui avait confiés le marquis de Morteterre. Aussi dur que juste, le breton possédait une expérience et une connaissance de la mer incontestables.

    N’apparaissant depuis leur départ de Venise qu’assez rarement sur le pont, pour les matelots de son bord, Noris semblait avoir délégué une grande part de son autorité à son maître d’équipage. Cette attitude étrange de la part d’un capitaine aussi énergique qu’il fut un temps, entourait la personne du ténébreux marquis d’une aura de mystère qui inquiétait autant qu’elle intriguait les membres de son équipage, même si ces derniers sentaient que rapidement, une certaine et efficace complicité avait commencé à s’installer entre les deux hommes.

    Ayant fait preuve d’une incroyable bravoure durant les deux combats qui les avaient opposés aux mahométans, Noris, qui avait au plus fort de la mêlée démontré quel combattant implacable il était, s’était naturellement imposé aux marins du brigantin comme un indiscutable meneur d’hommes. Ceux-ci n’ayant connu d’autre commandement avant le sien que celui du lâche et aviné capitaine Malbœuf, ils n’en acceptèrent que plus aisément l’autorité de ce jeune et belliqueux aristocrate, dont le visage balafré et le regard de prédateur leur inspiraient autant de respect que de crainte.

    Les ayant longuement observés depuis qu’il était devenu leur capitaine, à de rares exceptions, Noris n’éprouvait en général que peu de considération pour les matelots composant l’équipage de son navire. L’un d’eux, cependant, ne cessait de l’intriguer. Il s’agissait de Malo Kervanec, le robuste maître canonnier, un individu pour lequel il ne se rappelait avoir consenti à aucune bonté ou faveur singulière et qui malgré cela, étrangement, semblait lui témoigner un dévouement aussi sincère que particulier. L’active participation de celui-ci au coup de force mené par le jeune marquis pour s’emparer du brigantin au détriment du capitaine Malbœuf, son ancien propriétaire, avait été déterminant. Depuis ce jour, le jeune Malouin s’était révélé être un allié des plus précieux au sein de l’équipage en ralliant à l’autorité du nouveau capitaine ceux des matelots qu’intriguait la mystérieuse disparition de son prédécesseur, du coq et du charpentier{2}.

    Tandis que leur navire faisait relâche en rade de La Valette, la cité fortifiée des chevaliers de Malte, avant de se rendre à Venise, le comte de Puertovar avait subitement pris la décision de rallier Candie où sa présence devenait indispensable pour déjouer un complot visant à livrer la ville assiégée aux Ottomans. Laissant à Noris la délicate mission de se rendre à Venise, afin de tenter d’intercepter Doña Selvos et de s’emparer des documents qu’elle détenait, ainsi que des indices qu’elle était chargée de trouver dans cette ville, Don Balva s’était embarqué sur un chébec transportant des troupes papales en partance pour la cité de Candie, après avoir fait aiguade à La Valette.

    Sa mission remplie, Noris avait quitté la Sérénissime et faisait voile en direction de la cité assiégée, où Don Balva l’attendait certainement avec impatience. Cependant, la tragique disparition d’Alfonzo Ricotta assombrissait l’humeur du jeune marquis qui s’en voulait de ne pas avoir pu empêcher la créature du Bâtard de le foudroyer d’un coup de pistolet. Sentiment nouveau pour celui que bon nombre de ses détracteurs jugeaient comme incapable d’éprouver la moindre compassion, Noris ressentait comme un vide à l’idée que jamais il ne reverrait le Sicilien. Bien que celui-ci se soit souvent montré un compagnon des plus irritants, Noris ne pouvait se rendre qu’à l’évidence qu’usant souvent de procédés particuliers, son volubile compagnon d’aventures avait été en toutes circonstances une des rares personnes sur lesquelles il avait pu compter à ce jour.

    Un bruit tira soudain Noris de ses réflexions. Frappant discrètement à la porte de sa cabine avant de s’y introduire, Lazard lui apportait son souper. La nuit venait de tomber sur la mer ionienne, et, grâce au Ciel, une vigoureuse brise permettait au « Rétribution » de conserver une bonne allure. Candie n’était plus très loin…

    I

    CAP AU LEVANT

    Chassant au-delà de l’horizon les épais nuages couleur d’ardoise qui l’avaient un temps obscurci, un fort vent soufflant du Ponant gonflait avantageusement les voiles du « Rétribution ». Sous le regard sévère d’Erwan Tavennec, le maître d’équipage au chef perpétuellement orné d’un catogan écarlate, se déplaçant sans cesse au milieu du gréement tels des singes dans la cime des arbres, les agiles gabiers œuvraient à tirer le maximum de la voilure du brigantin. Ce dernier, bondissant tel un dauphin au milieu de vagues que couronnaient des crêtes d’écume, semblait voler plus qu’il ne flottait au-dessus des flots céruléens. Le ciel étant dégagé et le vent constant, les meilleures conditions semblaient être réunies pour que ce voyage s’effectue sous les meilleurs auspices.

    Depuis cinq jours que le navire avait quitté Venise et les eaux calmes de sa vaste lagune, Noris de Morteterre n’avait fait que de rares apparitions sur la dunette de son navire. Visiblement bien plus affligé par la disparition du volubile Alfonzo Ricotta qu’il ne souhaitait le faire paraître, le jeune capitaine passait le plus clair de son temps enfermé dans sa cabine à étudier les documents que leur court séjour dans la Sérénissime leur avait permis d’acquérir. Seul le brave Lazard, son vieux et dévoué domestique, était autorisé à l’approcher.

    Longeant à présent les îles ioniennes situées au large de la Grèce, bravant une mer que creusait une forte houle, le navire pénétrait dans un espace maritime réputé dangereux. Ces terres étant depuis plus d’un siècle sous domination ottomane, le « Rétribution » s’aventurait dans des eaux infestées de pirates et de corsaires à la solde de la Sublime Porte, et tous à son bord commençaient à montrer des signes d’inquiétude.

    — Une voile ! Une voile au Ponant, Monsieur Tavennec ! s’écria la vigie, du haut du hunier.

    Quittant instinctivement son banc de quart, Erwan se dirigea à la poupe du brigantin. Ensuite, usant de la précieuse lunette que lui avait confiée son capitaine, il commença à fouiller la mer, à la recherche de la mystérieuse voile.

    — Petra zo ?{3} Amis ou ennemi ? demanda Malo Kervanec qui venait de le rejoindre sur la dunette.

    — Doué !{4} Impossible de distinguer quoi que ce soit avec cette houle, grogna le maître d’équipage, l’œil rivé à la lunette. Mais il est fort probable que cela soit le même navire que nous avions déjà aperçu hier et avant-hier.

    — Puis-je ? lui demanda alors l’imposant maître canonnier, en tendant la main en direction de la lunette.

    Après avoir, à son tour, méthodiquement scruté les vagues zébrées d’écume, Malo parvint brièvement à distinguer un lointain triangle blanc que son œil exercé identifia comme étant une voile latine. Interrogé du regard par le maître d’équipage au moment où il lui restituait la lunette, Malo se contenta de hausser les épaules, avant d’ajouter en s’éloignant :

    — Dois-je aller en informer le Capitaine, Monsieur ?

    — Non, c’est inutile, il sera toujours temps de le faire quand nous en saurons un peu plus sur cette mystérieuse voile.

    — Nous l’aurons sans doute distancé une fois de plus, Monsieur, rétorqua le maître canonnier. Pour ma part, pour ce que j’ai pu en voir, je ne pense pas qu’il puisse s’agir d’autre chose que d’une petite tartane de commerce ou d’une felouque de pêcheurs autochtones, rien qui ne puisse représenter une réelle menace.

    — Dieu vous entende, murmura Erwan Tavennec le regard toujours fixé sur l’horizon… Dieu vous entende.

    Une fois qu’il eut longé successivement les côtes escarpées des îles Céphalonie et de Zante, toujours sous domination vénitienne malgré l’occupation de la Grèce par les Turcs, le « Rétribution » s’éloigna ostensiblement de celles du Péloponnèse, auprès desquelles le risque de faire de mauvaises rencontres s’avérait bien trop grands pour l’avisé Erwan Tavennec.

    — Monsieur Le Honsec, dit alors le maître d’équipage en s’adressant à un gabier venant d’achever une manœuvre. Veuillez monter jusqu’à la hune afin de nous faire, vous aussi, profiter de vos talents de vigie. Ouvrez l’œil, vous ne serez pas trop de deux là-haut pour nous garantir des mauvaises surprises.

    Ajoutant leurs yeux à ceux des vigies, bon nombre des matelots du bord, qui n’avaient pas d’autres tâches à accomplir, fouillèrent eux aussi la surface de la mer à la recherche d’une voile ou de tout autre indice pouvant trahir la présence d’éventuels ennemis. Les hommes le savaient bien, naviguer dans cette zone réputée pour être infestée de pirates exposait leur navire à de mauvaises rencontres. Faire preuve de vigilance ne pouvait donc être que bénéfique et tous se prêtaient de bon cœur à cette activité de surveillance, certains pensant même qu’avec un peu de chance, le brigantin pouvait lever une proie et ainsi faire bonne prise, si celle-ci se révélait transporter de précieuses marchandises venues d’Orient.

    Soudain, brisant la monotonie du voyage, un nouveau cri d’alerte fut lancé depuis le hunier :

    — Voile en vent grec ! hurla l’homme qui y avait été placé en vigie.

    Rapidement identifiée comme étant un navire de commerce ottoman, la tartane tenta immédiatement de s’éloigner de la route du brigantin. Gréée de deux mâts et lourdement chargée, cette dernière n’avait que peu de chances d’échapper au rapide corsaire. À bord du « Rétribution », les marins exultaient. Excités à l’idée de pouvoir s’emparer d’une proie qu’ils estimaient facile, les hommes interrogeaient leur maître d’équipage du regard, tandis que ce dernier venait d’envoyer un matelot informer le capitaine de la situation.

    L’œil rivé à sa lunette, Noris, qui depuis longtemps n’avait pas mis le pied sur la dunette, observa longuement le navire ottoman. Puis, après lui avoir confié l’instrument en cuivre, il s’adressa à son maître d’équipage qui, se tenant un pas derrière lui, attendait en silence ses instructions.

    — Nous conservons notre cap, Monsieur Tavennec.

    Interrogé du regard par ce dernier qui avait du mal à dissimuler sa surprise face à une telle décision, Noris arrêta son mouvement au moment où il se dirigeait vers l’escalier menant au pont.

    — Cela vous pose-t-il un problème, Monsieur Tavennec ? lui demanda-t-il, tant il était peu habitué à ce que celui-ci conteste une de ses décisions.

    — Aucun problème, Capitaine, se contenta de répondre le maître d’équipage avant d’aller rejoindre le banc de quart.

    À peine Noris avait-il disparu sous la dunette et qu’il se fut engagé dans la coursive menant à sa cabine, que trois matelots se précipitèrent jusqu’au banc de quarts pour y interroger Erwan.

    — Que se passe-t-il, Monsieur ? demanda le matelot Tartouë, visiblement inquiet. Pourquoi le capitaine n’ordonne-t-il pas le branle-bas de combat ?

    — Retournez à vos postes, matelots, se contenta de répondre le maître d’équipage, le regard au loin.

    Ensuite, constatant que les trois matelots étaient toujours à côté du banc de quart malgré son ordre, le regard sévère d’Erwan se posa sur les trois hommes.

    — Auriez-vous l’impudence de contester un ordre de notre capitaine, matelots ? grogna-t-il soudain en fronçant ses épais sourcils.

    — Nous ne pouvons pas laisser filer pareille prise ! s’exclama Étienne Forbin, un matelot fraîchement engagé, son intervention recevant l’assentiment muet de ses deux camarades.

    — Ils en ont l’impudence, murmura le maître d’équipage en contenant difficilement sa colère.

    Puis, d’un geste rapide comme l’éclair, il tira un couteau de sa ceinture avant d’en appuyer la courte lame contre la gorge de l’effronté et d’ajouter d’une voix étrangement calme :

    — Apprenez, Genaouegez{5}, que tant qu’il me restera un souffle de vie, jamais à mon bord, un de mes matelots ne se permettra de contester une décision de notre capitaine. Cette information parvient-elle à entrer dans ta caboche de goéland, Matelot ?

    Tétanisé par la vitesse avec laquelle cette lame était venue menacer sa gorge, l’homme ne put qu’acquiescer.

    L’ayant repoussé sans ménagement et remis son arme en place, le maître d’équipage ajouta d’une voix sourde, avant de regagner le banc de quart :

    — Le sujet est clos. Vous irez tous trois faire inscrire vos noms sur la liste des punis. Je statuerai sur votre sort, plus tard.

    Malgré l’intervention de leur intraitable maître d’équipage et tout en évitant soigneusement de croiser son regard, les matelots commentèrent avec véhémence la décision de Noris, décision que certains d’entre eux jugeaient tout aussi incompréhensible qu’inacceptable. La frustration gagnant les hommes, les esprits s’échauffaient à bord du brigantin corsaire, tandis qu’au loin disparaissait peu à peu la silhouette de la tartane ottomane dont l’équipage ne devait avoir de cesse de remercier Allah pour leur avoir permis aussi facilement d’échapper aux chrétiens.

    Avec un bruit mat, le poing de Malo Kervanec s’écrasa violemment sur la face hargneuse du matelot qui, renversé par l’impact, alla rouler sur le pont où étaient déjà étendus deux de ses camarades.

    — Ne t’avise plus jamais d’ouvrir la boîte à fiel qui te sert de bouche sans que l’on t’en donne la permission, Sac'h kaoc'h{6} ! grogna le Malouin tandis qu’il foudroyait du regard l’individu peinant à se relever.

    Ensuite, fixant les matelots qui, le visage tuméfié, le défiaient du regard, l’imposant maître canonnier ajouta avant de leur faire signe de déguerpir :

    — Et estimez-vous heureux que ce ne soit que moi qui ai surpris vos paroles de comploteurs, bande d’ingrats ! Je pense que monsieur Tavennec se serait montré bien moins compréhensif que je puis l’être.

    — Le capitaine n’a pas le droit de nous priver d’une prise aussi facile ! se risqua un des matelots en se frottant le menton après qu’il se fut remis sur ses pieds.

    — Por Dios {7}! Quelle espèce de capitaine est-ce donc, renchérit un autre avec un fort accent ibérique ? Mierda !{8} Ne sommes-nous pas sur un navire corsaire ?

    — Morelos a raison, intervint le troisième matelot en désignant du doigt la lointaine silhouette de la tartane qui peinait à s’éloigner. En ce moment même, nous devrions être occupés à piller les cales de ces mahométans, mais au lieu de cela, nous nous débinons comme des lièvres.

    Soudain, au moment où, excédé par leur entêtement, Malo s’apprêtait à corriger une fois de plus les trois matelots, une des vigies se mit à hurler :

    — Ma Doué !{9} Cinq voiles au levant ! Nous avons cinq voiles face à nous !

    Aussitôt, la plupart des membres d’équipage se précipitèrent sur le gaillard d’avant où, après avoir à leur tour observé l’étendue céruléenne que creusait la houle, ils purent apercevoir cinq petits triangles blancs apparaître sur l’horizon. Échangeant alors des regards inquiets, les matelots attendaient d’obtenir des informations rassurantes de la part des vigies quand, après avoir observé à la lunette les voiles suspectes, Erwan Tavennec grogna à l’intention de Malo qui l’avait rejoint :

    — Gast !{10} Une galère… une… deux… trois… quatre galiotes et…

    — Et quoi ? le coupa Malo, visiblement inquiet.

    — … l’Ay Yildiz flotte au sommet de leurs arbres… ce sont des Turcs, ajouta le maître d’équipage en

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