Modèles de vertu
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Modèles de vertu - Marc-Antoine Blanchard
Marc-Antoine Blanchard
Modèles de vertu
Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066326814
Table des matières
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
00003.jpgI.
Table des matières
LA PETITE DAME DE CHARITÉ.
— Quelle est, maman, cette bonne femme qui marche avec tant de peine, appuyée sur son bâton?
— Ma fille, si tu étais un peu plus âgée, tu ne me demanderais pas son nom, car tu irais chez elle et tu la connaîtrais. C’est la mère Marianne, l’ancienne maîtresse d’école de notre village. Bonne et vieille femme qui a appris à lire, à écrire à presque toutes les femmes de la paroisse, et qui a tellement vieilli, qu’elle ne peut plus se soutenir.
— Maman, de quoi vit-elle maintenant, puisqu’elle n’a plus d’élèves? A-t-elle gagné de l’argent? Est-elle riche?
— Riche! mon enfant; non, elle est pauvre, très-pauvre, et c’est une toute petite fille qui est sa protectrice et sa dame de charité. Je vais te raconter cette histoire, ma chère enfant; elle te prouvera qu’on peut faire du bien à tout âge et que s’il convient d’aider dans leur vieillesse ou dans leurs besoins ceux qui nous ont donné la vie, il convient aussi de ne pas se montrer insensibles et ingrats envers ceux qui nous ont donné la vie de l’âme, qui ont développé notre intelligence et ouvert notre cœur aux premières impressions de la vertu.
Quand la mère Marianne vint tenir école dans notre bourg, elle avait environ une quarantaine d’années. Les enfants avaient été jusque là privés d’instruction, et il n’y avait pas de maison appropriée à son état. Elle prit une grange, fit percer des fenêtres dans les murs, établir un plafond, et avec un peu de travail et de dépenses, elle eut bientôt une classe très-convenable.
Elle apprenait à lire, à écrire, à tricoter pour douze et quinze sous par mois. Elle était un modèle d’activité, de douceur, de patience, et sa classe faisait plaisir à voir, tant elle était propre et bien tenue. Elle n’avait pas le moyen de payer une servante, c’est pourquoi les petites filles elles-mêmes rangeaient tous les matins les tables, les bancs, et mettaient tout en place.
Elles s’accoutumaient ainsi peu à peu aux soins du ménage. Aussi était-ce une chose généralement reconnue, que les jeunes filles qui allaient à l’école de la mère Marianne étaient remplies d’ordre et de dispositions ménagères. Personne de ce côté n’a rendu plus de services que cette digne femme.
Elle exerça ainsi sa fonction d’institutrice pendant une trentaine d’années, vivant au jour le jour, dépensant ce qu’elle gagnait. On est jeune, on vieillit, et sans s’en apercevoir on arrive peu à peu au dernier âge.
Madame Marianne était depuis longtemps dans un état de grande langueur et de profond abattement; elle alla tant qu’elle put, mais malgré son courage, le jour arriva où elle sentit qu’elle ne pouvait plus continuer son métier. Un matin donc, l’école se trouva fermée, et les petites filles apprirent que leur maîtresse, malade et ayant perdu toutes ses forces, ne ferait plus la classe.
Madame Marianne avait eu beaucoup d’élèves, toutes lui portaient de l’affection; mais parmi toutes, il y en avait une qui joignait à son affection une reconnaissance véritable.
Une jeune fille qui a un bon cœur montre, quoi qu’enfant, toutes les sollicitudes d’une petite mère; elle vit par ceux qu’elle aime; c’est par eux qu’elle souffre, c’est par eux qu’elle éprouve du plaisir. Eugénie, dont la beauté de l’âme était en harmonie avec la beauté du visage, reconnaissait devoir à la maîtresse d’école tous les agréments que lui procuraient ses lectures, toutes les voluptés douces qu’elle goûtait en parcourant les champs merveilleux et fleuris de la pensée.
Quand elle apprit que la bonne madame Marianne avait été obligée de renvoyer ses élèves, elle se rendit à sa demeure. Elle la trouva assise au pied de son lit, lisant pour se consoler sans doute dans un vieux livre.
Dès que la bonne femme aperçut Eugénie, elle ferma son livre, mit ses lunettes à la page où elle en était, et lui prenant la main, la fit asseoir sur une chaise à côté d’elle.
— Ma chère Eugénie, lui dit-elle, je comptais sur vous et m’attendais bien que vous viendriez me voir, vous êtes si compatissante et si bonne! Jusqu’à présent j’ai lutté contre ma faiblesse; mais mes forces sont épuisées et je suis obligée de m’arrêter. Me voilà donc sans élèves et dans l’impossibilité de gagner ma vie.
Et elle essuya ses yeux avec son tablier.
— Allons, ma bonne madame Marianne, lui dit Eugénie, vous avez bien assez travaillé pour avoir le droit de vous reposer. Prenez courage.
— Hélas! reprit-elle, ce n’est pas le courage qui me manque. Que ne puis-je continuer à avoir des élèves! Chères petites! Le ciel en a ordonné autrement. Ah! puisse-t-il du moins me rappeler bientôt à lui. Mais, ajouta-t-elle, que puis-je faire en attendant? Je n’ai plus la force de travailler, et je rougirais d’aller de porte en porte demander l’aumône, car je suis d’une honnête famille.
— Madame Marianne, reprit Eugénie, vous n’en êtes pas là, et vous avez tort de penser que vous pourriez être réduite à cette extrémité fâcheuse. Il n’y a pas une femme dans le village qui ne vous doive de savoir lire, pas une qui n’ait été habituée par vous aux soins du ménage et à la pratique des vertus. Je suis certaine que toutes seront disposées à faire quelque chose pour vous.
— Oui, reprit la pauvre vieille; mais qui ira les solliciter pour moi? qui ira les faire ressouvenir de la pauvre mère Marianne?
— Moi! répliqua Eugénie.
— Oh! dans ce cas, je suis certaine de ne pas manquer, et j’ai la conviction que je ne mourrai pas dans un entier abandon. Ensuite il faut si peu de chose pour me soutenir, que je ne leur serai pas beaucoup à charge.
Comme le soleil avec ses rayons dorés disperse les nuages qui obscurcissent le ciel, ainsi Eugénie, par ses paroles consolantes, chassa les soucis qui attristaient le cœur de la vieille Marianne. Elle la quitta pleine d’espérance.
Combien de malheureuses femmes âgées et infirmes traînent dans de sombres réduits les restes d’une vie laborieuse! Combien auraient besoin, comme la pauvre maîtresse d’école, que quelque jeune fille allât à leur secours!
Dès le jour même, Eugénie commença sa ronde. Dans chaque maison elle peignit la triste situation où se trouvait la mère Marianne.
Combien son cœur s’épanouit en trouvant ceux de presque toutes les femmes qui avaient été ses élèves, accessibles à la pitié et aux sentiments d’humanité que la pauvre vieille leur avait elle-même inspirés. Toutes, d’un concert unanime, firent ce qu’elles purent pour adoucir son sort et pour assurer son bien-être.
Depuis ce temps, c’est Eugénie qui est et demeure la petite dame de charité de la mère Marianne, et elle le sera jusqu’à ce que l’âme pieuse de la bonne maîtresse d’école quitte ce monde de misère pour entrer dans le royaume de Dieu.
00004.jpg00005.jpgII.
Table des matières
LA DEMANDE EN GRACE.
Près de Saint-Benoist, village situé dans le département de l’Indre, s’élevait le château d’un baron excessivement riche. Ce baron était propriétaire de terres immenses, de fermes, de maisons, de forêts, le tout d’un magnifique rapport. Étant très-riche, une foule d’ouvriers travaillaient sur ses domaines, et il les employait moins pour augmenter ses revenus que pour les faire arriver eux-mêmes par le travail à l’aisance, quelquefois même à la fortune. Aussi tous ne cessaient-ils de dire que tant qu’ils auraient de l’ouvrage au château, ils étaient certains de ne pas manquer.
Cependant ce bien qui arrivait à la plupart des habitants de la commune, n’était pas fait par le baron en personne, mais bien par l’excitation et l’entremise d’un intendant, homme d’une probité très-grande, le premier des serviteurs par la fidélité et le dévouement. Cet intendant n’avait jamais été laboureur, cependant il était devenu très-fort en agriculture à force d’observations et d’expérience. Il connaissait parfaitement le sol qui convient à telle ou telle semence; celles qui doivent se succéder pour mieux fructifier, le parti qu’on peut tirer de chaque espèce