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Le voleur de temps: Littérature blanche
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Ebook289 pages4 hours

Le voleur de temps: Littérature blanche

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About this ebook

Lorsque Fabien sombre dans le coma à la suite d’un accident, Murielle ne se doute pas que c’est tout le passé qui peut être réécrit. Lorsqu'il était enfant, Fabien, alias Têtenlair, était très rêveur. Cependant, s’agissaient-ils de simples rêves ou de réminiscences d’un futur qu’il peut maintenant influencer ? Allons le découvrir au fil des pages.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lyonel Shearer a consacré sa vie professionnelle aux chiffres en tant que banquier et éducateur financier. Il partage ici sa passion pour les lettres qui lui permettent d’exprimer pleinement son imagination sur fond de musique pop-rock.
LanguageFrançais
Release dateSep 15, 2021
ISBN9791037735546
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    Le voleur de temps - Lyonel Shearer

    Lyonel Shearer

    Le voleur de temps

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Lyonel Shearer

    ISBN : 979-10-377-3554-6

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Bien que rien

    Ne nous retienne ensemble

    Nous pourrions voler du temps

    Juste pour un jour

    David Bowie, Heroes, septembre 1977

    J’ai trouvé un livre sur la façon d’être invisible

    Au bord du labyrinthe

    Sous un voile que vous ne devez jamais soulever

    Des pages que vous ne devez jamais tourner

    Kate Bush, How to be invisible, novembre 2005

    Prologue

    Toulouse, dimanche 4 décembre 2011

    « Henri voulait mourir malheureux pour ne rien regretter ».

    Allongé près d’elle, fixant le plafond de la chambre, il se remémorait les paroles du chanteur de Balavoine. Quand il était adolescent, avec toute une vie à vivre devant lui, il n’avait pas prêté aux paroles une portée particulière. Dès les premières mesures, avec le chœur des jeunes fêtards de son époque, dans les boîtes de nuit, il beuglait l’introduction « J’me présente je m’appelle Henri ». Elle était tellement simple à mémoriser et à reprendre qu’elle en devenait un vrai moment de partage. Cette chanson n’était, comme l’aurait expliqué un comique contemporain, que l’histoire d’un mec. Avec le recul, il en comprenait enfin le sens, car en cet instant très précis il était convaincu que son bonheur le rendait triste.

    Pourtant, plus tôt dans la soirée, vivant l’agréable insouciance amoureuse que seuls les quarantenaires savent apprécier, corps enlacés sur un sofa usé, tout était pour le mieux. Le couple complice parlait de moins en moins et s’embrassait de plus en plus, ce qui était bon signe, jusqu’à ce que les courts frissons annonciateurs d’un message sur son portable à elle ne viennent perturber l’instant délicieux. Intriguée qu’un message, à une heure où tout l’inquiétait, vienne troubler la quiétude de la nuit, elle avait consulté, vaguement perplexe, son smartphone qu’il maudissait pour avoir rompu le charme.

    Ce qu’elle vit sur l’écran la fit joyeusement s’exclamer. En rangeant son appartement, sa fille avait retrouvé, perdue au fond d’une boîte, une clé USB. Sur celle-ci, souvenirs d’un passé pas si ancien où elle était encore mariée à un autre, trois photos l’avaient figée, rayonnante, au cœur de ses trente ans.

    « Tu as vu ? J’étais à peu près jolie non ? »

    Avec une innocente désinvolture, elle avait tendu son portable dévoilant un des clichés. Sur celui-ci, avec un sourire discret et sibyllin, elle fixait l’objectif de ses yeux sombres qui avait dû envoûter le photographe. Quinze ans plus tard, le charme agissait toujours puisque la femme d’hier séduisait le regard de l’homme qui partageait sa vie aujourd’hui.

    Oui, elle était terriblement belle et semblait tellement épanouie à cette époque qui avait précédé leur rencontre qu’il avait ressenti un pincement de jalousie que le romantiquement correct réprouve.

    « Si seulement on pouvait revenir en arrière… », avait-elle dit, laissant, malgré elle, libre cours à toute sorte d’interprétations et pas forcément les bonnes.

    En vérité, par ces paroles, elle voulait exprimer le désir qu’ont les femmes inconscientes du pouvoir de séduction qu’elles possèdent, de retrouver la beauté de leurs plus jeunes années. Mais lui, exclu de souvenirs qu’il n’avait pas partagés, avait cru comprendre qu’elle manifestait des regrets du style « c’était mieux avant », avant qu’ils ne se rencontrent bien sûr.

    Concentrée à répondre en tapant quelques miettes de mots à sa fille, elle n’avait rien remarqué du changement qui s’opérait en lui absorbée par l’écran qui vous rapproche de ceux qui sont loin en vous éloignant de ceux qui sont proches. Il avait lutté pour dissimuler ce mal-être soudainement surgi des abysses de son cœur, comme on résiste à un courant sournois qui vous entraîne au large. Elle n’aurait pas compris, du moins le supposait-il, la réaction qu’avait provoquée l’écho terrible d’une phrase somme toute bien innocente « Si seulement on pouvait revenir en arrière… ».

    Ensuite, reprenant le fil de la soirée, il avait fait comme si, espérant apaiser, en l’ignorant, la brûlure de l’amertume jusqu’à l’oublier. C’était peine perdue car même quand un feu s’éteint, le temps ne refroidit que les cendres mais ne les fait pas disparaître.

    Alors oui, dans le silence de sa nuit blanche, le bonheur le rendait triste. Le bonheur de sa vie d’avant à elle dont il n’était pas l’étincelle et qu’il n’avait même pas partagé. Mais aussi le bonheur de sa vie de maintenant à lui, car que peut-on espérer de mieux qu’être heureux ? Rien et c’est aussi pour cela qu’il en était malheureux. Le sommeil, lentement, l’avait ensuite gagné dissipant ses dernières pensées comme une brume sous la chaleur d’un soleil matinal.

    « Si seulement on pouvait revenir en arrière… » et composer avec un passé pas si simple pour le conjuguer au plus que parfait ou effacer les ardoises de sa vie et s’épargner à bon compte les mauvais débits. Tout le monde en rêve.

    1

    Murielle Montgauch

    Toulouse, lundi 5 décembre 2011

    Le vol d’une mouche est capable de me réveiller. Mais ce matin, ce sont les miaulements affamés de Gribouille qui viennent perturber mon sommeil. Comme il insiste, je me glisse hors du lit pour rejoindre à pas de velours l’amour félin de ma vie. Il tremble d’extase à la première cajolerie et slalome entre mes jambes alors que nous rejoignons le salon. Quelques croquettes et une coupelle de lait plus tard, Gribouille s’en va profiter de la douceur matinale du jardin et m’abandonne sans remords. The « poor lonesome cat » s’éloigne d’un pas nonchalant en direction de son chêne favori afin de se faire les griffes.

    Les premières lueurs de l’aube se dessinent au loin. C’est bientôt l’heure du café chaud et des toasts grillés.

    Alexandra n’est pas là. C’est mon seul regret. J’aimerais partager avec celle qui a connu mes blues et mes abandons ma zénitude retrouvée.

    Nous avons vécu ce que l’on ne devrait pas vivre, elle en tant que fille, moi en tant que femme. Destins liés et vies saccagées par le même homme. Parfois, je me dis que notre histoire aurait pu être écrite dans un livre de gare ou faire l’objet de quelques épisodes d’une fiction bon marché, le genre de truc que tu bouquines parce que… parce que tu ne sais pas pourquoi.

    La dernière fois que j’ai fait confiance à un enfoiré, c’était Karl Montgauch. Un pompier. Qui se méfierait d’un pompier ? Pompier c’est synonyme d’honneur, de dévouement, de courage. Pendant une vingtaine d’années, j’étais si persuadée de partager mon existence avec quelqu’un de sincère que j’en avais plein la bouche de Karl, au point d’en arriver à gonfler mes copines de l’époque lassées de m’entendre lister toutes ses qualités. Nous sommes comme ça les filles, le bonheur conjugal des amies nous ravit extérieurement mais nous agace intérieurement. Tout allait si bien, jusqu’à ce jour…

    ***

    Alexandra avait deux amies qui régulièrement venaient s’incruster à la maison. La première, Magali Visentin, extravertie plus que de raison, avait partagé avec ma fille, depuis le primaire jusqu’au lycée, Barbie, varicelles, stress du brevet et du bac et nous faisait profiter des péripéties de la vie de couple de ses parents.

    « Vous en avez de la chance, madame Montgauch. Votre mari ce n’est pas comme mon père. Il vous offre tout le temps des fleurs. Il vous fait des surprises. Ma mère, ça la fait râler. Elle dit toujours à papa : et si tu prenais exemple sur le père d’Alex… » Je jouais les modestes mais j’en étais fière. Karl, comme de bien entendu, appréciait beaucoup Magali. Elle s’était inscrite comme pompier volontaire et comme il était adepte de la chute libre, il lui avait fait faire son baptême de l’air. Il voulait piquer un peu au vif Alexandra, me disait-il, car je lui avais transmis le gène de la « trouillardise » et elle s’était toujours refusée à suivre son père dans ses exploits de haut vol.

    La seconde, Mélanie Courget-Montaud, était plus introvertie et se montrait très discrète sur sa vie de famille. Tout ce que nous savions c’était que sa mère était psy, ce qui m’a été bien utile par la suite. En revanche, elle ne parlait jamais de son père. Ses parents s’étaient séparés et d’après ce que m’avait raconté Alex, Mélanie le vivait mal. Elle plaisait beaucoup moins à Karl qui la jugeait trop calme, mais elle assurait l’équilibre parfait dans ce clan d’adolescentes.

    Le croiriez-vous, j’étais un peu méfiante vis-à-vis de Mélanie, car je n’arrivais pas à cerner sa personnalité tant elle était réservée, alors que j’avais une confiance absolue en Magali tant elle paraissait prévisible. Quelle conne quand j’y pense ! Complètement aveuglée par ma naïveté, je n’ai rien vu venir. Il a fallu un coup de fil malheureux… ou bienheureux selon.

    ***

    Karl, pour l’anniversaire d’Alexandra lui avait offert un week-end au Futuroscope de Poitiers. Ne pouvant se soustraire de son astreinte, nous sommes parties toutes les deux, un peu ennuyées mais pas trop quand même. En vérité, nous étions ravies de partager entre filles des instants de complicité. Et puis sur la route, mon portable a sonné. La caserne. Il fallait que je rentre. Karl avait eu un « problème ». J’ai demandé si c’était grave et grave comment, si je pouvais lui parler, où était-il ? … Mais mon interlocuteur s’excusa de ne pas pouvoir me donner plus de précisions au téléphone et poliment raccrocha. Vivre avec un pompier, c’est vivre avec l’angoisse qu’à chaque fois qu’il part pour une intervention dangereuse, il ne revient pas. Sauver ou périr.

    Alors, après avoir bredouillé un semblant d’explications à ma fille, afin de la rassurer un peu, nous avons fait demi-tour et même Lewis Hamilton n’aurait pas pu me suivre sur l’autoroute.

    J’ai voulu passer à la maison déposer Alex et récupérer quelques affaires. En arrivant, je n’ai même pas prêté attention à la voiture de Karl. Elle n’aurait pas dû se trouver là mais le stress avait chloroformé mon cerveau. Le temps que je me gare, Alexandra était rentrée déposer son sac et je l’ai suivi dans la foulée. La maison était silencieuse ou presque… Visiblement, quelqu’un était là et ce quelqu’un ne pouvait être que Karl. À moitié soulagée, j’allais crier « Karl, tu es là ? » quand des petits rires à l’étage ont résonné. Alex m’a jeté un coup d’œil mais avant qu’elle ne dise quoi que ce soit, mon index sur la bouche lui a imposé le silence.

    Semblable à une voleuse, je suis montée tout doucement. Mon cœur, lui, devait tourner à 200 battements minute au compteur et je sentais dans mon dos la sueur suinter sous mon t-shirt. Pas de doute, on chuchotait dans notre chambre et même pire… deux ou trois baisers qui claquent, un gémissement féminin… Mes jambes me portaient à peine. J’ai hésité quelques secondes à pousser la porte entrouverte, certaine de découvrir ce que je refusais pourtant de croire. Je sais, c’est contradictoire, mais merde qui n’aurait pas les méninges en bouillie dans cette situation.

    Comme si elle était chauffée à blanc, j’ai poussé du bout des doigts la porte, juste assez pour surprendre Karl, allongé sur le dos, admirant la partenaire qui le chevauchait. Elle, ne ménageant pas ses coups de reins et trop occupée à dompter son étalon, et lui, fasciné par le spectacle et motivé par les plaintes orgasmiques, n’avaient pas encore réalisé que j’étais spectatrice.

    Debout, je n’osais pas bouger me sentant tellement stupide et pas à ma place. Coupable d’être victime. Puis, j’ai senti la rage naître au fond de mon ventre provoquant un tsunami acide qui a envahi ma poitrine pour finir au fond de ma gorge. J’ai vomi un « salopard ! » qui a provoqué une panique générale. Karl sans ménagement a désarçonné sa cavalière en bégayant un « Murielle » presque comique tant il était pathétique. La garce complice s’est alors retournée. Elle avait le visage de Magali.

    ***

    Les heures, jours, mois, années d’après ont été terribles. Passe pour les excuses jamais obtenues et les explications jamais fournies. Karl est parti tout simplement. Il a aménagé avec cette petite pute et a fermé la porte à sa propre fille. Monsieur retrouvait une seconde jeunesse et pour couronner le tout en a profité pour lui faire un gosse et nous enfoncer un peu plus dans notre burnout sentimental. Alors, la maman de Magali, on souhaite toujours avoir un mari comme Karl.

    Mireille, ma sœur jumelle, s’est empressée de venir me réconforter. Mireille se délecte du malheur des autres. Le temps qu’elle consacre à pêcher chaque bribe d’informations sur les aléas, peines, colères, déceptions de son prochain lui fait oublier son quotidien de bourgeoise désœuvrée. Mireille, quand vous vous noyez, veut tellement vous sauver qu’elle enfonce votre tête sous l’eau. Est-ce la raison pour laquelle mes vrais bonheurs la dépriment ? Pourtant au fond de moi je l’aime presque aussi fort qu’elle m’exaspère.

    Alex avait perdu son père et ses meilleures amies. Magali Visentin, cela allait de soi. Je pense d’ailleurs qu’il valait mieux qu’elle ne la croise pas car je sentais ma fille capable de tout. Plus surprenant, Mélanie Courget-Montaud, d’abord présente, s’était aussi éloignée au fil du temps. Je pense que nous voir en pleine déprime lui a fait peur. Comment lui en vouloir car elle avait ses propres problèmes à régler ?

    Finalement, Alex a repris le cours de sa vie. Moi aussi dans un sens, mais pas le bon. Je me suis… « loquisée » et en deux ans j’ai vieilli de dix kilos à coups de clomipramine, de doxépine, de dosulepine et d’autres drogues en « ine ». Pour m’en sortir, j’ai fait de la mère de Mélanie ma psy puis ma confidente et je suis devenue adepte de la tisane au millepertuis pas forcément plus efficace qu’un médoc mais moins nocif, ce qui n’était déjà pas si mal.

    Jusqu’au jour où, énervée de me voir avachie sur un canapé, Alexandra vient s’asseoir à côté de moi interrompant un James Bond en replay. Je n’aurais accepté de personne d’autre ce sacrilège mais voilà Alex et moi nous ne sommes qu’une.

    « Maman, faut te bouger.

    Était-elle en manque d’inspiration pour me décrire ou voulait-elle rester dans le politiquement correct ? Bon, le bas de jogging et le sweat bleu délavé ne me mettaient pas en valeur mais pour une tortue comme moi, c’était la carapace idéale, chaude, protectrice, confortable… sauf qu’à sa moue dédaigneuse j’ai compris que je ne correspondais plus à son standard de femme.

    « Alors maman, j’ai pris les choses en main…

    — Mais pourquoi et de quel droit ?

    Alex vainqueur par KO. Elle a laissé une goutte de tristesse couler sur sa joue, puis une autre, alors je l’ai embarqué dans un méga câlin pensant sécher sa peine, au lieu de quoi nous avons fait un duo de pleureuse.

    ***

    Davantage pour elle que pour moi j’ai validé l’inscription sur le site, convaincu que cela ne marcherait pas. Mon scepticisme d’ailleurs grandissait au fur et à mesure des demandes de contacts. Entre les vieux amateurs de cinq à sept, les frustrés de la braguette, les post ados qui imaginent qu’à la quarantaine une cougar sommeille dans une femme et enfin les maris plus attirés par l’affectivité d’une maîtresse potentielle que par l’effectivité d’une épouse raisonnable, ma vision des hommes ne s’en est pas trouvée améliorée.

    Pour être totalement convaincue de l’inutilité d’une telle démarche, j’acceptais néanmoins quelques rendez-vous laissant une chance aux moins mauvais de mes contacts. Mais chaque fois, j’en revenais désabusée. Il faut dire que j’y mettais de la mauvaise volonté et mes prétendants avaient beau sortir les rames, la barque restait amarrée au ponton. J’avais envie de mettre les voiles sans qu’on me mène en bateau. Aussi, j’étais résolue à laisser tomber jusqu’à ce qu’une demande de contact retienne mon attention…

    2

    Fabien Lefebvre

    Garanou, Vendredi 4 juillet 1975

    Juillet au parfum de vacances pointe le bout de son nez. La pendule de la classe égrène son décompte. Les écoliers jettent régulièrement un œil sur les aiguilles se désespérant de ne pas les voir tourner plus vite. L’impatient bourdonnement du début d’après-midi s’est mû au fil des minutes en léger chahut, toléré par Mme Pages.

    Fidèle à sa réputation de rêveur qui lui vaut le surnom de « Têtenlair », Fabien s’est enfui discrètement par la pensée et personne ne soupçonne quoi que ce soit, tant il excelle dans l’art de vous regarder sans vous voir. Son institutrice ne compte plus le nombre de fois où les évasions songeuses de Têtenlair ont provoqué son agacement. Toutefois, en le voyant perdu et vulnérable, exposé aux moqueries des autres élèves à chaque rappel à l’ordre, elle a fini au fil du temps par culpabiliser au point de prendre le parti de le laisser tranquille. Après tout, un élève placide rêvasseur vaut mieux qu’un élève turbulent assidu.

    Et alors que ses copains se réjouissent à l’idée de troquer prochainement leurs habits d’écoliers à ceux de collégiens, Fabien préfère s’accrocher à son enfance en s’abandonnant silencieusement à la nostalgie pour revivre sa première rentrée des classes.

    ***

    Il y a toujours une première fois. Premier jour, premier cri, premiers pleurs, premier câlin, premier sourire, premiers mots, premiers pas, première joie et première peine, premières découvertes, premier amour bien sûr et première trahison ça va de soi…

    Avez-vous remarqué comme les premières fois se gravent dans nos mémoires, même si nous tentons vainement parfois de les cacher sous les voiles opaques de l’oubli pour en faire des souvenirs perdus ? Insensibles au temps qui passe, leurs couleurs peuvent flétrir mais ne s’effacent pas.

    Notre vie n’est qu’une succession de premières fois soldées de réussites ou d’échecs, provoquant renoncements ou entêtements, répondant à nos questions ou nous questionnant sur nos réponses. Elles façonnent notre vie, nous rendent unique et humains mais du haut de ses onze ans Fabien ne le sait pas encore.

    Comment oublier cette école, son école, qu’il a découverte sous le soleil pâle d’un matin frais de septembre, ce grand portail gris ardoise qui s’ouvre sur un espace de jeux aux allures de poulailler où les futurs coqs s’affrontent pendant que le reste de la bassecour piaille avec force ?

    Mais surtout, comment oublier cette salle de classe mystérieuse et impressionnante, belle comme une église sans vitraux, qui à défaut de sentir l’encens, exhale une douce odeur de cire d’abeille et d’essence de térébenthine ?

    Derrière un immense et vénérable bureau en chêne, posé tel un autel sur une estrade, deux tableaux noirs affrontent une armée de bancs celés à des pupitres en bois parfaitement alignés. Les casiers propres et vides attendent livres et cahiers qui s’empileront pêle-mêle.

    Dessous ils serviront accessoirement de réservoir à chewing-gums, mâchouillés jusqu’à l’extrême limite de leur saveur chlorophylline et collés pour toujours dans l’oubli de quelques étourdis. Durcis et blanchis au fil des trimestres ils ne feront alors plus qu’un avec le bois.

    Dessus, des encriers remplis à ras bord se préparent à colorer de bleu tout objet qui s’y plongera. Ainsi les stylos tremperont timidement leurs plumes et tatoueront des buvards avides ou des doigts maladroits. Des bouts de craie taquins y sombreront dans l’indifférence pour certains et dans des pouffements de rire pour les autres. Sur les parois, quelques prénoms et symboles gravés à la pointe du compas témoignent du passage d’anciens prisonniers scolaires en pleine révolte juvénile.

    Sur sa gauche, des cartes de France

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