Paris est la banlieue d'Alger: Essai
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Les premiers dirigeants de l’Algérie indépendante ont instauré l’arabisme. Cette faute culturelle (Mouloud Mammeri) a ouvert les bras à l’islam politique qui a plongé le pays dans le marasme économique, social, culturel… dont la conséquence est l’institutionnalisation de l’islam politique. Ce dernier trouve son prolongement logique en France, attendu l’histoire des deux pays. L’islam politique en France est une réalité que tout le monde admet aujourd’hui. Par naïveté, par déni, par paresse intellectuelle, par culpabilité et parfois par calculs, les autorités politiques mesurent très mal la capacité de nuisance de ce phénomène dans notre pays.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Retraité de l’Éducation Nationale depuis 2019, Ahmed Atlaoui a enseigné le droit et la stratégie des organisations. Il a également dirigé plusieurs sociétés spécialisées sur le Maghreb et le monde arabe et un cabinet de conseils pour les entreprises occidentales désireuses de travailler sur le monde arabe. Aujourd’hui, à titre bénévole, il est conciliateur de Justice.
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Paris est la banlieue d'Alger - Ahmed Atlaoui
Préface
Dans l’abondante littérature consacrée à l’histoire commune de la France et de l’Algérie, Ahmed Atlaoui, professeur d’économie, occupe une place privilégiée. Algérien au pays natal, Français au pays d’adoption, cette double nationalité, cet « amour revendiqué de ses deux pays » le préserve en quelque sorte d’un arbitraire hérité d’un clan, d’une communauté, d’un parti, d’un courant de pensée limitant la portée du regard. L’auteur aime à citer avec autant de conviction le Contrat social du philosophe Jean-Jacques Rousseau que l’islam d’ouverture d’Abderrahman III, les penseurs juifs tels Buber, Levinas et Maïmonide.
À cela s’ajoute un héritage familial fondé sur des valeurs partagées de tolérance où l’on côtoie musulmans, catholiques et agnostiques. De plus, la greffe d’une belle-famille occitane aux principes humanistes contribua à fortifier son regard sur le monde. Ahmed Atlaoui ne pouvait « échapper », si l’on ose dire, aux bienfaits d’un tel brassage culturel.
Sans doute faut-il avoir cela en tête pour appréhender Paris est la banlieue d’Alger, essai qui ne manquera pas de susciter émotions et colères. L’approche universaliste de l’auteur ne freine pas les prises de positions radicales.
Au début des années 80, Ahmed Atlaoui dénonçait déjà l’angélisme des responsables politiques français confrontés, sans réellement les percevoir, aux prémices de revendications islamistes. Là où l’élu voyait dans le soutien aux structures associatives d’obédience cultuelle un outil de paix sociale, de fraternisation, mâtiné d’électoralisme, l’auteur y décelait aussi, parfois, la main des frères musulmans qu’il redoutait.
« Pour prier, les musulmans se rassemblent et le plus savant
d’entre eux dirige la prière. Nous n’avons pas besoin de structures particulières », prêchait-il dans le désert.
« Dans mon village en Kabylie, il n’y a pas eu de mosquée avant la fin des années 60. La maison de Dieu était partout, dans les champs comme dans les maisons. »
Plusieurs décennies et 2500 mosquées plus tard, le constat est sans appel :
« Les frères musulmans ont un programme politique holistique établi de longue date appelé le Tamkin. Il vise à imposer l’islam politique en Orient et en Occident, par les urnes ou au besoin par les armes…
… L’islam politique est incompatible avec les valeurs qui fondent la démocratie, incompatible avec les valeurs héritées des Lumières, avec la laïcité, l’égalité homme-femme. Rappelons que, pour les frères musulmans, les quatre cavaliers de l’Apocalypse sont la juiverie, la croisade, le communisme et la laïcité. »
Ce fil conducteur traverse l’intégralité de l’ouvrage structuré en deux parties. Chacune consacrée à une rive de la Méditerranée. L’auteur convoque des dizaines de témoins, de Khadija l’épouse du Prophète aux militants du Hirak en passant par les émirs de Cordoue et l’historien Benjamin Stora.
Au Maghreb puis en Europe, les frères musulmans se saisissent des opportunités historiques, politiques, sociales, culturelles pour asseoir leur influence. En Algérie la crise économique, la corruption étatique, en France les territoires abandonnés de la République constituent des situations pour eux favorables.
Un argumentaire précis analyse les fondements de « l’islam politique » décriés déjà par les présidents égyptiens Nasser puis Sadate dès les années 60. Ce dernier paiera de sa vie ses prises de position. « Le projet des frères musulmans vise non seulement notre pays mais le monde entier », prévenait en substance le président Nasser.
Après 132 ans de colonisation, « ce véritable génocide au ralenti », l’islam politique finira par prendre racine avec l’indépendance du pays en 1962. Il est aujourd’hui institutionnalisé. Ses fidèles structurent des associations reconnues, à l’image du Mouvement de la Société pour la Paix.
Cependant, le mouvement des femmes à qui l’auteur rend hommage, la pugnacité des militants du Hirak, nuancent une analyse qui peut paraître radicale. La démocratie n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Qu’en est-il en France ? Ahmed Atlaoui voit dans le développement de l’islam (2500 mosquées, 1300 salles de prières, une quarantaine d’écoles privées) l’infiltration des mêmes mouvements extrémistes qui sévissent en Algérie : « Le rôle de toutes ces associations est de propager le discours wahhabite, la finalité, la conquête du pouvoir ».
Les institutions, particulièrement l’école publique, constituent le cadre des affrontements entre les principes républicains et la doctrine salafo-wahhabiste. Les jeunes sont les principaux enjeux de cette confrontation que l’auteur décline sous de nombreux aspects. L’enseignement de la langue arabe, la vie des quartiers, les activités culturelles et sportives, la vie politique, les prisons « centres de recrutement ». Entre autres. L’auteur voit dans ces différentes facettes un « champ d’expérimentation » de l’islam politique.
Quarante années de politique de l’autruche, de territoires abandonnés aux « frères » creusent des fossés d’incompréhension au sein de la population. Cette deuxième partie « française » de l’ouvrage éclaire ces phénomènes d’exclusion.
Sans doute faut-il rappeler ici que la grande majorité des Français aux racines maghrébines, musulmans ou pas, partagent les valeurs de la République.
Toutefois, le propos qui peut sembler alarmiste doit être nuancé. L’analyse s’élargit sous des auspices autrement prometteurs. L’islam porteur d’espoir, de bienveillance et d’amour irrigue aussi l’ouvrage. Ahmed Atlaoui convoque les hommes et les femmes de paix pour raconter l’histoire de son pays natal.
« Mes souvenirs de cet islam sont riches d’espoir, de compassion, de bienveillance et d’amour des autres. C’est un islam porteur d’un humanisme profond, l’islam tel que le vivaient les miens comme, j’en suis sûr, l’ensemble des familles des pays du Maghreb où prévalait un islam mâlikite, et où la philosophie soufie animait la pensée. »
Le paradigme de Cordoue offre une opportunité au vivre ensemble. Étrange idée que d’aller puiser au XIIe siècle des solutions d’avenir. Et pourtant :
« Le paradigme de Cordoue est une négation de la violence », affirme le philosophe iranien Ramin Jahanbegglo. « La potentialité de dialogue minimise la violence, on va donc d’une logique d’exclusion à une logique d’inclusion. Le dialogue est un impératif qui évite de choisir la haine, le racisme, l’exclusion. Ne pas faire ce choix c’est laisser la porte ouverte à tous les extrémismes religieux et politiques », souligne Ahmed Atlaoui.
Ce message peut-il être entendu en ces temps d’individualisme où les jeux politiques tendent à la dénonciation du bouc émissaire, à la manipulation des esprits, tandis que les bateleurs de haine fortifient l’audience des marchands de pub ? Le pari est audacieux. Mais envisageable aussi longtemps que s’élèveront des voix « pour produire de la culture, car on gagne le monde par les idées et la sensibilité ». Pourfendeur des vents mauvais, cet essai, Paris est la banlieue d’Alger, aura le mérite d’oxygéner le débat en ouvrant de réelles pistes de réflexion.
Joël Combres
Directeur de la Revue ANCRAGE
Faites attention, lorsque la démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais pas pour demander de ses nouvelles.
Albert Camus
Première partie
Une indépendance confisquée
Kateb Yacine, écrivain et dramaturge algérien, écrivait : « La langue française est un tribut de guerre. » J’ajoute que si mon pays natal, l’Algérie, m’a donné de naître libre, la liberté de vie, et d’expression, de développement de ma personnalité, je la dois à la France. Je le confesse, j’aime la France ! Je suis né dans l’amour de la langue et de la culture françaises. Ainsi, en rejoignant la femme que j’aime en 1978, j’ai fait la plus belle des immigrations, j’ai en quelque sorte rejoint mes deux amours.
J’ai vite déchanté de mon second amour, la France, derrière lequel je cours depuis 42 ans ; la réciproque reste une permanente interrogation, tant il est vrai que le contentieux historique entre la France et l’Algérie est lourd ! La guerre d’Algérie n’est pas terminée.
Dans ma naïveté, je rêvais d’une réconciliation à l’allemande. Car enfin, le plus grand ennemi de la France fut l’Allemagne ; cependant le 8 juillet 1962, soit trois jours après l’indépendance algérienne, fut signé le traité de réconciliation entre le chancelier Konrad Adenauer et le président de la République française Charles de Gaulle ; 17 ans après la chute du nazisme ! Et 50 ans plus tard, en mai 2012, François Hollande et Angela Merkel célébraient à Reims ce jour historique. Certes, le contexte est différent, mais comment ne pas interroger les différentes facettes de l’histoire ?
« Paris outragé, Paris martyrisé… », clamait le général de Gaulle en août 1944. Oh oui, Paris et la France furent martyrisés, ô combien ! Mais par une autre Allemagne : celle du troisième Reich, celle du nazisme hitlérien, mais aucunement par le peuple allemand du 8 juillet 1962.
Je pense que l’Allemagne a fait l’analyse de son histoire, même si aujourd’hui en 2019 siègent 80 députés d’extrême droite au Bundestag. Il s’agit sans doute de la limite de la démocratie. J’y reviendrai.
Il a fallu attendre 2015, l’élection de Jacques Chirac, pour qu’enfin la France, en tant qu’État, reconnaisse sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France et particulièrement dans la rafle du vélodrome d’hiver. Mais c’est tout ! Oui, mais qu’en est-il de la responsabilité de l’État France pour le restant des exactions ? Rappelons la définition juridique de l’État, parce qu’elle est la seule acceptable lorsqu’il s’agit d’analyser les faits historiques. L’État est une personne morale qui s’approprie les prérogatives du peuple. Notons qu’il ne s’agit pas de ma pensée ou d’un chantage à la repentance, mais juste de distinguer État, peuple, et pouvoirS, au pluriel. N’ayons pas peur de dire que l’antisémitisme demeure vivace en France et trouve sa source dans cette histoire mal digérée de la Seconde Guerre mondiale, et aucunement dans l’antisémitisme récent importé dans nos banlieues par le problème israélo-palestinien. L’extrême droite est vivace et se nourrit de l’islamisme d’aujourd’hui. J’y reviendrai.
Soyons clairs, je ne cherche aucunement à trouver un remède à mes blessures ; elles restent intimes et ce n’est pas ici le lieu pour en faire état. Il s’agit plutôt de blessures collectives ! Dans un article que j’ai commis dans le journal Le Monde en mai 2012, intitulé « Le nouveau contrat social », j’écrivais, ou plutôt je criais : trois siècles après la naissance de Jean-Jacques Rousseau, si la véracité de sa thèse est permanente, l’abandon du rôle irénique de l’État, c’est-à-dire de sa mission de paix et de solidarité de la nation, a conduit depuis plusieurs années à une déchirure sociale rendant impossible tout nouveau contrat social. Pourquoi ?
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